Intervention de éric Lombard

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Je vous avais présenté les résultats de 2020 en avril 2021. Il est un peu tôt pour que j'en fasse de même pour l'année 2021, mais je souhaite vous tenir informés de l'avancement de notre contribution au plan de relance.

Depuis le déclenchement de la crise, au printemps 2020, nous avons d'abord voulu jouer notre rôle d'acteur contracyclique : nous avons revu nos positions sur les marchés financiers, décidé de ne pas vendre et, au contraire, lancé un vigoureux programme de soutien pour redonner confiance à la place financière, ce qui fait partie de notre mission. Nous nous sommes mobilisés dans l'urgence, au premier semestre 2020, en lançant un programme d'achat d'actions de sociétés françaises, pour 1,6 milliard d'euros, et en rachetant 8 milliards d'euros de dettes d'entreprises sur les marchés financiers. Nous avons aussi soutenu l'ensemble des entreprises dans le cadre des prêts garantis par l'État lancés par le ministère des finances et Bpifrance. À l'échelon local, nous avons renforcé notre partenariat avec les régions en créant dix-neuf fonds régionaux destinés à soutenir plus spécifiquement les très petites entreprises et celles de l'économie sociale et solidaire, pour 145 millions d'euros.

Nous avons ainsi su nous mobiliser, accompagner, investir et opérer à tous les niveaux puisque tous les segments de l'économie avaient besoin de soutien. C'est un véritable motif de fierté pour tous les collaborateurs de la Caisse des dépôts d'avoir alors répondu présent. Dans cette démarche, nous avons bénéficié du soutien plein et entier de la commission de surveillance, que je remercie.

Une fois ces mesures engagées, s'est posée la question essentielle de la relance de notre économie. Nous avons fait le constat que la crise affectait l'économie réelle et se traduisait dans ce domaine par une destruction des fonds propres de nos entreprises en raison des pertes subies et de l'absence de chiffre d'affaires et de résultat. Notre philosophie a donc d'emblée consisté à aider les entreprises à reconstituer leurs fonds propres par l'injection massive de capital.

C'est l'origine du plan de 26,3 milliards d'euros d'investissements sur la période 2020-2024 que la commission de surveillance a approuvé dès le mois de juin 2020 et que nous avons annoncé en septembre de la même année. Au 31 décembre 2021, nous avions réalisé près de 60 % de l'ensemble de ce plan, ce qui représente 15,4 milliards d'euros. En réponse à la crise, nous avons en effet relevé notre niveau d'activité. Notre rythme d'investissement a été multiplié par 2,5 : c'est un effort massif. Notre objectif est de continuer à mettre le plus vite possible ces fonds à disposition de notre économie pour réaliser au moins 80 % du plan d'ici à la fin 2022 ; nous sommes en bonne voie pour y parvenir.

Les crises sont un moment de basculement qu'il ne faut jamais gâcher, comme disait Churchill. C'est ce à quoi nous veillons : le plan de relance de la Caisse vise à accélérer la transformation de notre économie afin de la préparer aux défis à venir, notamment celui du réchauffement climatique, et de la rendre plus durable et plus solidaire.

Parmi nos quatre grandes priorités, en matière de soutien au logement et à l'habitat, nous avons réalisé 6,2 milliards d'euros d'investissements, soit 55 % de notre cible ; en matière de soutien à l'économie et aux entreprises, 6,2 milliards d'euros également sur les 8,3 milliards prévus, soit les trois quarts de l'objectif ; en matière de financement de la transition écologique et énergétique, 2,8 milliards d'euros sur les 6,3 milliards du plan, soit 44 % ; enfin, en matière de cohésion sociale, plus de 45 % des 500 millions d'euros prévus.

