La commission entend, conjointement avec la commission des affaires économiques, M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement
Mes chers collègues, cette audition est un peu particulière, à plusieurs titres. D'abord, il s'agit de la dernière réunion de la commission des affaires économiques sous la XVe législature – la commission des finances, quant à elle, se réunira encore cet après-midi et demain matin. Ensuite, elle nous offre l'occasion d'accueillir, en la personne de M. Bruno Bonnell, un ancien député, qui était membre de notre commission jusqu'à l'automne 2020 avant de rejoindre la commission du développement durable. Monsieur Bonnell, je me souviens, non sans une certaine émotion, des soirées que nous avons consacrées à l'examen du projet de loi PACTE, alors que vous étiez vice-président de la commission spéciale chargée d'examiner ce texte.
Cette audition est aussi particulièrement opportune. En effet, en cette période où nous sommes portés à dresser des bilans, elle nous permet de tracer des perspectives et de nous projeter vers l'horizon de 2030. Monsieur Bonnell, vous êtes, depuis le 31 janvier, secrétaire général pour l'investissement, chargé de France 2030. Autrement dit, il vous revient d'investir les 34 milliards d'euros du plan France 2030, auxquels s'ajoutent les 20 milliards du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA). Ces fonds ont vocation à faire de la France une grande nation d'innovation. Je ne doute pas que vos anciens collègues auront beaucoup de suggestions à vous faire en la matière.
Je me réjouis que notre ancien collègue Bruno Bonnell ait accepté d'être entendu par nos deux commissions au moment où il prend ses fonctions – le moment où il a des espoirs, de l'argent et des idées ! Je rappelle que 34 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 3,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) ont été votés en lois de finances pour 2022 au titre du plan France 2030. Ce dernier représente donc un nouvel investissement de très grande ampleur, et de moyen terme. Il s'ajoute aux quatre volets successifs des PIA qui ont été déployés depuis 2010 – on peut se réjouir de la constance de cette politique – et dont le quatrième s'élève à 20 milliards d'euros.
Cette audition nous offre l'occasion d'évoquer avec vous vos priorités, les évolutions que vous souhaitez conduire au sein du secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et la manière dont vous envisagez la gouvernance de France 2030 par rapport à celle qui a prévalu dans la gestion des PIA.
Mesdames et messieurs les députés et anciens collègues, n'occupant mes fonctions que depuis trois semaines, vous comprendrez que, si des questions très précises m'étaient posées, je confierais à Mme Géraldine Leveau ici présente, secrétaire générale adjointe, le soin d'y répondre.
Le plan France 2030 et le SGPI sont certes médiatisés, mais les objectifs poursuivis et les fondamentaux de notre action sont parfois mal compris. C'est pourquoi il m'apparaît essentiel de vous apporter des précisions.
France 2030 s'inscrit dans la continuité du plan de soutien et du plan de relance, mais il est en totale rupture avec le concept de guichet. Sa création a été annoncée par le Président de la République dans un discours d'octobre 2021, à l'occasion duquel il a énoncé dix objectifs fondamentaux, organisés autour de trois axes : mieux produire, mieux vivre et mieux comprendre. S'agissant du premier axe, il s'agit de faire émerger de petits réacteurs nucléaires modulaires, dits « SMR », de faire de la France le leader de l'hydrogène vert, de décarboner notre industrie, en visant une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre de 35 % d'ici à 2030, de produire plus de 2 millions de voitures électriques et hybrides d'ici à 2030 et de fabriquer le premier avion bas carbone. Concernant le deuxième axe, les objectifs sont d'investir dans une alimentation saine, durable et traçable, de produire vingt biomédicaments – notamment contre les cancers et les maladies chroniques – et de créer les dispositifs médicaux de demain, ainsi que de placer la France en tête de la production de contenus culturels et créatifs. Pour ce qui est de mieux comprendre, nous poursuivons deux objectifs à plus long terme : investir dans la nouvelle aventure spatiale et dans le champ des fonds marins de grande profondeur.
Le plan est organisé très concrètement autour de ces objectifs, et couvre l'intégralité des domaines concernés, de la recherche fondamentale à l'industrialisation. C'est une nouveauté par rapport aux programmes d'investissements d'avenir, qui ne comportaient pas le volet de l'industrialisation, de la fabrication en masse de produits. Cela aura un impact sur l'économie en ce qui concerne les exportations et la balance extérieure, mais aussi sur ce qui est produit par l'État à partir des supports dont il dispose.
Le plan comporte une catégorie de crédits particuliers, évalués à 5 milliards d'euros, que nous appelons la « poche de rupture ». Il s'agit de fonds alloués à la prise de risques et, le cas échéant, à l'échec. Compte tenu de l'incertitude qui règne dans le monde de l'innovation, on doit accepter en effet qu'un certain nombre de programmes n'aillent pas jusqu'au bout. C'est pourquoi les projets feront non seulement l'objet d'une évaluation préalable et d'un bilan a posteriori, mais également d'une évaluation constante au cours de leur développement, ce qui nous permettra de déterminer si nous continuons à les soutenir. Si certains choix technologiques, certaines options ne nous paraissent plus valables, nous réallouerons les crédits qui leur restaient à d'autres programmes.
Le secrétariat général pour l'investissement est né il y a une dizaine d'années, avec les programmes d'investissements d'avenir. Il a mêlé depuis l'origine, de manière assez efficace, l'appel à manifestation d'intérêt, qui s'adresse, pour un domaine particulier, aux acteurs de la recherche, de l'industrie ou de la sphère institutionnelle, et l'appel à projets, beaucoup plus concret, assorti de financements parfois élevés – Agnès Pannier-Runacher a annoncé récemment un appel à projets concernant l'innovation dans le dispositif médical, financé à hauteur de 400 millions d'euros.
Ce sont la Banque publique d'investissement (Bpifrance), l'Agence de la transition écologique, l'Agence nationale de la recherche et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui jouent le rôle d'interface avec les entités candidates au soutien de l'État. Depuis l'origine, il y a donc à la fois une coordination, un pilotage global des PIA, et une délégation aux opérateurs. La nuance que nous apportons, c'est que la délégation s'accompagne de la fixation d'objectifs beaucoup plus précis, et que l'action de l'État bénéficie d'une plus grande visibilité – il ne faut pas perdre de vue que derrière l'action des opérateurs se cache le volontarisme de l'État.
