Je souhaite à mon tour remercier M. le président Éric Woerth, qui est à l'origine de la création de cette mission d'information. Je remercie Mme Véronique Louwagie pour son suivi et son invitation à investiguer particulièrement les prestations de conseils, ainsi que les membres de la mission d'information pour leur investissement, leurs interrogations ainsi que leurs remarques. Je remercie également les personnes auditionnées pour le temps qu'elles ont consacré à cette mission malgré la crise sanitaire – nous avons fait le choix de ne pas les auditionner au plus fort de cette crise.
À l'issue de cette mission d'information, je dirais que l'externalisation n'est ni bonne ni mauvaise. La question qui se pose alors que les administrations publiques confient de façon croissante des missions à des prestataires extérieurs est celle de l'utilité de ces externalisations. Or, une prestation externalisée, si elle est bien réfléchie, bien menée, suivie et évaluée, peut être utile à tous, agents comme usagers. Cette règle s'applique, selon moi, également aux prestations des cabinets de conseil. Ce sujet a été mis en lumière et médiatisé dernièrement, à l'occasion de la crise sanitaire et du déploiement de la vaccination contre la Covid-19.
Commençons par définir l'externalisation. Les missions externalisées peuvent être des tâches à faible valeur ajoutée, comme le gardiennage ou le nettoyage de bâtiments, ou des opérations complexes et globales telles que la construction et la gestion d'une infrastructure publique (par exemple un stade ou des aménagements portuaires). Une tendance nette se dégage dans le temps et se vérifie dans l'ensemble des pays de l'OCDE : depuis les années 1990-2000, l'administration recourt de plus en plus à des prestataires pour externaliser des fonctions supports comme l'entretien de véhicules ou la restauration. Elle peut ainsi recentrer son action sur ce que j'appellerais son cœur de mission.
Apprécier l'ampleur de l'externalisation au sein des collectivités publiques n'est pas chose évidente. En effet, si la direction des achats de l'État (DAE) nous indique que les administrations centrales et déconcentrées ont consacré 13,17 milliards d'euros en achats de services, ce chiffre n'inclut pas les dépenses des établissements publics ni les achats liés à la défense et à la sécurité.
Nous nous réjouissons que la DAE et l'Observatoire économique de la commande publique travaillent à rendre les données plus exhaustives et à les proposer en open data. Notre première recommandation concerne ce sujet : les efforts visant à systématiser et à fiabiliser les remontées d'informations relatives au montant des marchés publics doivent être poursuivis.
Le facteur humain constitue le premier motif de recours à un prestataire extérieur. Il peut s'agir de faire appel à une expertise technique, de répondre à un surcroît d'activité ou à des difficultés de recrutement ou encore de libérer des effectifs pour des missions prioritaires. Le critère économique ne constitue qu'un motif secondaire bien qu'un consensus très large existe pour reconnaître les économies générées par, le transfert à des acteurs privés des fonctions supports à faible valeur ajoutée. Si cela ne doit pas être la seule raison pour y avoir recours, développer une analyse en coût complet d'une fonction que l'on peut externaliser permettrait d'aider à la décision. Dans le cadre des engagements du plan national des achats durables 2021-2025 et de la loi dite climat et résilience, je recommande donc de concevoir des modèles d'aide à la décision. Ces derniers permettront d'évaluer l'intérêt économique, social et environnemental du recours à un prestataire privé.
