Comme nous le faisons traditionnellement, j'évoquerai les prévisions de court terme et Olivier Garnier celles de moyen terme, en s'appuyant sur les prévisions de la Banque centrale européenne et de la Banque de France. Je rappellerai donc tout d'abord les dernières prévisions de croissance publiées, à la mi-décembre, par l'INSEE, puis je vous présenterai l'impact des évolutions récentes de la pandémie sur ces prévisions. Je me concentrerai ensuite sur la situation des ménages et des entreprises, les tensions qui existent sur l'offre et l'inflation.
Si nous considérons les variations du produit intérieur brut (PIB) observées dans les principales économies occidentales et en Chine depuis 2016 et jusqu'au troisième trimestre 2021, nous constatons, après une forte chute au deuxième trimestre 2020, une remontée progressive mais assez forte, notamment en France au troisième trimestre 2020, qui a conduit de nombreuses économies à retrouver leur niveau de PIB d'avant-crise. L'Espagne est un peu en retard en raison de la spécialisation de son économie dans l'activité touristique, tandis que l'activité des États-Unis et de la Chine est supérieure à celle observée avant la crise, mais il faut rappeler que ces deux pays ont une démographie et une croissance potentielle supérieures à celles des pays européens. Si la France a retrouvé son activité d'avant-crise au troisième trimestre 2021, elle a quand même perdu environ deux points d'activité.
Nos prévisions de la mi-décembre anticipaient une croissance trimestrielle autour de 0,4 % ou 0,5 % pour le dernier trimestre 2021 et les deux premiers trimestres 2022. Ainsi, la croissance annuelle serait de 6,7 % en 2021 et l'acquis de croissance à la mi-2022 de 3 %. Le chiffre de 6,7 % de croissance en 2021 n'est pas définitif : les premières estimations pour le compte trimestriel du quatrième trimestre 2021 seront publiées ce vendredi et la campagne de publication des comptes annuels aura lieu au printemps, mais, d'après nos estimations, le PIB français se situerait au deuxième trimestre 2022 à un niveau supérieur de 1,4 % à ce qu'il était avant la crise.
L'évolution de l'activité normale diffère en fonction des secteurs : celle du secteur de l'information et de la communication est largement supérieure à son niveau d'avant la crise tandis que le secteur agroalimentaire garde le même niveau d'activité. En revanche, le secteur de l'hébergement et de la restauration et celui des matériels de transport – automobile ou aéronautique – continuent de souffrir de la situation actuelle.
L'analyse des composantes de la demande montre que la consommation des ménages a retrouvé son niveau d'avant la crise et que l'investissement des entreprises, ainsi que la consommation publique, atteint des niveaux supérieurs à ceux d'avant la crise. En revanche, les flux d'échanges –importations et exportations – restent en deçà de leur niveau d'avant-crise ; cela s'explique notamment par une moindre activité touristique.
Les développements récents de la crise sanitaire pourraient faire craindre un ralentissement de l'activité plus marqué que prévu au début de cette année 2022. La recrudescence de l'épidémie est susceptible d'affecter à la fois l'offre, en raison des difficultés d'approvisionnement, des limitations du transport international, des jauges ou de l'absentéisme des actifs, qu'il s'explique par la maladie ou par des questions de garde d'enfants, et la demande, en raison d'un éventuel attentisme des acteurs économiques et de la prudence des consommateurs, dont certains peuvent être réticents à retourner dans les magasins. Il faut cependant souligner que les effets économiques des vagues successives, quoique massifs, sont allés en s'amenuisant : on apprend à vivre avec le virus, et le consensus des épidémiologistes tend à considérer qu'omicron pourrait annoncer des jours meilleurs.
À ce stade, les données disponibles ne révèlent pas de choc majeur. Les enquêtes de conjoncture de l'INSEE montrent qu'en ce mois de janvier 2022, la vague des variants delta et omicron a pesé sur le climat des affaires de certains services, notamment de l'hébergement et de la restauration. Les recherches de mots-clés sur internet suggèrent une tendance à la baisse de l'activité dans la restauration, l'hébergement ou le transport aérien, mais l'analyse des montants agrégés de transactions par carte bancaire ne suggère pas de choc majeur même si l'activité du secteur de l'hébergement, par exemple, reste pénalisée. Quant aux brusques variations observables dans le secteur de l'habillement et des chaussures, elles ne sont pas inquiétantes car elles tiennent aux dates des soldes, qui varient d'une année à l'autre.
