Intervention de Charles de Courson

Réunion du mardi 25 janvier 2022 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson, rapporteur :

Le prix Nobel de littérature irlandais George Bernard Shaw affirmait avec beaucoup de malice qu'« une banque vous prête un parapluie quand il fait beau et vous le reprend quand il pleut ». Je n'ai nullement l'intention de faire preuve d'une telle malice, voire de mauvais esprit, mais il convient de reconnaître que les banques peuvent jouer un rôle néfaste dans l'aggravation des difficultés des membres les plus précaires de notre nation.

Quelques chiffres pour commencer : 3,8 millions de personnes sont en situation de fragilité financière en France selon les banques. Chaque mois, près de 8 millions de Français paient des commissions et des frais bancaires. Selon certaines associations de protection des consommateurs, ces frais pourraient représenter jusqu'à 6 milliards d'euros par an mais, ni la Banque de France, ni la direction générale du Trésor, ni la Fédération bancaire française (FBF) ne savent si ce chiffre est plus proche de 3 ou de 6 milliards.

Il faut saluer la remarquable imagination des banques françaises, puisque les « commissions et frais bancaires » comportent environ 600 dénominations. Cette estimation est issue du rapport de la Cour des comptes – alors qu'on comptait 372 dénominations en 2011, on est à 597 en 2019, soit + 120 % en huit ans.

J'appartiens à un groupe qui aime la diversité, mais, s'agissant de la nomenclature bancaire, elle me semble contrevenir à la bonne information de nos concitoyens. Je n'aurai pas la cruauté de vous demander si vous lisez chaque année le document adressé par les banques à leurs clients récapitulant leurs tarifs. Il faudrait décerner une médaille à ceux qui le font !

Ces éléments de constat sont une invitation à agir, d'autant que l'inclusion bancaire fait l'objet d'un large consensus. Les frais bancaires qui pèsent sur les Français – en particulier sur les plus précaires d'entre eux – se dressent en travers de la réalisation de cet objectif. Ils peuvent aggraver la situation des personnes financièrement fragiles, dans une logique répressive qui les maintient dans leurs difficultés. Bien sûr, il est normal que les banques facturent leurs services, mais il n'est pas admissible que ces frais soient dévoyés, en étant totalement décorrélés du coût réel des prestations qu'ils sont supposés rémunérer.

Nous avons interrogé la FBF sur les fondements des différents tarifs. On nous a répondu que la comptabilité analytique était trop globale pour permettre leur calcul.

Je tiens à souligner l'opacité des banques sur ces pratiques. La Fédération bancaire française n'a pas été capable de nous communiquer les montants des frais bancaires perçus ; tout au plus avons-nous réussi à apprendre que l'estimation réalisée fin 2018 par la Banque de France du coût des plafonnements – entre 500 et 600 millions – était jugée cohérente.

Reconnaissons que des progrès ont bien été effectués ces dernières années sur le sujet de l'inclusion bancaire : la loi du 26 juillet 2013 a conduit les établissements de crédit à proposer une offre spécifique aux personnes en situation de fragilité financière et a également consacré le principe du plafonnement. Dans une même démarche, l'accord conclu entre l'État et le secteur bancaire en 2018, bien que non contraignant, a donné lieu à certains engagements ainsi qu'à de nouveaux plafonds. En outre, des mesures réglementaires sont venues compléter en 2020 les critères d'appréciation de la fragilité financière. La Cour des comptes a d'ailleurs souligné dans son rapport l'hétérogénéité des critères en la matière.

Pourtant, les dysfonctionnements persistent et affectent l'ensemble de nos concitoyens. Les résultats des engagements pris par les banques sont décevants et les contournements nombreux. Les associations de consommateurs ont fait le même constat. La tendance est à la hausse générale des frais, de l'ordre de 2,5 % en 2022. Cette situation doit nous alerter, en particulier dans un contexte difficile, marqué par l'inflation et par la crise liée à la pandémie de la covid-19, qui a accru la précarité dans les secteurs les plus fragiles de notre société.

Je ne résiste pas à la tentation de lire la conclusion de la FBF : « Au total, les contraintes supplémentaires issues de cette PPL affaibliraient le modèle de la banque relationnelle de proximité qui doit faire face à de nombreux défis : continuer à couvrir largement la population, investir dans des services innovants, appliquer des règles prudentielles de plus en plus lourdes. »

Puisque le dialogue entre les pouvoirs publics et les banques n'a pas été fructueux, il est nécessaire de légiférer car la loi reste le meilleur instrument pour protéger nos concitoyens des pratiques abusives. L'inclusion bancaire est un objectif trop sérieux pour ne dépendre que de simples engagements, qui seront sans cesse détournés.

Chers collègues, je suis bien conscient que les problématiques posées par les frais bancaires ne sont pas une découverte pour vous : neuf propositions de loi ont été déposées sur ce sujet sur le bureau de l'Assemblée nationale durant cette législature. Si le présent texte partage globalement leur esprit, il a pour ambition propre de lutter contre l'exclusion financière en plafonnant résolument les frais bancaires excessifs, dont les coûts sont sans commune mesure avec celui des prestations accomplies et accablent nos concitoyens les plus fragiles financièrement, qui ne parviennent plus à trouver des marges pour sortir de leur précarité.

La présente proposition de loi a pour objet de mieux encadrer les commissions d'intervention bancaires afin de diminuer leurs coûts pour l'ensemble des citoyens, tout en maintenant des dispositions particulières à destination des plus fragiles, puisque les plafonds actuellement en vigueur ne permettent pas de limiter le poids de ces frais ; de diviser par deux les plafonnements des commissions d'intervention pour l'ensemble des clients, et par quatre pour les plus précaires ; de diviser par deux les frais pour rejet de chèque ainsi que pour tout autre incident de paiement pour l'ensemble des clients, et par quatre pour les clients placés en situation de fragilité financière – ces derniers étant estimés à quelque 700 000 personnes ; d'inscrire dans la loi le principe d'une liste exhaustive des critères d'appréciation de la fragilité financière, qui serait fixée par décret, afin de neutraliser les marges d'appréciation des banques, lesquelles entraînent trop souvent des ruptures d'égalité ; enfin, d'assurer l'effectivité de la procédure dite de droit au compte (DAC), qui garantit à toutes les personnes physiques un compte et un service bancaire minimum, en assurant une ouverture de compte dans les meilleurs délais. Je proposerai en outre un amendement visant à créer un plafond global pour tous les frais bancaires, dont pourraient bénéficier nos concitoyens les plus fragiles.

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