Intervention de Dominique David

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique David, rapporteure :

M. Lauzzana m'interroge sur les bénéfices des sociétés d'assurance-crédit : elles sont rentables. Des chiffres sont publics mais ils ne distinguent pas les bénéfices réalisés sur marché français. Je peux toutefois vous dire qu'Euler Hermes a réalisé un chiffre d'affaires de 2,913 milliards d'euros en 2019, en croissance de 7 % par rapport à l'année 2018, tandis que le résultat annuel d'Atradius pour l'année 2019 connaissait une hausse de 12,4 % par rapport à 2018, pour atteindre 227,7 millions d'euros, les primes d'assurance augmentant de 6,7 %. Coface, troisième acteur du marché, a réalisé la même année un chiffre d'affaires de 70 millions d'euros par trimestre pour l'Europe de l'Ouest, soit 294 millions d'euros pour cette zone géographique, sur un total de 1,481 milliard d'euros au total. Effectivement, ce sont des activités économiquement intéressantes et rentables.

La procyclicité de l'assurance-crédit est relativement simple à comprendre. Les entreprises qui accordent un délai de paiement à leurs acheteurs se font assurer sur cette forme de crédit. Lorsque l'assureur refuse d'assurer ce crédit et se retire, le client de l'assureur-crédit, c'est-à-dire le fournisseur de l'acheteur, n'a pas d'autre solution que de demander un règlement comptant. Il y a donc un problème de source de financement, des fonds de roulement que l'on tarit. Dans une période de crise où les entreprises ont des difficultés à commercialiser leurs produits et à avoir une activité normale, l'exigence d'un règlement comptant ajoute une contrainte supplémentaire. Cette situation crée des phénomènes de panique : les assureurs se sont retirés car ils ne sont pas capitalisés à la hauteur des encours qu'ils assurent. Ainsi, dès qu'il y a un risque systémique, ils « retirent leurs billes ». Un mouvement de panique assez brutal s'est donc transmis tout au long de la chaîne de valeur. C'est en ce sens que le mécanisme d'assurance-crédit est totalement pro-cyclique car il amplifie la crise.

Au sujet des bases de données, le portail d'information créé dans le cadre de la négociation de la convention de 2013 est trop méconnu des entreprises, et trop peu utilisé par elles. Or il offrirait une visibilité sur l'assurance-crédit qui fait défaut aujourd'hui. Je rappelle également qu'il y a une règle toute simple que les entreprises pratiquant l'assurance-crédit pourraient s'appliquer à elles-mêmes : regarder les informations de la Banque de France, notamment la cotation des entreprises, concernant leurs acheteurs. Il y a d'ailleurs une information sur les délais de paiement réellement pratiqués dans l'entreprise qui est prévue prochainement.

En fait d'autoassurance, les entreprises françaises auraient tout intérêt à monter en compétence en matière de gestion de leurs transactions. L'assurance-crédit étant peu chère, les entreprises se déchargent du sujet sur l'assureur-crédit en se disant qu'elles sont de toute façon assurées. La puissance publique doit donc encourager les entreprises à s'intéresser à ce sujet parce qu'elles pourraient imaginer une forme d'autoassurance, sorte de réserve interne, qui leur permettrait de gérer une partie de leurs relations client et d'éviter d'aller vendre à des clients totalement insolvables et très peu couverts.

Par ailleurs, cher collègue Lauzzana, il est un peu tard dans la législature pour examiner une proposition de loi mais je vais essayer d'en déposer une qui puisse être le cas échéant reprise lors de la prochaine législature.

Chère collègue Louwagie, le reporting est trimestriel en période de croisière mais a été mensuel pendant la crise. Je recommande qu'il conserve ce rythme mensuel.

La réduction des garanties est effectivement une liberté que doit garder l'assureur-crédit, puisque c'est le sens même de la mutualisation des risques et de l'arbitrage. Je recommande seulement de se conformer à l'esprit de la convention de 2013 par laquelle les assureurs-crédit ont pris l'engagement de ne pas procéder à des résiliations globales, c'est-à-dire par zone géographique ou par secteur d'activité. Une approche insuffisamment invidualisée comporte un risque pro-cyclique.

