Intervention de Jean-Luc Tavernier

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) :

Un certain nombre de questions portent sur la mesure de l'inflation elle-même, sur l'IPC et sur l'IPCH.

L'une des principales différences entre l'IPC et l'IPCH, par exemple pour les produits de santé, est que le premier inclut tous les prix, en retenant la pondération du panier des ménages, y compris si ces produits sont remboursés par la sécurité sociale ou par des assureurs complémentaires, tandis que l'IPCH ne retient, au titre du prix des produits de santé, que le reste à charge pour les ménages. C'est une différence importante. Si la santé a plus de poids dans l'IPC que dans l'IPCH, l'énergie, en contrepartie, en a moins dans l'IPC que dans l'IPCH. En général, cela ne se voit pas, mais quand les prix relatifs varient de façon brutale comme c'est le cas aujourd'hui pour l'énergie, ce simple effet de structure explique que l'IPCH augmente de quelques dixièmes de plus que l'IPC. Le jour où le prix de l'énergie baissera ou évolue moins vite – cela arrive quand même – que l'ensemble, nous constatons l'effet l'inverse. Sur longue période, les deux évoluent de concert.

Les modalités de prise en compte des prix du logement dans l'indice des prix à la consommation sont un sujet récurrent, connu du grand public, dont se saisissent régulièrement certains polémistes. La Banque centrale européenne le traite dans le cadre de sa revue stratégique. L'IPC, comme son nom l'indique, porte sur les prix à la consommation ; s'agissant du logement, la consommation recouvre le paiement des loyers par les ménages effectivement locataires ainsi que les dépenses afférentes au logement – les assurances, les abonnements, les fluides, etc. Les opérations d'acquisition de biens en sont à l'inverse exclues. À titre de comparaison, le périmètre des dépenses retenues diverge concernant le déflateur des prix à la consommation car il est également tenu compte, dans le cadre de cet indicateur utilisé en comptabilité nationale, des loyers fictifs que les propriétaires occupant leur logement se versent à eux-mêmes, ce qui conduit les loyers à occuper un poids relatif plus important dans la consommation des ménages.

En conséquence, une augmentation du montant des loyers est retracée de manière plus visible et prononcée dans le déflateur de la consommation que dans l'IPC. Nous pourrions imaginer aligner les modalités de calcul des dépenses de logement de ces deux indicateurs. Cependant, le ressenti de la population en matière de logement se focalise plutôt sur l'évolution des prix à l'achat du neuf ou de l'ancien et le poids dans le budget des ménages du remboursement des emprunts immobiliers. Cela pose une difficulté statistique car ces dépenses ne relèvent pas de la consommation mais d'une question de trésorerie, car la contrainte provoquée par le remboursement de l'emprunt s'accompagne en parallèle de la constitution d'un actif. Cette difficulté est d'autant plus importante qu'un achat d'immobilier ancien s'accompagne automatiquement d'une vente, généralement réalisée par un ménage.

Les attentes concernant une éventuelle intégration des prix d'achat des biens immobiliers dans le périmètre de l'IPC ne peuvent donc être satisfaites ; les conventions internationales, que nous respectons, ne prévoient pas que l'IPC recouvre un tel périmètre. Nous tentons de traiter ce sujet dans d'autres enquêtes relatives aux dépenses contraintes des ménages – remboursements d'emprunts, assurances, abonnements – et nous constatons dans ce cadre que le poids de ces dépenses est différent selon la situation des ménages, qu'ils soient locataires, propriétaires occupants ou propriétaires ayant achevé de rembourser leur emprunt. La BCE invite effectivement, dans le cadre de sa revue stratégique, à calculer un prix du logement qui pourrait être intégré dans l'IPC. À moins de considérer que nous pourrions intégrer à cet indicateur les loyers fictifs des propriétaires occupants, les seuls prix à l'achat de logements neufs ou encore le coût des travaux importants de maintenance réalisés par les propriétaires, je suis réservé quant à cette possibilité.

En définitive, cette question est complexe : nous sommes confrontés à un écart entre, d'une part, ce que nous mesurons selon une méthode conforme aux conventions internationales et qui s'explique au point de vue économique et, d'autre part, le ressenti des ménages s'agissant des éléments pesant sur le pouvoir d'achat. Je ne suis pas certain, soit dit en passant, que ce qu'ont appris sur les bancs de l'école ceux qui, dans cette salle, sont économistes, à savoir que l'augmentation des prix de l'immobilier pouvait générer un effet de richesse, se vérifie et que la hausse de la valeur du logement que l'on occupe rende plus heureux. Cette analyse mériterait d'être reconsidérée car nous constatons de plus en plus que l'effet de la hausse des prix de l'immobilier est plutôt un effet défavorable sur l'accession à la propriété qu'un effet d'enrichissement.

Élaborer des prévisions de l'évolution du pouvoir d'achat en fonction des déciles de revenus est particulièrement complexe. Nous pouvons en revanche analyser les effets d'une évolution des prix relatifs sur les ménages selon leur situation et leur composition. Concernant la hausse du prix de l'énergie, les ménages les plus affectés sont naturellement ceux qui se chauffent au fioul et utilisent davantage leur véhicule à essence. La hausse du prix de l'énergie est plus spécifiquement défavorable aux ménages les moins aisés, aux seniors, aux personnes habitant dans des petites villes et dans des territoires ruraux. Ces éléments ne suffisent néanmoins pas à définir comment évoluera le pouvoir d'achat dans le futur car il nous faudra tenir compte de l'évolution des revenus.

