Intervention de éric Lombard

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur la part de fonds nouveaux dans notre plan de relance. D'après ce que je comprends, la Cour des comptes a fait le commentaire que vous évoquez dans un rapport consacré à la gestion des participations financières de l'État durant la crise sanitaire. Or il est logique que nous ne nous soyons pas concentrés à ce moment-là sur ce portefeuille de participations stratégiques, puisque le plan de relance visait à soutenir d'autres segments de l'économie.

Cela étant, la somme indiquée par la Cour des comptes me paraît faible. Je vous donne un indicateur très simple, que j'ai déjà évoqué dans mon propos liminaire : de septembre 2020, date du lancement de notre plan de relance, à fin 2021, nous avons engagé 15,4 milliards d'euros d'investissement en capital, alors que le rythme annuel d'investissement de la CDC était auparavant de l'ordre de 4 milliards.

L'approche de Bercy est différente : notre plan de 26 milliards sur quatre ans excède certes légèrement ce que l'on investit habituellement en quatre ans, mais nous allons engager 80 % de cette somme en l'espace de deux ans. Sur les années 2021 et 2022, qui sont cruciales, notre rythme d'investissement sera multiplié par 2,5 ; on verra ce qui passera en 2023 et 2024, selon la situation économique. La France a besoin actuellement d'un surinvestissement.

Nous avons certes défini une programmation, mais les investissements de la Caisse n'obéissent pas à une logique budgétaire ; ils ne sont pas engagés en fonction d'un texte de loi ou d'une limite. C'est la manière de dépenser les crédits qui importe – en l'occurrence, nous accélérons l'engagement des fonds. Les résultats étant très bons, je n'exclus pas que l'on puisse maintenir pendant deux ou trois ans de plus un rythme d'investissement très élevé, surtout si notre pays en a besoin. Nos investissements en capital ont pour seule limite le montant de nos fonds propres, puisqu'ils doivent être proportionnés à ceux-ci. Nous avons pu mobiliser autant de crédits parce que, depuis quatre ans, nous avons fabriqué beaucoup de fonds propres. Pour l'essentiel, ces sommes n'auraient pas été engagées s'il n'y avait pas eu la crise sanitaire.

Monsieur le rapporteur général, nous pensons qu'il est possible d'amortir l'effet de la remontée du taux du livret A sur le logement social en l'étalant dans le temps. Par ailleurs, nous avons institué des mesures de soutien, notamment des prêts participatifs en faveur du logement social, à hauteur d'un milliard d'euros, qui ont été utilisés. Ces prêts sont à ce point avantageux pour l'emprunteur que, dans les comptes de 2021, nous passons une provision pour prendre acte de leur faible rentabilité. Nous faisons en sorte que les bailleurs continuent à fonctionner, mais aussi à bâtir. La construction des logements sociaux à venir sera financée sur la base du nouveau taux du livret A, mais on peut allonger la durée des prêts, appliquer de nouveaux mécanismes pour soutenir le foncier ou permettre le démembrement de propriété. Cette contrainte financière n'est certes pas une bonne nouvelle pour le secteur, mais on peut s'en arranger ; en tout état de cause, elle n'est pas de nature à limiter le rythme de construction.

De manière générale, la remontée des taux que l'on observe depuis trois mois était attendue depuis cinq ans, sans que l'on sache quand elle se produirait, ni à quel rythme. La hausse est très rapide : l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à dix ans, qui était proche de zéro pendant toute l'année 2021, a atteint aujourd'hui, au terme d'une progression d'une rapidité inédite, un niveau compris entre 70 et 80 centimes. Toutes les indications données par la Banque centrale européenne laissent penser que la hausse va se poursuivre, ce qui relativise la décision du Gouvernement de remonter le taux de rémunération du livret A, puisque celui-ci finira par être rejoint et dépassé par les taux de marché.

