La commission entend MM. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, et Marc Fosseux, rapporteur général de la formation inter-chambres relative au programme d'investissement d'avenir (PIA), sur les observations définitives de la Cour des comptes « Le programme d'investissement d'avenir : un acquis à consolider, un rôle spécifique à mieux définir – Exercices 2010-2020 »
Mes chers collègues, nous avons plutôt l'habitude d'auditionner les membres de la Cour des comptes sur les rapports que celle-ci nous rend en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Le plan d'investissement France 2030 s'inscrivant dans la lignée des programmes d'investissement d'avenir (PIA), il nous a cependant paru important, pour cette première réunion de notre commission « en format mixte » – à la fois dans la salle de la commission des finances et à distance –, d'entendre MM. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, et Marc Fosseux, rapporteur général de la formation inter-chambres de la Cour relative aux programmes d'investissement d'avenir, pour qu'ils nous présentent ces observations définitives qui portent sur un sujet dont notre collègue Marie‑Christine Dalloz, en sa qualité de rapporteure spéciale de la mission Investissements d'avenir, devenue Investir pour la France de 2030, nous a souvent parlé.
Si l'on comprend bien l'objectif du PIA, la mise en œuvre de celui-ci n'est pas si claire. Il a cependant survécu à trois majorités successives, ce qui, en soi, est déjà un exploit. M. Charpy, nous vous écoutons.
Les observations définitives que nous vous présentons aujourd'hui sont le fruit d'une enquête réalisée par une formation inter-chambres de la Cour et constituent une synthèse des travaux réalisés par les différentes chambres concernées par ce sujet, en particulier ceux de la première chambre, que je préside, sur le « PIA numérique » et le rôle de la Caisse des dépôts et consignations dans la mise en œuvre des PIA.
Ces travaux ont donné lieu – ce n'est pas si fréquent – à un référé du Premier président de la Cour des comptes, envoyé au Premier ministre le 28 juillet 2021, qui a été rendu public, avec la réponse du Premier ministre, au mois de septembre dernier. Il en résulte les observations définitives que je viens vous présenter aujourd'hui, en quatre parties respectivement consacrées aux moyens, à la mise en œuvre, à quelques critiques concernant la démarche de performance et d'évaluation qui reste trop limitée et à la nécessité de fixer la place des PIA dans la politique globale de soutien à l'investissement.
S'agissant des moyens, je me concentrerai sur les trois premiers PIA de la période sur laquelle a porté notre contrôle, auxquels des moyens importants ont été consacrés, puisque près de 57 milliards d'euros ont été engagés.
Le premier PIA comportait toutefois une proportion très importante de dotations non consommables : affectées à un opérateur, elles étaient placées auprès du Trésor, qui lui versait des intérêts quelque peu fictifs. Cela permettait de ne pas les consommer tout en dégageant des crédits pour les établissements concernés.
Les montants engagés dans le cadre des deuxième et troisième PIA étaient plus modestes : entre 10 et 12 milliards d'euros pour l'un et l'autre, dont une part progressivement plus importante accordée aux dotations en fonds propres, afin de soutenir les entreprises et leurs investissements. Ce dispositif a permis de poursuivre les priorités affichées par le rapport rendu en 2009 par la commission sur les priorités d'avenir financées par l'emprunt, présidée par MM. Alain Juppé et Michel Rocard. Une part significative des moyens était accordée à la recherche et à l'enseignement supérieur – surtout à la recherche –, mais aussi à l'économie, avec un effort important sur l'innovation. Le reste était plus résiduel.
Dans le cadre du troisième PIA, les moyens ont été reconfigurés en une mission budgétaire comportant trois programmes Accélération de la modernisation des entreprises, Valorisation de la recherche et Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche. Cette reconfiguration faisait suite à certaines des critiques émises par la Cour sur le cadre très dérogatoire des premier et deuxième PIA. Le troisième PIA suivait ainsi davantage une logique budgétaire, plus conforme à la LOLF, les trois programmes permettant de mieux définir les rôles ainsi que les priorités sur chacun des axes du PIA.
Cette reconfiguration a aussi permis de clarifier le contrôle par le Parlement de l'utilisation des crédits. Précédemment, le système des dotations non consommables avait comme inconvénient que le Parlement votait un montant global de crédits, dont une partie étaient décaissés au profit des opérateurs, sans que l'on puisse en contrôler l'utilisation.
Autre point de complexité, une partie des crédits du troisième PIA ont ensuite été intégrés dans le Grand plan d'investissement (GPI). Nous avons, à partir des années 2018 et 2019, vu s'accumuler un certain nombre de plans : le troisième PIA intégré dans le GPI, le quatrième PIA intégré dans le plan de relance, le plan de relance lui-même intégré dans le plan d'investissement France 2030. Il peut être difficile de s'y retrouver. S'y ajoutent les soutiens à l'investissement au niveau européen : le plan dit Juncker, puis, aujourd'hui, le plan Invest EU. Saisie par le Sénat, la Cour remettra un rapport sur le plan de relance le mois prochain.
Globalement, la Cour ne porte pas un jugement négatif sur cette mise en œuvre. Les défauts les plus saillants ont été progressivement corrigés. La substitution au commissariat général à l'investissement d'un secrétariat général pour l'investissement a permis de mieux affirmer la dimension interministérielle du PIA et sa coordination. Un comité de surveillance des investissements d'avenir a également été créé, dont la présidence est confiée à Mme Patricia Barbizet et dont le rôle est renforcé dans le cadre du quatrième PIA.