France 2030 fait prendre un véritable virage à la politique publique. À chaque fois que, dans notre histoire, est survenue une grande rupture technologique ou énergétique – et le développement de l'électrification constitue aujourd'hui, sans conteste, une rupture énergétique – l'intervention de l'État a été déterminante dans au moins un des trois domaines suivants. Le premier d'entre eux est le « dérisquage » des investissements privés dans la nouvelle technologie ; cela fait partie des missions du SGPI, qui l'exerce par le biais de subventions, de prêts, quelle que soit leur forme, ou éventuellement de fonds propres. Le deuxième est la réflexion sur les impacts de la rupture technologique sur la commande publique et la manière d'accélérer l'intervention de l'État ; nous réfléchissons, pour notre part, aux méthodologies que nous pourrions appliquer. Le troisième domaine est l'encouragement à la prise de risque, pour retrouver des avantages concurrentiels. Face à la problématique récente des vaccins, on a ainsi encouragé tout un secteur à s'engager dans la direction des biomédicaments.
Plutôt que de plan, je parlerais, à propos de France 2030, d'un ensemble de projets, soutenus avec bienveillance et beaucoup de moyens par l'État. Nous voulons voir fleurir les initiatives, plutôt que donner des directives trop rigides du haut vers le bas.
Comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire général, France 2030 suscite une attente considérable en termes d'efficacité, qui est au moins à la hauteur des investissements votés lors du dernier projet de loi de finances. Vous avez parlé de virage : je crois que dans ce virage, il faut accélérer. Les deux doivent aller de pair et sont probablement la clé du succès de ce plan, pour qu'il ne soit pas un PIA « de plus » – sans rien de péjoratif, car les PIA ont eu de nombreux aspects positifs et ont permis des avancées nécessaires en matière technologique et dans le domaine de l'innovation incrémentale.
Quelles sont donc, résumées simplement, les différences entre le SGPI tel que vous l'avez découvert en arrivant et le projet France 2030 ? Vous avez parlé de nouvelle gouvernance, de parties prenantes, de prise de risque, reprenant ainsi les mots prononcés par le Président de la République le 12 octobre dernier. Comment concrétise-t-on ces objectifs et, selon vous, qu'est-ce qui fera vraiment la différence, d'un point de vue opérationnel, dès les prochaines semaines ?
Je pense que l'une des grandes différences avec le SGPI que nous connaissions est l'investissement en equity : le plan France 2030 ne se borne pas au financement de projets mais inclut de la prise de risque en fonds propres. Dès lors, qui sera l'opérateur de la prise de participations ? S'agira-t-il de Bpifrance ou de la Caisse des dépôts et consignations, qui sont compétentes dans ce domaine, ou d'une structure ad hoc qui sera proposée par France 2030 ? En d'autres termes, allez-vous utiliser le savoir-faire des opérateurs, avec leurs qualités et leurs défauts ? Nous avons besoin d'être rassurés sur ce point.
Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur le profil des chargés d'affaires que vous entendez recruter ? La gouvernance est une chose, mais les équipes sont essentielles aussi. Allez-vous faire entrer directement dans vos équipes des personnes issues du monde de l'investissement privé ? Allez-vous mélanger des personnes issues de l'administration, de l'industrie et de l'investissement ?
Il y a également une attente très forte s'agissant des parties prenantes aux projets. Comment s'assurer que les petites entreprises locales seront bien intégrées aux stratégies industrielles que vous avez évoquées ? Vous avez indiqué que France 2030 présentait la spécificité d'étendre son champ d'action à l'industrialisation. Sur cette partie industrielle, des PME, des très petites entreprises, des entreprises de taille intermédiaire implantées dans nos territoires seront-elles parties prenantes ?
Un conseil d'orientation stratégique de France 2030, composé d'experts et chargé de suivre et de réviser les priorités stratégiques, est placé auprès du Président de la République. Deuxième étage de la fusée : le comité France 2030, présidé par le Premier ministre, qui assure le suivi du plan. Et à la base de la fusée, le comité de surveillance des investissements d'avenir évalue les investissements, tandis que vous avez pour tâche, monsieur Bonnell, de piloter l'exécution du PIA et de France 2030, et d'assurer le suivi. La gouvernance, qui n'était déjà pas simple, est devenue encore plus complexe. Je ne suis pas sûre d'en comprendre toutes les subtilités.
La Cour des comptes a formulé notamment trois critiques à l'encontre des PIA précédents. Elle a d'abord relevé leur coexistence avec un nombre élevé et croissant d'instruments publics d'investissement, tels le plan Juncker, le fonds pour l'innovation et l'industrie, le plan de relance, déployé par les préfets dans l'ensemble des territoires… Comment coordonne-t-on tout cela ? La Cour a également estimé que l'additionnalité du PIA, c'est-à-dire le fait que les projets financés par le PIA ne pourraient pas l'être par des crédits budgétaires ou des capitaux privés, mérite d'être mieux documentée. Il me semble qu'on doit pouvoir dire d'un projet s'il doit à l'évidence être financé par le PIA ou non, et à quels types d'autres projets sont destinés les autres crédits que le PIA. Il va falloir opérer un jour cette distinction. Enfin, la Cour des comptes a encouragé le passage d'une logique de moyens à une logique de performance, par une démarche d'évaluation plus robuste. En tant que rapporteure spéciale sur les investissements d'avenir, je dénonce chaque année, depuis 2017, le manque de critères d'évaluation de la performance.
Le Gouvernement a insisté sur le renforcement de l'évaluation de France 2030. Quelle forme prendra cette évaluation et quand pourrons-nous consulter les premiers travaux ?
France 2030 a pour objectif de développer la base industrielle du pays, par de nouvelles implantations. Allez-vous les disperser dans toute la France ? Les PIA présentaient en effet la faiblesse d'être concentrés géographiquement. Étudierez-vous également les implantations par filière ?
Un des objectifs assignés à France 2030 est d'améliorer la lisibilité des procédures d'octroi des crédits et d'exécution du plan. Comment allez-vous faire concrètement ?
Enfin, la loi de finances pour 2022 a ouvert 34 milliards d'euros en autorisations d'engagement pour France 2030 et 3,5 milliards en crédits de paiement. Pouvez-vous nous donner des perspectives concernant l'engagement prévisionnel des crédits de France 2030 après 2022 ? Comment les fonds seront-ils décaissés ?
