En ce qui concerne la possibilité d'un blocage des prix et d'une sortie de la logique de marché, un bouclier a effectivement été mis en place pour protéger les consommateurs, ce qui a permis – la comparaison avec les pays voisins le montre très clairement – la hausse des prix par rapport à la situation d'avant la crise. Nous ne préconisons pas de distordre la concurrence dans une situation normale. À long terme, ce sont effectivement des signaux prix clairs et non volatils qui détermineront le sens des investissements, et principalement des signaux émis par les pouvoirs publics, telle la mise en place d'une tarification carbone qui signalera une préférence pour les sources non carbonées. Les instruments mis en œuvre pour protéger le consommateur face à une conjoncture particulière n'entrent pas dans notre mandat ; il s'agit là d'un mandat de politique économique. Du point de vue des marchés de l'énergie, pérenniser de telles logiques contrarierait une visibilité de long terme en vue de la transition énergétique.
Quant à sortir d'une logique de marché, le système énergétique est finalement moins exposé qu'on ne le pense à une telle logique. Ainsi, moins de 5 % des investissements dans les infrastructures énergétiques, les réseaux de gaz et d'électricité, se font en étant exposés directement au marché ; à hauteur de 95 %, c'est le fait d'entreprises d'État, ou ce sont des investissements protégés des règles de marché par des réglementations diverses édictées par l'État ou les organismes supranationaux. Les mesures de soutien aux énergies renouvelables en sont des exemples. Ainsi, la plupart des investissements sont régulés.
M. Castellani m'interrogeait sur notre scénario « net zéro », dans lequel l'électricité est vraiment au cœur de la transition énergétique. D'une part, la demande d'électricité pour la mobilité et pour décarboner certains secteurs qui reposent aujourd'hui sur des combustibles très émetteurs sera de plus en plus forte. Si elle n'est pas accompagnée d'une mutation complète de la manière dont on produit l'électricité à travers le monde, nous allons reporter les émissions, par exemple de la mobilité, vers le secteur électrique si l'électricité est produite à partir du charbon.
Quel est le degré de réalisme de ces projections ? Notre but, ce n'est pas de prédire ce qui se passera. Nous indiquons ce qu'impliquent nos engagements : si nous visons vraiment la neutralité carbone à l'horizon 2050, alors le charbon ne doit plus être utilisé pour la production d'électricité en 2040 au niveau mondial, et bien plus tôt pour les économies avancées. Cela implique que le gaz naturel, lui aussi émetteur, pourra être employé dans une période de transition, notamment en remplacement du charbon dans les grandes économies d'Asie, mais qu'il doit aussi disparaître. Cela implique, à l'inverse, un déploiement sans précédent des sources bas carbone, en particulier l'éolien et le solaire, qui représenteront presque 70 % à eux seuls de la production d'électricité mondiale. Il ne s'agit pas de dire que c'est ce qui se passera, il s'agit de montrer quels sont les défis qui en résultent, qu'il s'agisse des chaînes de production de panneaux solaires, de la recherche-développement relative aux batteries, des besoins en flexibilité, multipliés par quatre. Ce sont ces besoins et ces opportunités que nous anticipons grâce à ce scénario, et par comparaison avec les autres scénarios.