Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mardi 8 février 2022 à 18h20
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France :

L'inflation aux États-Unis est plus forte qu'en zone euro. Elle est respectivement de 7 % et de 5,1 %. L'inflation sous-jacente, hors énergie, est supérieure à 5 % aux États-Unis et demeure proche de 2 % en zone euro. La composante énergétique pèse plus lourdement sur la zone euro. Cependant, l'inflation de base est aujourd'hui très forte aux États-Unis. Les tensions salariales y sont également plus importantes. Par ailleurs, l'inflation s'avère être largement un problème d'offre en Europe. Aux États-Unis, il s'agit, en partie, d'un sujet d'excès de demande, notamment de biens. Cette demande est supérieure à la période pré-Covid-19. Au-delà de ces éléments, je ne commenterai pas la politique de la Fed. Néanmoins, ces éléments expliquent que les États-Unis et le Royaume-Uni doivent réagir plus fortement et plus rapidement que la BCE.

La politique monétaire des mois à venir ne serait pas plus contraignante, mais moins accommodante. Nous sortons d'une période de politique monétaire exceptionnellement accommodante avec des taux négatifs, des liquidités fournies à moyen terme aux banques, et une forward guidance qui apportait des indications sur l'avenir. Il s'agit de réduire ce phénomène de manière progressive.

Concernant la pénurie de main-d'œuvre, la réponse salariale peut être une mesure, notamment dans les secteurs ayant un problème d'attractivité. Dans les secteurs où il existe avant tout un problème de compétences, relever les salaires ne modifiera pas cette situation à court terme. Il est important de demeurer décentralisé, de renvoyer à une négociation par branche au plus près de la réalité économique et sociale. Le Gouvernement a choisi d'indexer le SMIC sur l'inflation plus une part du gain du pouvoir d'achat du salaire moyen. C'est une façon de protéger le pouvoir d'achat et de préserver la compétitivité des entreprises.

Je ne dispose pas encore d'éléments sur le non-recours au dispositif de protection contre le surendettement. Nous travaillons sur un certain nombre de pistes, dont le développement du micro-crédit.

La formation ne constitue pas un sujet nouveau. Il existe des actions à temps de retour plus ou moins rapide concernant les jeunes. L'apprentissage représente une solution rapide. En deux ans, un apprenti est formé. La réforme de l'apprentissage au travers de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 prend cette direction. Toutefois, la France n'atteint pas son potentiel. Pour dix jeunes en apprentissage en Allemagne, ils ne sont que six en France. Par ailleurs, la formation professionnelle s'applique à l'ensemble des adultes. Or le compte personnel de formation (CPF) représente un formidable succès populaire. Il convient de conserver l'équilibre général et de réorienter le CPF vers les besoins en compétences des entreprises. Enfin, le meilleur investissement que nous pourrions réaliser est celui de l'éducation. Cependant, un bon système éducatif fournit des résultats au bout d'une génération. Ce sujet demeure central. Il n'existe pas de réformes plus urgentes que celles qui augmentent les compétences et les qualifications. Elles vont dans le sens de la bataille économique et de l'égalité des chances sur le plan social.

L'allongement de six à dix ans de la durée de remboursement des PGE est une mesure par exception, au cas par cas pour les entreprises rencontrant des difficultés sérieuses de remboursement. Nous pensons que moins de 5 % des entreprises se trouvent dans cette situation. Les dossiers à moins de 50 000 euros seront traités par la médiation du crédit. Le dispositif des conseillers départementaux accompagnant les entreprises en sortie de crise, mis en place sous l'égide du ministère de l'économie, des finances et de la relance et de Gérard Pfauwadel, prendra en charge les dossiers dépassant 50 000 euros. À ce jour, je n'ai pas le sentiment que nous soyons débordés par les dossiers déposés. J'ai toutes les raisons de penser que ce dispositif fonctionnera. La réglementation française et européenne nous obligera à constater le défaut et à restructurer l'ensemble des dettes des entreprises faisant exception.

