Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 19 janvier 2022 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers, sur la mise en œuvre du règlement européen Taxonomie.

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Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pour évoquer le sujet particulièrement passionnant de la taxonomie.

Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté de venir évoquer l'application du règlement européen dit Taxonomie. Celui-ci, qui doit conduire les entreprises à classifier leurs activités en fonction de leur impact environnemental, est entré en vigueur le 1er janvier 2022. En France, l'AMF est chargée du contrôle de cette application, pendant les premières années de laquelle les obligations de reporting sont allégées. Elle n'en peut pas moins poser des difficultés aussi bien pour les acteurs financiers que pour l'ensemble des entreprises qui y sont soumises – la question du nucléaire donne au sujet une sensibilité particulière.

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Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission des finances, il est particulièrement opportun que vous vous intéressiez à la mise en œuvre de la réglementation européenne : nous sommes au début d'une évolution majeure des réglementations qui fixent les informations que les acteurs économiques et financiers doivent rendre publiques dans les domaines environnemental, social et de gouvernance (ESG) – en priorité celles qui sont pertinentes en matière de réchauffement climatique. Cette évolution très lourde concerne l'ensemble des agents économiques : les entreprises, les acteurs des marchés financiers – elle porte aussi sur les produits qu'ils proposent –, les épargnants et les superviseurs. Elle aura peut-être, à terme, des conséquences fortes sur l'orientation des flux de financement.

Cette évolution se structure autour de trois textes principaux qui se renvoient les uns aux autres : le règlement SFDR ( Sustainable Finance Disclosure Regulation ) de novembre 2019, le règlement Taxonomie de juin 2020, au cœur de ce mouvement, mais qui ne peut être lu isolément des autres, et la directive CSRD ( Corporate Sustainability Reporting Directive) en cours de finalisation. Cette évolution ne prendra tout son sens qu'avec l'adaptation de la directive dite MIFID ( Markets in Financial Instruments Directive ), qui conduit à intégrer dans le questionnaire auxquels doivent répondre les clients la dimension de durabilité des placements, et avec la mise en œuvre du projet ESAP ( European single access point ), qui établira un point d'accès unique en Europe à l'ensemble des informations réglementaires dont celles pertinentes pour la taxonomie, et avec la finalisation du projet EU Green bond standard, qui intégrera lui aussi cette dimension de durabilité prise en considération par la taxonomie.

C'est donc bien à une lecture globale du cadre réglementaire qu'il faut procéder. Or, vous l'avez rappelé, monsieur le président, ce cadre n'est pas finalisé. Avec SFDR, nous avons même, pour ainsi dire, commencé par la fin, puisqu'il faut d'abord que les acteurs économiques financés donnent des informations granulaires fiables pour que des informations vraiment pertinentes puissent être données sur les produits financiers. La taxonomie, qui n'en est qu'à son début, et la directive CSRD portent précisément sur ces informations.

Concernant la durabilité, ce sont un peu moins de la moitié des activités économiques qui sont couvertes – mais la moitié qui émet le plus de CO2. Vous avez évoqué le nucléaire et le gaz : la décision de principe a été annoncée, mais le texte de mise en œuvre n'est pas encore publié. En outre, seule l'adaptation au changement climatique ou son atténuation sont pris en compte ; la taxonomie reste donc à compléter. Les normes techniques de mise en œuvre de SFDR, qui intègrent la taxonomie, ont été proposées par les autorités européennes de supervision à la Commission européenne, qui les a retenues, mais elles n'ont pas encore été officiellement adoptées. Le cadre de reporting fiabilisé – susceptible de permettre un audit – que la directive CSRD doit permettre de mettre en place doit encore être finalisé et les normes de niveau 2 adoptées. L'EFRAG ( European Financial Reporting Advisory Group ) travaille en parallèle à la rédaction des normes techniques de mise en œuvre effective de ce texte.

Il s'agit en tout état de cause d'une évolution très profonde ; ainsi, l'approche par les activités selon la nomenclature statistique des activités économiques (NACE) retenue dans la taxonomie n'est pas un référentiel utilisé par les entreprises qui ont, par exemple, plutôt recours à des notions comptables d'unités génératrices de trésorerie. Dès lors, déterminer des chiffres d'affaires, des dépenses d'exploitation et des dépenses d'investissement par activité éligible à la taxonomie puis par activité conforme aux critères techniques fixés par la taxonomie demande une évolution profonde des systèmes d'information des entreprises puis de ceux des intermédiaires financiers.

Dans ces propos liminaires, je voudrais, brièvement, donner des éléments sur le calendrier et le périmètre des acteurs concernés, évoquer l'influence possible de ces réglementations sur les flux de financement et préciser le rôle de l'AMF dans ce processus.

En ce qui concerne le calendrier et les acteurs concernés, partons de la fin, c'est-à-dire de CSRD, qui a vocation à couvrir de façon normalisée tous les indicateurs utiles pour apprécier la situation et la politique des entreprises au regard des critères ESG, en priorité les indicateurs environnementaux, dont ceux issus de la taxonomie. La proposition de la Commission européenne datée du mois d'avril 2021 est en cours d'examen par les groupes de travail des colégislateurs européens. Même si la présidence française en a fait une priorité ce semestre, compte tenu des délais de transposition – il s'agit bien d'une directive qu'il faut transposer dans les vingt-sept univers législatifs nationaux et non d'un règlement d'application immédiate – et des délais nécessaires d'adaptation des systèmes d'information des entreprises, je pense, à titre personnel, que nous ne pourrons pas commencer à utiliser ces nouvelles normes de reporting extra-financier avant les comptes de l'exercice 2024. Même si 2023 est l'objectif affiché, il me semble plus réaliste de considérer que ce sera 2024.