Pour les établissements financiers, les banques et, bien qu'elle n'appartienne pas à cette dernière catégorie, la Caisse des dépôts, c'est plutôt une bonne nouvelle. Un économiste bien connu a parlé d'une « période de répression financière » pour décrire la situation que l'on a connue récemment. En effet, beaucoup de nos investissements se fondent sur les taux. Lorsque ces derniers étaient à zéro, les investissements étaient insuffisamment rentables, notamment pour les fonds d'épargne. Compte tenu de l'évolution en cours, nous avons reporté la publication d'une nouvelle prévision de résultats et d'une nouvelle courbe de taux.

Je n'ai pas en tête les dividendes de nos filiales. Notre politique consiste à soutenir le développement de celles-ci et celui de l'établissement public en faisant remonter les dividendes dont nous avons besoin. Les règles sont variables selon les sociétés. À titre d'exemple, conformément à l'accord qu'elle a conclu avec l'État, Bpifrance verse des dividendes correspondant à 35 % de son résultat, à l'instar de La Poste. Si ces entreprises ont, à un moment donné, des besoins financiers pour assurer leur développement, nous procédons, comme nous l'avons fait pour la Compagnie des Alpes – même si le cas de figure était différent –, à une augmentation de capital. Cela offre une respiration.

S'agissant de la contribution au budget, les choses ne sont pas encore tout à fait calées. Ce qui est à peu près certain, c'est que la contribution représentative de l'impôt sur les sociétés sera de l'ordre de 400 millions d'euross. La discussion avec le ministère de l'économie, des finances et de la relance se poursuit au sujet des fonds d'épargne. Ceux-ci comprennent un portefeuille de 40 milliards d'euros d'obligations assises sur l'inflation. La hausse du taux du livret A n'ayant eu lieu en 2021, les résultats économiques des fonds d'épargne, qui forment un bilan indépendant, seront donc très élevés. Toutefois, la hausse des taux pouvant se révéler quelque peu inconfortable pendant une période transitoire, nous allons mettre en réserve près des trois quarts du résultat. Nous avons avec Bercy un débat s'agissant du solde, qui appartient à l'État en tant qu'ayant droit économique : doit-il lui être versé ou être mis de côté, sachant que les fonds d'épargne devraient connaître quelques difficultés dans les années qui viennent ? Du fait de la hausse du taux du livret A, qui se répercutera avec un certain délai sur le coût des emprunts, et des taux de rentabilité déjà anciens de nombre de nos actifs sur les marchés financiers les résultats attendus seront médiocres, mais ils se redresseront avec le temps. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir à ce sujet.

Monsieur Jerretie, les résultats de la Caisse des dépôts, qui se sont élevés à plus de 2 milliards d'euros en 2019, ont chuté en 2020 à un peu plus de 500 millions d'euros, en raison de la crise ; ils retrouveront en 2021 un niveau très largement supérieur à celui de 2019. La maison va bien ; nous reprenons des provisions qui ont été passées l'année dernière. Compte tenu des règles en vigueur, nous entretenons un trilogue avec la commission de surveillance et le ministère de l'économie, des finances et de la relance pour déterminer le montant du prélèvement. Je peux d'ores et déjà vous dire que nous serons un contributeur très important au budget de l'État cette année.

En matière de rendement des capitaux propres investis, j'ai souhaité distinguer, dans le pilotage de l'institution, ce qui relève de l'intérêt général et ce qui ressortit à la sphère concurrentielle, où les équipes sont au moins aussi bonnes que celles des acteurs privés. Pour ce qui est du premier, nous recherchons une rentabilité plutôt inférieure à 4 % ; pour la seconde, le rendement se situe en moyenne à 6 %, mais il dépassera ce taux cette année. Nous avons approuvé, il y a deux jours, au sein du comité exécutif, l'évolution très favorable de la valeur du portefeuille d'investissements. Nous avons certes pris des risques en accordant des prêts au cours de cette période, mais les équipes sont très professionnelles et notre économie va bien. Ces risques ne se sont donc pas traduits par des provisions ou des pertes.

