Intervention de Olivier Garnier

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et des relations internationales de la Banque de France :

Mon propos s'inscrira dans un horizon temporel plus vaste, dans la mesure où, dans le cadre de l'Eurosystème, nous réalisons des projections à trois ans. Nos dernières prévisions, qui remontent à la mi-décembre, courent ainsi jusqu'en 2024. À la demande de M. le président Éric Woerth, et conformément au mandat de la banque centrale, je vous parlerai également de l'inflation, mais je tiens à rappeler tout d'abord nos projections de croissance.

Après une hausse du produit intérieur brut estimée à 6,7 % en 2021, nous attendons une croissance de 3,6 % en 2022, de 2,2 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Cela signifie que le rattrapage se prolongera en 2022 et 2023, car, si nous sommes certes revenus au niveau antérieur à la crise, nous n'avons pas atteint le niveau que nous aurions atteint conformément à la tendance d'alors. C'est, selon nous, à l'horizon 2023 que nous reviendrons à la tendance de l'année 2019 et que nous retrouverons le rythme de croissance potentielle observé avant la crise.

Quelles sont les conséquences de ces prévisions de croissance sur l'inflation ? Dans le cadre de l'Eurosystème, nous travaillons non pas sur l'indice des prix à la consommation utilisé par l'INSEE mais sur l'indice des prix à la consommation harmonisé. Il se trouve que nous observons actuellement, de manière un peu inhabituelle, un écart sensible entre les deux : à la fin du mois de décembre 2021, la hausse de l'IPC était de 2,8 % tandis que celle de l'IPCH était de 3,4 %. L'explication est simple : l'indice harmonisé exclut un certain nombre de postes de consommation compris dans l'IPC, ce qui donne aux prix de l'énergie un poids plus important. Lorsque les prix de l'énergie augmentent rapidement, l'IPCH augmente donc plus rapidement que l'IPC. Lorsque cet effet sera résorbé, l'écart entre les deux indices se réduira.

Si nous parlons donc de l'IPCH, nous observons un pic d'inflation en 2021 et 2022, qui résulte principalement des prix de l'énergie. Il s'effacera à l'horizon des années 2023 et 2024. Les prix des marchés de futures nous permettent effectivement non de vraiment prévoir quel sera le prix de l'énergie mais d'anticiper une légère baisse à cette échéance.

Quant à l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire l'IPCH hors énergie et hors alimentation, après le pic des années 2021 et 2022, elle devrait s'établir, comme l'inflation totale, à un niveau sensiblement plus élevé qu'en 2019 et2020. Elle passerait d'environ 0,5 % à un niveau « inférieur à mais proche de » 2 %.

Ces observations valent également si nous considérons plus précisément l'inflation dans les services, soit celle qui dépend le plus directement des salaires : son taux passerait d'environ 1 % au milieu des années 2010 à plus de 2,5 % en 2023 2024.

Les projections recouvrent donc deux évolutions concomitantes : le repli de l'inflation dans le secteur de l'énergie, avec la stabilisation des prix de l'énergie, et la remontée de l'inflation dans les services, mais aussi celle de l'inflation hors énergie et hors alimentation.

À l'horizon 2023-2024, nous reviendrions non pas à la situation antérieure à la crise actuelle mais à celle des années 2002 à 2007, période durant laquelle l'inflation dans les services était comprise entre 2,5 % et 3 % et l'inflation sous-jacente légèrement inférieure à 2 %. Ce serait compatible avec une inflation totale proche de 2 %. C'est le premier message à retenir de nos projections : nous revenons non pas à une inflation très basse mais à un régime un peu différent.

Cela se retrouve en matière de salaires. Il ne faut trop pas regarder le salaire moyen par tête au cours de la période actuelle, car l'activité partielle crée des distorsions entre le numérateur et le dénominateur – le salaire diffère beaucoup selon le nombre d'heures payées. On peut toutefois comparer la situation avant la crise et celle à l'horizon 2023‑2024. Avant la crise, le salaire moyen par tête augmentait de 2 % par an, les gains de productivité étaient de 1 % et les coûts salariaux unitaires progressaient de 1 % – soit la différence entre la progression du salaire et les gains de productivité. Dans le nouveau régime d'inflation que j'évoque, le salaire moyen par tête augmenterait plutôt de 3 % par an, les gains de productivité seraient plutôt de 1 % et les coûts salariaux unitaires progresseraient donc d'environ 2 %. L'inflation serait donc là aussi proche de 2 %.

Évidemment, la réalisation de cette projection peut être contrariée par de nombreux aléas. La crise en Ukraine influe sur les prix de l'énergie, pas seulement sur les prix du pétrole mais aussi ceux du gaz. Or notre prévision est basée sur l'hypothèse d'une stabilisation des prix de l'énergie.

Il existe aussi des difficultés d'approvisionnement, inégales selon les secteurs et d'une durée que nous savons incertaine : elles ne vont pas durer indéfiniment, mais peuvent se prolonger plusieurs années dans certains secteurs, comme les semi-conducteurs ; il s'agit davantage d'une question de mois dans d'autres secteurs. La taille et la durée de cette bosse d'inflation que ces difficultés d'approvisionnement peuvent entraîner sont donc incertaines.

Un autre élément clé réside dans ce que les économistes appellent la boucle prix-salaires, qui joue notamment dans le secteur des services où les salaires sont la plus grande composante des coûts. Là encore, les anticipations peuvent jouer un rôle. C'est un autre aléa.