Il est important de comprendre qu'en l'absence d'évolutions salariales et d'apparition de boucle prix-salaires, l'inflation que nous connaissons a pour unique origine la hausse des prix de l'énergie et des matières premières, qui se répercute sur les prix de vente au détail. C'est un phénomène mondial qui ne résulte pas d'un écart entre les salaires et le niveau de productivité, et qui n'implique pas de préoccupation particulière en matière de compétitivité ni n'appelle de réponse particulière en matière de rémunération.

Quant au bon niveau de rémunération du travail non qualifié, il est intéressant de constater une convergence des niveaux des salaires minima et des niveaux des salaires moyens ou médians dans les différents pays. Ceux qui avaient des salaires minima bas tendent à les augmenter et les pays comme la France où la situation est inverse ont tendu à la réduire par rapport au salaire moyen ou médian, et ont mené une politique de réduction des cotisations. La spécificité française concernant le niveau élevé du coût relatif du travail non qualifié est donc en voie d'atténuation.

Le produit intérieur brut a retrouvé, approximativement, son niveau d'avant-crise. Nous aurions pu, dans l'hypothèse où la crise n'aurait pas eu lieu, profiter d'environ 2 % de croissance en deux ans. Cet élément nous amène à considérer que le terrain perdu du fait de la crise approche donc 2 points. À l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance avait annoncé un chiffre s'élevant à 2,25 %, que je considérais un peu élevé. De plus, les ordres de grandeur se situent autour d'un point pour les secteurs durablement affectés par la crise – événementiel, tourisme –, ce qui laisse à penser que le terrain perdu s'élèverait plutôt à 1 point,

Je n'ai pas d'avis définitif concernant l'effet du télétravail sur la productivité, notamment car nous manquons encore de travaux « micro » et d'études sociologiques pour les apprécier. Nous avons aussi vécu une période où le télétravail était réalisé de manière contrainte ; nous commençons seulement à le déployer de manière organisée.

Nous n'observons pas, dans le cadre de nos enquêtes, de retrait de la population active vis-à-vis du marché du travail, au contraire de la situation observée aux États-Unis, malgré les débats actuels sur la reconsidération du rapport au travail dans la société. La coexistence d'un taux d'emploi élevé et d'un nombre important d'entreprises faisant part de difficultés pour embaucher constitue cependant un mystère. C'est une question sur laquelle nous devons travailler. Une hypothèse explicative réside dans le fait que nous avons connu une période durant laquelle il était aisé d'embaucher, ce qui amènerait les entreprises à surréagir face à leurs difficultés actuelles. Au reste, peu d'établissements ferment faute de main-d'œuvre, même dans les stations de ski. Une autre explication peut être trouvée dans le fait que de nombreuses aides ont été conçues, à raison, pour que les entreprises connaissant une baisse de leur niveau d'activité sauvegardent leurs emplois – je pense notamment aux secteurs concernés par l'activité partielle de longue durée. En conséquence, les entreprises exerçant dans des secteurs qui ne connaissent pas une baisse d'activité doivent recruter sur un marché du travail de taille plus réduite, en raison d'une moindre fluidité de circulation des salariés entre les différents secteurs d'activité.

L'enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages du mois de janvier, qui vient de paraître, indique que le moral des ménages est passé de 100 à 99. J'en retiens que les ménages perçoivent l'amélioration de l'état du marché du travail. Bien qu'il s'élève à 8 points, le taux de chômage n'est plus une préoccupation pour l'opinion publique ; cela peut nous étonner, dans la mesure où nous n'avons pas atteint le plein-emploi et où certains pays enregistrent de meilleurs résultats. Nous ne notons pas non plus d'alerte concernant la situation financière personnelle des ménages : les résultats sont légèrement au-dessus de la moyenne, malgré la recrudescence de l'inflation.

Enfin, je ne suis pas certain que le titre choisi par Les Échos soit le plus pertinent. Il est toutefois vrai que nous sortons d'une période durant laquelle l'inflation était durablement peu élevée.

Auparavant, ces questions d'ancrage des anticipations d'inflation, au cœur des discours des banques centrales, ne posaient pas réellement de difficultés. Désormais, la façon dont les entreprises vont modifier leurs étiquettes ou les salariés se conduire au cours des négociations salariales dépendra, de façon cruciale, de l'impact de ce choc d'inflation – plutôt ponctuel initialement et lié aux matières premières, à l'énergie ou difficultés d'approvisionnement – sur les anticipations du régime d'inflation à venir. C'est en ce sens que nous pouvons avoir un phénomène autoréalisateur.

À propos de la grande pauvreté, nous avons fait une enquête sur le terrain auprès des bénéficiaires de l'aide alimentaire et avons posé des questions sur ce sujet au cours de nos enquêtes auprès des ménages. Il me semble que nous allons aussi publier prochainement des statistiques sur le sujet, avec le profil des bénéficiaires de l'aide alimentaire. Je constate que, si la pauvreté n'a pas l'air d'avoir augmenté au niveau macroéconomique, les associations sur le terrain expriment des inquiétudes. La conjecture suivante peut probablement être faite : ceux qui étaient déjà pauvres ont dû subir une précarité croissante depuis le début du confinement.

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