Les foncières de redynamisation rencontrent un grand succès. Plus de soixante-dix foncières commerce ont été instituées, en lien avec le ministère de l'économie, des finances et de la relance, et plus de 1 000 commerces ont déjà été achetés, l'objectif étant d'atteindre les 6 000. D'autres foncières s'inscrivent dans le cadre des Territoires d'industrie, d'autres encore s'occupent de réaménagement urbain en faisant du portage d'immeuble. Tout cela se met en place en lien avec les collectivités locales, et cela fonctionne très bien selon une double ligne directrice : répondre aux besoins des élus et être économiquement équilibré. En outre, on peut faire preuve de beaucoup de flexibilité.

Les comptes en déshérence représentent en effet la somme considérable de 6,3 milliards d'euros. Avant d'être transférés à la Caisse des dépôts, ils font l'objet de démarches actives des banques et des compagnies d'assurance. Il faut dire que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a sanctionné celles d'entre elles qui ne s'y employaient pas assez énergiquement. Les sommes qui nous parviennent concernent des contrats dont les banques et les assurances n'ont pas trouvé le détenteur. Nous ne faisons pas de publicité, car nous exerçons un mandat, mais les médias se font l'écho de cette question – Le Parisien y a consacré un papier il y a une semaine, et TF1 et France 2, entre autres chaînes généralistes, ont parlé de Ciclade. Les Français sont beaucoup mieux informés. On a reçu, depuis, de nombreux appels. Nous faisons tout pour que Ciclade soit connu. La rémunération de ces fonds s'élève à 30 centimes par an. Leur gestion est par ailleurs très coûteuse, mais elle fait partie de nos missions d'intérêt général. Au bout de trente ans, nous transférons les sommes à l'État. Cet argent fait partie de nos ressources, même s'il ne représente qu'une faible part des 1 250 milliards d'euros inscrits à notre bilan. À titre de comparaison, les fonds détenus par les notaires s'élèvent à 50 milliards d'euros.

Monsieur Labaronne, nous allons nous employer à diffuser les résultats de l'institut CDC pour la recherche. Les équipes seront heureuses de l'hommage que vous leur rendez.

Nous travaillons très activement sur la fraude au CPF. Nous avons eu récemment une réunion avec la ministre et avons rencontré les parquets. Nous proposons qu'un texte vous soit soumis en vue d'interdire le démarchage pour le CPF, qui est illégal ; nous n'en faisons évidemment jamais. Nous employons des outils d'intelligence artificielle, nous faisons la chasse aux fausses formations. La fraude atteint un montant modeste au regard des milliards engagés chaque année, mais c'est encore trop.

Monsieur Jerretie, il est difficile de dire à qui ont bénéficié les achats d'actions et de dettes. En effet, nous sommes actionnaires de presque toutes les sociétés du CAC40 et de la plupart de celles du SBF120. Nous avons maintenu nos allocations d'actifs. Les 8 milliards étaient orientés vers les dettes émises par les entreprises.

Le soutien aux associations fait partie de nos mandats. Nous avons au sein de la direction des investissements une équipe dédiée qui, soit souscrit à l'émission de titres associatifs, soit prête à des associations. Au début de mon mandat, nous avons réorganisé le suivi de la création d'entreprises : Bpifrance finance la partie entreprises, et nous nous concentrons sur l'économie sociale et solidaire. Nous avons ajouté 100 millions d'euros, pour ce type de partenaires, dans le cadre du plan de relance.

Madame Magnier, monsieur Mattei, contrairement aux obligations relance, les prêts participatifs relance n'ont pas trouvé leur public – nous ne les proposons plus. C'est une bonne nouvelle, car cela signifie que notre économie ne rencontre pas de difficultés de financement. Pour être très souvent sur le terrain, je peux vous dire que nos entreprises ne rencontrent pas de problèmes de financement. La Caisse des dépôts est présente, comme Bpifrance ; les banques commerciales ont également fait leur part.

Nous n'avons pas encore de propositions identifiées à la suite du rapport de Bernard Attali, mais cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons avec lui.