À plus long terme, se pose la question de la mondialisation et de la « démondialisation ». Certains commentateurs commencent effectivement à parler de « démondialisation », mais cela n'a rien d'évident lorsqu'on regarde les chiffres du commerce mondial, qui reste dynamique malgré les difficultés d'approvisionnement. Par ailleurs, dans le contexte actuel, la mondialisation pourra s'accentuer dans le domaine des services, car le numérique peut permettre plus facilement d'avoir des salariés en télétravail aux quatre coins du monde.

La question de la transition climatique est également très importante, car elle aura nécessairement des effets sur les prix. La question est de savoir quels seront ces effets. S'agira-t-il d'effets sur les prix relatifs ou d'effets durables sur l'inflation ?

Quelques mots, maintenant, sur la zone euro, puisque, dans le cadre du mandat de la Banque centrale européenne (BCE), c'est bien sûr l'inflation dans la zone euro qui importe. En 2022, nous prévoyons une inflation de plus de 3 % en moyenne annuelle ; elle était de 5 % en décembre, tirée par les prix de l'énergie. Elle reviendrait en dessous de 2 % à l'horizon 2023-2024. Il en irait de même pour l'inflation sous-jacente

À l'intérieur de la zone euro, nous constatons des écarts assez sensibles. La progression de l'ICPH est de 3,4 % en France, contre 5,7 % en Allemagne, 4,2 % pour l'Italie, 6,7 % en Espagne, et 5,0 % dans l'ensemble de la zone euro. L'inflation a donc moins accéléré en France que dans d'autres pays. Cette moindre inflation n'est pas liée à l'inflation sous-jacente, puisque celle-ci, en France, est un peu supérieure à ce qu'elle est en Italie et surtout en Espagne. En revanche, dans ces deux mêmes pays, la hausse des prix de l'énergie a été beaucoup plus forte. Cela tient notamment au fait qu'en France le prix des carburants comprend une part importante de taxes, qui sont proportionnelles non pas au prix mais à la quantité, ce qui joue un rôle amortisseur dans un contexte de hausse des prix ; cela tient aussi aux mesures prises pour réduire le coût pour les ménages de l'électricité et du gaz.

Le cas de l'Allemagne est différent. La hausse des prix de l'énergie y est équivalente à celle observée en France, alors que l'inflation des prix hors énergie y est beaucoup plus forte. Cela tient à la baisse de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mise en œuvre en Allemagne en 2020, qui a été suivie, en 2021, d'un relèvement de cette même TVA. Ce mouvement a temporairement « dopé » l'inflation. Cependant, à l'horizon 2023-2024, l'inflation resterait supérieure à 2 % – cette projection a été faite avant l'accord de la nouvelle coalition gouvernementale sur la hausse du salaire minimum. Si l'objectif est une inflation à 2 % pour la zone euro, il n'est pas anormal que le pays dont le taux de chômage est le plus bas ait une inflation supérieure à ce seuil, tandis que ceux qui ont un chômage plus élevé connaissent une inflation légèrement inférieure ; c'est un phénomène attendu dans une union monétaire.

Au niveau mondial, la zone euro se trouve dans une situation intermédiaire entre, d'une part, les États‑Unis, et, dans une moindre mesure, la Grande-Bretagne et, d'autre part, le Japon. Les États-Unis ont un taux de chômage de 4 %, aggravé par le phénomène de la « grande démission », et l'économie, « dopée » par la politique budgétaire, y est en surchauffe ; c'est d'ailleurs pourquoi la réserve fédérale appréhende la situation différemment de la BCE. À l'opposé, le Japon ne connaît toujours pas d'inflation, et l'esprit déflationniste y reste prégnant. On peut d'ailleurs relever que l'Europe n'est donc nullement en voie de « japonification » contrairement à ce que certains prétendaient il y a encore peu de temps.

Quant à la politique monétaire et aux décisions annoncées par le Conseil des gouverneurs du 18 décembre 2021, il faut retenir, tout d'abord, l'arrêt de tous les programmes d'urgence mis en place au printemps 2020 face à la pandémie. Le programme d'achats d'urgence pandémique, dit PEPP, s'achèvera à la fin du premier trimestre 2022, malgré un lissage de la décrue des achats d'actifs pendant une phase transitoire. Le montant des achats résultant de l'ensemble des programmes d'achats d'actifs s'élevait à 90 milliards d'euros par mois en 2021 ; au dernier trimestre de l'année 2022, il devrait être de 20 milliards d'euros par mois. Les achats nets des amortissements seront donc réduits. En ce qui concerne le programme de prêts exceptionnels aux banques, dit TLTRO 3 ( Targeted Longer-Term Refinancing Operations ), un taux bonifié permet à celles-ci d'emprunter à -1 %, soit un taux plus favorable que celui de la facilité de dépôt de la BCE, qui est de -0,5 %, à condition d'accroître d'un certain montant leurs prêts. Ce taux bonifié disparaîtra au mois de juin. Une certaine flexibilité est cependant maintenue dans les achats d'actifs : la période de réinvestissement du programme PEPP a été prolongée – elle devait s'achever à la fin de l'année 2023 ; ce sera à la fin de l'année 2024. De plus, dans le cadre de ces réinvestissements, l'Eurosystème pourrait, en fonction de l'évolution des conditions de financement, ne pas suivre la clé de répartition du capital de la BCE et acheter plus de titres de tel pays et moins de tel autre en cas de mouvements injustifiés sur les titres d'une juridiction. Enfin, demeure la possibilité de reprendre les achats nets du programme PEPP, par exemple en cas de reprise pandémique.

Pour le moment, nous avons des indications sur la politique de taux d'intérêt, des critères – guidance – ont été donnés pour justifier une remontée des taux : cette remontée n'interviendrait que si l'inflation paraissait devoir passer durablement au-dessus de 2 %. Dans cette hypothèse, les autorités monétaires feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour ramener l'inflation à la cible de 2 %.

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