Monsieur Bonnell, cher Bruno, au nom de mon groupe, je vous félicite pour vos nouvelles fonctions et vous souhaite pleine réussite, car le plan France 2030 que vous pilotez est stratégique pour notre pays. Le Président de la République a fixé un cap clair pour faire émerger les futurs champions technologiques français et investir massivement dans les révolutions industrielles de nos secteurs d'excellence. On peut citer, par exemple, l'énergie, notamment le nucléaire et l'hydrogène, la pharmacie, la robotique. Ce quinquennat aura remis la France sur la voie de l'industrialisation, en faisant de la compétitivité, de l'innovation, de la croissance de nos entreprises des priorités absolues. Les résultats sont déjà bons, mais le plan France 2030 doit permettre une accélération, ce qui exigera que l'on fasse preuve de continuité dans l'action.
À cet effet, nous avons déjà sanctuarisé le financement du plan, avec l'adoption de 34 milliards d'euros en AE et de 3,5 milliards en CP dans la loi de finances pour 2022, dans le cadre de la mission Investir pour la France de 2030, anciennement dénommée Investissements d'avenir.
Ancien parlementaire vous-même, vous savez que l'information du Parlement sera essentielle pour une bonne évaluation du dispositif. Il nous faudra des indicateurs et une approche cohérente avec l'évaluation du PIA. Ayant eu l'honneur d'être chargée du premier rapport sur le PIA 3 au nom de la commission des affaires économiques, je connais les défis à surmonter. Quelles sont vos pistes à ce sujet ?
Le Président de la République a souhaité une gouvernance simplifiée, dans un « esprit commando ». Il est en effet essentiel que nos entreprises se saisissent du plan. Comment cela va-t-il se dérouler concrètement, notamment vis-à-vis des opérateurs ?
J'appelle par ailleurs votre attention sur les besoins toujours aussi importants de nos entreprises en capital et en fonds propres, dans l'industrie de rupture. Je pense à la French Tech de Paris-Saclay, aux start-up du quantique dans les Yvelines, ou à Shark Robotics, dans le secteur des robots. Toutes ont des besoins considérables en capitaux pour massifier leurs investissements et la production. Une mission a été confiée à Bpifrance pour accroître les fonds propres et stimuler la croissance des écosystèmes. Où en est-on ?
Le Président de la République a fixé comme objectif la conduite de politiques d'achat cohérentes entre les grands groupes et les administrations publiques, pour soutenir nos entreprises industrielles innovantes. Pouvez-vous préciser quelle sera votre action en la matière ?
Un dernier mot, mes chers collègues, pour dire que je suis ravie que ma dernière intervention de la législature fasse écho à mon premier avis budgétaire, sur ce sujet essentiel.
Le groupe Dem est également très satisfait de ta nomination, cher Bruno. Ton parcours nous permettra sans nul doute de faire évoluer la logique de l'investissement.
Je commencerai par des sujets institutionnels. S'agissant du fonctionnement du SGPI, quelle coordination existe-t-il entre le comité de surveillance et le secrétaire général ?
Par ailleurs, parmi les quatre opérateurs importants que tu as cités figure le bloc de la CDC, qui comprend notamment Bpifrance. Quels liens unissent ce bloc au SGPI ? Nous sommes un certain nombre à avoir essayé de dresser le bilan des PIA, et l'exercice a été compliqué. Le suivi de ces programmes se faisait aussi par le biais de la CDC.
Pour ce qui est du fond du sujet, on sait que l'évaluation est clairement à améliorer, s'agissant du bilan financier des PIA. Le SGPI a-t-il déjà analysé les insuffisances des précédents plans et les lacunes de leur suivi ? La Cour des comptes en a relevé certaines. L'outil est certes très intéressant, mais il est apparu, au cours des dernières années, qu'il y avait eu des manques, des oublis ou des difficultés pour réallouer les financements.
Enfin, il a été question de la répartition territoriale et par taille des parties prenantes aux projets : plus précisément, pourra-t-on impliquer les sous-traitants ? Ils sont nombreux dans notre économie, font-ils en tant que tels partie de la réflexion ?
Nous sommes heureux et fiers de ta nomination, cher Bruno. Je salue également le plan d'investissements, d'une ampleur inédite, annoncé par le Président de la République le 12 octobre dernier. Ces investissements seront déterminants pour fixer le cap de notre économie à l'horizon 2030. Ils touchent tous à l'enjeu de la souveraineté de notre pays dans des domaines stratégiques d'avenir, tels que l'énergie – l'actualité géopolitique nous rappelle son importance – l'aéronautique, l'espace, la santé ou encore l'alimentation.
La crise que nous avons traversée nous oblige à en tirer les bonnes leçons, ce que nous faisons avec ce grand plan d'action national. Le premier enseignement de cette crise, sanitaire d'abord puis économique, d'une brutalité et d'une soudaineté inédites, est notre immense capacité de résilience. Le groupe Agir ensemble a accompli un travail important, au travers d'une mission d'information confiée à Thomas Gassilloud, sur la résilience nationale face aux crises de toute nature.
France 2030 accompagne l'effort de réindustrialisation de notre pays dans le secteur médical et pharmaceutique, tout en confortant notre stratégie énergétique, en fixant un cap à moyen et long terme qui nous permettra d'atteindre nos objectifs de réduction des émissions de carbone. Le groupe Agir ensemble croit aux nouvelles technologies et à l'innovation pour créer les énergies vertes de demain, telles que l'hydrogène vert. Pour cela, et afin de redonner à notre pays une croissance forte, nous devons investir massivement dans la recherche appliquée et l'innovation, pour faire émerger des produits à valeur ajoutée. Dans quelle mesure le secrétaire général pourra-t-il orienter les investissements en direction de la recherche appliquée et des produits à forte valeur ajoutée ? Par ailleurs, nous disposons de nombreux porteurs de projets et investisseurs, mais qui se heurtent souvent à des freins, notamment réglementaires. Comment le secrétaire général peut-il les accompagner ? Agira-t-il auprès du Gouvernement pour lever ces freins ?