En conclusion, les enquêtes de conjoncture et les enquêtes qualitatives ne révèlent pas de choc massif à la suite de la nouvelle vague des variants delta et omicron, réserve faite d'un moindre optimisme dans le secteur de l'hébergement.
J'en viens à la situation des ménages et des entreprises. L'emploi a moins baissé que l'activité au cours de l'année 2020 et au début de l'année 2021. Il s'est rétabli plus rapidement qu'anticipé : dès la fin du mois de juin 2021, il était supérieur de 0,6 % à son niveau de 2019. La situation est cependant différente selon les secteurs : l'emploi est un peu inférieur à son niveau de 2019 dans le secteur de l'industrie, il tend à revenir à son niveau d'avant la crise dans le secteur tertiaire marchand et il est même plus élevé qu'avant la crise dans le secteur de la construction et dans le secteur tertiaire non marchand. Les prévisions actuelles font état d'une hausse de l'emploi en ce début d'année 2022 plus modérée que lors des trimestres précédents. De façon surprenante, l'emploi très dynamique n'a pas conduit à une baisse du chômage au troisième trimestre de l'année 2021 ; cela s'explique par un afflux de population active. Nous ne sommes donc pas confrontés au phénomène de « grande démission » observé dans d'autres pays, notamment anglo-saxons. Cet afflux de population active est en partie lié au fort accroissement du nombre de personnes en alternance. Nous n'anticipons pas, à ce stade, la poursuite de cette tendance. Nous estimons donc que le taux de chômage va diminuer pour s'établir à 7,6 % au deuxième trimestre de cette année.
Le revenu des ménages a globalement été préservé. Le pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages n'a pas pâti de l'effondrement du produit intérieur brut. Il a même augmenté de 2 % en 2021.
Nous prévoyons en revanche une légère baisse ponctuelle du revenu des ménages au début de l'année 2022, liée à la recrudescence de l'inflation mais aussi à des phénomènes comptables : nos comptes de la fin de l'année 2021 intégreront une nouvelle baisse de la taxe d'habitation, pour certains ménages, ainsi que la totalité de l'indemnité inflation qui, pour des raisons de comptabilité en droits constatés, est intégralement rattachée au quatrième trimestre 2021, même si une partie ne sera versée qu'au début de cette année 2022. Nous avons donc un revenu un peu exceptionnel au quatrième trimestre 2021 et, en contrepartie, une baisse ponctuelle du pouvoir d'achat des ménages au premier trimestre de l'année 2022.
Le taux d'épargne des ménages a été élevé tout au long de la crise. Il n'est pas encore revenu à son niveau habituel – avant la crise – de 15 % du revenu disponible brut ; il s'établit toujours aux alentours de 17 %, mais pourrait redescendre à 16 %. Cela représente toujours un excès d'épargne d'environ 170 milliards d'euros, voire davantage, qui tient au fait que le revenu des ménages a été préservé mais sans qu'ils aient pu consommer normalement.
Le taux de marge des entreprises a été assez élevé au tournant de l'année 2021, lorsque les aides de l'État aux entreprises ont atteint leur niveau maximal. Il revient désormais à 32 % de la valeur ajoutée, à peu près son niveau moyen au cours des années 2015 à 2018. Le niveau de 2019, qui était plus élevé, ne doit pas faire illusion : il intégrait, en double compte, à la fois le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et la baisse des cotisations patronales qui a remplacé ce crédit d'impôt – il est donc préférable de se référer aux années 2015 à 2018.