La population d'entreprises visées sera très large : proche de 50 000 unités au niveau européen, alors que seules 12 000 unités sont aujourd'hui couvertes par la directive NFRD ( Non Financial Reporting Directive ), qu'elle remplacera, soit toutes les grandes entreprises, qu'elles soient cotées ou non, et toutes les petites et moyennes entreprises (PME) cotées sur un marché réglementé de l'Union. J'insiste sur ce point très important : toutes les grandes entreprises, cotées ou non, seront couvertes. Au regard de ce texte, une grande entreprise est une entreprise qui remplit au moins deux critères parmi les trois suivants : compter plus de 250 salariés ; réaliser plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires ; avoir un total de bilan supérieur à 20 millions d'euros. Une PME cotée sur un marché réglementé de l'Union doit donc, pour être dans le champ de CSRD, dépasser au moins deux des trois seuils suivants : avoir plus de 10 salariés ; réaliser un chiffre d'affaires de plus de 700 000 euros ; avoir un total de bilan de plus de 350 000 euros. La taxonomie a donc vocation à s'appliquer à ces acteurs à l'échéance 2024. D'ici là, on en reste pour ce qui est de la taxonomie aux seules grandes entreprises cotées dans l'Union avec une définition qui couvre les entreprises de plus de 500 salariés (et les 40 millions d'euros de chiffre d'affaires ou les 20 millions d'euros de total de bilan) avec certaines obligations déclaratives qui s'appliquent à compter de cet exercice 2022.

Trois indicateurs seront déclinés, via SFDR, dans l'ensemble du secteur financier pour l'ensemble des produits financiers : les parts respectives du chiffre d'affaires, des dépenses d'exploitation et des dépenses d'investissement qui sont conformes aux exigences de la taxonomie. Si l'année 2022 est essentiellement une année de rodage au cours de laquelle seule la part des activités éligibles à la taxonomie sera identifiée, l'année 2023 sera celle de la mise en œuvre réelle avec la publication par les sociétés non-financières des ratios d'alignement de leurs activités avec les critères techniques de la taxonomie et un reporting SFDR conforme aux normes techniques prenant en compte la taxonomie.

Le règlement SFDR, premier texte de cet ensemble à avoir été adopté, concerne la publication d'informations en matière de durabilité dans le seul secteur des services financiers. Comportant des dispositions générales applicables depuis le 10 mars 2021 relatives à la politique des acteurs des marchés financiers dans ces domaines, il a aussi permis de catégoriser les produits financiers selon qu'ils ont pour objectif l'investissement durable, auquel cas ils sont dits produits article 9, qu'ils promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales avec des entreprises qui appliquent des pratiques de bonne gouvernance, auquel cas ils sont dits produits article 8, ou les produits qui n'entrent dans aucune de ces deux catégories, auquel cas ils sont dits produits article 6. Il s'agit là d'une classification des produits par les sociétés qui les promeuvent elles-mêmes. Dans le cas des produits dits article 8 ou article 9, des informations circonstanciées doivent être données selon des modèles fixés par des standards techniques qui incluront les critères de la taxonomie à compter de 2023.

Ainsi, 2022 est une année de préparation, 2023 sera une année de rodage et ce n'est qu'en 2024 que le dispositif sera raisonnablement complet : c'est mon principal message en ce qui concerne le calendrier et le périmètre.

Concernant les flux de financement, l'objectif immédiat de ces réglementations, au cœur desquelles se trouve le règlement Taxonomie, est la transparence, avec la fourniture d'informations normalisées sur les activités conduites et financées ; c'est un dictionnaire qui permet d'avoir un langage commun. À partir de ce langage commun, chacun peu orienter ses investissements et son épargne en toute connaissance de cause. Mais il est clair que l'objectif final est bien de favoriser, en le crédibilisant, le financement des activités durables, voire le financement de la transition vers une économie plus durable.

À court terme, l'incidence sur les flux de financement sera probablement très faible car les ratios d'alignement sur la taxonomie seront eux-mêmes trop faibles pour être vraiment discriminants. À plus long terme, avec l'élargissement du périmètre des entreprises et des activités et la fiabilisation des données, l'influence de la taxonomie devrait être plus significative, notamment s'agissant du ratio des dépenses d'investissement, qui est, dans mon esprit, le plus important et le plus significatif des trois ratios parce qu'il reflète l'effort fait dans la transition vers une activité économique durable conforme à la taxonomie. Il devra probablement être au cœur des mouvements des flux financiers à l'avenir.

L'influence devrait être particulièrement significative pour les produits financiers qui pourraient intégrer plus rapidement et plus largement ces concepts de la taxonomie. En particulier, alors que pour les entités financières, les expositions aux PME et ETI devraient rester, pour l'essentiel, exclues du périmètre de reporting de la taxonomie – elles n'entreront donc pas au numérateur du ratio alors que ce sont des financements qui entrent au dénominateur –, à l'inverse, le calcul de l'alignement taxonomique des produits financiers de SFDR permettra d'intégrer les expositions aux PME et ETI, notamment sur la base d'estimations. Il est ainsi très probable que les fonds de private equity développent cette possibilité d'estimation.