Pour les administrations publiques, l'enjeu est aujourd'hui de maîtriser le processus d'externalisation afin qu'il soit une réussite. Cela passe par l'adoption d'une démarche globale et le développement d'un regard interministériel sur l'externalisation. Les partages de bonnes pratiques existent mais ils sont cantonnés à l'acte d'achat. Or, si nous cherchons à approfondir la réflexion sur la conduite et le pilotage des externalisations, l'acte d'externaliser ne se résume pas à l'achat de prestations. Il apparaît donc souhaitable de renforcer ce pilotage interministériel en permettant un meilleur partage des bonnes pratiques et de chercher de nouvelles synergies. Cette démarche plus globale permettra par la même occasion de renforcer l'information du Parlement. En effet, nous ne disposons aujourd'hui que d'une information lacunaire sur le plan qualitatif et quantitatif. Pour enrichir cette information, je recommande de créer des indicateurs de performance relatifs à l'externalisation au sein des services de l'État, comme le permet la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
Des améliorations sont possibles tout au long du processus d'externalisation. Sa réussite se prépare dès l'achat de la prestation et dans sa phase de contractualisation. L'ensemble des acteurs s'accordent pour reconnaître une montée en compétence et la professionnalisation des acheteurs publics depuis plusieurs années. Cependant, des marges de progrès existent encore pour que ces derniers s'emparent pleinement des outils offerts par le code de la commande publique. La pratique du sourcing, qui consiste à sonder les entreprises sur leur capacité à répondre à des besoins et à développer une solution spécifique pour un éventuel client, n'est pas systématique. La réflexion pourrait aussi être plus poussée quant au choix du véhicule contractuel pour les projets d'ampleur. Par conséquent, j'estime nécessaire de renforcer les obligations d'évaluation préalable pour les projets d'infrastructure de grande ampleur.
Des évolutions du code de la commande publique pourraient également être envisagées. Certains acteurs publics comme privés plaident pour assouplir les conditions de recours à la négociation, ainsi que les conditions de modification d'un marché en cours d'exécution. Je recommande de simplifier les clauses de réexamen des contrats pour les rendre plus souples et mieux adaptées à tous les types de marchés.
La mutualisation des achats de prestations de services est peu développée, contrairement aux marchés de fournitures. Son développement au niveau ministériel et interministériel doit progresser. Il est aujourd'hui freiné par les inconvénients spécifiques liés à la mutualisation, en particulier par le manque d'adaptation aux besoins spécifiques de chaque administration. L'Union des groupements d'achats publics (UGAP) est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) qui joue le rôle de centrale d'achats généraliste. Elle exerce au bénéfice de l'État, des collectivités territoriales et du secteur hospitalier. Les services de l'État y recourent de façon croissante pour des prestations de service. Conscient des difficultés liées à la mutualisation, l'UGAP a engagé des actions destinées à renforcer le pilotage des enjeux de qualité de service, ce que je salue. Afin de poursuivre dans cette voie, l'établissement pourrait mettre en œuvre un plan d'amélioration des marchés portant sur la qualité de service, la relation client-fournisseur et les prix.
La réussite d'une externalisation dépend aussi beaucoup de la qualité de son suivi et de son évaluation. À cet égard, le rapport identifie plusieurs pistes pour s'en assurer. Afin de renforcer le contrôle des prestations et le pilotage des projets externalisés, il conviendrait de systématiser l'inscription d'indicateurs de performance qualitatifs et quantitatifs au sein des marchés publics. Parce que la rémunération à la performance ne peut pas se définir par la seule prévision d'une pénalité lorsque les objectifs ne sont pas atteints, je recommande de promouvoir les clauses de performance incitatives pour les prestataires et d'en intégrer un modèle dans le cahier des clauses administratives générales (CCAG).
Enfin, le rôle du contract manager, chef de projet chargé de piloter le processus de la rédaction du cahier des charges à l'évaluation, s'avère primordial. Cette fonction pourrait être mieux valorisée au sein de l'administration.
La conservation des compétences en interne représente un autre enjeu essentiel de l'externalisation, comme l'a souligné Mme Louwagie. Il en va de la souveraineté et de l'autonomie de notre administration. D'une part, le pilotage d'une prestation est impossible sans compétences. D'autre part, une trop grande asymétrie entre le prestataire et le client public conduit, à terme, à un déséquilibre de la relation contractuelle. À titre d'exemple, la direction interministérielle du numérique (DINUM) considère aujourd'hui qu'un taux d'externalisation en informatique supérieur à 70 % constitue un risque. La capacité à attirer de nouveaux talents en améliorant la mobilité interne et externe dans la gestion des ressources humaines est donc primordiale. J'attire votre attention sur l'intérêt d'instaurer des cibles plafonds indicatives pour l'externalisation des projets numériques et informatiques d'ampleur et d'adapter les modes de recrutement des talents et des expertises dans les métiers en forte tension.
