La réunion débute à 14 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne, en visioconférence, Mme Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces (DACG) au ministère de la Justice.
Madame la directrice des affaires criminelles et des grâces, je vous remercie d'être présente aujourd'hui pour échanger avec les membres de la commission des Lois.
Nous nous intéressons notamment aux entrées et aux sorties de détention. Après la déclaration d'état d'urgence sanitaire, le nombre d'écrous a été significativement réduit. L'ordonnance n° 2020‑303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale a prévu des dispositions relatives aux libérations anticipées que certains estiment timorées et d'autres excessives ; nous entendrons avec intérêt votre analyse.
De plus, notre Commission est attentive aux dispositions relatives à la détention provisoire contenues dans cette ordonnance et surtout dans sa circulaire d'application du 26 mars. Des parlementaires, des magistrats et des avocats s'interrogent sur la prolongation automatique des détentions provisoires rendue possible par ces textes. Les multiples témoignages d'incompréhension qui m'ont été transmis nous ont incités à vous entendre.
Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui. Les plans de continuité d'activité des juridictions, déclenchés à partir du 16 mars dernier, conduisent la justice pénale à privilégier le traitement des contentieux urgents et essentiels. Par rapport à l'année dernière, l'activité des tribunaux correctionnels a baissé de près de 80 % pour les jugements rendus sur le fond. La présence physique des magistrats et des fonctionnaires est parfois très réduite – dix pour cent de l'effectif dans certains ressorts.
En application des dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020, des mesures exceptionnelles relatives à l'exécution des peines ont été prises pour réduire la tension carcérale par des libérations anticipées, qui tiennent compte tant de l'urgence sanitaire que de la sécurité publique. Ce dispositif de régulation exclut les condamnés pour les infractions les plus graves.
La mobilisation du ministère public sur les priorités de notre politique pénale, au premier chef la lutte contre les violences familiales, demeure. Les juridictions ont été invitées à maintenir les audiences d'ordonnance de protection et, bien sûr, les poursuites. Les dispositifs de protection – téléphone « grave danger », éviction du conjoint violent – restent effectifs. Cela se fait en lien avec les réseaux associatifs, très actifs.
L'autre priorité consiste à garantir l'effectivité des mesures décidées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. La violation du confinement entraîne des amendes forfaitaires contraventionnelles progressives et une poursuite délictuelle à la troisième réitération dans un délai de trente jours. Est également réprimée la violation des réquisitions, notamment de masques, afin d'assurer un accès prioritaire au personnel médical.
La justice pénale est aussi appelée à lutter fermement contre la délinquance financière opportuniste, qu'il s'agisse de trafics de matériels de protection, d'appropriation frauduleuse de certains de ces produits ou de délinquance astucieuse.
La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, auditionnée hier, a appelé à multiplier les grâces individuelles ou à envisager une loi d'amnistie – comme d'autres pays. Pourquoi ce choix n'a-t-il pas été privilégié ?
Combien de plaintes relatives à des violences familiales ont-elles été déposées depuis le début du confinement ? Comment comparer ce chiffre à celui de la période précédente ?
Afin de réduire la population pénale pendant l'épidémie, la Chancellerie a défini un dispositif de sortie anticipée pour les condamnés en fin de peine. Je m'en félicite.
Mais l'ordonnance prévoit aussi un surprenant allongement de la durée de détention provisoire ; des dispositions contraires auraient paru plus logiques, comme je l'avais fait valoir à la Garde des Sceaux, le 24 mars dernier en séance publique. La circulaire d'application du 26 mars appelle les parquets à la modération dans leurs réquisitions de placement ou de prolongation relatives à la détention provisoire.
Je déduis de ces initiatives, qui ne paraissent pas entièrement cohérentes, que l'on souhaite désencombrer les prisons mais aussi alléger la charge des juridictions pénales. Les droits de la défense ne s'en trouvent-ils pas considérablement affectés, en particulier ceux des personnes placées en détention provisoire avant le déclenchement de la crise sanitaire, selon des critères sans doute moins stricts qu'aujourd'hui, et dont la détention va être prolongée dans les mêmes proportions ? Cela semble décalé.
Nous avons privilégié un dispositif qui rend possible le suivi des personnes bénéficiant d'une libération anticipée, ce que ne permet ni la grâce ni l'amnistie. Il est aussi apparu nécessaire d'individualiser les mesures, ce qui explique la possibilité d'une réduction de peine supplémentaire exceptionnelle de deux mois décidée par le juge de l'application des peines en fonction du comportement du détenu.
Nous constatons une augmentation sensible des interventions des services de police et de gendarmerie pour des violences conjugales et, concomitamment, la baisse du nombre de plaintes, qui s'explique par les conditions dans lesquelles elles sont recueillies. Les mis en cause sont jugés en comparution immédiate lorsque la gravité des faits le justifie et lorsque l'enquête le permet. Dans les autres cas, nous privilégions la comparution à délai différé ; dans l'intervalle, le parquet soumet le mis en cause à une mesure de suivi – en général un contrôle judiciaire. Dans l'ensemble, des réponses fermes sont maintenues. Les associations d'aide aux victimes ont intensifié les entretiens de prise en charge : pendant les vingt-quatre premiers jours de l'état d'urgence sanitaire, elles ont traité près de 7 000 situations, accompagné 2 529 nouvelles victimes et conduit plus de 20 000 entretiens à dominante juridique, psychologique ou sociale. On note aussi une forte augmentation d'attributions de téléphones « grand danger ».