Quel est le rôle de l'AMF dans tout ce paysage ? De nombreuses problématiques liées à la mise en œuvre de la taxonomie entrent dans le périmètre classique des missions de l'Autorité, telles que définies par le code monétaire et financier : assurer la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers, assurer la bonne information des investisseurs et le bon fonctionnement des marchés, concourir à la régulation des marchés aux échelons européen et international – et l'on voit aujourd'hui à quel point l'échelon européen est pertinent –, veiller à la qualité de l'information fournie par les sociétés de gestion sur leur stratégie d'investissement et à la gestion des risques liés au changement climatique.

De fait, la montée en puissance de ces problématiques de finance durable a été anticipée par l'Autorité qui les a mises au cœur de ses priorités d'action et de supervision, avec une montée en nombre et en expertise des équipes de ses différents services – qui traitent des émetteurs, de la gestion d'actifs, des marchés et des épargnants –, montée en puissance qui doit se poursuivre à l'avenir. Le collège de l'AMF comprend notamment deux des meilleurs experts européens dans ce domaine : Patrick de Cambourg et Thierry Philipponnat. Nous avons également constitué une commission Climat et finance durable qui rassemble l'ensemble de l'écosystème concerné : émetteurs, commissaires aux comptes, gestionnaires d'actifs, associations. Nous produisons régulièrement des rapports sur la manière dont le sujet est traité et dont les réglementations sont respectées, voire anticipées, par les sociétés de gestion et les émetteurs. Avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), nous rédigeons également un rapport commun sur les engagements climatiques des institutions financières françaises.

Nous avons élaboré au début de l'année 2020 une doctrine exigeante sur la possibilité de commercialiser en France des fonds en mettant en avant les critères ESG. Nous avons également annoncé au début de cette année une série de contrôles « spot », c'est-à-dire des contrôles rapides et ciblés sur plusieurs institutions, afin de vérifier en particulier le respect par les sociétés de gestion de leurs engagements.

Enfin, nous avons développé et lancé, en ce début d'année, une certification AMF en finance durable, principalement pour répondre aux besoins des personnes qui font du conseil en investissement.

S'agissant plus particulièrement de la taxonomie, nous avons conduit, dans un premier temps, des actions d'accompagnement de la place qui se prolongent avec les échanges dans le cadre européen, essentiellement au niveau de l'ESMA ( European Securities and Markets Authority ) – en français, AEMF (Autorité européenne des marchés financiers) –, pour s'assurer de l'homogénéité des approches au niveau européen et, le cas échéant, influer sur l'élaboration en cours des normes techniques ; celles-ci, je le rappelle, sont édictées par la Commission européenne sur proposition des autorités de supervision que sont l'ESMA, l'EBA ( European Banking Authority ) et l'EIOPA ( European Insurance and Occupational Pensions Authority ).

Nous avons eu de nombreux échanges avec les associations professionnelles de l'industrie de la gestion afin de recueillir leurs interrogations et, lorsque c'était possible, d'y répondre. Ces échanges ont d'ailleurs permis de les aider dans l'élaboration de guides à destination de leurs adhérents – je pense en particulier au guide professionnel de l'Association française de la gestion financière (AFG) Règlement Taxonomie et RTS (regulatory technical standards) SFDR, diffusé au mois de décembre dernier.

En ce qui concerne les sociétés soumises au reporting prévu à l'article 8 du règlement Taxonomie, c'est-à-dire les entreprises, l'AMF a eu un grand nombre d'échanges bilatéraux avec des sociétés cotées au cours de l'année 2021, avec les associations professionnelles françaises représentatives, telles l'Association française des entreprises privées (AFEP) et Middlenext, et avec les auditeurs, notamment via la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), afin de disposer d'une vision des difficultés rencontrées sur le terrain par les sociétés dans la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions réglementaires.

Du point de vue de la supervision des émetteurs, l'AMF revoit les informations de durabilité présentées dans les rapports annuels et les documents d'enregistrement universel en se focalisant sur leur complétude, leur compréhensibilité et leur cohérence. Des échanges ont lieu entre l'Autorité et les émetteurs sur ces thématiques, qui aboutissent à des recommandations et des commentaires qui visent à améliorer la communication des sociétés. Cette approche sera naturellement appliquée aux indicateurs prévus dans le cadre de la taxonomie selon une démarche très pragmatique compte tenu des nombreuses difficultés identifiées auxquelles font face les sociétés.

En revanche, l'AMF, j'y insiste, n'a pas pour rôle d'attester que les données publiées par les sociétés sont correctes. Par exemple, nous ne pouvons pas vérifier qu'une activité respecte le critère technique sous-jacent en ne dépassant pas le niveau de CO2 par tonne produite ou kilomètre parcouru. Nous n'allons pas non plus vérifier que les discours tenus sur la neutralité carbone sont bien appliqués. Les informations fournies au marché restent de la responsabilité des émetteurs qui doivent garantir qu'elles sont pertinentes, sincères et équilibrées, et qu'elles donnent une image complète et fidèle de leurs politiques, de leurs résultats et de leurs risques – c'est la même règle qui s'applique à ces indicateurs qu'à leur communication financière. Comme pour les comptes financiers eux-mêmes, l'AMF s'appuiera sur les diligences des commissaires aux comptes. Celles-ci seront limitées dans un premier temps à une lecture d'ensemble du rapport de gestion, mais seront élargies à compter de l'entrée en vigueur de CSRD. Les commissaires aux comptes deviendront alors des organismes tiers indépendants (OTI) qui donneront dans un premier temps une « assurance modérée » sur les indicateurs de la taxonomie et, à terme, une « assurance raisonnable ».