Face à l'appauvrissement de la maîtrise d'ouvrage étatique constatée par plusieurs acteurs, la filière de la maîtrise d'ouvrage de projets d'intérêt public devrait être développée. Des espaces de réflexion pourraient émerger pour renforcer la professionnalisation de la filière. En outre, il s'agit de protéger l'autonomie de l'administration vis-à-vis des prestataires afin d'être en mesure de réintégrer la prestation si cela s'avère un jour pertinent. Il faut donc être en mesure de s'assurer de la réversibilité, grâce à la conservation de l'historique de la relation contractuelle et aux transferts de compétences. En fin de marché, des clauses de réversibilité garantissent un transfert des connaissances opérationnelles et techniques du prestataire vers l'administration. Elles devraient être systématiquement intégrées.
Passons maintenant au point spécifique du rapport portant sur les cabinets de conseil. Ils sont sollicités par les administrations pour diverses missions : l'organisation et l'accompagnement de la transformation des organisations ; l'expertise métier, juridique ou financière ; la gestion des ressources humaines ; la stratégie et le développement des systèmes d'information. Les administrations publiques y recourent de plus en plus fréquemment depuis plusieurs décennies. Un pic a été atteint à la fin des années 2000. Depuis 2017, nous observons une hausse des dépenses en prestations de conseil, qui s'explique par des projets de transformation de l'action de l'État et la révolution numérique. Toutefois, les montants dont nous parlons sont loin d'être excessifs. Le montant d'achats de prestations de conseil par le secteur public rapporté aux dépenses de personnel dans le secteur public en France, demeure l'un des plus faibles de l'Union européenne. Il est de 0,27 % en France contre 1,25 % en Allemagne et 1,47 % au Danemark.
L'action des cabinets de conseil est encore méconnue et fait l'objet de vives critiques. Il existerait une porosité entre haute fonction publique et cabinets privés. Les livrables remis aux administrations seraient stéréotypés et peu adaptés aux services publics. Autre critique, les cabinets de conseil serviraient de caution pour légitimer une décision. Le recours aux cabinets de conseil se révèle pourtant pertinent lorsque toutes les ressources internes ont déjà été mobilisées. Ce fut le cas pendant la crise sanitaire, au ministère de la solidarité et de la santé. De même, ces cabinets peuvent être utiles à la puissance publique, lorsqu'une expertise d'une grande technicité est requise ou qu'une capacité à réaliser des parangonnages est recherchée. Il ne s'agit donc pas de plaider pour plus ou moins de recours aux cabinets de conseil, mais de s'interroger sur les conditions à réunir pour disposer de prestations utiles et satisfaisantes au même titre que l'externalisation en général.
Il convient tout d'abord de souligner que ce type de prestations est encadré. La centralisation de l'achat public de prestations de conseil pour les administrations centrales par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), au travers d'accords-cadres appliqués depuis 2018, a permis de mieux définir les besoins et de sélectionner les prestataires les plus adaptés. Le principe du tourniquet, parfois contraignant pour les services prescripteurs, a par ailleurs permis de garantir une diversification dans le recours aux cabinets de conseil. Ce processus permet d'éviter certains biais liés à de trop grandes habitudes de travail en commun. Je salue à ce propos le renouvellement prévu de ces accords-cadres, qui arriveront à échéance à la fin de l'année 2022, tout comme réflexions à l'œuvre au sein de la direction interministérielle de la transformation publique pour améliorer le cadre déontologique de ces contrats ainsi que leur accessibilité à des cabinets de plus petite taille.
Au regard de l'expertise développée par la DITP sur le sujet, je recommande de renforcer son rôle de supervision du recours aux cabinets de conseil, en l'étendant au suivi de l'exécution. Je suggère également d'étendre le périmètre de l'accord-cadre à davantage de parties prenantes, dont les opérateurs de l'État.
Comme pour le cas général de l'externalisation, les bonnes pratiques sont à partager. Face aux grandes disparités dans le recours aux cabinets de conseil, certaines administrations, comme le ministère des armées, sont très bien rodées. Je recommande donc de systématiser les échanges entre les administrations pour un meilleur partage des bonnes pratiques.