Bruno, nous avons conduit ensemble une mission d'information sur les métiers du lien. À cette occasion, nous avons croisé Assia, Hayat, Martine, qui s'occupent de nos enfants, de nos personnes âgées, handicapées ou non. À chaque fois que je les croise, elles me demandent : « Ben alors, il est où ton copain Marcheur ? Il va y avoir une loi ou il va pas y en avoir ? » Je leur dis que non, il n'y aura rien pour les auxiliaires de vie sociale, rien pour les femmes de ménage, rien pour les assistantes maternelles, rien pour les accompagnantes d'enfants en situation de handicap. Et voilà que tu décroches une enveloppe de 34 milliards d'euros ! L'espoir renaît !
Mais je découvre que ces 34 milliards ne seront pas pour l'humain mais pour les robots ; ce seront 34 milliards pour la génétique, la robotique, le numérique, le nucléaire de proximité… J'éprouve alors une inquiétude immense : c'est la réponse macroniste au changement climatique, à ce défi immense qui est devant nous ! On renonce à changer la société, on fait le pari incertain du tout-technologique. On espère une innovation de rupture qui est un peu l'équivalent du deus ex machina dans la tragédie grecque : ça va nous tomber du ciel, ça va tout résoudre ! Moi, je pense qu'on va dans le mur.
Quel est le chemin du progrès ? Passe-t-il par l'innovation, les objets, la 6G, ou plutôt par l'humain, la qualité des relations, l'éducation qu'on offre à nos enfants et les soins qu'on apporte aux personnes âgées, avec Assia, Hayat et Martine ? La France de 2030, c'est aussi celle de ces femmes. Pour elles, on ne comptera jamais en milliards, tu le sais, Bruno. Je vais continuer à faire la manche au cours du prochain quinquennat, si les électeurs veulent bien de moi : j'irai gratter des millions, peut-être quelques dizaines de millions – pour ces femmes, cela fera quelques euros supplémentaires et je les prendrai. Mais ton combat pour l'humain d'abord, de la naissance à la mort, était-ce seulement le temps d'un film ?
Le SGPI est une structure d'une qualité exceptionnelle. Les trente-cinq personnes qui y travaillent sont très compétentes dans leur domaine, d'une précision remarquable, très engagées et réellement désireuses de participer à un projet collectif extraordinaire, dont le pilotage est complexe. Mes collaborateurs ont des formations très diverses : certains ont étudié le droit, d'autres viennent de la finance ; certains sont ingénieurs, d'autres hauts fonctionnaires. Notre objectif n'est pas de remplacer les structures existantes, ni de travailler à la va-vite. Les équipes se sont déjà beaucoup renouvelées : ainsi, 63 % des membres du SGPI sont en poste depuis moins de trois ans, et 52 % depuis moins de deux ans.
Il faut évidemment faire preuve de souplesse, non parce que la structure du SGPI serait trop rigide, mais parce que les objectifs ont changé et que la mise en œuvre du plan France relance a, d'un point de vue fonctionnel, embolisé notre institution. L'année dernière, l'administration française dans son ensemble a lancé 800 appels d'offres, contre 200 en moyenne lors d'une année normale. Ce volume important était rendu nécessaire par la crise, mais il a contribué à faire de notre structure un guichet, à lui faire acquérir des automatismes, des habitudes, des routines qu'il faut maintenant casser. L'une des missions auxquelles je m'attelle aujourd'hui est de réinstaurer le principe originel de la sélectivité des projets.
J'en viens à votre question précise, monsieur le rapporteur général, sur l'investissement en equity. Aujourd'hui, une partie de l'equity est utilisée en levier avec des moyens européens – une enveloppe d'un milliard d'euros est destinée à cet usage – l'autre partie étant gérée par Bpifrance, dans le cadre de divers fonds tel celui affecté aux écotechnologies.
Vous m'avez également interrogé, comme Mme Dalloz, sur la garantie accordée aux émergents. Cependant, qu'est-ce qu'une structure émergente ? C'est une question que nous nous sommes posée lors de deux des trois comités de direction organisés depuis que j'ai pris mes fonctions il y a trois semaines. Quels critères faut-il prendre en compte ? L'âge de la société ? Le fait qu'elle ait ou ait eu accès à des financements publics ? Le fait qu'elle développe une innovation à risque ? Nous réfléchissons à un ensemble de paramètres, que je vous présenterai avec plaisir si vous me réinvitez à m'exprimer devant vos commissions. Quoi qu'il en soit, cette notion sera affinée en vue de dédier 50 % des 34 milliards du plan France 2030 aux structures émergentes.
S'agissant du profil des recrutements, le critère sera la qualité des candidats. Nous viserons une meilleure représentation des femmes car, même si ces dernières représentent globalement 40 % des effectifs du SGPI, le déséquilibre est assez manifeste aux niveaux supérieurs.
Madame Dalloz, oui, notre organisation est complexe, mais c'est plutôt rassurant : au vu des montants en jeu, il est important de prévoir des validations. Ce n'est pas ce mécanisme qu'il faut supprimer pour accélérer les choses, mais les réunions sans fin qui reportent les prises de décision. Le conseil d'orientation stratégique se réunit une fois par an pour fixer les grandes orientations et discuter de grandes opérations gérées par des experts qui rendent compte au Président de la République. Un comité de suivi, probablement biannuel, se réunira sous la présidence du Premier ministre ; y participeront des responsables syndicaux, des représentants des territoires et diverses institutions telles que France Industrie ou France Universités, car il est important que toute la France se mobilise autour de « l'équipe de France 2030 », dont j'ai l'honneur d'être l'entraîneur. Et des évaluations seront conduites en interne, par une équipe de quatre personnes que nous sommes en train de renforcer, en lien quasi quotidien avec la Cour des comptes, afin de corriger les imperfections que présentent nos projets. Notre organisation peut donc paraître lourde, mais elle ne l'est pas au quotidien.
S'agissant de la coexistence de plusieurs plans d'investissements, ainsi que je l'ai dit, notre action sera marquée à la fois par la continuité et la rupture : les objectifs que nous affichons clairement intègrent ces différents plans, ce qui nous donne plus de moyens.