La supervision des exigences taxonomiques applicables aux produits financiers exige la mise à jour des outils existants à l'AMF. Cette mise à jour fait partie de la feuille de route data de l'AMF, qui implique l'intégration des données d'environ 12 000 fonds. Cette feuille de route permettra d'identifier les produits concernés et les informations nécessaires aux contrôles. Ces contrôles seront engagés en 2022 avec des contrôles « spot » dont la vocation sera non de réprimer mais de mettre en évidence les bonnes et les mauvaises pratiques, et accompagner ainsi la montée en puissance de la place dans ces domaines.

En conclusion, je souligne l'ampleur des chantiers à mener à bien pour pouvoir disposer aussi rapidement que possible d'un système d'information pertinent qui permette d'orienter efficacement les financements afin d'assurer la transition vers une économie plus durable.

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Effectivement, monsieur le président, le chantier est considérable et assez compliqué, notamment en ce qui concerne la vérification de la réalité des engagements pris par les entreprises. Quel est votre regard sur cette question ?

Quel accompagnement l'AMF proposera-t-elle aux entreprises qui rencontrent des difficultés dans l'application de ces normes ? Le cas échéant, dans quelles conditions ?

L'entrée en vigueur du règlement Taxonomie pourrait-elle entraîner une réorientation des investissements vers les grands groupes, mieux équipés pour l'appliquer que les PME qui lui seront pourtant soumises ? L'investissement ne risque-t-il pas d'être concentré au profit des entreprises plus facilement contrôlables ?

Des moyens de contrôle pour vérifier que les activités pratiquées par les entreprises correspondent aux déclarations faites seront-ils mis en place ? Seront-ils externalisés, par exemple confiés à des commissaires aux comptes « verts » ?

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Les avancées de la taxonomie européenne constituent un pas en avant très important, et nous suivons cela de près, notamment grâce aux travaux de nos collègues Alexandre Holroyd et Bénédicte Peyrol sur l'écosystème de la finance verte. En France et en Europe, cette classification doit favoriser la mobilisation des investissements nécessaires au financement de la transition écologique. La taxonomie est un mécanisme simple, qui a néanmoins des conséquences complexes.

Comment les exigences nouvelles posées par la taxonomie s'articulent-elles avec le droit français, notamment la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, mais également avec le droit européen, en particulier la directive relative à la publication d'informations non financières et d'informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes dite « Non-Financial Reporting Directive » (NFRD) et le règlement sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers dit « Sustainable Finance Disclosure Regulation » (SFDR) ? Comment le tissu économique français pourra-t-il s'adapter à ces nouvelles exigences ?

Pour le secteur financier, la méthodologie de publication est-elle au point ? Pour les entreprises, la lourdeur des exigences de communication financière est-elle proportionnée par rapport à leur nécessité ? Quid, selon vous, de l'avenir des rapports intégrés, qui se sont développés ces dernières années sans avoir pour autant de valeur officielle ? La taxonomie est-elle, selon vous, une façon de valoriser les rapports intégrés ou est-ce une façon de passer à autre chose ?

La taxonomie européenne concerne aussi les pouvoirs publics. En France, un travail spécifique a ainsi été conduit autour du budget vert, qui a notamment été suivi par notre collègue Bénédicte Peyrol. La taxonomie européenne est-elle compatible avec les méthodologies nationales relatives au budget vert ?

Il y a un an, vous aviez publié une analyse de la cartographie des acteurs et déploré un manque de transparence. Qu'en est-il un an plus tard ? Les avancées sur la taxonomie européenne sont-elles de nature à remédier aux critiques que vous aviez formulées ?

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Aujourd'hui, le chef de l'État présentera devant le Parlement européen les priorités de la présidence française de l'Union européenne. À l'issue de son intervention, il devrait être également questionné sur le sujet de la taxonomie. Celle-ci constitue le premier référentiel européen d'activités vertes parmi 67 secteurs. Ce dictionnaire définissant les activités environnementales est utile pour orienter les financements privés et institutionnels vers la transition écologique. Au moment où le réchauffement climatique nous oblige à réduire notre dépendance aux énergies fossiles, il faut que le verdissement de la finance réponde à des labels et standards vérifiés au niveau aussi bien des demandeurs de capitaux que des émetteurs.

Cette taxonomie suscite pourtant de vifs débats. Après d'âpres négociations, la Commission a envoyé aux États membres une première version où figure le nucléaire, ce que demandait la France. Le nucléaire n'a pas reçu le label vert : il a été défini par la Commission européenne comme une énergie décarbonée mais qui émet des déchets d'une nature particulière et qui ne peut donc pas être considérée comme « verte » au même titre que les énergies renouvelables. Source de davantage d'incompréhensions, l'inscription du gaz, en réponse à la demande de pays de l'Est très dépendants à cette énergie, ne me semble pas répondre à l'objectif écologique.

Afin d'éviter tout double langage de la part de certains intermédiaires qui fabriquent et commercialisent des produits « plus verts que verts », pourriez-vous nous dire, en votre qualité de régulateur financier, de quels moyens techniques et sanctions disposera l'AMF pour contrôler qu'un produit financier est bien « vert », sans dissimuler des activités fossiles « brunes » ?