Le nombre de gestionnaires a diminué entre le début et la fin de la période contrôlée, et ces derniers se sont professionnalisé : peuvent notamment être souligné le rôle de la Caisse des dépôts et consignations, de Bpifrance ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie devenue Agence de la transition écologique (ADEME). Le rôle des ministères est désormais un peu plus affirmé. Nous nous interrogions cependant sur les conditions dans lesquelles les ministères pourraient reprendre en charge les actions qui sont financées par les PIA à l'échéance des conventions avec les gestionnaires, mais la prolongation de ces conventions pour cinq ans permet une clarification. Enfin, en 2021, a été créé un Comité interministériel de l'innovation, présidé par le Premier ministre. Tout cela a renforcé la cohérence des PIA.
J'en arrive à la consommation des crédits. Pour le premier PIA, la consommation très rapide des crédits résulte de l'existence de dotations non consommables, envoyées très vite aux opérateurs, même si les décaissements auprès des bénéficiaires finaux n'ont pas forcément été très rapides. La consommation des crédits a logiquement été ralentie dans le cadre des PIA suivants, avec le recours à des interventions en fonds propres –il s'agit d'opérations budgétaires plus complexes.
La Cour déplore la dimension territoriale insuffisante des PIA. Ce n'est pas totalement illogique : l'idée générale, qui présidait déjà à la constitution des pôles de compétitivité, était de concentrer les efforts pour créer des clusters ; la dimension territoriale était donc secondaire. Le plan de relance et le plan d'investissement France 2030 témoignent pour leur part de la volonté d'une plus grande territorialisation. Le quatrième PIA permet lui-même de mieux territorialiser, avec un reporting trimestriel des montants décaissés, une coordination renforcée avec un certain nombre de régions et l'allocation de nouvelles tranches en fonction de priorités comportant une forte dimension territoriale – je pense notamment à tout ce qui concerne la biodiversité, l'agriculture, l'agroalimentaire ou encore la formation et l'enseignement scolaire.
J'en arrive au troisième point de ce relevé d'observations définitives : les PIA ont-ils donné lieu à une démarche de performance et d'évaluation ? Les constats de la Cour sont ici plus négatifs. Nous avons le sentiment que la performance et l'évaluation restent plus limitées.
Premièrement, il faut passer d'une culture de moyens à une culture de performance. Cela implique de renforcer les indicateurs de performance et de les harmoniser, de mieux piloter et maîtriser les coûts de gestion, de mieux exploiter les données comptables ou extracomptables qui permettent de connaître la valorisation des actifs financés par le PIA et de mieux fiabiliser les données relatives au retour financier des actions qui doivent effectivement donner lieu à un retour financier.
Deuxièmement, il nous semble aussi qu'il convient de renforcer la maîtrise des risques. La création d'un comité de surveillance est une évolution positive. Toutefois, il ne faut pas se limiter à un contrôle interne financier, mais aussi envisager des choses un peu plus élaborées et permettre aux services de l'État de disposer de leur propre appréciation sur l'efficacité des procédures de gestion et de maîtrise des risques mises en place par les opérateurs. L'argent confié à la Caisse des dépôts et consignations ou à Bpifrance est-il correctement géré et dépensé ? L'État doit probablement, de ce point de vue, faire davantage attention aux conditions dans lesquelles les PIA sont mis en œuvre.
Troisièmement, il convient également d'assurer un meilleur suivi. L'État ne peut intervenir que s'il agit en tant qu'investisseur avisé ; sinon, son intervention constitue une aide d'État, interdite par les règles européennes. Il faut donc concilier la doctrine de l'investisseur avisé avec les objectifs stratégiques de l'État. Par ailleurs, il n'est pas toujours aisé de connaître le bénéficiaire final de montants investis dans des fonds, voire dans des fonds de fonds. Comment s'assurer alors que ce sont effectivement des programmes prioritaires qui bénéficient des PIA ? L'État doit aussi se doter d'une réelle capacité d'expertise et de contrôle, ainsi que de valorisation, de ces fonds, distincte de celles des gestionnaires de fonds, l'État demeurant l'ultime porteur des risques. Des progrès sont encore possibles en la matière.
Cinquièmement, puisque les fonds de fonds qui participent aux PIA peuvent investir dans des sociétés étrangères, comment contrôler et orienter ces investissements ?
En définitive, même si les documents transmis au Parlement sont riches, l'information qui vous est transmise peut encore être améliorée. Il nous semble que l'évaluation des actions des PIA demeure limitée et inégale, selon les gestionnaires et selon les actions. Lorsque cette évaluation existe, elle fait apparaître un impact positif du PIA. Par exemple, les laboratoires d'excellence (« Labex ») et équipements d'excellence (« Equipex »), qui sont des actions conduites par l'Agence nationale de la recherche, ainsi que les actions conduites par l'ADEME ont de bons résultats. Des actions qui étaient jusqu'alors dispersées ont été structurées et, progressivement, la France s'est rapprochée de certains standards internationaux. Certains échecs peuvent cependant être relevés ; sur ce point, il faudrait être en mesure de systématiser l'évaluation et l'analyse des échecs.
Le PIA a contribué à faire remonter la France dans les classements internationaux relatifs à l'innovation, notamment sur la part des dépenses publiques et privées dans le produit intérieur brut (PIB), la part des brevets… Il reste tout de même un certain nombre de points à régler. La Cour des comptes avait montré, dans son rapport sur les aides publiques à l'innovation des entreprises, remis au printemps dernier à votre commission en application du 2° de l'article 58 de la LOLF, que le passage de la recherche au brevet et à l'industrialisation pâtit encore de certains blocages. Nous soulignons à cet égard, dans les observations définitives que nous vous présentons aujourd'hui, que les actions à destination des entreprises ou des filières industrielles donnent des résultats relativement limités. Ainsi, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qui était souhaité dans les trois domaines que nous avons particulièrement examinés : le développement des véhicules et transports du futur, le soutien à la numérisation des entreprises et le cloud souverain.