Comment allons-nous évaluer notre action ? Je ne peux pas vous répondre précisément aujourd'hui. Dans les tout prochains jours, nous allons établir une grille de référence, avec différents paramètres d'évaluation, au regard desquels nous essaierons de nous situer, puisqu'une évaluation ne peut être que dynamique. Ces paramètres ne seront pas uniquement financiers : nous chercherons également à mesurer les impacts sociétaux de notre action car, quand l'État injecte de l'argent dans un système, qu'il s'agisse d'un centre de recherche, d'une entreprise ou d'une opération particulière, son intervention a nécessairement un impact sur l'équilibre économique d'un territoire, sur le partage de la valeur, sur la formation des personnes… J'ai l'habitude de dire que nous sommes un générateur de valeurs, au pluriel. Nous viendrons vous présenter ce référentiel, qui servira de base à nos évaluations ; si j'en ai l'autorisation, je le rendrai probablement public, dans un souci de transparence. Il faut montrer que l'action de l'État est proactive, volontariste.
S'agissant des aspects géographiques, j'ai rencontré la semaine dernière tous les préfets de France, réunis à Beauvau, devant lesquels j'ai réaffirmé ma volonté de faire de France 2030 un plan territorial. Mais il faut être deux pour danser : il appartient donc aux territoires de se mobiliser, en sachant que nous avons le pouvoir d'initier ou de compléter des opérations dans la sphère de l'innovation. Ainsi, nous encourageons l'innovation dans des « territoires inattendus » ; nous en connaissons beaucoup – j'ai eu l'occasion d'en découvrir certains lorsqu'Édouard Philippe m'a chargé du rapport qui a débouché sur le programme Territoires d'industrie.
L'accroissement de la lisibilité des procédures sera au cœur de notre travail des prochaines semaines. Pour être honnête, nous avons beaucoup de mal à élargir la base de la pyramide de l'offre, ce qui est pourtant essentiel. La succession des plans, depuis le PIA 1, a entraîné la multiplication des professionnels de la subvention : des entreprises et des sociétés de conseil sont à l'affût des appels d'offres, comme à la chasse à la grive, et captent souvent les moyens, qui sont mal répartis. Donnez-moi quelques jours, nous sommes en train de travailler à des solutions possibles. Nous pensions initialement que des appels à manifestation d'intérêt suffiraient, mais tel n'est pas le cas : nous devrons donc être plus proactifs dans la stimulation du réseau.
S'agissant de nos engagements postérieurs à 2022, je laisse la parole à mon adjointe.
À ce jour, nous avons prévu 5,5 milliards d'euros de crédits de paiement au titre de France 2030 et des PIA pour l'année prochaine, mais nous ajusterons nos chroniques en fonction des engagements réels que nous prendrons et des projets qui seront décidés et financés cette année. Nous vous tiendrons informés dans le cadre de nos rapports trimestriels. Je souligne que l'année 2021 a été particulière, puisque nous avons engagé près de 6 milliards d'euros pour contribuer à la relance économique, contre 2,5 à 3 milliards pour une année normale de PIA. Nous avons su être réactifs et agiles lorsque l'économie en avait besoin.
Madame Lebec, vous m'avez interrogé sur la gouvernance du SGPI. Le Président de la République lui-même a voulu que nous fonctionnions « en mode commando ». J'ai pris quelques premières mesures visant notamment à resserrer le comité de direction, éviter un organigramme en râteau et bien distinguer ce qui relève de l'héritage de ce qui correspond à nos objectifs. Il est peut-être un peu tôt pour que je vous présente la future gouvernance de façon plus formelle, mais je pense que nous allons gagner en réactivité.
Le sujet de la commande publique et de nos relations avec les grands groupes dépasse quelque peu le périmètre du SGPI. Nous serons probablement amenés à y réfléchir pour l'avenir, non pas dans un esprit de protectionnisme, mais dans un souci de positionnement. À d'autres moments de ma carrière, j'ai travaillé sur la formation des acheteurs : si on évalue uniquement la performance d'un acheteur en fonction des économies qu'il aura permises à court terme, on favorise des achats qui ne seront pas forcément idéaux, ni en termes écologiques, ni en termes de soutien à l'innovation française. Nous avons des solutions techniques à proposer pour que nos achats publics favorisent à la fois l'innovation de l'offre et l'innovation de la demande. Mais nous ne sommes pas les seuls acteurs concernés : la réflexion doit donc être collective.
Monsieur Jerretie, vous m'avez interrogé sur l'articulation entre le comité de surveillance et le secrétaire général. Le SGPI n'est pas une entreprise privée : le comité de surveillance, composé pour moitié de personnalités qualifiées, pour moitié de parlementaires – le rapporteur général de la commission des finances, Laurent Saint-Martin, en fait partie – joue donc plutôt un rôle de guide stratégique. Il ne lui revient pas de donner des autorisations mais d'encadrer, de commenter, d'aiguiller et de faire un point régulier sur l'action du secrétaire général, avec qui il travaille en bonne intelligence. Il me semble intéressant d'entendre ces conseils éclairés émanant de personnes de qualité pour, le cas échéant, corriger le tir.
Plusieurs rapports ont déjà été consacrés à l'évaluation des PIA. Je n'y reviendrai pas car cela impliquerait de longs développements. Mais nous avons bien pris conscience de la difficulté à réallouer les financements ; c'est pourquoi j'ai évoqué tout à l'heure l'analyse en ligne de la performance des projets et la faculté d'accepter l'échec.
Quant à la sous-traitance, elle fait partie de la chaîne de l'innovation, et donc de notre champ d'intervention. Il faut bien distinguer l'innovation de l'invention : l'invention est une offre nouvelle – le fil à couper le beurre – faite à un marché, qui peut l'accepter ou non ; l'innovation est toujours une réponse à une demande sociétale spécifique. Ainsi, l'optimisation d'un process industriel est une innovation, dans la mesure où elle répond à des besoins de précision, de rapidité ou de qualité. La sous-traitance peut donc tout à fait proposer des innovations – des machines plus performantes, des améliorations de la chaîne de transfert, des nouveautés dans le domaine de la robotique – qui méritent d'être soutenues.
Madame Magnier, vous m'avez interrogé sur les freins réglementaires. De nombreux acteurs m'ont déjà dit que leur problème n'était pas l'argent mais la norme. Je ne suis que secrétaire général pour l'investissement, mais je m'engage à vous faire remonter ces difficultés, qu'il vous incombera peut-être de résoudre dans l'hémicycle. Quoi qu'il en soit, nous devons tous prendre conscience qu'une énergie est en train de se développer, en France, en matière d'innovation, qui risque d'être freinée par un certain nombre de normes. Certaines sont intelligentes, notamment lorsqu'elles concernent la sécurité, mais d'autres mériteraient sans doute d'être revues, par exemple si elles résultent de la surtransposition de directives européennes.