Au delà de ces chiffres, je veux vous dire un mot de la territorialisation accrue que nous avons retenue pour le déploiement du plan. En effet, il ne s'agit pas seulement de rétablir notre économie, mais aussi de préparer l'avenir en améliorant l'équilibre entre les territoires de la République. Les résultats dont je vous ai parlé sont le fruit de notre dialogue constant avec l'ensemble des acteurs territoriaux pour connaître leurs besoins et y répondre, et pour nous appuyer beaucoup plus sur les 850 collaborateurs du réseau, dans 37 implantations, qui travaillent au quotidien avec les élus locaux et les acteurs publics et privés de chaque territoire.

Avant même la crise, nous avions renforcé cette organisation territoriale et beaucoup déconcentré les décisions. C'est une évolution importante qu'il faut continuer d'amplifier pour être au plus proche du terrain. Aujourd'hui, neuf prêts sur dix sont décidés par les directions régionales et la moitié des investissements le sont localement.

En créant la Banque des territoires, en mai 2018, nous avons signé un véritable acte de déconcentration de la Caisse des dépôts, pour plus d'agilité. Cette transformation a montré toutes ses vertus pendant la phase de crise sanitaire où la décision locale était primordiale pour s'adapter aux particularités de chaque territoire. La Caisse des dépôts était insuffisamment connue des acteurs territoriaux ; la marque Banque des territoires s'est imposée, ce qui permet aux élus de venir plus facilement à notre rencontre pour que nous puissions les soutenir, notamment dans les territoires plus petits, ruraux, et dans les quartiers. Fin 2021, la Banque des territoires avait déjà injecté 80 milliards d'euros dans les territoires, compte tenu des investissements en fonds propres et des prêts.

Nous avons donc transformé et diversifié notre offre, en lien avec le ministère de l'économie et des finances, notamment en matière de prêts, afin d'être mieux armés pour lutter contre les fractures territoriales et gérer la transition énergétique. Je pense au prêt pour la rénovation énergétique des bâtiments publics, une grande transformation absolument nécessaire, et à la rénovation thermique du parc social, urgente pour compenser la hausse du prix de l'énergie, très difficile pour les locataires des logements sociaux dont 70 % sont chauffés au gaz. Nous avons aussi déployé des produits spécialisés, comme Mobi Prêt, pour financer les mobilités douces, Édu Prêt, pour rénover nos écoles, et Aqua Prêt, pour l'adduction d'eau ; ces prêts ciblent les enjeux prioritaires de développement, qui nécessitent un accompagnement à long terme. En 2021, nous avons proposé de nouveaux prêts pour la relance verte et la relance santé, afin de répondre aux besoins des collectivités.

La hausse du taux du livret A peut susciter des inquiétudes chez les organismes de logement social ; nous en avons conscience, puisqu'ils sont nos partenaires et que nous sommes en contact avec eux tous les jours. Il s'agit d'une inflexion du paradigme financier – la hausse des taux, que l'on n'avait pas observée depuis longtemps, va probablement se poursuivre. En pareil cas, nous adaptons automatiquement les échéances de remboursement par ce que l'on appelle la double révisabilité, de sorte que la hausse du taux d'intérêt de nos prêts, lorsqu'il est indexé sur le taux du livret A – cela concerne plus de 140 milliards d'euros de prêts –, ne pèse pas trop sur les finances du logement social. Sur les charges du logement social, l'effet représente 700 millions d'euros, mais, sur la liquidité, il est de 250 millions d'euros. Tout est fait pour étaler cet impact afin que les acteurs du logement social n'en souffrent pas trop. Nous avons aussi des véhicules de très long terme – soixante ou quatre-vingts ans – qui permettent de financer dans la durée les transformations en œuvre.

Un mot des nouveaux programmes auxquels nous participons et qui ont été lancés par le Gouvernement depuis le début du quinquennat. Ils nous semblent tout à fait correspondre à une façon moderne de concevoir l'aménagement du territoire, car ils visent à fédérer les acteurs autour des élus.