Il est également compliqué d'évaluer l'impact macroéconomique des PIA. Un travail méthodologique doit sûrement être mené pour parvenir à mieux mesurer le volume d'investissements et son impact sur la croissance, mieux mesurer la qualité de la dépense d'investissement. Si des progrès sont constatés, les efforts en cours doivent être poursuivis.
Tout cela pose plus généralement la question de la place du PIA dans la politique de soutien à l'investissement…
Un travail méthodologique permettrait sûrement de mieux mesurer le volume d'investissement, son effet sur la croissance et sa qualité –de ce point de vue, le PIA 4 apporte des progrès.
Quelle est la place des PIA dans la politique de soutien à l'investissement ? Exceptionnel et massif à la suite de la crise de 2008-2009, l'outil s'est pérennisé, malgré le changement de contexte, avec trois PIA supplémentaires. Faut-il réintégrer les PIA dans le cadre normal des interventions de l'État ? La Cour n'a pas de réponse précise mais préconise une coordination plus étroite de l'outil avec les autres interventions.
Les actions du PIA, tournées vers l'entreprise, doivent-elles intervenir en amont, sur la recherche, ou à l'étape de la valorisation ? Doivent-elles répondre à des objectifs stratégiques comme celui de la souveraineté nationale ou pallier les insuffisances du marché ? Et ne finance-t-on pas des pépites qui, faute de pouvoir connaître ensuite un développement industriel en France, seront vendues à l'étranger ?
Les plans s'accumulent et s'enchevêtrent – PIA, GPI, missions Plan de relance et Investir pour la France de 2030 – sans logique complètement affirmée.
Qu'est-ce qu'un investissement ? Votre commission a porté une réforme importante de la loi organique relative aux lois de finances, qui distingue davantage les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement, en laissant cependant au Gouvernement et au Parlement le soin de définir ces dernières. Peut-on par exemple considérer le traitement des professeurs des universités comme de l'investissement ?
Le PIA nous paraît plutôt une réussite : il a permis à l'État de reprendre un cycle de soutien à l'investissement qui avait été assez largement abandonné dans le passé.
Le rapport de la Cour formule un certain nombre de recommandations. Il faut concilier les plans de nature générale et les plans de nature sectorielle. Les dispositifs exceptionnels, devenus pérennes, doivent s'inscrire dans une doctrine plus organisée : tel sera certainement l'objectif des prochains mois ou des prochaines années.
C'est une étude très intéressante que vous nous avez présentée, monsieur le président. Nous nous sommes posé beaucoup de questions sur les PIA. L'objectif de favoriser des investissements d'avenir, notamment dans les technologies, est majoritairement partagé à l'Assemblée nationale ; la France a un peu de retard quant à la transformation industrielle. Les PIA sont cependant un environnement assez obscur, et d'abord à cause de leur empilement et de leur enchevêtrement dans le temps.
Des rapports souvent détaillés sont publiés : la Cour a essayé d'aller à l'essentiel en posant la question de l'efficacité de cet exceptionnel effort d'une soixantaine de milliards d'euros tout au long de ces quatre PIA. La France est-elle meilleure dans tel ou tel domaine ? Sa capacité à créer des start-up technologiques ou à provoquer des ruptures est-elle plus forte ?
L'articulation des PIA avec la mission Investir pour la France de 2030 est absente de votre étude, mais avez-vous une opinion ? Le GPI a jeté un peu plus de confusion : les autorisations d'engagement des précédents plans étaient consommées, et puis on a voulu remettre une partie de tout cela dans un même sac, sans que ce soit bien utile.
Quelle part des investissements de fonds de fonds est-elle consacrée à des sociétés étrangères ? Par ailleurs, certaines start-up, grossissant, se vendent-elles à des capitaux étrangers alors que tel n'est pas l'objectif ?
Y a-t-il également des « fuites budgétaires », par exemple sur l'apprentissage, en raison de la facilité d'emploi des PIA ?
Les dotations non consommables m'ont toujours un peu étonné. Par principe, nous y sommes plutôt favorables et cela marche plutôt bien pour le financement des universités aux États-Unis, mais savons-nous utiliser ce mécanisme en France ? Quels sont les volumes en jeu et que penser des taux, factices compte tenu de leur fixation par le Trésor et non les marchés ?
Je remercie le président Charpy et le rapporteur général Fosseux pour leur travail tout à fait bienvenu, qui, au lendemain de la création de la mission Investir pour la France de 2030, nous intéresse évidemment.
Le président Woerth a bien présenté les deux grands enjeux : quid de l'efficacité des PIA et de leur cohérence avec les autres outils ? La France a un écosystème de financement de l'avenir, c'est-à-dire de la recherche et de l'innovation, particulièrement puissant et pertinent, riche d'opérateurs au savoir-faire reconnu : Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations, l'ADEME, etc. Les trois premiers PIA, à défaut d'être suffisamment transparents, connus et pilotés par le Parlement, ont-ils permis d'améliorer le fonctionnement de cet écosystème ?
Quelle gouvernance pourriez-vous recommander au prochain secrétaire général pour l'investissement (SGPI), qui gérera la mission Investir pour la France de 2030 ? Le Président de la République, en annonçant ces 30 milliards d'euros nouveaux, a souhaité une petite révolution dans la gouvernance des investissements d'avenir avec la mise en place, pour reprendre ses termes, d'un « effet commando » pour une prise de risque plus assumée. En tant que membre de la commission de surveillance des investissements d'avenir qui est un organe consultatif et de contrôle, j'aimerais savoir comment il est possible d'introduire plus de prise de risque ? Faut-il retenir des profils davantage issus de l'entreprise ou bien mixer des profils des secteurs public et privé ?
