Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 26 janvier 2022 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre :

Je confirme que l'augmentation de la croissance ne suffira pas à réduire la dette et à rétablir les finances publiques. En revanche, nous avons opéré une véritable révolution copernicienne, en disant que la meilleure façon de restaurer les finances publiques est d'abord d'investir et de retrouver de la croissance. C'est l'enseignement que nous avons tiré des erreurs que nous avons commises, comme tous les États européens, en 2010-2011 : on s'est précipité pour restaurer les finances publiques, on a cassé la croissance et on a fait exploser la dette autant que le chômage. Dix ans plus tard donc, nous insistons sur la nécessité d'investir et de soutenir la croissance, car c'est la meilleure façon d'engager la réduction des dépenses et la restauration des finances publiques. Je suis frappé de voir, chiffres à l'appui, combien cette stratégie a été efficace : cela permet d'avoir plus de recettes, donc de réduire le déficit et la dette publics.

Nous avons gagné cette bataille idéologique en Europe. Il y a deux ou trois ans, les pays « frugaux » avaient le vent en poupe, et voulaient impérativement commencer par rétablir les finances publiques – pour la croissance, on verrait plus tard. Or les Pays-Bas, qui étaient à leur tête, viennent d'annoncer un plan d'investissement de 75 milliards d'euros. Quittant le camp des frugaux, ils ont rejoint tous ceux qui, en Europe, estiment qu'il faut investir pour avoir davantage de croissance. L'Allemagne, sous l'autorité du chancelier Olaf Scholz, précédemment ministre des finances, a indiqué engager 60 milliards d'euros d'investissements supplémentaires. La bonne nouvelle est que l'immense majorité des États européens se retrouve autour de l'idée qu'il faut d'abord plus de prospérité et que la restauration des finances publiques doit suivre. C'est un changement systémique, dans lequel la France a joué un rôle important.

Beaucoup d'entre vous m'ont interrogé sur la question de l'énergie. Prenons la mesure de ce qui se passe : le choc énergétique gazier de 2021 est comparable, dans sa brutalité, au choc pétrolier de 1973. Il ne faut pas le prendre à la légère, pour les consommateurs comme pour les entreprises. La responsabilité du Gouvernement était d'anticiper ce choc et de prendre les décisions de court et de long termes qui étaient nécessaires. C'est ce que nous avons fait avec le Premier ministre. Oui, ce sont des décisions difficiles – pour les finances publiques et pour EDF – mais elles sont responsables et nécessaires.

Nous avons commencé par instaurer certaines protections. Pour vous donner une illustration, le coût moyen du choc gazier sur la facture de gaz d'un Français serait spontanément de 900 euros par an. Et comme il a des répercussions sur le prix de l'électricité, puisque ce dernier est hélas indexé sur le coût marginal de production du mégawattheure par le gaz, son coût moyen serait de 350 euros par an sur la facture d'électricité, soit une hausse de 35 %. Un ménage modeste ne peut pas supporter une telle augmentation ; un boulanger, un restaurateur, un entrepreneur du bâtiment, un coiffeur ou une usine électro-intensive comme Aluminium Dunkerque non plus.

Aluminium Dunkerque avait commencé à réduire sa production d'aluminium de 13 %, et envisageait d'aller jusqu'à 50 %. L'aluminium qu'elle produit est utilisé pour la construction des voitures de Stellantis : voilà comment l'augmentation du coût de l'énergie se répercute sur le consommateur lors d'un achat de voiture. Tout cela nous aurait menés tout droit à une crise sociale et économique. Pour la prévenir, nous avons pris, avec le Président de la République et le Premier ministre, les mesures dont j'ai parlé : indemnité inflation, chèque énergie, gel du prix du gaz et plafonnement de la hausse du prix de l'électricité à 4 %. L'engagement pris par le Premier ministre a été tenu. C'est le propre de cette majorité de tenir ses promesses.

L'État a d'abord renoncé à la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, qui a été ramenée de 25 euros par mégawattheure à… 50 centimes, soit le plus bas qu'autorisent les textes européens. Que l'on ne nous dise pas que l'État n'a pas baissé les taxes sur l'énergie ! En agissant massivement, en renonçant à 8 milliards de recettes fiscales sur l'énergie, il est allé au maximum de ce qu'il pouvait faire.

On nous dit qu'il aurait fallu baisser aussi la TVA, mais cela aurait été insuffisant pour combler le surcoût qu'il restait à payer ! Les ménages auraient vu leur facture augmenter de plus de 4 %, ce qui n'était pas conforme à l'engagement du Premier ministre. Quant aux entreprises, elles n'acquittent pas la TVA sur l'électricité : la baisse de la TVA n'aurait aucun effet sur la crise économique – elle ne règle rien au problème des très petites entreprises, ni des électro-intensifs, ni des industriels, ni des hyper-électro-intensifs…

Je le dis à tous les responsables politiques, à tous les responsables syndicaux qui m'ont réclamé des mesures massives sur la baisse du prix de l'électricité, parce que des milliers d'entreprises étaient menacées : nous vous avons entendus ; mais si vous venez expliquer dans le bureau du ministre qu'il faut protéger les entreprises contre la flambée des prix de l'électricité, n'allez pas critiquer en public la décision qu'il prend visant EDF !