Des tensions subsistent dans l'industrie, qui nous apparaissent lorsque nous considérons l'évolution de la proportion d'entreprises qui se déclarent confrontées à des difficultés de demande ou d'offre. La France connaît plutôt, en général, des régimes de contrainte par la demande ; cela a été le cas depuis 1992, sauf lors de l'éclatement de la bulle internet au début des années 2000 ou en 2007. Au contraire, en 2021, situation assez inédite, on constate une hausse significative du pourcentage d'entreprises qui se déclarent confrontées à des difficultés d'offre, jusqu'à ce qu'il atteigne 50 % à la fin de l'année – très peu d'entreprises, en revanche, se déclarent confrontées à des difficultés de demande. Nous n'observons un léger recul que dans le cadre de notre premier point d'enquête trimestriel de l'année 2022, que nous venons de publier.
Ces difficultés d'offre sont tout d'abord liées aux difficultés d'approvisionnement, qui demeurent élevées dans de nombreux secteurs. Le cas le plus grave est celui des matériels de transport, dont 70 % des entreprises ont pu connaître des difficultés d'approvisionnement – la proportion tend certes à diminuer. Les difficultés demeurent réelles dans beaucoup d'autres secteurs industriels, notamment celui des biens d'équipement mais aussi celui du bâtiment, atteignant des niveaux inédits. Un début d'amélioration peut cependant être espéré au début de cette année 2022.
Autres difficultés d'offre, les difficultés de recrutement demeurent élevées, et, dans l'industrie et les services, plus fortes qu'avant la crise. Nous avions commencé à parler de tensions de recrutement dans l'industrie en 2018 et 2019. Leur réalité est encore plus nette aujourd'hui. Elles atteignent à peu près le même niveau dans le secteur du bâtiment, et, pour l'instant, aucun signe n'annonce une amélioration de la situation.
Ces tensions, qui ne sont évidemment pas uniquement nationales, contribuent à créer un environnement plus inflationniste. Je vous parlerai, pour ma part, de l'indice des prix à la consommation (IPC), tandis qu'Olivier Garnier évoquera les indices de prix à la consommation harmonisé (IPCH) utilisés par l'Eurosystème, qui sont supérieurs de quelques dixièmes de points.
En 2021, l'inflation atteignait 1,6 % en moyenne annuelle et 2,8 % en décembre en glissement annuel. La progression des prix de l'énergie, notamment du prix de pétrole, comptait pour beaucoup, mais nous avons également connu une forte hausse du prix des matières premières, alimentaires et industrielles, ainsi qu'une très forte accélération de l'évolution des prix de production, à la fois pour les entreprises industrielles et pour les prix de production agricoles, avec une hausse de 16 % en un an. Si la volatilité des prix de production agricoles est traditionnellement plus forte, la hausse observée dans l'industrie est inédite depuis des années, voire des décennies. Cela aura nécessairement des conséquences sur les prix de détail. Nous pouvons donc nous attendre à une augmentation des prix des biens manufacturés et de l'alimentation en 2022.
S'agissant des prix de l'énergie, il est difficile de faire des prévisions, d'autant qu'une partie d'entre eux sont plafonnés. Les prix du gaz sont connus. Les prix du pétrole dépendent beaucoup des tensions géopolitiques. Nous avions anticipé une stabilité de ces derniers mais ils se situent sans doute à un niveau légèrement supérieur à nos anticipations aujourd'hui. Reste, parmi les composantes de l'IPC, le prix des biens et services, qui pèse le plus. Son évolution dépendra du rythme des hausses de salaire et de l'enclenchement ou non d'une spirale des prix et des salaires. Les soldes d'opinion sur les évolutions attendues des prix de vente sont tous à la hausse, y compris en ce qui concerne le commerce de détail, un peu moins dans les services que dans l'industrie et incidemment dans le bâtiment.
S'agissant des salaires, une enquête de conjoncture dans l'industrie montre que les chefs d'entreprise s'attendent à une progression plus rapide que par le passé, sans qu'elle soit alarmante à ce stade.
Selon nos prévisions, au cours des six prochains mois, l'inflation serait comprise entre 2,5 % et 3 %, en glissement annuel. Les prix de l'énergie, qui étaient déflationnistes en 2020 et très inflationnistes en 2021, contribueraient plus faiblement à l'inflation d'ensemble, notamment en raison du plafonnement des prix de l'électricité et du gaz. Les prix des produits alimentaires contribueraient à l'inflation mais aussi celui des produits manufacturés.