Par ailleurs, beaucoup d'économistes considèrent que l'inclusion de projets gaziers jusqu'en 2030 est un mauvais signal, qui va à l'encontre des objectifs initiaux et limite la portée de la taxonomie. Dans cette hypothèse, la finance durable, en France, doit-elle, selon vous, donner la priorité à la durabilité ou à la finance ?

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Quand j'entends le rapporteur général dire que c'est simple, je suis perplexe : c'est loin d'être simple, c'est même d'une complexité extraordinaire !

Sur la filière nucléaire, quelle est la vision de la taxonomie ? Le nucléaire est-il reconnu comme une énergie durable ou comme une énergie de transition ?

Et serait-il possible de spécifier, dans le futur règlement qui sera ratifié le 21 janvier, que les pouvoirs conférés aux États membres par le Traité Euratom ne sont pas amoindris par l'acte délégué ? Ne risquons-nous pas d'affaiblir la souveraineté technologique des États membres ?

Par ailleurs, peut-on prévoir qu'à l'instar du nucléaire les énergies renouvelables feront aussi l'objet d'études d'impact du Centre commun de recherche (CCR) de l'Union européenne ?

Ces questions me semblent fondamentales car je ne voudrais pas qu'on mette en péril la filière du nucléaire du fait d'une volonté de mettre en place une finance durable.

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Ces normes, qui portent l'ambition de lutter contre le dérèglement climatique et d'aider notre planète « à s'en sortir », vont bien entendu dans le bon sens. Il s'agit de quelque chose de relativement complexe à élaborer, d'autant que les conséquences sur les entreprises – et leurs investissements – et les autres acteurs économiques ne sont pas neutres, mais les choses se mettent petit à petit en place.

La vraie question est de savoir qui – pas l'AMF, donc – contrôlera les déclarations et quelles sanctions pourront être infligées si ces déclarations sont fausses ? Que se passera-t-il si quelque fraude ayant permis d'obtenir un label est découverte ?

Je n'ai jamais été partisan d'une écologie punitive ni d'une taxonomie brune, pour reprendre une expression qui m'horrifie un peu. Nous parlons aujourd'hui de taxonomie verte, c'est-à-dire exemplaire : il s'agirait en quelque sorte, avec la taxinomie brune, de montrer du doigt ceux qui ne le sont pas du tout. Un débat avait été engagé sans que cette idée soit retenue. Savez-vous si cela est en train d'évoluer, si certains veulent encore imposer cette taxonomie brune ?

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En établissant un système de classification unifié et harmonisé pour définir si les activités économiques sont durables et faire la transparence sur la proportion d'activités dites vertes d'une entreprise ou d'un produit financier, ce règlement aura un triple impact : sur les grandes entreprises, tout d'abord, en étant moteur de leur transformation, au-delà de la modification de leur système de reporting, ce qui devrait faire évoluer leur stratégie de développement ; sur les acteurs du marché financier, soit les banques, les assureurs et les gestionnaires d'actifs, en réorientant les investissements vers des activités concourant à la transition écologique, le renforcement de la transparence des informations extra-financières étant indispensable pour promouvoir la finance verte et limiter les pratiques d'« écoblanchiment » des investissements ; sur les États membres, qui pourront s'appuyer sur ce dispositif pour attribuer des labels ou élaborer des standards en matière de finance durable.

Sans revenir sur le débat relatif à l'inclusion du gaz et du nucléaire dans la taxonomie européenne, je formulerai trois remarques.

Tout d'abord, la mise en œuvre de ce règlement ne doit pas contribuer, à l'heure où l'on prône la simplification administrative, à la création d'une usine à gaz. La mise en œuvre du règlement doit permettre par ailleurs l'obtention de données fiables et lisibles.

Ensuite, si la taxonomie verte constitue un outil informatif, sa dimension incitative pourrait être renforcée étant donné que les activités qui se caractérisent par de fortes émissions de CO2 ne sont pas pénalisées. Cela pourrait se concrétiser, d'une part, par l'instauration d'une fiscalité verte taxant les pollueurs, et, d'autre part, par la prise en compte de cette classification dans l'octroi de subventions.

Enfin, une réflexion est en cours à l'échelle européenne sur l'opportunité de développer une taxonomie sociale et une taxonomie brune, c'est-à-dire définissant les activités économiques néfastes pour le climat.

Pouvez-vous nous éclairer sur ces points ?

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Je vous remercie pour votre très instructive présentation. La taxonomie est une étape très importante dans la politique volontariste menée par les États membres de l'Union européenne pour lutter contre le réchauffement climatique et encourager la transition écologique, avec, en toile de fond, l'objectif extrêmement ambitieux d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Dans cette perspective, l'établissement d'une classification des activités vertes, travail de longue haleine, permettra de donner un cadre commun aux États membres et de favoriser les investissements verts, car la transition écologique et énergétique, nous le savons, demande des investissements massifs, publics comme privés. Nous nous réjouissons à ce titre de l'intégration du nucléaire dans la taxonomie européenne, même si certains critères très contraignants doivent encore être assouplis : il y va en effet de notre capacité à entretenir et développer notre parc nucléaire. Pouvez-vous nous préciser si les critères des labels européens de finance durable intègrent ou non l'énergie nucléaire ? Et quel impact pourrait avoir l'intégration du nucléaire dans la taxonomie européenne sur le comportement de ces fonds labellisés ?