Le président Woerth et moi-même sommes rapporteurs des crédits des missions Plan d'urgence face à la crise sanitaire et Plan de relance, dont la rapidité d'exécution et la territorialisation sont deux qualités. Ne pourrait-on pas imaginer que les investissements d'avenir « marchent sur deux jambes », l'une très réactive, au format de la mission Plan de relance, sous la conduite de la direction du budget et évaluée par le Parlement, qui associerait les préfets, et l'autre au format de la mission Investir pour la France de 2030, moins territorialisée car orientée vers le long terme, visant la création de clusters industriels en fonction de certains thèmes et dont le contrôle serait effectué dans le cadre de celui des crédits de la mission dont Mme Dalloz est aujourd'hui la rapporteure spéciale ?
Autre question, le fonctionnement de nos PIA se distingue-t-il de la pratique des autres pays ? Y a-t-il des exemples étrangers dont on pourrait s'inspirer ?
Au début de la législature, nous avions mis en place un fonds pour l'innovation et l'industrie (FII). Je crois que c'est, à ce stade, un échec, et la Cour des comptes avait recommandé qu'il réintégrât le budget de l'État. Ses moyens pourraient-ils s'additionner à des programmes d'investissement existants ou nourrir la mission Investir pour la France de 2030 ?
Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport très intéressant. Il est nécessaire d'évaluer ces politiques passionnantes car les montants sont substantiels.
Je ne remets jamais en cause l'intérêt et l'utilité des PIA, malgré leur difficile lisibilité. La Cour des comptes indique qu'il s'agit d'un objet budgétaire singulier qui ne donne pas de vision globale de l'investissement dans les secteurs stratégiques. S'y ajoutent ainsi le fonds européen pour les investissements stratégiques, créé à l'initiative du président Juncker, le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) dont le rapporteur général vient de parler, lequel n'est pas une réussite, et bien sûr la mission Investir pour la France de 2030. Comment organiser leur cohérence ? La Cour a raison de poser la question de l'articulation de l'ensemble.
La Cour souligne différents risques. Les aides restent parfois concentrées sur certaines entreprises, encore une fois dans une logique de guichet. Je l'ai dénoncé plusieurs fois et vous seriez étonnés du niveau de territorialisation.
Par ailleurs, les PIA devraient passer d'une culture de moyens à une culture de la performance : notre pays ne sait pas maîtriser les risques, cela fait des années que je signale, dans mon rapport spécial, que les indicateurs de performance ne reflètent pas réellement la performance. Il faut enfin améliorer le suivi des investissements en fonds propres et, comme l'a rappelé le président Woerth, en fonds de fonds.
Vous soulignez l'insuffisant suivi du retour financier des investissements en fonds propres effectués dans le cadre des PIA. D'autres travaux de la Cour, comme les notes d'analyse de l'exécution budgétaire (NEB) de la mission Investissements d'avenir, montrent aussi la volatilité de ce retour mesuré par le SGPI. Comment, dès lors, améliorer ces prévisions et en tirer un plus grand profit ? Contrairement aux NEB, les observations définitives que la Cour nous présente aujourd'hui n'abordent ni la dispersion de l'information fournie au Parlement, ni l'importante complexité des circuits d'exécution. Avez-vous réfléchi à des moyens d'améliorer la lisibilité des PIA ?
La Cour évoque l'arrivée à échéance des premières actions des PIA. Dans le cadre de mes travaux, j'ai pu constater que l'autonomie financière d'un certain nombre de structures – vous citez les laboratoires d'excellence (LABEX), mais il y a aussi les instituts de recherche technologique (IRT) ou les instituts hospitalo-universitaires (IHU) – est très loin d'être atteinte. D'autres actions présentent-elles des risques similaires et quelles sont vos pistes de réflexion en la matière ?
Enfin, quels risques l'exécution de la mission Investir pour la France de 2030 et le rôle confié au SGPI face aux vingt-huit ministères concernés vous paraissent-ils présenter ?
L'objectif premier des PIA était en effet de rompre avec la logique des crédits ministériels…
Je souhaite revenir sur la nécessité de mieux suivre et mesurer les dépenses et les effets du PIA en termes de constitution d'actifs de valeur pour la nation et d'accroissement du potentiel productif. Pour l'heure, nous ne sommes pas parvenus à en faire l'évaluation ; il est essentiel d'y travailler. Il s'agit de savoir si l'on parvient à créer de la valeur et ainsi rembourser une partie de notre dette avec les emplois et la croissance qui résultent de ces dépenses d'investissement.
J'en viens à mes questions.
L'illisibilité résultant de la coexistence de différents programmes porte atteinte à la doctrine globale d'investissement de l'État. Pensez-vous que, pour y remédier, un pilotage unique de ces différents dispositifs soit nécessaire ? Pensez-vous qu'il faille une doctrine globale et une déclinaison par outil ?
Par ailleurs, pouvez-vous clarifier votre position sur l'élargissement de la notion d'investissement aux dépenses d'éducation et de formation ?
Enfin, le Gouvernement a fait le choix d'inscrire les crédits du plan France 2030 dans le cadre de la mission Investissements d'avenir renommé en conséquence Investir pour la France de 2030. Au regard des critiques que vous formulez par ailleurs, pensez-vous que c'était la meilleure solution ?
Les PIA étaient prometteurs. Il s'agissait de provoquer de l'innovation tout au long du cycle de conception et de mise en œuvre des projets bénéficiaires. Toutefois, beaucoup d'interrogations persistent, qui portent notamment sur les dépenses budgétaires classiques, les dotations non consommables, les avances, les prêts ou encore les investissements en fonds propres ou indirects. Comment évaluez-vous ces différents modes d'intervention ? Dans quelle mesure répondent-ils au besoin d'investissements de qualité, et résolvent-ils l'équation de l'accumulation du capital et de la prise en compte des enjeux vitaux pour l'avenir de notre pays ?
Je ne reviendrai pas sur la nécessaire articulation entre les programmes ni sur la question de leur redondance ou complémentarité. Celle de la territorialisation est en revanche centrale : certains territoires concentrent plus d'investissement et d'innovation que d'autres. À cet égard, les PIA jouent-ils un rôle structurant, notamment dans l'émergence de projets éligibles au financement dans les territoires ?