J'en arrive à la question du deus ex machina, cher François Ruffin ! Je suis très fier d'avoir fait ce film Debout les femmes ! avec toi, tu le sais. Mais, nous nous en sommes déjà expliqués : pour ma part, je suis intimement persuadé que la solution consiste à fournir du travail à tout le monde. Pour que ces personnes retrouvent de la dignité et améliorent leur qualité de vie, nous devons leur apporter de la croissance – je sais bien que nous ne sommes pas d'accord là-dessus – qui donnera à leur travail une raison d'être. Je ne peux pas me renier, j'ai écrit un livre intitulé Viva la Robolution, mais je l'ai conclu en affirmant que cette révolution ne devrait pas servir d'excuse pour justifier un manque d'attention portée aux autres. Je fais le pari que ces investissements dans le progrès et le partage de la valeur gagnée libéreront du temps d'attention et des moyens, ce qui permettra à nos concitoyens de vivre plus dignement. C'est parfaitement cohérent, et mon combat n'a pas duré que le temps d'un film. À la tête du SGPI, je traite les choses différemment, mais toujours en croyant que les progrès réalisés généreront de la valeur qui pourra être partagée.
Vous avez évoqué tout à l'heure un sujet qui m'est cher, le financement de l'innovation de rupture. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur la gouvernance que vous entendez adopter dans ce domaine ? Les indicateurs de performance sont difficiles à évaluer. Pour m'intéresser depuis de nombreuses années à ce que font les États-Unis en la matière, je considère que nous pouvons nous inspirer de certaines de leurs bonnes pratiques, même si vous êtes sans doute capable de faire encore mieux !
Je me félicite des récents indicateurs sur l'industrie, qui montrent que les mesures prises depuis cinq ans portent leurs fruits et que nous avons enfin mis fin à l'hémorragie dont souffrait notre secteur industriel, puisqu'on observe quatre fois plus d'ouvertures de sites que de fermetures. Le Gouvernement a remis l'industrie au cœur de notre économie.
Les industriels ont été particulièrement affectés par la crise sanitaire, et le Gouvernement a adopté des mesures de soutien massives et inédites, qui ont permis un redémarrage plus rapide de l'activité. Grâce au chômage partiel, nous avons maintenu les compétences dans nos entreprises. En Haute-Savoie, les plans de soutien à l'aéronautique et à l'automobile ont permis de relancer l'investissement et de prendre le virage de la diversification.
Il est primordial de penser l'après en se tournant vers les secteurs d'avenir. En cela, le grand plan d'investissements France 2030 est ambitieux, puisque l'un de ses objectifs est de faire de la France le leader de l'hydrogène vert. Dans la vallée de l'Arve en particulier, en Haute-Savoie, nous sommes conscients de la nécessité de la diversification, du fait de la fin du moteur diesel. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la place de l'hydrogène vert prévu dans France 2030 ? Quelles seront les opportunités pour nos industriels ? Quelles conséquences ces évolutions pourront-elles avoir sur l'industrie ?
Les objectifs du plan France 2030, qui reprennent d'ailleurs ceux des PIA, sont fondamentaux et essentiels pour l'avenir.
Comment allez-vous prendre les décisions ? De manière centralisée, bloquée, ou en dialoguant avec les territoires ? Lors de la mise en œuvre du plan France relance, les territoires n'ont pas été consultés – en tout cas pas la Corse, puisque les dispositifs pourtant importants dont elle a bénéficié, à hauteur de 220 millions d'euros, n'étaient manifestement pas adaptés au tissu économique de l'île, comme n'ont cessé de le regretter les habitants de ma circonscription. Comptez-vous intégrer les collectivités, notamment les régions, dans la gouvernance du plan France 2030 ? Êtes-vous prêt à vous engager dans une démarche de contractualisation avec la collectivité de Corse, en respectant les compétences de cette dernière en matière économique ? Au passage, la communauté d'agglomération de Bastia est tout à fait disposée à vous accueillir et à cofinancer des activités de type secondaire.
En tant que représentants de certains terroirs, nous voyons parfois les choses de manière un peu différente, en particulier en Corse. Mais ce n'est pas parce que je vous parle de ces enjeux locaux que je regarde les choses par le petit bout de la lorgnette ; au contraire, je comprends l'importance des secteurs concernés par ce plan et la nécessité vitale de les maîtriser.
Vous avez déjà dit quelques mots des moyens dont vous disposez. Quels sont les effectifs du SGPI ? Ses crédits budgétaires lui sont-ils rattachés, ou dépendent-ils d'autres ministères ? Autrement dit, êtes-vous l'ordonnateur de vos dépenses ? De même, s'agissant de vos interventions, vous avez parlé de subventions, de capitaux propres et de prêts. Où ces crédits sont-ils inscrits ? En disposez-vous facilement ou êtes-vous très dépendant des autres ministères ? Y a-t-il une fongibilité ?
Vous avez mentionné un certain nombre d'objectifs, notamment celui de mieux produire. Les horizons du PIA 4, soit 2030, sont-ils cohérents avec les délais annoncés ? Par exemple, les observateurs les plus optimistes pensent que les premiers SMR ne seront opérationnels qu'en 2035. Il en est de même pour les avions bas carbone : pour avoir été, pendant des années, rapporteur spécial du budget annexe Contrôle et exploitation aériens, je peux vous dire que personne, dans le secteur de l'aviation, ne croit à la mise au point de ce type d'appareils avant 2035 ou 2040.
Enfin, avez-vous défini des règles pour assurer un effet de levier – par exemple, on ne verse 1 euro d'argent public que lorsque 3 euros sont déjà financés par des fonds privés ? Il s'agit d'éviter que les crédits accordés par l'État viennent se substituer à des financements qui, de toute façon, auraient été assurés, même avec un peu plus de difficultés – et encore –, ce qui est malheureusement souvent le cas lorsque des investissements sont cofinancés par l'État.