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Je vous remercie, monsieur le président, pour votre présentation. La situation écologique de notre planète, c'est une évidence, est des plus graves. La question de l'urgence climatique est désormais dépassée.

Au groupe UDI, historiquement européen et écologiste, nous nous inquiétons du destin de notre civilisation européenne, notre continent étant particulièrement sujet, du fait de sa petite taille et de son climat tempéré, aux violentes transformations causées par le dérèglement climatique. C'est la raison pour laquelle toute mesure visant à réduire l'impact de nos activités sur le climat, à quelque échelon que ce soit, me semble utile.

En imposant une présentation des flux financiers investis selon la manière dont les activités financées poursuivent l'objectif d'atténuer les conséquences du changement climatique et de s'adapter à celui-ci, le règlement européen entend introduire les bases d'une finance verte : cette avancée nous semble importante. Pour ne pas en rester au stade d'obligations de reporting et permettre de réorienter efficacement les capitaux vers l'activité durable, il est cependant essentiel de transformer les comportements des investisseurs et des entreprises. Quelle sera l'efficacité réelle de cette obligation, au-delà des belles intentions ? Comment cette mesure sera-t-elle appliquée dans les faits et suivie ? Pensez-vous que les entreprises pourront s'adapter rapidement ?

Ma question suivante, très importante pour le député du territoire de Belfort que je suis, concerne le nucléaire. Dans sa rédaction actuelle, le règlement labellise le gaz et l'énergie nucléaire comme des sources d'énergie durable, ouvrant ainsi la voie à de futurs investissements dans les centrales nucléaires. Quinze pays de l'Union européenne, dont la France, ont fait pression pour que l'énergie nucléaire soit incluse dans la taxonomie de l'Union européenne, mais l'Autriche s'y est farouchement opposée. Que pensez-vous de ce débat ? Même s'il est plus politique que financier, il soulève des questions très intéressantes.

Enfin, pourquoi ne pas aller plus loin dans la lutte contre le réchauffement climatique en ajoutant à cette obligation de reporting une taxonomie brune, c'est-à-dire la définition des champs d'activité économiques « climato-néfastes » ?

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J'aimerais vous interroger sur l'ambition d'une convergence européenne en matière de supervision financière, devenue l'élément central, si j'ai bien compris, de la stratégie réglementaire de l'Union européenne en faveur de la finance durable.

Je crois savoir que l'AMF est favorable à une montée en puissance du régulateur européen, l'ESMA, l'autorité européenne des marchés financiers. Comment coordonner l'action de l'ensemble des établissements de contrôle financier pour éviter des divergences entre États ? Comment l'AMF collaborera-t-elle avec l'ESMA ? Comment éviter le risque d'écoblanchiment ?

La Commission européenne a l'idée d'ajouter une liste supplémentaire, une taxonomie brune, en vue de viser plus spécifiquement les activités les plus nuisibles. Cette proposition vous paraît-elle pertinente ou considérez-vous au contraire qu'il n'est pas nécessaire de pointer du doigt les entreprises concernées ? Tout cela pose problème, car l'administration européenne ressemble de plus en plus à une usine à gaz – précisément, notre sujet du jour !

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Vous avez défini la transition vers la finance durable comme priorité de l'AMF pour 2022 à travers deux types de mesures : l'accompagnement des entreprises dans la mise en œuvre de la taxonomie européenne et la prévention des risques d'écoblanchiment ou greenwashing. On ne peut que souscrire à cet objectif – sauf que tout en prononçant à la COP26 son discours sur le défi climatique, M. Emmanuel Macron agit en coulisses, la fuite d'un document européen l'a montré, aux côtés des régimes pro-gaz d'extrême droite hongrois et polonais, pour promouvoir l'inclusion du gaz fossile dans la taxonomie verte en échange du soutien de ces régimes à l'intégration du nucléaire, à l'inverse de ce que préconisait au mois de mars 2020 un groupe d'experts techniques sur la finance durable mis en place par la Commission européenne. Ce groupe avait recommandé de ne pas considérer le nucléaire comme investissement durable – mais peut-être le caractère durable d'un investissement est-il lié aux dizaines de milliers d'années nécessaires pour que des déchets cessent d'être dangereux !

Je crains que l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte, alors qu'il ne représentait plus que 3,8 % des investissements dans les nouvelles productions d'électricité, n'incite le secteur financier à s'orienter vers ces technologies, que nous jugeons dangereuses. Je crains aussi, pour ce qui est du gaz fossile, que son impact dévastateur sur le climat ne soit décuplé, alors qu'on sait qu'il est la principale source d'émission de gaz à effet de serre. Comment réagissez-vous à cela ?

Un rapport commun de l'AMF et de l'ACPR montre certaines failles, et le bon respect des engagements pris par les établissements n'est même pas garanti. Le rapport relève notamment la difficulté de mesurer l'exposition des assurances aux énergies fossiles et le peu de volonté des assureurs pour se désengager en cas d'absence de respect des exigences climatiques, puisque seuls six organismes d'assurance sur dix-sept prévoient cette possibilité. Quelles recommandations adressez-vous aux pouvoirs publics pour accompagner l'AMF dans le contrôle du bon respect des exigences climatiques, aussi modestes que soient celles-ci ?

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Nous ne voulons pas dire, bien entendu, que le privé n'a pas un rôle à jouer dans la transition écologique Il semble cependant nécessaire de sortir de l'illusion de la finance verte : les déterminants des investissements restent, pour des investisseurs ou des gestionnaires, les rendements et les risques de leurs portefeuilles, et si les aspects climatiques sont pris en compte, c'est souvent uniquement à travers le prisme des risques qu'ils peuvent induire et non dans un objectif vertueux.