Vous formulez des recommandations pour améliorer la lisibilité des dispositifs et l'information du Parlement, mais quelles améliorations d'ordre législatif jugez-vous pertinentes pour améliorer l'investissement mais également pour resserrer les choix d'investissement sur les entreprises françaises ? Et quel véhicule législatif vous paraît le plus adéquat pour ces évolutions ?
Enfin, en ce qui concerne la recherche et l'innovation, la France doit atteindre les standards internationaux qui s'appliquent notamment aux recrutements de post-doctorants et aux publications scientifiques ayant un impact important. Comment pourrions-nous nous inspirer des réussites étrangères dans ce domaine ?
Messieurs les présidents, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'éclairer sur l'articulation à votre analyse des conclusions que vous proposez.
Je me permets de reprendre quelques passages de votre rapport. Vous indiquez que, dans le cadre des appels à projet, certaines conventions n'indiquent aucun critère de sélection. Vous signalez un contournement des règles budgétaires, voire une absence de règles. En outre, vous indiquez que l'effet de levier affiché des financements doit être fortement relativisé dans la mesure où de nombreux cofinancements présentés comme privés proviennent en fait d'organismes publics. En clair, vous nous dites que des arrangements avec la réalité visent à faire paraître les financements des PIA plus nécessaires qu'ils ne le sont.
Vous indiquez par ailleurs que la multiplicité des instruments rend difficilement lisible la politique d'ensemble de soutien à l'investissement, dilue les responsabilités et brouille l'identité des PIA. Vous considérez ainsi que l'insuffisante articulation entre les différents outils constitue un obstacle à l'optimisation des choix d'investissement. Je crois bien comprendre que cette politique est illisible et qu'elle manque de coordination, rend les acteurs irresponsables, et se révèle donc inefficace. Vous indiquez encore que, dix ans après leur lancement, les effets véritables des PIA sont difficiles à cerner.
Tout est dit de l'ampleur des dysfonctionnements. Pourtant, vous concluez qu'il faudrait maintenir cet outil. J'en suis surpris : on jette de l'argent par les fenêtres, mais il faudrait donc continuer ! Me surprend plus généralement la logique intellectuelle de votre rapport, qui égrène des constats cruels mais affiche la conviction que tous les acteurs ayant participé à cette aventure sont de bonne foi.
Nous souscrivons à l'objectif de ces investissements d'avenir et considérons qu'ils sont nécessaires, mais n'est-il pas temps de prendre acte de l'échec du format des PIA tel qu'on le connaît ? Quel format retenir, donc, pour plus d'efficacité ? Et comment articuler les stratégies de court et de long termes ?
Je vous remercie, messieurs les présidents, pour cette présentation d'un outil peu connu du grand public dont les implications budgétaires et sur notre politique d'investissement sont cependant capitales. Il s'agit d'un outil central de notre stratégie d'innovation, qui doit permettre de redonner à la France son rang parmi les pays les plus innovants.
Vos conclusions sur la première décennie d'existence des PIA doivent permettre un meilleur fonctionnement du plan France 2030, qui a, en quelque sorte, fusionné avec le PIA 4. France 2030 est un plan d'investissement massif, concentré sur les domaines et filières d'excellence dans lesquels notre pays a pour ambition de devenir leader en 2030, comme le nucléaire, les voitures électriques ou encore l'exploration des fonds marins.
Le Gouvernement a annoncé vouloir renforcer l'évaluation de l'emploi des fonds. Les conventions conclues par l'État et les organismes gestionnaires de ces fonds devraient ainsi inclure un dispositif complet d'évaluation, ce qui va dans le sens de vos recommandations. La doctrine d'investissement sera pas ailleurs modifiée afin d'autoriser le financement de projets situés plus en aval de la chaîne de production. Ces ajustements vont-ils, selon vous, dans le bon sens ? Comment les compléter pour lever les freins, éviter les écueils identifiés et ainsi faire du plan France 2030 un succès ?
Les PIA n'ont pas été pensées dans une logique territoriale même si des efforts ont été accomplis dans ce domaine. Comment faire pour éviter que les investissements ne soient captés par les plus grandes métropoles ? Comment défendre les territoires les plus fragiles et faire des PIA un meilleur outil d'aménagement du territoire ?
En outre, observez-vous une polarisation des investissements ? Est-ce que l'articulation du PIA avec les autres plans va simplifier les choses ? Concernant plus spécifiquement les secteurs d'avenir, comment articuler les PIA avec la loi de programmation de la recherche et de l'enseignement supérieur ?
Je vous remercie pour cette présentation utile. Comme vous l'avez relevé, messieurs les présidents, les parlementaires sont parfois un peu démunis pour suivre la mise en œuvre des PIA. Cette difficulté de lisibilité provient d'un fonctionnement souple et varié combinant plusieurs niveaux de gouvernance, notamment le niveau du SGPI et celui des différents opérateurs.
Les modalités d'intervention sont également diverses : des dotations non consommables, des subventions, des prêts. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre la souplesse, la diversité des modalités de fonctionnement et la lisibilité et la transparence. Celles-ci nous semblent essentielles, car les crédits des PIA, sur lesquels les parlementaires doivent se prononcer, sont d'un montant important.
Mon interrogation porte sur la multiplication des initiatives visant à promouvoir l'investissement. De nouvelles initiatives sont en effet apparues, avec le grand plan d'investissement, le plan France Relance et, désormais, France 2030. Le haut-commissariat au plan, qui a sûrement un rôle plus prospectif, vient encore complexifier l'articulation de ces différents éléments. Quelle est l'utilité d'un tel foisonnement ? Cette profusion des outils ne risque-t-elle pas de limiter la force de frappe des PIA ? Certains effets d'annonce particulièrement remarquables ne sont-ils pas précisément rendus possibles par les difficultés de lisibilité ? Par exemple, le GPI finance, indiquez-vous, nombre de projets déjà prêts et qui auraient de toute façon été financés par ailleurs.