Toutes mes félicitations, cher Bruno, pour ta nomination à la tête du SGPI. Pendant la mission qui t'avait été confiée sur les territoires d'industrie, tu nous as fait l'honneur de venir dans le Lot, où tu as pu découvrir les nombreuses innovations, de rupture ou d'amélioration, développées par notre bassin dans l'aéronautique ou l'automobile. Je sais à quel point cela te tient à cœur. Je suis d'autant plus heureuse de terminer cette législature en parlant d'innovation que c'était, moi aussi, mon précédent métier. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de rédiger, au nom de la commission des affaires économiques, l'avis budgétaire sur les crédits de la mission Investissements d'avenir, qui aboutit aujourd'hui au plan France 2030. J'aimerais simplement faire deux recommandations.
Les auditions que nous avons menées ont mis en lumière quelques inquiétudes quant à la situation des petites entreprises ou start-up qui commencent tout juste à développer leurs produits. Il faudrait que tu sois attentif à cette phase critique, ainsi qu'à la répartition des budgets dans nos territoires, notamment dans ceux qui ont envie d'apporter leur savoir-faire en matière d'hydrogène vert.
Comme tu le sais, j'ai beaucoup travaillé sur la question du biomimétisme. J'ai déposé une proposition de résolution sur ce sujet mais, arrivés à la fin de la législature, nous n'aurons pas le temps de l'examiner. Cette approche contribue au développement de solutions techniques inédites et variées, comme le montre la recherche dans les domaines de l'aéronautique, de la cosmétique ou de l'agriculture. J'aimerais pouvoir approfondir ces sujets avec tes équipes.
Enfin, alors que le Salon international de l'agriculture va s'ouvrir cette semaine, les agriculteurs nous posent beaucoup de questions relatives au déploiement du plan France 2030 dans le domaine de l'alimentaire. Pourrais-tu nous donner quelques éléments concrets sur ce volet ?
À mon tour de te présenter, cher Bruno, toutes mes félicitations pour cette nomination méritée.
Dans le cadre du plan France 2030, une enveloppe de 2,5 milliards d'euros sera consacrée à la formation, un enjeu très important si l'on veut que la France dispose de toutes les compétences nécessaires pour développer ces solutions d'avenir. Cependant, en consultant l'un des premiers appels à manifestation d'intérêt dans ce domaine, j'ai eu l'impression que ces programmes étaient très circonscrits alors qu'en matière d'innovation, on a besoin de transversalité. Comment ces programmes de formation pourront-ils s'articuler avec tous les sujets d'innovation sur lesquels nous voulons avancer ?
Deuxièmement, comment peut-on articuler les différents programmes avec la commande publique ? Il ne suffit pas, en effet, de financer la recherche et l'investissement ; encore faut-il que les entreprises aient des commandes pour se lancer.
Tout d'abord, monsieur de Courson, il n'y a aucune ambiguïté : les crédits du plan sont à notre main, sous l'autorité du Premier ministre.
Les 54 milliards d'euros dont nous disposons se répartissent de la façon suivante : 6,5 milliards seront investis en fonds propres, les 47,5 autres prendront la forme de subventions ou d'avances remboursables, dont nous ignorons encore la répartition : elle variera selon les secteurs et les affectations.
Cela me permet d'insister sur le référentiel et les valeurs. De fait, on ne fait pas de retour sur investissement avec une subvention. Mais elle présente beaucoup d'autres avantages, dont l'effet de levier. En effet, la subvention ou l'avance remboursable « dérisque » considérablement les tiers qui souhaitent investir des fonds propres dans une entreprise. Dans la french touch, la notion d'effet de levier pourrait être la Bruno's touch ! Nous allons beaucoup y travailler. Je ne dirai pas que cette notion a été négligée jusqu'à présent, mais l'État partenaire n'a pas la même perception des choses que l'État qui subventionne. Ici, l'État accompagne ; on pourra éventuellement pousser les engagements économiques complémentaires du secteur privé ou de tiers institutionnels, européens par exemple.
Si le plan s'intitule « France 2030 », ce n'est pas parce que nous pensons qu'en 2030, tout changera. Il n'y aura pas de « grand jour ». Il s'agit plutôt de donner un horizon d'engagement assez long, soit une dizaine d'années, mais nous sommes tous conscients qu'il faudra plus de dix ans pour que certaines technologies deviennent usuelles. D'autres, en revanche, seront déjà banalisées en 2030. Ainsi, on peut raisonnablement penser que nos objectifs concernant la voiture électrique seront atteints. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils sont précis : 2 millions de voitures électriques ou hybrides en 2030. Pour ce qui est des fonds sous-marins ou de l'exploration de l'espace, les projections sont, certes, beaucoup plus longues. Mais il faut bien commencer pour obtenir des résultats.
M. Castellani m'a interrogé sur la Corse. Je rencontrerai Mme Delga, présidente de Régions de France, demain après-midi. Je lui ai déjà parlé au téléphone, et je lui ai confirmé que les régions sont essentielles, notamment pour l'élargissement de la base de la pyramide. Nous avons en effet besoin d'avoir des régions une bien meilleure connaissance que celle que l'on peut en avoir depuis Paris. Le dialogue avec elles est donc indispensable. C'est pourquoi j'ai prévu de me rendre dans chacune d'entre elles à partir du début du mois d'avril – il convient d'associer également à France 2030 les préfets, qui ont fait un boulot remarquable dans le cadre du plan de relance. Par ailleurs, la contractualisation ne prendra pas la forme d'une délégation budgétaire – je m'en suis expliqué auprès de Mme Delga – mais bien celle d'un partenariat : il s'agit de réaliser des opérations ensemble. Sinon, le secrétariat général ne servirait pas à grand-chose.
L'hydrogène vert est un monde dont on sous-estime la complexité. Nous n'en avons pas la même définition que les Allemands, par exemple : on apprend ainsi, en lisant la directive RED, relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, que, dans sa version allemande, l'hydrogène vert exclut l'hydrogène par électrolyse généré par les centrales nucléaires car il n'est pas renouvelable. Et toutes les nuances existent : hydrogène vert, gris-vert, vert-gris, vert-de-gris, noir… Nous en sommes là ! Une clarification me paraît donc nécessaire, notamment de la part du législateur : il faut que nous sachions comment le définir et que nous travaillions à une harmonisation avec les règles européennes. Je ne suis donc pas capable, pour le moment, de répondre précisément à la question.