Le changement climatique constitue bien un échec des marchés parce qu'on ne donne pas de valeur financière à l'environnement. On peut donc résumer la question par cette phrase : oui à la taxonomie, oui à plus d'informations sur les aspects extra-financiers des activités des entreprises et des banques, oui à une harmonisation des critères pour éviter le greenwashing, mais non à l'illusion de la finance verte qui laisserait croire que les marchés financiers constitueraient la solution pour le financement de la transition écologique. Il s'agit là d'une grande illusion qui donne parfois bonne conscience : on se fait croire qu'on s'occupe de quelque chose sans véritablement changer le système. J'ai bien peur que notre bois continue à partir en Chine pour nous revenir en parquet.

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Auditrice de l'Institut des hautes études de la défense nationale, je souhaite vous interroger sur le secteur de la défense. Si les activités de défense étaient qualifiées de non durables – la question reste en suspens aujourd'hui –, cela ne serait pas propice aux investissements. Les banques d'investissement pourraient se détourner assez facilement de ce secteur. Où en sont les négociations sur ce sujet ? Le danger n'est-il pas réel pour un secteur aussi important ?

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Ma première question porte sur la transition écologique juste, cette taxinomie durable qui a été évoquée, y compris sous un angle social. Pouvez-vous nous en dire plus, et nous présenter notamment le référentiel utilisé pour s'assurer que les activités considérées sont non seulement vertes mais aussi socialement acceptables ?

Ma deuxième question concerne des travaux qui ont connu un écho dans le cadre du congrès mondial de la nature qui s'est tenu à Marseille et également – mais c'est passé inaperçu – pendant la réunion du G7 au mois de juin 2021. Avaient été annoncées une future taxation minimale des entreprises et une avancée vers une finance « pro nature ». Des travaux sont en cours sur la mise en place d'un équivalent des recommandations pour le climat de la TCFD ( Task Force on Climate-related Financial Disclosures, groupe de travail international sur la transparence des risques financiers liés au climat), mais n'est-ce pas redondant avec les six critères déjà utilisés par la TCFD ? Comment l'AMF considère-t-elle ces travaux et la complexité que cela peut engendrer ? Et pourriez-vous revenir sur ces six objectifs environnementaux à l'aune desquels est examiné le budget de l'État dans le cadre de la budgétisation verte, qui relèvent aussi de la taxonomie européenne ? Il importerait de les rappeler, pour qu'on sache vraiment ce que recouvrent les mots « activité durable » : la lutte contre le changement climatique ; l'adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels ; la gestion de la ressource en eau ; l'économie circulaire, les déchets et la prévention des risques technologiques ; la lutte contre les pollutions ; la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles.

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Ce texte sur la taxonomie est, pour nous, une demi-victoire : s'il inclut le nucléaire, nous sommes assez sceptiques sur la protection accordée à l'industrie nucléaire et sur les concessions accordées en termes de calendrier.

Faudrait-il, d'après vous, inclure la maintenance, les dépenses d'investissement dans les installations actuelles, sans limitation de durée ? Faudrait-il inclure les activités amont et aval de la filière nucléaire, à partir de l'extraction, jusqu'au retraitement et au stockage des déchets ?

Et comment envisagez-vous le rôle de l'AMF dans l'éventualité d'une réouverture ultérieure de ce dossier de la taxonomie ?

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Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

Je ne vais pas répondre à toutes vos questions, mesdames et messieurs les députés, et vous incite à vous rapprocher de l'AMF pour aller plus loin, dans le cadre d'échanges bilatéraux, en particulier sur certains aspects techniques.

La taxonomie est effectivement un dictionnaire, un référentiel. Nous en avons besoin parce que la profusion actuelle des standards est source de confusion extrême. Comme tous les dictionnaires, d'ailleurs, on ne le lira pas de façon cursive, on regardera ce qui nous intéresse. Et comme beaucoup de dictionnaires, celui-ci est inachevé, d'abord, puisqu'il ne couvre pas toutes les activités et, ensuite parce que, comme tout dictionnaire, il a vocation à vivre. Ce qui y est à un moment donné, au vu des connaissances scientifiques et techniques, inscrit dans une case, pourra, à l'avenir, quitter celle-ci, tandis que d'autres connaissances pourront y entrer.

Ces référentiels communs ne peuvent évidemment pas être français. Le niveau européen est un bon niveau, mais l'Europe n'est qu'une partie du monde, et nous souhaiterions que cette taxonomie, comme beaucoup de normes, puisse aussi être utilisée en dehors de l'Europe.

Deux des six objectifs évoqués par Mme Bénédicte Peyrol sont pris en compte par la taxonomie européenne, ce qui implique un complément pour prendre en compte les quatre autres. Un calendrier a d'ailleurs été fixé, et nous avons une année pour pouvoir les intégrer.

Le débat sur le nucléaire et le gaz présente une dimension qui dépasse très largement les aspects techniques, tout particulièrement pour le régulateur financier.