La normalisation de la politique monétaire fait le charme du métier de banquier central. Il n'existe pas de science totalement exacte. Nous devons trouver l'équilibre et agir au bon rythme. Il convient de normaliser la politique monétaire face à une situation d'inflation. Pendant dix ans, avant le choc de la pandémie, nous avons regretté l'absence d'inflation avec une sorte d'anémie de l'économie. C'est dans ce cadre que nous avons instauré des instruments exceptionnels. Après la « bosse », nous ne reviendrons pas à l'inflation faible qui a précédé la pandémie. Nous atteindrons un taux cible de 2 %. Ce nouveau régime d'inflation constitue un meilleur équilibre. Il s'agit de trouver le rythme adéquat et d'éviter les chocs redoutés. À très court terme, il pourra exister des réactions excessives des marchés qui, nous le savons, peuvent être amplificateurs. Nous ne sommes pas à la veille d'une crise de la zone euro, y compris en Italie, car nous disposons de la solidarité européenne à travers le paquet budgétaire Next Generation EU de 750 milliards d'euros. La politique budgétaire évoquée par le président Éric Woerth a joué de manière solidaire aux côtés de la politique monétaire pour renforcer l'unité de la zone euro. En outre, l'Italie semble accélérer sur la voie des réformes avec M. Mario Draghi.

Je n'ai pas connaissance des chiffres cités sur la question du désendettement. La distinction entre une dette Covid-19 et pré-Covid-19 n'est pas opérante face à nos prêteurs. Notre dette correspond à 115 % du PIB. Le passage de 100 % à 115 % du PIB durant la crise Covid-19 était légitime. En revanche, rester à 115 % du PIB ne serait pas légitime. Je partage avec vous un calcul simple : dans l'hypothèse où l'ensemble des taux d'intérêt remonterait de 1 %, la charge de la dette, c'est-à-dire le coût des intérêts sur la dette, aurait augmenté de 39 milliards d'euros d'ici dix ans. Nous ne pouvons pas parier l'avenir sur le maintien des taux d'intérêt actuels. Nous devons nous fixer l'objectif de revenir au modèle prè-Covid-19, sous la barre des 100 % du PIB, d'ici dix ans. Il s'agit d'un impératif réaliste. En effet, cela suppose de combiner trois ingrédients : le temps, la croissance, la maîtrise et l'efficacité sur les dépenses publiques. Je crois profondément au modèle social et environnemental européen. Ce modèle nous coûte nettement plus cher qu'à nos voisins. Nous avons les dépenses publiques en pourcentage du PIB les plus élevées d'Europe et de tous les pays avancés. Il ne s'agit pas de basculer dans une austérité, mais de tendre enfin vers une stabilisation. Hors Covid-19, nous pouvons tendre vers une croissance en volume de la dépense publique de 0,5 %, voire 0 %, ce qui permettrait de réduire notre dette de 115 % du PIB à 100 % du PIB en dix ans.

La Banque de France ne détermine pas la formule de calcul du livret A : ce rôle est dévolu au Gouvernement. La formule appliquée au 1er février 2022 relevait d'un choix du Gouvernement opéré en 2018. La formule donnait un taux de 0,8 %. J'ai pris la liberté de proposer de l'arrondir à 1 %, ce qui n'est certes pas suffisant au regard de l'inflation. À l'inverse, le livret d'épargne populaire est protégé contre l'inflation : son taux a été fixé à 2,2 %. L'usage de ce livret, dont le plafond peut atteindre 7 700 euros, s'avère sous-développé. Il est accessible à 15 millions de Français non imposés ou faiblement imposés. Or seule la moitié d'entre eux dispose d'un livret d'épargne populaire. Il s'avère nécessaire de développer ce produit.

Nous avons un point d'accord total concernant l'importance de l'usage de la monnaie fiduciaire. Il s'agit bien d'un instrument de cohésion nationale et de confiance dans la monnaie. La monnaie fiduciaire doit être accessible à tous avec une égale qualité d'accès, de disponibilité et de sécurité. La Banque de France n'a pas encouragé la diminution de la disponibilité des espèces. Les Français choisissent de moins les utiliser. Je constate avec vous, et je ne m'en réjouis pas, que la part des espèces dans les transactions diminue. Dès lors que les Français font ce choix, notre rôle consiste à maintenir un accès aux espèces. Cependant, les agents de la Banque de France ne peuvent rester en attente de billets qui n'arrivent pas. Par conséquent, nous fermons 14 caisses. Cette fermeture sera accompagnée d'un plan social qui a été salué pour sa générosité. Il a été conclu grâce à l'engagement des organisations syndicales majoritaires de la Banque de France. Par ailleurs, je demeure sensible à la disponibilité des distributeurs. Nous en surveillons la quantité et publions un rapport, chaque année, qui indique une petite érosion du nombre de distributeurs, essentiellement concentrée dans les villes et non en milieu rural. En outre, les transporteurs de fonds privés assureront leur part dans la chaîne de diffusion. Chacun réalise des efforts face au recul de l'usage de la monnaie fiduciaire par les Français. Pour toutes ces raisons, la Banque de France soutiendra toujours les espèces. Nous continuerons de produire de la monnaie fiduciaire en Auvergne, avec l'appareil de production le plus fort d'Europe. Cette monnaie sera distribuée sur tout le territoire par la Banque de France et les autres acteurs de la filière.