Un exemple particulièrement emblématique, car il s'agit d'une réussite qui produit déjà des effets très nets, est le plan Action cœur de ville : 222 territoires ont été retenus, pour lesquels nous avons créé des offres pour soutenir le foncier, la redynamisation, l'ingénierie, l'innovation, l'expérimentation et apporter des financements. Au total, nous avons déployé près de 1,6 milliard d'euros pour appuyer 3 800 projets. Surtout, le changement de méthode a permis aux acteurs fédérés autour de l'État, de la Caisse, d'Action logement et de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) de se mobiliser pour des projets décidés intégralement par les élus. Nous avons fourni la boîte à outils, les élus apportent le projet, ce qui est normal dans une démocratie bien organisée. C'est une expérience qui mérite d'être reproduite. Dans le passé, l'État proposait des solutions toutes faites, aussi cette évolution me paraît-elle de bonne facture. Elle permet de traiter les enjeux des villes dans leur diversité. J'étais il y a peu à Châteauroux, à Blois, à Tours : dans chaque cas, les élus utilisent différemment la boîte à outils. Le programme est aussi très transversal : les échanges entre élus sont nombreux.

La prolongation du plan jusqu'en 2026 et son extension aux quartiers, aux entrées de ville et aux zones de gare sont un signe fort. Nous réfléchissons à l'utilisation des friches qui vont sans doute être laissées disponibles par les hypermarchés de périphérie. En effet, les années à venir seront celles de la bataille pour le foncier, notamment pour éviter l'artificialisation des sols ; or les hypermarchés qui réduiraient leur surface ou partiraient par suite de l'extension du commerce entre centre-ville et sur internet libéreraient du foncier susceptible d'être utilisé pour refaire des quartiers de ville déjà connectés et équipés, et où seront construits des logements et des entreprises, le tout, bien sûr, dans la concertation et sous l'autorité des élus.

Tout aussi nets sont les effets du programme Petites Villes de demain, que nous pilotons conjointement avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), et au titre duquel 200 millions d'euros de subventions ont été versés par la Banque des territoires.

Citons également le programme Territoires d'industrie, dans lequel la Banque des territoires et Bpifrance interviennent conjointement, la première pour financer le foncier, éventuellement le bâtiment, la seconde pour financer les entreprises. Nous assistons à un retour de l'industrie dans notre pays : plus d'une centaine de projets d'implantation de nouvelles industries sur l'ensemble du territoire vont participer à construire une économie décarbonée, avec des méthodes entièrement nouvelles. Le programme a permis de déployer 390 millions d'euros, l'approche décentralisée ayant été, là aussi, déterminante.

Il y a vingt ans, certains théorisaient l'entreprise sans usine. Nous en avons vu les effets désastreux dans nos territoires : quand une industrie s'en va, les services et les emplois s'en vont aussi. Ce retour de l'industrie, avec tout ce qui l'accompagne, me paraît un mouvement très fécond, notamment en matière de transition écologique. De ce point de vue, il faut considérer l'empreinte carbone, et non les seules émissions directes de carbone. Or l'empreinte carbone d'une usine écologique consommant de l'énergie décarbonée est bien moindre que celle d'une usine implantée en Chine qui fonctionne grâce à de l'électricité produite à partir du charbon et dont les produits nous arrivent par des transports eux-mêmes carbonés. Je constate que les mentalités changent dans les territoires et que la réindustrialisation est désormais accueillie positivement par les uns et par les autres.

Le rôle et les missions de la CDC ont été fortement accrus dans le domaine social, ce qui s'est d'ailleurs traduit par un changement de nom : la direction des retraites et de la solidarité est devenue la direction des politiques sociales.

D'abord, la CDC gère la retraite d'un Français sur cinq. Nous sommes attentifs aux réformes que votre assemblée pourrait être amenée à examiner dans les mois qui viennent. Celles-ci pourraient s'appuyer, en tout cas pour ce qui concerne la sphère publique, sur le « camp de base » que nous constituons. À cet égard, nous sommes en train d'engager un rapprochement informatique avec le service des retraites de l'État, afin de déployer des outils communs et de former un pôle qui pourrait, demain, gérer l'ensemble des retraites publiques. Cela rend évidemment les investissements plus efficaces et moins coûteux.