La France prévoit d'investir 1,8 milliard d'euros sur cinq ans dans la technologie quantique, dont un milliard d'euros financé par l'État via le PIA, sous l'égide du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). Ce premier programme d'investissement consacré à la technologie quantique, d'un montant de 150 millions d'euros, qui porte sur la recherche fondamentale, a été engagé le 4 janvier dernier, mais vous signalez dans votre rapport les lourdeurs des PIA, qui en grèvent l'efficacité. Dès lors, cet investissement dans le secteur quantique étant une nouveauté en France, encadré de surcroît par plusieurs organismes, quelles sont vos recommandations pour en assurer la bonne gestion ?
Ne pensez-vous pas que les dysfonctionnements constatés résultent notamment des modalités de choix des gestionnaires ? Par exemple, les gestionnaires de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ont dû gérer une partie du PIA, alors que ce n'est pas le cœur de métier de ladite agence. Ne pensez-vous pas qu'il faille choisir des gestionnaires plus enclins à gérer effectivement les PIA ?
Il y a quelques mois, le secrétaire général pour l'investissement, à l'occasion du dixième anniversaire du PIA, constatait déjà des effets probants en matière de recherche et d'enseignement supérieur. Il déplorait toutefois une diffusion trop limitée de ces résultats. N'est-ce pas là une difficulté caractéristique de la communication dont les politiques publiques sont l'objet, tout ce qui sort du périmètre des ministères – même s'il s'agit de dizaine de milliards d'euros – faisant l'objet d'un « portage politique » relativement léger ? Est-on vraiment passé d'une logique consistant à faire à la place des ministères à une logique consistant à faire avec les ministères ?
La dépense moyenne par étudiant, quoique scrutée et objet de comparaisons internationales, et d'ailleurs étudiée dans le cadre de mon rapport spécial sur l'enseignement supérieur et la vie étudiante, se révèle très difficile à appréhender, car il n'existe aucune donnée globale au numérateur de cette dépense, dont sont exclus les investissements des différents PIA et du plan de relance. L'intégration des crédits des PIA et des crédits ministériels dans le calcul d'indicateurs, nécessaires pour mieux connaître une politique publique dans sa globalité, ne devrait-elle pas être étudiée ?
Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour les appréciations que vous portez sur notre rapport et pour vos nombreuses questions, auxquelles je vais tâcher de répondre.
M. le président de la commission des finances souhaitait savoir dans quelle mesure les crédits du PIA ont permis de compenser l'absence de crédits budgétaires. Il ne s'agit pas d'un phénomène majoritaire ; il y a eu quelques cas, mais la proportion serait assez faible. Notre constat ne sera pas forcément le même lorsque nous aurons à examiner les crédits du plan de relance.
Les dotations non consommables sont des dotations que l'État donne à ses opérateurs mais qu'ils ne peuvent pas consommer, ce qui conduit l'État à leur verser un intérêt fictif. Cela part d'une idée assez étrange qui est que l'État n'est pas capable de s'autoréguler en cessant de geler les crédits. Il s'agit d'ailleurs de la critique principale adressée au FII évoqué par M. le rapporteur général Laurent Saint-Martin. Le FII devait recevoir 10 milliards d'euros de titres mais nous n'avons pas su les trouver car seuls des titres existants d'EDF ont été versés. Ces titres devaient générer un rendement annuel de 2,5 %. L'avantage est que cela permet d'afficher un investissement de 10 milliards d'euros sur l'innovation quand dans la réalité on ne lui attribue que 250 millions d'euros par an. La mécanique était extrêmement lourde et, comme l'a montré la Cour dès le départ, nous avons mis beaucoup de temps à dépenser peu d'argent. Là aussi, le principe semble que l'État ne serait pas capable de résister à la direction du budget sur les gels de crédits. Pourtant, avec le PIA 4, il a été possible de mettre en place un programme budgétaire exempté de gel de crédits. Nous sommes capables de sanctuariser des crédits quand il y a une volonté ; il n'est pas nécessaire de passer par des dotations non consommables.
Quant aux fonds de fonds et aux investissements à l'étranger, un fonds qui bénéficie du PIA est soumis à l'obligation d'investir en France pour un montant correspondant au moins à une fois et demie celui de la participation publique reçue. Dans les faits, cette obligation est sans doute respectée mais son contrôle n'est pas aisé car les fonds de fonds interviennent un peu partout. Faut-il, par ailleurs, permettre à des investisseurs étrangers d'investir en France ? Je n'y vois pas d'inconvénient– après tout, nous sommes dans une économie ouverte –, mais il faut s'assurer de ne pas en faire trop de ce point de vue.
Quant à l'écosystème de l'investissement et d'innovation, évoqué par M. le rapporteur général et plusieurs d'entre vous, notre sentiment est que le PIA a permis de l'améliorer. Des dispositifs existaient auparavant, mais, grâce aux opérateurs, la coopération est aujourd'hui meilleure entre les chercheurs, les industriels et les financiers. Nous évoquons un certain nombre d'exemples dans le rapport qui concernent notamment les laboratoires d'excellence (« Labex ») et les équipements d'excellence (« Equipex »). Il faut garder à l'esprit que les projets de financement et d'investissement sont plus complexes à mettre en œuvre que les dépenses de guichet. Plus les projets sont complexes, plus leur mise en œuvre prend du temps, notamment parce qu'il faut être attentif au respect de certains critères.