Monsieur Pupponi, je ne vais pas me démarquer de mes prédécesseurs : je ne sais pas pourquoi nous n'intervenons pas en Corse. Je vais regarder cela.

Monsieur Jolivet, nos stratégies ne sont pas comparables à celles des banques. En raison des réglementations internationales et européennes, ces dernières ont abandonné toute détention d'actions. C'est l'une des raisons qui expliquent la floraison des fonds de private equity, qui ont pris le relais des banques. Grâce aux règles particulières qui s'appliquent à elle, la Caisse des dépôts a pu conserver ses participations en actions. Nous avons près de 100 milliards d'euros d'investissements en actions, que nous avons pris dans des domaines d'intérêt général, comme les infrastructures – qui sont des opérations assez rentables –, ou dans des secteurs à forts risques mais bien choisis. Les revenus générés sont élevés, notamment en période de taux bas, puisque le rendement des dividendes est de l'ordre de 3 % à 4 %. Par ailleurs, compte tenu du fort développement de ces entreprises, nous réalisons des plus-values de cession. La détention d'actions est donc extrêmement prégnante dans notre modèle.

Quant à la partie prêteur, elle est relativement atypique. Chez Bpifrance, les résultats sont le fruit de participations, et non de l'activité prêteur, qui est tout de même bénéficiaire, mais plus modestement. Il en va de même à La Banque Postale. La Banque des territoires, pour sa part, accorde des prêts basés sur le taux du livret A ; c'est une équation économique particulière.

Par rapport aux banques, notre modèle accorde une place beaucoup plus forte aux activités industrielles. Nous détenons ainsi près de 50 % de RTE et de GRTgaz ; GeoPost, La Poste, la Compagnie des Alpes ou Transdev sont également de nature essentiellement industrielle. Notre modèle est hybride et protecteur, dans la mesure où il assure une bonne diversification.

Monsieur Hammouche, les investissements plus efficaces et moins coûteux sont essentiellement, à mes yeux, ceux qui sont décidés localement. Leur instruction, conduite par des équipes très compétentes, est plus rapide ; ils répondent à la demande. Dans le cadre du programme Petites villes de demain, nous allons financer à Villedieu-sur-Indre le déplacement de trois bâtiments de l'école. C'est une décision locale qui va changer la vie des habitants.

Territoires d'industrie est cogéré par les régions et les industriels, mais nous intervenons également sur ce programme. Si vous avez connaissance d'un projet qui pourrait en bénéficier, je vous invite à contacter Patrick François, directeur régional, ou le directeur territorial de votre département. C'est un réflexe à acquérir de la part des élus.

La lutte contre la pauvreté relève du mandat indirect de la Caisse. Nous y contribuons par une action très déterminée dans les quartiers, en participant aux programmes de rénovation de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), en particulier dans les copropriétés dégradées où, parfois, la pauvreté se concentre. Par ailleurs, nous facilitons l'accès au travail par la formation, en particulier au travers de Mon compte formation. Nous sommes là aux limites de notre mandat, car toutes nos activités doivent trouver un équilibre économique, fût-il proche de zéro.

Monsieur Mattei, s'agissant des outils à utiliser dans le cadre régional, il appartient aux élus de décider du véhicule à utiliser et du ressort territorial de ce dernier. Par exemple, en Bretagne, nous sommes coactionnaires, aux côtés de la région, de la SEM Breizh, qui couvre tout le territoire breton ; nous avons créé, avec la région et des banques locales, la filiale BreizhCité qui fait du portage pour le commerce ; les grandes villes de Bretagne ont aussi des SEM locales, auxquelles nous participons. En Vendée, il y a une SEM qui couvre La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte. Nous offrons une grande flexibilité d'usage. Toutefois, si un élu souhaitait créer une SEM avec un objet trop étroit et un ressort trop limité, nous lui conseillerions un autre type de véhicule.

Pouvez-vous s'il vous plaît préciser votre question sur la sécurisation de la reprise d'entreprises ?

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