La sécurité énergétique est au cœur du mandat de l'Agence internationale de l'énergie, créée en réponse à la crise pétrolière des années 1973 et 1974.
Depuis plusieurs mois, les prix du gaz, du pétrole et de l'électricité sont extrêmement volatils et ont atteint des sommets historiques. Nous avons connu un premier épisode d'énergie chère à l'automne, très lié à la reprise économique mondiale. La croissance du PIB mondial a atteint 6 % et poussé la demande à la hausse alors que l'offre ne suivait pas forcément. La pandémie a laissé des traces sur les infrastructures et les chaînes d'approvisionnement sont bousculées. Cela a créé des tensions à travers le monde.
Cette situation a été compliquée par des conditions météorologiques parfois extrêmes. Dans certaines régions du monde, des inondations ont restreint la production habituelle d'énergie. Dans d'autres, comme au Brésil ou en Chine, ce sont des sécheresses, qui ont entraîné une production hydroélectrique plus faible. Ces pays ont donc demandé plus de gaz.
En Europe, l'hiver 2020-2021 a été relativement rigoureux et ce sur une plus longue période qu'habituellement. En conséquence, les stocks de gaz ont été particulièrement entamés. Or, au cours de l'été, le contexte de forte demande mondiale a retardé le processus de reconstitution des stocks, d'autant que la production de gaz naturel liquéfié (GNL) a plutôt été orientée vers l'Asie, où les prix sont plus élevés et la demande plus forte.
Le deuxième épisode est une crise principalement européenne. L'Europe est au cœur de tensions liées aux incertitudes sur le niveau d'approvisionnement, notamment l'approvisionnement par le gaz russe, puisque la Russie est le principal fournisseur de l'Europe. En conséquence, au mois de décembre 2021, le prix du gaz était six fois plus élevé qu'au mois de juin précédent. Cette hausse de prix s'est ensuite transmise aux prix de l'électricité, le prix du mégawattheure étant, sur le marché européen, établi en fonction de son coût marginal de production : en cas de pic d'activité, les centrales au gaz sont appelées en dernier pour répondre à ce pic. Ces effets en cascade ont conduit à des prix très élevés.
Depuis le mois de décembre dernier, nous constatons une petite détente grâce à des afflux de GNL depuis les États-Unis. Ils restent cependant très inférieurs à ce que pourrait fournir la Russie. Or, par rapport au quatrième trimestre de l'année 2020, la Russie a réduit ses livraisons de gaz à l'Europe de 25 %. Certes, elle a rempli ses obligations contractuelles, mais les gazoducs ne sont pas remplis au maximum alors que les prix sont très élevés. Il y a eu des problèmes sur quelques pipelines, mais également une demande très forte de gaz en Russie, en lien avec la reprise économique. Néanmoins, les tensions géopolitiques et économiques sont les facteurs principaux avec la crise ukrainienne, le projet de pipeline Nord Stream 2 et la question des contrats à long terme que la Russie souhaite conserver, à l'inverse de Bruxelles.
Nos analyses montrent que la Russie pourrait augmenter d'un tiers ses livraisons de gaz, ce qui équivaut à environ trois millions de mètres cubes supplémentaires. Cela représente environ 10 % de la consommation de gaz mensuelle en Europe. Le cas échéant, cela compléterait les livraisons complémentaires de gaz naturel liquéfié (GNL) et permettrait une détente durable des marchés du gaz. La leçon de cette crise est que l'Europe s'est insuffisamment préoccupée de ses stocks de gaz pour se préserver de l'influence d'un seul pays sur son approvisionnement. Pour le pétrole, la réglementation européenne impose un minimum de stocks ; il serait envisageable d'appliquer ce mécanisme au gaz – de telles règles existent déjà pour le gaz en France.
Voilà pour la crise actuelle.
S'agissant désormais des aspects plus prospectifs, un élément particulièrement intéressant concerne la transmission de la volatilité du prix du gaz à l'électricité. Selon nos analyses à plus long terme, à l'horizon de l'année 2030, les niveaux de prix du pétrole et de l'électricité resteront liés. Elles se fondent sur une série de scénarii.
Le premier scénario repose sur les engagements environnementaux pris en amont de la COP26, notamment la neutralité carbone de l'Union européenne ou celle, à horizon 2060, de la Chine. En Europe, le pacte vert à l'horizon de l'année 2030 va se traduire par une augmentation de la demande d'électricité d'environ 20 %, tandis qu'il sera répondu à la demande aux deux tiers par les énergies renouvelables.
Quel est l'impact pour le gaz ? Le parc installé devrait diminuer de 20 %. En revanche, les unités pilotables vont devoir s'adapter à des fluctuations plus fortes de la demande mais également de l'offre, qui résultera plus d'énergies renouvelables intermittentes et variables. Le gaz s'effacera lorsque le soleil brille ou que le vent souffle, mais devra compenser des conditions météorologiques moins favorables, et ce de manière plus fréquente. L'usage du gaz devrait donc rester important.
Mon deuxième message porte sur les risques structurels des engagements européens qui font état d'une neutralité carbone totale à l'horizon 2050. Les investissements actuels en pétrole et en gaz sont plutôt calibrés sur une demande stagnante, puis décroissante. Il ne devrait pas y avoir de nouveaux investissements dans les carburants fossiles au-delà de ce qui a déjà été approuvé. Or le déficit est important en matière d'investissements bas carbone : il conviendrait de multiplier par trois ces investissements au cours de la présente décennie. Si de tels investissements devaient encore être reportés, nous nous retrouverions encore dans une situation d'instabilité et de turbulences en matière de prix.
Mon dernier message concerne les prix aux consommateurs. Actuellement, un « ménage type » au niveau mondial dépense environ 1 200 dollars américains par an pour répondre à ses besoins énergétiques. Or une moindre dépendance aux énergies issues de sources fossiles doit protéger les consommateurs des chocs. Dans un scénario inertiel qui repose sur une poursuite de l'utilisation intensive d'énergies fossiles, nos analyses montrent qu'une hausse de 15 % de la facture énergétique des ménages serait à prévoir. En revanche, une trajectoire compatible avec la neutralité carbone ferait baisser cette même facture de 10 %, grâce à une moindre dépendance aux hydrocarbures et une meilleure efficacité énergétique. Selon nos calculs, un choc de prix sur les marchés mondiaux du gaz serait atténué de 30 % dans un scénario bas carbone. Bien évidemment, cette transition a un coût certain. Un accompagnement par les pouvoirs publics est donc indispensable, notamment un accompagnement des ménages les plus modestes.