La professionnalisation des opérateurs a fait l'objet d'une remarque de M. le député Pupponi. Au début du processus, le PIA a été confié, nous semble-t-il, à un trop grand nombre d'opérateurs, mais le champ des intervenants a été resserré de manière appropriée. Ainsi connaissons-nous désormais trois opérateurs principaux : la Caisse des dépôts et consignations, qui a fait l'objet d'un contrôle spécifique de notre part dont les conclusions sont plutôt satisfaisantes ; Bpifrance, également un opérateur majeur, qui communique bien sur ses résultats ; l'ADEME, dans un rôle très spécifique.
Cette accumulation et cet enchevêtrement de plans comportent, ne nous le cachons pas, une part de communication et de recyclage, et il ne peut être reproché à un gouvernement qui se fixe de nouvelles priorités de réorienter une partie des crédits existants ou de reprendre certaines méthodes.
Toutefois, les objectifs de France Relance et de France 2030, qui n'ont pas fait l'objet d'un examen spécifique à ce stade, sont radicalement différents. France Relance avait pour double objectif de relancer et de transformer l'économie. La relance de l'économie à laquelle était consacrée près de la moitié des crédits a plutôt bien fonctionné. France 2030 est un véritable plan d'investissement consacré aux technologies d'avenir. Un pilotage unique et renforcé de ces différents plans me semble suffisant. On ne saurait avoir d'un côté un secrétaire général à la relance, d'un autre un secrétaire général pour le plan France 2030 et d'un autre encore un secrétaire général pour l'investissement chargé des PIA. La difficulté réside davantage dans le partage des responsabilités entre les ministères et l'instance chargée de ce pilotage unique. Le commissariat général à l'industrie avait été critiqué – peut-être était-ce lié à la personnalité de ses dirigeants – pour sa gestion un peu trop impérieuse et centralisatrice. Le SGPI a été davantage centré sur la coordination pour laisser plus de place aux ministères. Les reproches qui sont formulés aujourd'hui suggèrent qu'il faut sans doute trouver un équilibre entre ces deux modèles avec un pilotage interministériel et une prise en main vigoureuse pour assurer l'avancement des projets.
À mon sens, la personne chargée des plans d'investissement futurs ne pourrait avoir accompli l'ensemble de sa carrière dans le secteur privé – ce jugement est peut-être lié au fait que je suis moi-même un fonctionnaire de longue date. Il faut un mélange entre une culture des résultats, que l'on retrouve dans le secteur concurrentiel, et une culture du secteur public pour gérer les ministères. Nous trouverons certainement des personnes de qualité.
En termes de comparaisons internationales, les exemples majeurs sont le plan d'investissement de la Commission européenne pour l'Europe, connu sous le nom de plan Juncker, et le plan Invest EU qui suivent la même démarche. Des secteurs prioritaires ont été identifiés puis financés sous la forme de dotations en fonds propres ou de garanties. La manière dont la Banque européenne d'investissement (BEI) évalue l'« additionnalité » de ces financements est un exemple à suivre en France.
Nous nous sommes intéressés aux retours sur investissement et à la volatilité des prévisions du PIA. Différents travaux de la Cour ont porté sur ces sujets, notamment les notes d'exécution budgétaire. Des prévisions sur les retours financiers des investissements en fonds propres sont présentées dans le « jaune » budgétaire consacré au PIA. Ces prévisions sont fournies par les opérateurs mais qu'en est-il de l'expertise ou de la contre-expertise de l'État ? Les retours financiers sont connus en premier lieu des opérateurs, en particulier Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations, puisque ce sont eux qui gèrent l'argent des PIA pour le compte de l'État. Ils transmettent ces recettes, qui représentent entre 50 et 80 millions d'euros, au ministère de l'économie et des finances. Ces recettes sont réparties selon une clé définie par un arrêté ministériel de 2014 : une partie revient au budget général et une autre est reversée aux participations financières de l'État gérées par l'Agence des participations de l'État (APE), qui n'est pas partie prenante dans les PIA. Se pose donc la question du pilotage et de la fiabilisation. Ces chiffres sont repris dans le compte général de l'État sur le fondement de la déclaration des opérateurs. Il ne serait pas inutile d'avoir plus de garanties sur leur exactitude et de pouvoir s'assurer que les provisions à passer ont effectivement été passées. La direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale du trésor (DGT), à la suite d'observations émises par la Cour il y a quelques années, travaillent à la fiabilisation de ces montants. Cependant, l'efficacité des PIA ne saurait être mesurée uniquement par la maximisation des retours sur investissement. Par définition, les PIA permettent à l'État d'investir dans des secteurs particulièrement risqués dans lesquels l'État n'est pas présent.
Par ailleurs, certaines structures financées par le PIA n'ont pas atteint leur autonomie financière, mais la première chambre ne s'est pas spécifiquement attardée sur le sujet. Parmi les établissements concernés, nous pouvons citer un certain nombre d'instituts universitaires pour lesquels des financements devront être trouvés à l'avenir.
Mme la députée Bénédicte Peyrol nous interroge sur la doctrine d'investissement de l'État et sur la notion même d'investissement. La Cour des comptes n'a pas de position ferme sur la définition de la dépense d'investissement mais elle note que certaines dépenses qui peuvent être constatées dans l'actif ou dans le passif de l'État créent de la valeur bilancielle. Je suis absolument convaincu qu'investir dans l'éducation est une dépense pour l'avenir mais cette dépense ne crée pas en soi une valeur capitalisable. Il faut être attentif lorsqu'on élargit la notion d'investissement, ce qu'a largement fait le SGPI puisqu'il a requalifié des dépenses de formation pour les chômeurs en dépenses d'investissement. Selon cette logique, tout est de l'investissement : cotiser pour la retraite, soigner les gens, etc. L'investissement est ce qui peut être capitalisé. Cela n'empêche pas, si l'on considère qu'il s'agit d'une priorité, de financer l'éducation ou la formation mais il faut faire attention à ne pas trop élargir la notion.