M. Zumkeller, le recours à l'assurance-crédit diffère selon les secteurs. Ainsi, les fournisseurs du bâtiment y recourent. D'autres secteurs ne connaissent, à l'inverse, pas ce mécanisme. Les très petites entreprises recourent assez peu à l'assurance-crédit. Je relève d'ailleurs que le portail mis en place en 2013 est très bien connu par certaines filières et très mal par d'autres ; il faut donc y travailler. La promotion de l'assurance-crédit est nécessaire car élargir le marché permettrait de desserrer le verrouillage oligopolistique de ce marché.

Un nouvel acteur sur le marché de l'assurance-crédit s'est effectivement déclaré la semaine dernière Cartan Trade. Je m'en félicite. Ce serait le seul assureur-crédit français sur notre marché. Bpifrance participe à son capital, comme investisseur minoritaire, même s'il participe aussi au capital de Tinubu Square, opérateur qui fournit les bases de données aux assureurs-crédit et autre actionnaire de Cartan Trade. Bpifrance n'aura donc pas un rôle actif même si sa participation est une bonne chose ; il se positionne plutôt comme un investisseur à long terme. Il faut effectivement être attentif à la façon dont Cartan Trade va évoluer mais aussi innover. Compte tenu du caractère extrêmement oligopolistique de ce marché, les assureurs-crédit innovent très peu et ne sont pas tellement à l'écoute de leurs clients. J'espère donc que cette ouverture du marché pourra aussi encourager l'innovation.

Il conviendra de voir comment ce nouvel acteur va se présenter sur le marché français : offre, contrat… Si cette plus grande concurrence du secteur peut permettre de desserrer assez naturellement cet oligopole, il ne sera plus utile, chère collègue Pires Beaune, d'avoir un opérateur public.

Je recommande de regarder ce que peut provoquer l'ouverture à la concurrence, puis de faire monter en compétence les entreprises sur ce sujet. Elles devraient plutôt renforcer leurs fonds propres et leur capacité de financer elles-mêmes leurs fonds de roulement et moins faire appel à l'assurance-crédit, sauf à l'export – dans ce cas, c'est assez indispensable.

Chère collègue Patricia Lemoine, l'allongement des délais de paiement est une maladie française. En 2019, ils étaient estimés à quarante-neuf jours, avec une tendance à la baisse. En 2021, l'Observatoire des délais de paiement constate une forte hétérogénéité selon les secteurs. La moitié des grandes entreprises ne respecteraient pas le délai légal de soixante jours. Le médiateur du crédit nous a indiqué que les entreprises françaises avaient un retard énorme mais je n'ai pas connaissance d'un allongement des délais de paiement lié aux tensions sur les marchés. Les délais atteignent presque des niveaux records.

Quant aux règles prudentielles, cher collègue Laqhila, la centralisation du contrôle des assureurs-crédit auprès de l'ACPR semble tomber sous le sens. Et, en effet, les assureurs ne sont pas capitalisés à hauteur des encours ; il faudrait donc leur imposer de s'en rapprocher… mais si nous allons trop loin, l'augmentation des coûts ôtera tout intérêt à l'assurance-crédit pour les petites entreprises. Le risque serait en outre de se heurter à la réglementation européenne.

Le médiateur du crédit a été un acteur de cette fameuse convention de 2013 qui fait date en matière d'assurance-crédit et a largement servi de référence pour la préparation de ce rapport. Le médiateur est très attentif à l'assurance-crédit ; il est saisi de nombreux litiges avec les assureurs-crédit et se charge de trouver des solutions. Dans le cadre de notre rapport, nous proposons de renforcer ses prérogatives sur ce sujet puisque nous pensons qu'il peut être un bon interlocuteur pour mener une réflexion globale et conduire un dialogue entre les assureurs-crédit et les fédérations professionnelles ainsi que les courtiers, un dialogue qui manque cruellement dans ce système.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.