Intervention de Robert Ophèle

Réunion du mercredi 19 janvier 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) :

Je ne vais pas répondre à toutes vos questions, mesdames et messieurs les députés, et vous incite à vous rapprocher de l'AMF pour aller plus loin, dans le cadre d'échanges bilatéraux, en particulier sur certains aspects techniques.

La taxonomie est effectivement un dictionnaire, un référentiel. Nous en avons besoin parce que la profusion actuelle des standards est source de confusion extrême. Comme tous les dictionnaires, d'ailleurs, on ne le lira pas de façon cursive, on regardera ce qui nous intéresse. Et comme beaucoup de dictionnaires, celui-ci est inachevé, d'abord, puisqu'il ne couvre pas toutes les activités et, ensuite parce que, comme tout dictionnaire, il a vocation à vivre. Ce qui y est à un moment donné, au vu des connaissances scientifiques et techniques, inscrit dans une case, pourra, à l'avenir, quitter celle-ci, tandis que d'autres connaissances pourront y entrer.

Ces référentiels communs ne peuvent évidemment pas être français. Le niveau européen est un bon niveau, mais l'Europe n'est qu'une partie du monde, et nous souhaiterions que cette taxonomie, comme beaucoup de normes, puisse aussi être utilisée en dehors de l'Europe.

Deux des six objectifs évoqués par Mme Bénédicte Peyrol sont pris en compte par la taxonomie européenne, ce qui implique un complément pour prendre en compte les quatre autres. Un calendrier a d'ailleurs été fixé, et nous avons une année pour pouvoir les intégrer.

Le débat sur le nucléaire et le gaz présente une dimension qui dépasse très largement les aspects techniques, tout particulièrement pour le régulateur financier.

Quand un dictionnaire ou un référentiel commun existe, c'est ensuite à chacun de l'utiliser, et chacun l'utilise comme il pense devoir l'utiliser. Certains, et certains labels, vont procéder, sur ce fondement, à des exclusions, d'autres poseront des niveaux minimaux de compatibilité ; ce sera à la main de chaque décideur. Cela doit également guider l'action des pouvoirs publics et les aider, mais ce n'est pas en soi une obligation de faire ou de ne pas faire. C'est simplement un langage commun pour procéder aux choix que l'on juge devoir faire. Ce point est, à mon sens, extrêmement important.

Certains d'entre vous ont évoqué la taxonomie sociale. Un premier rapport a été déposé à la fin de l'été, par un groupe de travail européen. À ma connaissance, cela n'a pas été retenu comme étant une priorité des autorités européennes. Nous verrons si cela évolue, mais la priorité est aujourd'hui de finir ce que nous avons engagé. La taxonomie sociale fait partie bien sûr du paysage, mais je pense que le sujet sera traité plutôt dans un second temps.

Une question extrêmement importante est de savoir comment tout cela sera vérifié. C'est bien d'avoir des normes communes, c'est bien de parler le même langage, mais qui vérifie si ce qui est dit est correct ? Je vous rassure : comme pour toute autre communication publique d'entreprise, si des informations publiées se révélaient fausses ou trompeuses, nous poursuivrions l'entreprise concernée et des sanctions lui seraient infligées, mais nous sommes aujourd'hui dans un temps de préparation. Notre priorité est donc d'accompagner les acteurs, non de les sanctionner : il est trop tôt pour cela – mais nous en aurions la capacité avec l'appareil législatif et réglementaire dont nous disposons.

Nous contrôlons directement les institutions financières et les produits financiers. Nous pouvons vérifier que ce qui est dit correspond effectivement à ce qui est fait : si ce n'est pas le cas, nous pouvons sanctionner. Les entreprises, c'est un autre univers ; 50 000 entreprises sont potentiellement concernées au niveau européen ; par construction, il y aura une montée en puissance. Le texte CSRD est très important : l'intégration de ces indicateurs dans le paysage extra‑financier et leur prise en compte par les entreprises entraînent un contrôle par les commissaires aux comptes ou, à tout le moins, par des tiers indépendants qui s'engagent. Dans le langage de ces contrôles, un commissaire aux comptes qui donne une « assurance modérée » s'engage très fortement.

Certains d'entre vous ont évoqué la primauté des intérêts financiers sur le développement durable. Je veux être clair : la volonté européenne est de traduire dans CSRD le principe de double matérialité : il s'agit de prendre en considération l'impact du facteur environnemental, d'une part, sur l'entreprise et, d'autre part, pour le reste du monde. Cette double matérialité, qui doit se traduire par des indicateurs, est au cœur de la démarche européenne. Elle n'est pas au cœur de la démarche internationale, mais nous cherchons actuellement des points de convergence.

Monsieur le président, j'ai mis l'accent sur le ratio d'investissement, dans la mesure où les investissements font l'économie de demain, mais les trois ratios doivent être calculés et pris en compte. J'insiste sur le ratio d'investissement, car l'un des reproches formulés à l'encontre de la taxonomie est qu'elle serait trop statique. C'est la transition qui importe et, à travers ce ratio d'investissement, nous faisons un pas vers la transition.

Je ne crois pas à la taxonomie brune. Des labels, privés ou semi‑publics, prévoient des exclusions ; c'est leur droit. Le label européen, le green bond label, en préparation, sera centré sur la taxonomie mais, à ma connaissance, pas sur les exclusions.

La question des industries de la défense a été citée. Un rapport spécifique sur ce point a été produit l'an dernier à l'Assemblée nationale, qui appelait à la création d'un fonds public pour assurer la continuité des financements. La taxonomie verte n'a pas l'ambition de couvrir tous les sujets ; il faut conserver un équilibre.

Par ailleurs, nous attendons la dernière mouture du texte de niveau 2, un règlement délégué de la commission, qui doit couvrir les secteurs du gaz et de la filière nucléaire, avant de m'exprimer sur le sujet. Notre travail à l'Autorité consiste à mettre en œuvre ce que décident ou ce qu'ont délégué les co‑législateurs.

Il me semble que la dernière mouture du droit français est la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite loi énergie climat. Ce texte et ses décrets d'application ont permis d'anticiper certains aspects du droit européen que nous venons de citer. Si je puis donner un conseil, j'appellerai à la prudence : évitons de renchérir sur des textes européens, règlements d'application directe ou directives, déjà extrêmement fournis.

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