Les facteurs de l'inflation que nous subissons ne se situent pas au niveau monétaire. Ils sont très largement liés à l'énergie, dont les fluctuations de prix sont dues aux tensions géopolitiques que nous connaissons. Cela explique la durée et l'intensité de la « bosse » d'inflation. Les phénomènes d'offres consécutifs à la crise du Covid-19, notamment ceux du gaz de schiste aux États-Unis, y contribuent également. Or la demande mondiale est repartie plus rapidement que prévu. Les difficultés d'approvisionnement constituent également un facteur de l'inflation. Nous pourrions aussi citer un facteur salarial.

Effectivement, la politique monétaire peut jouer un rôle à plus ou moins long terme sur l'inflation. C'est ainsi que je formule une garantie de stabilisation autour de 2 %. Le Conseil des gouverneurs décidera des actions à mener au regard de cette garantie. Nous avons été clairs quant à la séquence de normalisation, qui sera particulièrement progressive. Le premier temps de cette séquence correspond à l'arrêt des achats nets. Nous avons décidé de suspendre les achats exceptionnels du Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) en décembre 2021. Nous n'avons pas encore établi la date de l'arrêt des achats du programme habituel, l' Asset Purchase Programme (APP). Le deuxième temps de cette séquence correspond à un éventuel relèvement des taux d'intérêt. Toutefois, j'insiste, le temps qui sépare les deux séquences reste ouvert. La direction est claire : il s'agit d'une normalisation progressive, et son rythme est soumis à une optionnalité totale. Enfin, la troisième phase correspond à l'arrêt des réinvestissements, c'est-à-dire à la diminution progressive du stock de titres détenu par la Banque centrale. Nous serons d'un pragmatisme total dans le choix du rythme de chaque séquence.

L'euro n'est pas surévalué ; il n'existe pas d'incohérence de la zone euro. En effet, les bénéfices dépassent la part de contrainte qu'il représente. Qui plus est, si nous regardons en détail les résultats et les raisons de notre déficit extérieur, il est frappant de constater qu'entre 2000 et 2010 nous avions un problème de compétitivité des coûts par rapport à l'Allemagne. Or nous l'avons effacé entre 2010 et 2020 grâce aux politiques de compétitivité menées en France, tandis que l'Allemagne, étant en situation de plein emploi, a connu des augmentations salariales supérieures. Nous n'avons plus de problème de compétitivité coût. Il peut certes subsister un effet retard. Cependant, la principale explication correspond à un problème de compétitivité hors coût qui renvoie très largement à notre discussion sur les compétences. Les exportations françaises sont situées moins haut de gamme et donc plus sensibles à la compétitivité internationale que les exportations allemandes. Ce phénomène correspond à un modèle de formation moins élevée.

Je serai d'une grande prudence quant aux collectivités territoriales. La qualité de leur signature ne peut pas être toujours égale à celle de l'État. Elle dépend de la qualité de leur situation financière. Par ailleurs, l'effort sur les dépenses publiques doit s'appliquer à la sphère centrale, locale et sociale, mais de façon différenciée.

Sur les fragilités, nous publions chaque semaine une évaluation du risque systémique. Nous essayons de concrétiser les risques : ils ont plutôt diminué à court terme, compte tenu de la bonne gestion de la crise et du fait qu'il s'agissait d'un transfert du risque privé vers le risque public. L'État a joué son rôle d'assureur pour diminuer le risque des entreprises et des ménages ; la contrepartie de cela est de la création de dette publique. Ce phénomène doit être traité à moyen terme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.