Au cours de cette mission, nous avons constaté que les administrations ont encore une capacité limitée à piloter leur prestataire en équipe mixte. La constitution d'équipes mixtes permet pourtant un transfert des compétences et des méthodes du consultant vers l'agent public. Cela garantit l'autonomie de l'administration à l'issue de la prestation. Ainsi, en cas de besoin similaire, elle pourra y répondre sans aide extérieure. Ce fonctionnement vertueux est adopté par le ministère des armées et pourrait être étendu. Par conséquent, je recommande d'encourager la constitution d'équipes mixtes pour les prestations de conseil, sous le pilotage d'un responsable ministériel chargé d'aider les administrations à piloter le prestataire en équipe mixte.
Une prestation bien pilotée passe par une montée en compétence des équipes internes. En ce sens, la compréhension du mode projet et l'acquisition d'une culture de la transformation de l'action publique doivent irriguer l'action des hauts fonctionnaires. Plutôt que de considérer ce processus comme une colonisation du public par le privé, il s'agit pour l'administration de gagner en autonomie et en indépendance.
Comme évoqué auparavant, tous les ministères ne sont pas au même stade de maturité quant au suivi de la prestation. Ce constat se vérifie pour l'évaluation. Je pense que l'évaluation quantitative et qualitative des prestations pourrait être renforcée par la définition d'une méthodologie d'évaluation dépassant la stricte analyse des livrables. Elle permettrait de se prononcer sur l'impact et la réussite de la prestation.
Une fois la prestation de conseil délivrée, la question de la capitalisation des travaux se pose. La mutualisation des livrables au niveau interministériel pourrait permettre aux administrations de lutter contre l'amnésie organisationnelle. Elle favoriserait également une définition plus précise de l'expression de leur besoin, en anticipant les résultats de prestations, exception faite des livrables mettant en jeu des sujets de propriété intellectuelle et de confidentialité. Les cabinets de conseil se montrent d'ailleurs plus enclins à mettre en commun certains travaux que les ministères leur avaient confiés.
Une meilleure cartographie des compétences internes et interministérielles conduirait également à contrôler l'opportunité du recours aux cabinets. Par ailleurs, elle permettrait de s'assurer que des compétences même interministérielles soient sollicitées quand elles peuvent l'être. Je souligne donc l'intérêt d'instaurer des chartes relatives au recours et à l'utilisation des prestations de conseil au niveau ministériel et interministériel.
Le risque d'un conflit d'intérêts ne peut être nié. Rappelons tout d'abord que l'État peut trouver un intérêt à recruter d'anciens consultants. Ce n'est pas rare à la DITP. Ces recrutements sont bénéfiques et des équipes internes de conseils peuvent être ainsi constituées. Le cas où des fonctionnaires ou des hauts responsables font le chemin inverse est plus problématique. Il semble important de souligner que les lois de 2016 et 2019 relatives à la déontologie confient à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) un contrôle sur les cas de reconversion dans le secteur privé. Un contrôle est également opéré par la HATVP lors du retour dans l'administration d'une personne ayant œuvré dans le secteur privé (le « rétro-pantouflage »).
Enfin, je souhaite aborder le sujet de la protection des données et notamment de celles auxquelles ont accès les cabinets de conseil. Si la secrétaire générale du gouvernement rappelle que les obligations en matière de confidentialité, de protection des données et de protection intellectuelle ont été renforcées à l'occasion de la modification des cahiers des clauses administratives générales et techniques (CCAG) applicables aux marchés publics, je demeure convaincue qu'une vigilance accrue doit être portée à l'accès à des données stratégiques en matière de sécurité, de souveraineté économique ou relatives aux systèmes d'information de l'État.
En résumé, l'externalisation n'est ni bonne ni mauvaise. Elle peut constituer un outil au service de l'efficacité de l'action publique si sa mise en œuvre et son suivi font l'objet d'une réflexion et tant que l'administration demeure autonome dans sa prise de décision.