Nous, nous sommes cohérents : nous avons pris les décisions nécessaires pour qu'entreprises et ménages soient protégés. Nous avons ainsi décidé de porter le volume de tarif d'électricité à prix réduit de 100 à 120 térawattheure. Est-ce un effort financier important pour EDF ? Oui. Est-ce son rôle, comme grand service public, de protéger les consommateurs comme les entreprises ? Pour moi, la réponse est oui ; c'est le rôle d'un grand service public de l'électricité de le faire, devant un choc aussi important. Les fournisseurs vont-ils s'en mettre dans les poches au détriment d'EDF ? Non, trois fois non. Je le dis aux salariés et aux représentants d'EDF qui nous écoutent : nous ferons en sorte que l'intégralité de la baisse aille dans la poche des consommateurs finaux – ménages ou petites entreprises.

La répercussion sera intégrale, immédiate et automatique pour tous les particuliers et pour 1,5 million de très petites entreprises, soit 90 % du volume concerné. Pour les 10 % restants, nous nous assurerons que les fournisseurs répercutent bien l'intégralité de la baisse sur le consommateur final. Nous avons demandé à la Commission de régulation de l'énergie de vérifier, contrat par contrat, entreprise par entreprise, la réalité de la répercussion de la baisse des coûts.

Nous demandons un effort à EDF, mais nous sommes à ses côtés, avec ses salariés. Nous soutenons cette grande entreprise de l'électricité qu'est EDF et ne voulons certainement pas que les fournisseurs puissent bénéficier des décisions que nous avons prises. Ce soutien passe aussi par les décisions de long terme du Président de la République : la construction de nouveaux réacteurs nucléaires offre des perspectives de développement à l'entreprise comme elle n'en a pas eu depuis des décennies. Si l'État demande un effort à EDF, c'est au seul nom de l'intérêt général. Nous lui sommes reconnaissants, nous lui apporterons tout le soutien nécessaire et nous lui offrons des perspectives de développement.

Laurent Saint-Martin m'a interrogé sur la charge de la dette. Vous connaissez les chiffres : 1 point de taux d'intérêt en plus, ce sont 3,6 milliards supplémentaires de charge de la dette sur un an, 30 milliards sur dix ans. C'est la raison pour laquelle il faut restaurer les finances publiques et être rigoureux dans la manière dont nous réduisons la dette publique, avec une méthode et un calendrier précis ; cela évite de payer des frais excessifs. Nous n'avons pas de crainte, car nous avons anticipé ce retour à la normale, en nous fondant sur un taux d'intérêt à 0,75 % dans le projet de loi de finances pour 2022 que vous avez voté. Nous sommes à 0,3 %, en ligne par rapport à nos anticipations.

S'agissant de la relance, les 72 milliards d'euros en autorisations d'engagement se décomposent en 25,5 milliards sur l'écologie, 20,3 milliards sur la compétitivité des entreprises et 26,2 milliards sur la cohésion.

Quant au calendrier du programme de stabilité, c'est une excellente question de Laurent Saint-Martin – ce qui ne me surprend pas ! −, mais il est difficile d'y répondre, car il y a collision entre la présentation du PSTAB et les élections présidentielles. Nous devons trouver le calendrier le plus respectueux de la démocratie.

Alexandre Holroyd m'interroge sur le pacte de stabilité et de croissance. Nous avons engagé des discussions avec nos partenaires européens lors du premier conseil des ministres des finances de l'année, il y a une dizaine de jours, et avons échangé avec tous les États membres. Un consensus se dégage sur la nécessité de trouver un équilibre entre investissement et rétablissement des finances publiques. Je ne sais pas si nous arriverons à définir un cadre commun d'ici la fin de la présidence française, mais le débat est déjà bien posé – personne n'explique d'emblée qu'il faut revenir à la seconde sous les 3 % de déficit public, personne ne plaide pour continuer à dépenser sans réfléchir. Les Vingt-Sept s'interrogent sur les meilleurs moyens de rester dans la course technologique par rapport aux États-Unis et à la Chine, tout en demandant à chaque État membre de définir une trajectoire de désendettement et de déficit crédible.

Madame Louwagie, je vous ai répondu sur la facture énergétique et sur les taux. Quant aux prix des matières premières, ils varient beaucoup. Le prix du bois a ainsi pu flamber jusqu'à + 300 % mais les choses sont revenues à la normale. Les effets sont brutaux, mais nous n'envisageons pas, pour le moment, d'impact structurel sur la croissance pour 2022. Je le dis avec prudence, notamment s'agissant des prix de l'énergie, exposés de surcroît à des risques de soubresauts géopolitiques qui n'ont échappé à personne.

Pour rétablir notre balance commerciale, monsieur Laqhila, nous devons trouver de nouveaux marchés à l'étranger, poursuivre la montée en gamme déjà entamée pour certains produits français, avec des produits plus innovants et intégrant plus de valeur, et enfin créer de nouvelles chaînes de valeur – c'est ce que nous faisons avec l'hydrogène, les semi-conducteurs ou les biotechnologies. Nous devons aussi, et cela recoupe une question posée par M. de Courson, améliorer notre indépendance énergétique en développant de nouvelles énergies renouvelables et de nouveaux réacteurs nucléaires.

La réindustrialisation passe à la fois par la défense de nos atouts industriels classiques et par l'investissement dans de nouvelles chaînes de valeur. Certains secteurs sont en pleine disruption : dans l'industrie automobile, la nature même de l'objet automobile est en train de changer, le software devenant plus important que le hardware. Ainsi, ce qui fait le succès de Tesla, ce sont ses équipements électroniques – ils ne sont pas considérés comme accessoires, c'est la voiture qui est construite autour. Notre industrie doit intégrer ces changements radicaux, révolutionnaires, si elle veut réussir au XXIème siècle.

Monsieur Bricout, les PGE ont bénéficié à plus de 80 % aux PME et TPE. Ils ont donc été ciblés correctement. Quant au ruissellement, puisque nous approchons de la fin de quinquennat – nous avions eu à son début des débats homériques sur le sujet avec Jean-Luc Mélenchon – je le redis : je ne crois pas au ruissellement. Regardez ce que nous avons fait pendant la crise : ce n'est pas du ruissellement, puisque c'est allé directement dans les poches des salariés ! Nous avons dépensé 35 milliards pour éviter le chômage aux salariés ; nous avons revalorisé la prime d'activité et mis en place des primes défiscalisées, la défiscalisation des heures supplémentaires et celle des pourboires ; nous avons baissé l'impôt sur le revenu pour les premières tranches, soit 5 milliards d'euros pour les salariés aux revenus modestes ; nous protégeons les ménages contre la flambée des prix de l'électricité, à hauteur de 15,5 milliards. C'est le contraire du ruissellement, c'est un barrage contre les chocs !

On peut débattre de notre politique économique, notamment de son volet relatif à l'offre, mais je réfute catégoriquement l'idée selon laquelle nous aurions cru au ruissellement – donner aux uns en pensant que cela va aller aux autres. Au contraire, nous avons protégé tout le monde, sans exception, pendant la crise.

Madame Magnier, je vous ai répondu sur l'énergie et c'est Olivier Dussopt qui parlera des collectivités territoriales.

Monsieur Zumkeller, je confirme mes propos sur les réformes de fond et vous ai répondu sur les montants que vous souhaitiez voir rappelés.

Notre estimation de croissance est-elle trop optimiste, monsieur de Courson ? Ce qui est un fait indiscutable, c'est que la France est un des pays de la zone euro qui est revenu le plus vite à son niveau d'activité d'avant crise, avant l'Allemagne, avant l'Italie et avant d'autres grands pays. Même si l'on estime qu'il ne s'agit que d'un rattrapage, ce doit être un motif de fierté collective car nous avons été plus rapides que les autres dans le rétablissement de notre économie. C'est la preuve que nous l'avons à la fois bien protégée et bien relancée.

Regardez ailleurs en Europe. Certains pays que je ne citerai pas connaissent des retards à l'allumage sur leur plan de relance et n'ont quasiment rien décaissé. Résultat : la croissance n'est pas au rendez-vous et les gens sont mécontents. En France, nous avons déjà engagé 72 milliards sur 100. Ce doit être un motif de fierté collective.

Quant à la compétitivité des entreprises, la balance commerciale n'est à mon sens pas le bon indicateur, à cause du poids de l'énergie. Il convient plutôt d'analyser le taux de marge : il était de 31 % en 2018 et approche les 34 % en 2021, après un choc lié à la crise. Nous avons donc restauré la marge des entreprises. La compétitivité se rétablit peu à peu. Même si cela prend du temps, nous sommes dans la bonne direction.

Monsieur Coquerel, je maintiens que la politique de l'offre est celle qui va permettre – et permet déjà – la réindustrialisation et la création d'emplois. Nous avons créé un million de nouveaux emplois au cours du quinquennat : ce devrait être un motif de satisfaction collective. Il ne faut pas caricaturer la politique économique que nous avons menée. La crise a bien illustré que nous sommes capables de faire évoluer certaines de nos positions pour prendre en considération la situation de tous les Français.

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