La territorialisation du PIA conduit à la création de clusters et a souffert d'une dérive : une multiplication inefficace des clusters. Les premiers pôles de compétitivité datent du gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin ; nous sommes passés d'une dizaine de pôles à un nombre plus important car chacun souhaite avoir son propre cluster. Le plan de relance a comme caractéristique d'être partiellement territorialisé – 10 milliards d'euros sur 100 milliards d'euros répondent à cette logique. Sur le dispositif PIA, il y a une tendance ces dernières années à territorialiser mais on ne peut pas créer des Saclay partout. Il faut trouver un équilibre entre de grands projets structurants qui permettent de créer des clusters et une diffusion plus large de l'innovation dans les territoires.
M. le député Jean-Louis Bricout estime qu'on jette de l'argent par les fenêtres mais ce n'est pas exactement ce que la Cour écrit. La dérogation aux principes budgétaires, le niveau de l'effet de levier – qui n'est pas exceptionnel –, l'illisibilité globale du dispositif ou une évaluation insuffisante sont effectivement critiqués. Il nous semble cependant que le dispositif est plus efficace qu'une absence de politique publique en la matière. Il est à l'origine d'une volonté d'investir, de réindustrialiser, de financer des start-up. Tout cela va plutôt dans le bon sens et nous mettons l'accent sur les critiques pour montrer des pistes d'évolution.
Les technologies quantiques, évoquées par M. le député Labaronne, sont du ressort de la troisième chambre, et je ne suis pas en mesure de répondre précisément à votre question, monsieur le député, mais je ferai part de votre interrogation. Les lourdeurs administratives sont souvent liées aux modalités de mise en place d'appels à projets complexes.
Enfin, M. Fabrice Le Vigoureux a évoqué une certaine discrétion dans la communication des résultats du PIA. Bpifrance effectue un travail important de communication ; la Caisse des dépôts est par nature plus discrète. Le Gouvernement n'hésite pas à mettre en avant les résultats du PIA. Le problème est que, dans la période récente, l'annonce de plans nouveaux et complémentaires par milliards d'euros a tendance à chasser les résultats des plans précédents. L'un des intérêts du travail que nous avons fourni était d'apporter un éclairage, que j'espère objectif, sur un dispositif qui s'est déployé sous trois majorités parlementaires différentes, et pourrait d'ailleurs en connaître une quatrième. Il est plutôt rare en France qu'un objet se maintienne sur une période aussi longue, en s'améliorant au fil du temps. D'ailleurs, si la Cour portait un regard plutôt critique sur les PIA il y a dix ans, nous estimons aujourd'hui que les choses valaient le coup d'être faites.
Nous n'avons pas eu le temps de nous intéresser à l'innovation dans le domaine quantique car les investissements commencent seulement à être mis en œuvre, mais ce qui est déterminant c'est d'abord le choix et le rôle de l'opérateur et, ensuite, les coopérations industrielles qui se mettent en place. Nous avons vu dans le cadre de l'action « Véhicules du futur » que certaines choses ont bien fonctionné, notamment en matière de transport ferroviaire ; d'autres choses ont bien moins fonctionné, notamment le volet automobile. L'élément déterminant, c'est la vision qu'avait l'opérateur. Celui-ci ne doit pas être qu'un opérateur financier, il doit aussi disposer d'une culture et d'une vision industrielles. Ainsi, l'ADEME est un opérateur sectoriel qui a acquis une compétence financière.
En ce qui concerne la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques qui vient d'être adoptée, le rapporteur général et moi-même avons essayé, lors de l'examen du texte, de viser une meilleure utilisation des termes « investissement » et « fonctionnement ». La notion « d'investissement d'avenir » des PIA est un peu pléonastique : on investit rarement sur le passé. Nous avons essayé de faire en sorte que la notion d'investissement, que vous avez évoquée à plusieurs reprises, ne soit pas définie de manière trop exclusivement comptable, comme sous l'empire de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) actuellement en vigueur – nous avons gardé cette définition comptable pour l'article d'équilibre, même s'il y a plus de latitude en ce qui concerne la loi de programmation.
Nous avons donc défini les dépenses d'investissement comme celles qui contribuent à la croissance potentielle du produit intérieur brut (PIB), à la transformation structurelle du pays et à son développement social et environnemental à long terme. Cette définition laisse une large marge d'appréciation mais c'est précisément l'objectif : provoquer un débat sur ce qu'est l'investissement pour notre pays et ce qui n'est l'est pas, sans subir cette hiérarchie qui voudrait qu'il y ait des dépenses d'investissement par nature bonnes et des dépenses de fonctionnement par nature mauvaises.
Nous vous remercions encore pour vos explications et ce très bon rapport qui, parfois, nous réconcilie avec les investissements d'avenir, même si des progrès doivent être faits.
Si nous avions des indicateurs de performance pertinents sur ces sujets, cela permettrait une orientation précise et pertinente des investissements. Il me semble que tout l'enjeu est de bien de repartir de là, c'est-à-dire de déterminer comment on évalue la performance.
La nouvelle LOLF permettra de modifier les indicateurs en loi de finances. Au cours d'un prochain mandat, vous ne vous en priverez pas, chère collègue.
(Sourires.)
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 12 janvier à 9 heures 30
Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Julien Aubert, Mme Émilie Bonnivard, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Francis Chouat, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Brahim Hammouche, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Patrick Loiseau, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Damien Abad, M. Alain Bruneel, Mme Anne-Laure Cattelot, Mme Dominique David, Mme Jennifer De Temmerman, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, Mme Frédérique Lardet, Mme Marie Lebec, M. Marc Le Fur, Mme Marie-Ange Magne, Mme Cendra Motin, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Zivka Park, Mme Christine Pires Beaune, Mme Muriel Roques-Etienne, M. Olivier Serva