Par ailleurs, la loi m'octroie la présidence du directoire du Fonds de réserve pour les retraites, qui a été utilisé pour soutenir l'économie pendant la crise et qui pourrait à l'avenir jouer un rôle de coordination dans la gestion des réserves. Ce point fera probablement l'objet de réflexions dans le cadre de la campagne électorale qui s'ouvre.

Ensuite, la CDC soutient la formation, dont j'ai évoqué l'importance, notamment dans la politique de réindustrialisation. La plateforme Mon compte formation, dont vous avez voté la mise en œuvre, permet le financement de plus de 3 millions de formations. C'est un instrument d'égalité des chances très efficace. Géolocalisée, l'application permet de mener des actions territorialisées. Elle a complètement changé le profil des bénéficiaires : ce sont désormais des hommes et des femmes à parité, alors que les hommes étaient auparavant majoritaires – ce qui ne correspondait à aucune logique ; ce sont à 63 % des ouvriers ou des employés, ce qui répond à l'objectif – il est bon que les personnes les moins formées aient davantage recours à la formation ; 20 % d'entre eux ont plus de 50 ans, conformément au principe de formation tout au long de la vie. Cet outil permet une meilleure coordination des politiques publiques ; le plan « 1 jeune, 1 solution » a été développé dans ce cadre.

Enfin, la CDC gère Mon parcours handicap, qui s'adresse aux personnes en situation de handicap et à leurs familles. C'est une très belle plateforme, qui est elle aussi, dans une certaine mesure, un enfant de la crise.

La présidente de la commission de surveillance l'a dit, le rapprochement de la CDC avec La Poste et SFIL, prévu par la loi PACTE et achevé en 2020, a débouché sur la constitution d'un grand pôle financier public, ce qui permet des coordinations nouvelles. Je pense par exemple à la société Urby, opération conjointe de La Poste et de la Banque des territoires, qui assure la logistique décarbonée du dernier kilomètre. Nous accompagnons aussi le développement des espaces France services et des bus France services – il y en a actuellement quatre-vingt-neuf –, pour mettre à disposition les services publics dans tous les territoires de la République, notamment dans les quartiers et les zones les plus éloignées ; c'est un beau succès.

La CDC est devenue un grand acteur en matière d'infrastructures. Elle a récemment fait l'acquisition, aux côtés de CNP Assurances, de 50 % d'Orange Concessions, pour contribuer au développement du haut débit sur le territoire. Dans le domaine de l'environnement, elle a acquis 20 % du « nouveau Suez », garantissant ainsi la présence d'un investisseur public français auprès de cet acteur clé pour les collectivités locales. Son implication est très forte dans le secteur de l'énergie : elle détient des participations dans Réseau de transport d'électricité (RTE) et dans la Compagnie nationale du Rhône (CNR) – je remercie votre assemblée d'avoir voté la prorogation de la concession de la CNR, ce qui me paraît conforme à l'intérêt général – et a renforcé sa présence auprès de GRTgaz. Les infrastructures énergétiques sont appelées à jouer un rôle clé, et nous veillerons à apporter les financements appropriés.

La CDC, qui repose sur un modèle unique, a de nouveau montré, pendant cette crise, son utilité, sa capacité à mobiliser l'ensemble des acteurs et son engagement à long terme. Afin d'être prêts pour la nécessaire transition écologique qui est devant nous – l'engagement des accords de Paris, je le rappelle, c'est une économie décarbonée en 2050, ce qu'une économiste a appelé « l'urgence du long terme » –, il faut engager dès maintenant les investissements à long terme. C'est précisément ce que nous faisons. Comme nous voulons être les moins seuls possible dans cette aventure, nous avons demandé à Bernard Attali de réaliser un rapport sur les freins qui empêchent les acteurs financiers d'accompagner ce financement de long terme. Si l'on devait résumer la mission essentielle de la CDC, c'est préparer la France à l'économie et aux enjeux sociaux et écologiques de demain. Tel est l'esprit qui nous anime.

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