Tout d'abord, monsieur de Courson, il n'y a aucune ambiguïté : les crédits du plan sont à notre main, sous l'autorité du Premier ministre.
Les 54 milliards d'euros dont nous disposons se répartissent de la façon suivante : 6,5 milliards seront investis en fonds propres, les 47,5 autres prendront la forme de subventions ou d'avances remboursables, dont nous ignorons encore la répartition : elle variera selon les secteurs et les affectations.
Cela me permet d'insister sur le référentiel et les valeurs. De fait, on ne fait pas de retour sur investissement avec une subvention. Mais elle présente beaucoup d'autres avantages, dont l'effet de levier. En effet, la subvention ou l'avance remboursable « dérisque » considérablement les tiers qui souhaitent investir des fonds propres dans une entreprise. Dans la french touch, la notion d'effet de levier pourrait être la Bruno's touch ! Nous allons beaucoup y travailler. Je ne dirai pas que cette notion a été négligée jusqu'à présent, mais l'État partenaire n'a pas la même perception des choses que l'État qui subventionne. Ici, l'État accompagne ; on pourra éventuellement pousser les engagements économiques complémentaires du secteur privé ou de tiers institutionnels, européens par exemple.
Si le plan s'intitule « France 2030 », ce n'est pas parce que nous pensons qu'en 2030, tout changera. Il n'y aura pas de « grand jour ». Il s'agit plutôt de donner un horizon d'engagement assez long, soit une dizaine d'années, mais nous sommes tous conscients qu'il faudra plus de dix ans pour que certaines technologies deviennent usuelles. D'autres, en revanche, seront déjà banalisées en 2030. Ainsi, on peut raisonnablement penser que nos objectifs concernant la voiture électrique seront atteints. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils sont précis : 2 millions de voitures électriques ou hybrides en 2030. Pour ce qui est des fonds sous-marins ou de l'exploration de l'espace, les projections sont, certes, beaucoup plus longues. Mais il faut bien commencer pour obtenir des résultats.
M. Castellani m'a interrogé sur la Corse. Je rencontrerai Mme Delga, présidente de Régions de France, demain après-midi. Je lui ai déjà parlé au téléphone, et je lui ai confirmé que les régions sont essentielles, notamment pour l'élargissement de la base de la pyramide. Nous avons en effet besoin d'avoir des régions une bien meilleure connaissance que celle que l'on peut en avoir depuis Paris. Le dialogue avec elles est donc indispensable. C'est pourquoi j'ai prévu de me rendre dans chacune d'entre elles à partir du début du mois d'avril – il convient d'associer également à France 2030 les préfets, qui ont fait un boulot remarquable dans le cadre du plan de relance. Par ailleurs, la contractualisation ne prendra pas la forme d'une délégation budgétaire – je m'en suis expliqué auprès de Mme Delga – mais bien celle d'un partenariat : il s'agit de réaliser des opérations ensemble. Sinon, le secrétariat général ne servirait pas à grand-chose.
L'hydrogène vert est un monde dont on sous-estime la complexité. Nous n'en avons pas la même définition que les Allemands, par exemple : on apprend ainsi, en lisant la directive RED, relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, que, dans sa version allemande, l'hydrogène vert exclut l'hydrogène par électrolyse généré par les centrales nucléaires car il n'est pas renouvelable. Et toutes les nuances existent : hydrogène vert, gris-vert, vert-gris, vert-de-gris, noir… Nous en sommes là ! Une clarification me paraît donc nécessaire, notamment de la part du législateur : il faut que nous sachions comment le définir et que nous travaillions à une harmonisation avec les règles européennes. Je ne suis donc pas capable, pour le moment, de répondre précisément à la question.
Nous avons une véritable chance, car c'est un choix politique, de produire notre propre hydrogène, quand d'autres pays choisissent de l'importer. Je citerai deux chiffres qui me paraissent éclairants.
Le projet hydrogène du plan France 2030 a d'abord pour objectif de générer 600 000 tonnes d'hydrogène vert, ce qui correspond au besoin de consommation français. Les Allemands, quant à eux, devraient parvenir, avec leur propre technologie, à un résultat à peu près identique, mais ils en consommeront, compte tenu de leurs options en matière énergétique, 2 millions de tonnes par an. Leur stratégie inclura donc, d'une manière ou d'une autre, l'importation d'hydrogène tandis que la nôtre devrait être équilibrée. Je me permets de descendre à ce niveau de détail pour illustrer le type de discussion que nous avons, au SGPI, avec les experts. Nous discutons de la prospective, des options, de l'évaluation des besoins… Nous ne nous contentons pas de signer des chèques en fonction de pourcentages. Nous nous efforçons, face aux options d'investissement que nous devons prendre, de viser le plus juste possible. Il en est de même pour le photovoltaïque ou la bioproduction. C'est pourquoi je vous demande de nous communiquer les noms d'experts ou d'entreprises que vous connaissez : nous avons besoin de confronter les idées, dans ces domaines.
Le biomimétisme faisant partie des innovations de rupture, c'est évidemment une piste à explorer. De mémoire, on m'a dit, par exemple, au cours d'une discussion, qu'une enzyme trouvée dans une source chaude au fin fond de l'océan avait inspiré la fabrication d'un médicament. Il faut encourager ces innovations de rupture – je reviendrai sur la gouvernance –à partir de ce type d'initiatives spontanées.
Pour l'agriculture, il n'y a pas de débat : elle est déjà très technologique et nous soutenons les initiatives prises dans ce secteur, de même que dans celui de l'alimentaire. On peut regretter que, pour le moment, la France fabrique peu de robots ou de capteurs, par exemple. Nous étudions la question et nous lancerons des appels à projets dans ce domaine.
Merci, Christine Hennion, d'avoir évoqué la formation, dont je n'ai pas suffisamment parlé. Il est en effet prévu d'investir 2,5 milliards d'euros dans les formations innovantes. Le principal enjeu, en la matière, c'est l'accélération de la formation. Quelques exemples : on a besoin de 30 000 personnes dans le nucléaire, de 5 000 personnes dans la bioproduction, d'environ 100 000 personnes dans la robotique… Nous y réfléchissons avec de nombreuses écoles. Le premier appel à manifestation d'intérêt devra porter, selon moi, sur les méthodes permettant d'accélérer les formations. La réussite de l'apprentissage nous incite à explorer cette piste : le fait de mettre des gens en situation tout en leur donnant une formation de base est probablement une solution.
Enfin, comment gérons-nous les financements de l'innovation de rupture ? C'est là que nous devons être très créatifs. Il existe des méthodes de référence. Par exemple, la DARPA américaine, autrement dit leur agence pour les projets de recherche avancée en matière de défense, s'efforce de faire converger des idées sur un défi global – cette piste peut être intéressante. Nous avons également la possibilité de partir de la stimulation d'un écosystème territorial, en confiant le soin à des experts, réunis dans une plateforme, d'identifier ce qui vaut le coup d'être essayé. Cela concerne une partie des 5 milliards d'euros. Comme ces crédits correspondent à une zone de risque, nos choix peuvent aller d'une prise de risque absolue jusqu'à une prise de risque un peu plus sécurisée, avec des validations. La France a pour capitale Paris, et « pari » est un mot intéressant pour l'innovation de rupture !