Quand un dictionnaire ou un référentiel commun existe, c'est ensuite à chacun de l'utiliser, et chacun l'utilise comme il pense devoir l'utiliser. Certains, et certains labels, vont procéder, sur ce fondement, à des exclusions, d'autres poseront des niveaux minimaux de compatibilité ; ce sera à la main de chaque décideur. Cela doit également guider l'action des pouvoirs publics et les aider, mais ce n'est pas en soi une obligation de faire ou de ne pas faire. C'est simplement un langage commun pour procéder aux choix que l'on juge devoir faire. Ce point est, à mon sens, extrêmement important.

Certains d'entre vous ont évoqué la taxonomie sociale. Un premier rapport a été déposé à la fin de l'été, par un groupe de travail européen. À ma connaissance, cela n'a pas été retenu comme étant une priorité des autorités européennes. Nous verrons si cela évolue, mais la priorité est aujourd'hui de finir ce que nous avons engagé. La taxonomie sociale fait partie bien sûr du paysage, mais je pense que le sujet sera traité plutôt dans un second temps.

Une question extrêmement importante est de savoir comment tout cela sera vérifié. C'est bien d'avoir des normes communes, c'est bien de parler le même langage, mais qui vérifie si ce qui est dit est correct ? Je vous rassure : comme pour toute autre communication publique d'entreprise, si des informations publiées se révélaient fausses ou trompeuses, nous poursuivrions l'entreprise concernée et des sanctions lui seraient infligées, mais nous sommes aujourd'hui dans un temps de préparation. Notre priorité est donc d'accompagner les acteurs, non de les sanctionner : il est trop tôt pour cela – mais nous en aurions la capacité avec l'appareil législatif et réglementaire dont nous disposons.

Nous contrôlons directement les institutions financières et les produits financiers. Nous pouvons vérifier que ce qui est dit correspond effectivement à ce qui est fait : si ce n'est pas le cas, nous pouvons sanctionner. Les entreprises, c'est un autre univers ; 50 000 entreprises sont potentiellement concernées au niveau européen ; par construction, il y aura une montée en puissance. Le texte CSRD est très important : l'intégration de ces indicateurs dans le paysage extra‑financier et leur prise en compte par les entreprises entraînent un contrôle par les commissaires aux comptes ou, à tout le moins, par des tiers indépendants qui s'engagent. Dans le langage de ces contrôles, un commissaire aux comptes qui donne une « assurance modérée » s'engage très fortement.

Certains d'entre vous ont évoqué la primauté des intérêts financiers sur le développement durable. Je veux être clair : la volonté européenne est de traduire dans CSRD le principe de double matérialité : il s'agit de prendre en considération l'impact du facteur environnemental, d'une part, sur l'entreprise et, d'autre part, pour le reste du monde. Cette double matérialité, qui doit se traduire par des indicateurs, est au cœur de la démarche européenne. Elle n'est pas au cœur de la démarche internationale, mais nous cherchons actuellement des points de convergence.

Monsieur le président, j'ai mis l'accent sur le ratio d'investissement, dans la mesure où les investissements font l'économie de demain, mais les trois ratios doivent être calculés et pris en compte. J'insiste sur le ratio d'investissement, car l'un des reproches formulés à l'encontre de la taxonomie est qu'elle serait trop statique. C'est la transition qui importe et, à travers ce ratio d'investissement, nous faisons un pas vers la transition.

Je ne crois pas à la taxonomie brune. Des labels, privés ou semi‑publics, prévoient des exclusions ; c'est leur droit. Le label européen, le green bond label, en préparation, sera centré sur la taxonomie mais, à ma connaissance, pas sur les exclusions.

La question des industries de la défense a été citée. Un rapport spécifique sur ce point a été produit l'an dernier à l'Assemblée nationale, qui appelait à la création d'un fonds public pour assurer la continuité des financements. La taxonomie verte n'a pas l'ambition de couvrir tous les sujets ; il faut conserver un équilibre.

Par ailleurs, nous attendons la dernière mouture du texte de niveau 2, un règlement délégué de la commission, qui doit couvrir les secteurs du gaz et de la filière nucléaire, avant de m'exprimer sur le sujet. Notre travail à l'Autorité consiste à mettre en œuvre ce que décident ou ce qu'ont délégué les co‑législateurs.

Il me semble que la dernière mouture du droit français est la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite loi énergie climat. Ce texte et ses décrets d'application ont permis d'anticiper certains aspects du droit européen que nous venons de citer. Si je puis donner un conseil, j'appellerai à la prudence : évitons de renchérir sur des textes européens, règlements d'application directe ou directives, déjà extrêmement fournis.

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Merci, monsieur le président, de vous être exprimé sur ces normes en construction, qui constituent un enjeu particulièrement intéressant. J'espère que cela aboutira, comme l'ont dit plusieurs de nos collègues, à des règles simples d'emploi et claires dans les objectifs à atteindre.

Je ne sais si nous nous reverrons d'ici à la fin de notre mandat, monsieur le président, mais nous avons eu beaucoup de plaisir à vous écouter au sein de la commission des finances tout au long de cette législature dans l'exercice de ce métier compliqué de régulateur qui est le vôtre.

Information relative à la commission

La commission a nommé M. Charles de Courson, rapporteur sur la proposition de loi portant lutte contre l'exclusion financière et plafonnement des frais bancaires (n° 4852).

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 19 janvier à 9 heures 30

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Alain Bruneel, Mme Émilie Cariou, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, Mme Jennifer De Temmerman, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Brahim Hammouche, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, M. Christophe Naegelen, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Zivka Park, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Muriel Roques-Etienne, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Anne-Laure Cattelot, Mme Frédérique Lardet, M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva