S'agissant de l'inflation, les banquiers centraux doivent faire preuve d'une grande modestie. Nous vivons une situation sans précédent qui nous a tous surpris. Il y a un an, l'inflation atteignait -0,3 % dans la zone européenne. Aucun d'entre nous ne pouvait présager la « bosse » d'inflation que nous connaissons désormais. Cette dernière est plus haute et plus longue que prévu. Nous en préciserons le calendrier en mars 2022, lors de nos prochaines prévisions. Néanmoins, j'ai confirmé le caractère temporaire de cette inflation, car deux des facteurs cités, la crise de l'énergie et les tensions sur l'approvisionnement, ne perdureront pas. Si les prix de l'énergie demeurent à ce niveau élevé, cette composante disparaîtra mécaniquement de l'inflation, car nous nous comparons au niveau de l'année précédente. Il s'agit d'un élément fort de décrue de l'inflation. À propos des tensions d'approvisionnement, elles semblent durer plus longtemps que prévu. Toutefois, lorsque nous interrogeons les chefs d'entreprise sur la durée de ces tensions, tous s'accordent pour évoquer une période de quelques mois à un an maximum.
Vous avez mentionné la question salariale. Il ne revient pas à la banque centrale de donner des consignes concernant une éventuelle augmentation des salaires. Dans certains secteurs, une hausse salariale serait justifiée. Cependant, ces éléments relèvent de la négociation décentralisée par branche et par entreprise. S'il devait exister un enchaînement prix/salaires — ce que nous ne constatons pas aujourd'hui en France ou en zone euro —, nous serions amenés à réagir plus fortement sur le plan de la politique monétaire. En effet, une telle spirale ne serait dans l'intérêt de personne.
Concernant la politique monétaire, je ne crois pas avoir changé d'avis quant aux instruments existants. La BCE, comme ses grandes homologues mondiales, a montré sa capacité d'adaptation à des situations nouvelles. Toutefois, nous devons faire preuve de pragmatisme quant au changement des données réelles sur l'inflation. En effet, nous nous dirigeons vers une normalisation progressive. Je resterai totalement pragmatique quant au rythme de cette normalisation qui sera déterminé par les données observées sur l'inflation et l'analyse économique réelle.
Vous avez soulevé la question des nouvelles formes de monnaie. À mon sens, le terme « monnaie » n'est pas approprié concernant des actifs privés ou cryptoactifs. Je note les évolutions du projet Libra. Ces cryptoactifs comportent une part de progrès technologiques bienvenus autour de la blockchain, sur laquelle nous devons rester ouverts, tandis que les risques et dangers devront être régulés. Je ne crois pas que ces actifs puissent durablement prétendre au statut de cryptomonnaie ou de monnaie. Personne n'en est responsable, ils ne sont pas universellement acceptés et leur valeur reste extrêmement volatile.
Sur les règles de Maastricht, la négociation relève des autorités politiques et elle prendra du temps. Il paraît toujours souhaitable d'avoir des règles. Ce phénomène peut contribuer au désendettement de notre pays. Cependant, ces règles doivent être plus simples, mieux partagées et plus crédibles, en particulier celles qui concernent les normes de dépense. La discussion en Europe se focalise toujours sur les budgets. Lorsque je regarde notre union économique et monétaire, nous disposons d'une coque centrale avec la BCE et la politique monétaire. Il nous manque deux flotteurs latéraux : d'une part, un flotteur public, correspondant à une capacité budgétaire commune ‑ en effet, il serait opportun pour l'Europe d'évoluer vers des règles budgétaires nationales dont nous avons besoin ‑ ; d'autre part, un flotteur privé, à ce jour sous-développé, permettant de mieux mutualiser l'épargne des Européens. Cela constituerait un stabilisateur puissant, dans le cadre de l'union des marchés de capitaux et des marchés bancaires. Je souhaiterais que la discussion des Européens mette autant d'énergie sur ce flotteur privé que sur les règles du pacte de stabilité. Toutefois, il ne s'agit pas du seul sujet que nous avons à traiter pour renforcer la zone euro.