Nous avons une véritable chance, car c'est un choix politique, de produire notre propre hydrogène, quand d'autres pays choisissent de l'importer. Je citerai deux chiffres qui me paraissent éclairants.
Le projet hydrogène du plan France 2030 a d'abord pour objectif de générer 600 000 tonnes d'hydrogène vert, ce qui correspond au besoin de consommation français. Les Allemands, quant à eux, devraient parvenir, avec leur propre technologie, à un résultat à peu près identique, mais ils en consommeront, compte tenu de leurs options en matière énergétique, 2 millions de tonnes par an. Leur stratégie inclura donc, d'une manière ou d'une autre, l'importation d'hydrogène tandis que la nôtre devrait être équilibrée. Je me permets de descendre à ce niveau de détail pour illustrer le type de discussion que nous avons, au SGPI, avec les experts. Nous discutons de la prospective, des options, de l'évaluation des besoins… Nous ne nous contentons pas de signer des chèques en fonction de pourcentages. Nous nous efforçons, face aux options d'investissement que nous devons prendre, de viser le plus juste possible. Il en est de même pour le photovoltaïque ou la bioproduction. C'est pourquoi je vous demande de nous communiquer les noms d'experts ou d'entreprises que vous connaissez : nous avons besoin de confronter les idées, dans ces domaines.
Le biomimétisme faisant partie des innovations de rupture, c'est évidemment une piste à explorer. De mémoire, on m'a dit, par exemple, au cours d'une discussion, qu'une enzyme trouvée dans une source chaude au fin fond de l'océan avait inspiré la fabrication d'un médicament. Il faut encourager ces innovations de rupture – je reviendrai sur la gouvernance –à partir de ce type d'initiatives spontanées.
Pour l'agriculture, il n'y a pas de débat : elle est déjà très technologique et nous soutenons les initiatives prises dans ce secteur, de même que dans celui de l'alimentaire. On peut regretter que, pour le moment, la France fabrique peu de robots ou de capteurs, par exemple. Nous étudions la question et nous lancerons des appels à projets dans ce domaine.
Merci, Christine Hennion, d'avoir évoqué la formation, dont je n'ai pas suffisamment parlé. Il est en effet prévu d'investir 2,5 milliards d'euros dans les formations innovantes. Le principal enjeu, en la matière, c'est l'accélération de la formation. Quelques exemples : on a besoin de 30 000 personnes dans le nucléaire, de 5 000 personnes dans la bioproduction, d'environ 100 000 personnes dans la robotique… Nous y réfléchissons avec de nombreuses écoles. Le premier appel à manifestation d'intérêt devra porter, selon moi, sur les méthodes permettant d'accélérer les formations. La réussite de l'apprentissage nous incite à explorer cette piste : le fait de mettre des gens en situation tout en leur donnant une formation de base est probablement une solution.
Enfin, comment gérons-nous les financements de l'innovation de rupture ? C'est là que nous devons être très créatifs. Il existe des méthodes de référence. Par exemple, la DARPA américaine, autrement dit leur agence pour les projets de recherche avancée en matière de défense, s'efforce de faire converger des idées sur un défi global – cette piste peut être intéressante. Nous avons également la possibilité de partir de la stimulation d'un écosystème territorial, en confiant le soin à des experts, réunis dans une plateforme, d'identifier ce qui vaut le coup d'être essayé. Cela concerne une partie des 5 milliards d'euros. Comme ces crédits correspondent à une zone de risque, nos choix peuvent aller d'une prise de risque absolue jusqu'à une prise de risque un peu plus sécurisée, avec des validations. La France a pour capitale Paris, et « pari » est un mot intéressant pour l'innovation de rupture !
Merci, monsieur le secrétaire général. Vous nous avez montré que vous étiez bien entré dans votre rôle.
Les financements sont là : beaucoup d'argent frais, peu de crédits existants recyclés. Les secteurs d'avenir qu'il faut tenter de privilégier sont à peu près clairement identifiés. La prise de risque est intégrée – et c'est assez nouveau dans le domaine public. En définitive, tout repose sur l'art de l'exécution de ces crédits et sur la vitesse à laquelle les choses vont se propager, puisqu'il s'agit de lanceurs de croissance supplémentaires. Ils permettront à la France de ne pas décrocher par rapport à d'autres pays qui ont d'ores et déjà beaucoup investi dans ces domaines.
Vous avez une lourde charge. Il reviendra à ceux qui nous succéderont de suivre cela de près : le Parlement doit jouer le rôle d'une tour de contrôle qui veille à la bonne exécution du plan. Rares sont les politiques lancées il y a plus de dix ans qui montrent encore aujourd'hui, et plus que jamais, leur nécessité. Il y a des innovations de rupture, mais il y a aussi des politiques rompues : on essaie quelque chose pendant un an, puis on change. C'est parfaitement inefficace et toujours très coûteux. Tel n'est pas le cas de la politique des programmes d'investissements d'avenir, qui s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui, quels que soient les présidents de la République. Elle est exemplaire à cet égard.
Merci à tous. J'ai été très heureux de nos collaborations régulières avec la commission des finances. Nous avons par exemple examiné ensemble le projet de loi PACTE, auditionné des dirigeants d'entreprises nationales importantes, et nous terminons en beauté, en évoquant l'avenir !
Réunion du mercredi 23 février 2022 à 15 heures
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Présents. - M. Michel Castellani, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, M. Christophe Jerretie, M. Michel Lauzzana, Mme Marie Lebec, Mme Lise Magnier, M. Xavier Roseren, M. Laurent Saint-Martin, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Damien Abad, Mme Anne-Laure Cattelot, Mme Valéria Faure-Muntian, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, Mme Christine Pires Beaune, M. Olivier Serva
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Warsmann
Commission des affaires économiques
Présents. – M. Nicolas Démoulin, Mme Christine Hennion, M. Roland Lescure, Mme Anne-Laurence Petel, M. François Ruffin, Mme Huguette Tiegna, M. Pierre Venteau, Mme Corinne Vignon
Excusés. – Mme Anne-Laure Blin, Mme Pascale Boyer, Mme Typhanie Degois, M. Yves Hemedinger, M. Sébastien Jumel, Mme Célia de Lavergne, Mme Bénédicte Taurine