Intervention de Cécile Dangles

Réunion du jeudi 16 avril 2020 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Cécile Dangles, première vice-présidente chargée de l'application des peines au tribunal judiciaire de Lille :

Les condamnés sortent en plus grand nombre que les détenus provisoires, ce qui suscite de sérieuses interrogations puisqu'ils sont présumés innocents. J'aimerais savoir combien de personnes doivent encore partager une cellule et combien sont encore en dortoir.

Depuis un mois, nos services fonctionnent avec 20 % de l'effectif physiquement présent. Les magistrats peuvent télétravailler, pas les fonctionnaires du greffe dont 20 % de l'effectif habituel est également présent. Même si les magistrats peuvent maintenir une certaine activité, le greffe ne peut donc pas suivre.

Pour les peines exécutées en milieu ouvert, nous gérons seulement les urgences, c'est-à-dire les condamnés qui violent gravement leurs obligations et qui doivent être réincarcérés. Nous tenons autant que possible des débats contradictoires, par visioconférence, avant de rendre une décision.

En milieu fermé, la première priorité a visé les centres de semi-liberté, souvent vétustes, où les allers-retours entraînent des risques de contamination. Nous avons entrepris de faire baisser nettement leur taux d'occupation : en anticipant l'entrée en vigueur de la loi de programmation du 23 mars 2019, nous avons ordonné des sorties en libération conditionnelle sans débat contradictoire.

Assez équilibrée, l'ordonnance n° 2020‑303 du 25 mars dernier est arrivée à temps car nous commencions à nous épuiser. Réductions de peine exceptionnelles, assignations à domicile et conversions des peines de moins de six mois nous ont satisfaits. Il nous paraissait logique de commencer par les réductions de peines. Hélas, la circulaire d'application a recommandé d'attendre un mois pour appliquer les réductions de peine supplémentaires ! Cela a été un immense cafouillage. Certains parquets se sont adaptés ; d'autres n'ont pas voulu. Nous avons perdu beaucoup de temps et d'énergie.

Nous n'avons pas compris que les condamnés pour crime soient exclus du bénéfice de la réduction supplémentaire de deux mois. Cette durée n'est pas d'une immense générosité. De premiers cas de contamination ont eu lieu parmi les directeurs d'établissement, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les détenus ; à voir le porte-avions Charles-de-Gaulle, je crains que l'on ne soit qu'au début de la contagion. Les condamnés pour crime subissent comme les autres la fin des parloirs, des permissions de sortie et des activités. Ils se sont souvent engagés dans un parcours d'exécution de peine ; ils sont parfois modérateurs des détenus plus jeunes. Pour l'ANJAP, les exclure est anormal ; vous pouvez encore y remédier.

Les réactions dans les différents ressorts ont été disparates. Certains services ont été efficaces immédiatement. Ailleurs, cela a complétement « coincé » : des juges qui voulaient avancer étaient contrés par le parquet, ou l'inverse. Dans certains ressorts, presque rien n'a été fait pour soulager l'administration pénitentiaire et les établissements de la surpopulation carcérale. Je m'interroge sur les directives des parquets comme sur les orientations données par l'administration centrale aux présidents de juridiction.

J'en viens à l'avenir des tribunaux. La grève des transports a entraîné le report des rendez-vous dans les métropoles ; il y a eu ensuite la grève des avocats contre la réforme des retraites ; il y a maintenant le coronavirus. Nous sommes une entreprise sinistrée, incapable de traiter les affaires accumulées. Il nous faut de l'aide. Par exemple, nous anticipons un embouteillage pour l'exécution des travaux d'intérêt général puisque nos partenaires devront se relancer. Personne ne pose aujourd'hui de dispositif de surveillance électronique, faute de possibilité de respecter les gestes barrières : il n'y a ni détention à domicile ni surveillance électronique ; on ignore quand cela pourra reprendre. Des possibilités d'aménagement de peine ne peuvent donc être utilisées.

Pour repartir à flot, nous avons besoin d'une loi d'amnistie. Ce ne sont pas les juges d'application des peines qui peuvent décider que telle ou telle peine ne sera pas exécutée. Vous seuls, parlementaires, pouvez relancer la machine. Les sursis probatoires ou avec mise à l'épreuve arrivant à échéance dans les quatre à six mois pourraient être amnistiés, sauf exception. Nous continuerons d'assurer les suivis socio-judiciaires, la surveillance judiciaire, les libérations conditionnelles et certains contentieux, mais si vous voulez que nous continuions d'intervenir contre les violences conjugales, vous devez nous libérer des autres cas et nous aider à relancer les mesures de milieu ouvert. De même, vous devez convertir les peines d'emprisonnement qui ont vocation à être aménagées quand les condamnés ont été autorisés à entrer en discussion avec les juges d'application des peines. Renvoyer à un an les rencontres est ridicule : nous perdons toute visibilité et toute efficacité. Une amnistie serait aussi nécessaire pour les détenus – ce qui ne signifie pas un blanc-seing. Pourraient par exemple sortir les condamnés à un certain quantum de peine : sans fait nouveau pendant trois ans, on les considérerait réintégrés dans la société et la peine serait oubliée ; de nouvelles difficultés conduiraient à l'exécution de l'ensemble. Vous avez le droit d'être inventifs !

La période met en valeur notre travail avec les parquets. La surpopulation carcérale n'est pas une fatalité. Dans l'urgence, on a agi brutalement, mais on peut définir un mécanisme structuré avec des objectifs quantifiés. J'ai souvenir du beau discours sur la réinsertion prononcé par le Président de la République à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ÉNAP). Je crois à « l'outil prison » : on nous jugera sévèrement dans quelques siècles, mais la prison est aujourd'hui un outil essentiel pour le juge de l'application des peines, quand les peines sont supérieures à un an. En deçà, nous ne faisons rien d'efficace : cela coûte cher socialement pour un résultat nul en termes de réinsertion et de prévention de la récidive.

Aidez-nous à remettre à flot les maisons d'arrêt, et à ce qu'elles y restent ! L'ANJAP ne défend pas le numerus clausus auquel je suis personnellement opposée : si une personne doit entrer en détention, elle y entre. Mais on peut définir des mécanismes de régulation permettant, quand un seuil de population est atteint, de procéder à la libération anticipée des personnes investies, disposant d'un logement… Bref, il faut faire ce que nous faisons en urgence de manière plus structurée, en équipe, avec un projet de juridiction. Le parquet est capable de mener des équipes de manière opérationnelle ; les parquetiers ont l'habitude du travail d'équipe davantage que les juges du siège, mais preuve est faite que nous pouvons apprendre. Donnez-nous l'impulsion, vous verrez combien nous pouvons être efficaces !

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