Si l'allongement de plein droit des détentions provisoires a été décidé, notamment dans le cadre d'une information judiciaire, c'est que les informations sont ralenties, sinon paralysées, puisque les juges d'instruction ne peuvent travailler dans des conditions normales. Avec des services d'enquête à l'activité réduite, il n'est plus toujours possible de procéder aux perquisitions, réquisitions, auditions et confrontations utiles à la manifestation de la vérité. Le temps indispensable à l'achèvement des instructions et limité par le législateur devait être allongé – pour une durée déterminée et proportionnée – sans exiger systématiquement la vérification du bien-fondé de cette prorogation par le juge des libertés et de la détention (JLD). Cette disposition n'affecte en aucune manière le droit de demander à tout moment sa mise en liberté : le nombre de demandes a triplé par rapport à l'an dernier. Il ne s'agit nullement de priver un justiciable du droit d'accès à son juge. Par ailleurs, le code de procédure pénale continue d'imposer au magistrat instructeur et au ministère public de reconsidérer d'office la situation des personnes lorsque leur détention provisoire n'est plus nécessaire.
Dans deux décisions en référé du 3 avril dernier, le Conseil d'État a rejeté les recours formés par des associations d'avocats contre la circulaire du 26 mars, considérant que ces mesures présentent un caractère proportionné et ne portent pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales.
Le plan de continuité d'activité a été interprété de manière restrictive. Ne peut-on le réviser, en liaison avec les partenaires sociaux, peut-être sur la base du volontariat ? Que certaines tâches, dont celles du greffe, ne puissent être exécutées en télétravail augure de jours très compliqués à la reprise, le retard dû au confinement se conjuguant à celui pris à la suite des grèves du début de l'année.
Une activité diminuée de 80 % traduit la marche inquiétante du service public de la justice. Un retour progressif à la normale est urgent : quand l'envisagez-vous et comment ? Le directeur de l'administration pénitentiaire nous a indiqué hier que, par l'effet des ordonnances, les libérations sont beaucoup plus nombreuses qu'à l'ordinaire, et que, conséquence de la moindre activité des tribunaux, les placements sous écrou sont plus rares. Si la tendance se poursuit, il y aura 20 000 détenus en moins le 11 mai prochain. Je m'inquiète de la recrudescence immanquable de la délinquance comme on la constatait généralement après les libérations anticipées du 14 juillet. Comment le service public de la justice fera-t-il face à la crise sécuritaire à venir, malheureusement inéluctable ?
L'ordonnance du 25 mars rend possible de plein droit et sans débat contradictoire l'allongement de la durée maximale de la détention provisoire. Pourtant, selon l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI), tous les débats de prolongation des mandats de dépôt pourraient être maintenus pendant la période du confinement. Combien de personnes sont-elles concernées ? Pour quels types de délits ? Quelles ont été les mesures prises par les autres États de l'Union européenne ? Présenterez-vous un bilan de ces dispositions ?
D'où vient l'idée d'une prolongation automatique de la détention provisoire ? Les organisations syndicales de magistrats, les avocats et l'AFMI ont-ils été consultés ? Tous semblent abasourdis par l'ordonnance et par la circulaire qui la met en œuvre dans une grande insécurité juridique. Certains juges des libertés et de la détention ont tenu audience en visioconférence et décidé de ne pas prolonger des détentions provisoires ; le parquet a fait appel. Ailleurs, d'autres magistrats appliquent strictement l'ordonnance et la circulaire. De plus, le texte peut faire l'objet de plusieurs interprétations. N'est-il pas temps de sécuriser ce dispositif et de préciser le sens d'une prolongation systématique dont on comprend mal en quoi elle donne du temps au magistrat instructeur ?
Les plans de continuité d'activité visent à préserver le traitement des contentieux essentiels. Ils impliquent des magistrats et des fonctionnaires présents physiquement, avec le soutien d'autres en télétravail. La direction des services judiciaires examine les conditions dans lesquelles la reprise d'activité pourrait intervenir.
Le ralentissement d'activité concerne l'ensemble de la chaîne pénale, police et gendarmerie comprises. Il m'est difficile de dire quand se fera le retour à la normale. Nous nous attachons à définir les pratiques, priorités et outils juridiques permettant la reprise dans les meilleures conditions.
L'ordonnance prévoit la prolongation de la durée de détention provisoire une seule fois durant la procédure. Il n'est évidemment pas possible de prolonger les délais d'instruction puis les délais d'audiencement. Le bilan exhaustif de ces dispositions sera fait à la fin de l'état d'urgence sanitaire.
Je confirme que des consultations sont intervenues avec les organisations de magistrats. Avant sa publication, l'ordonnance n'avait pas fait l'objet d'observation. Beaucoup de textes provoquent des questionnements, que résolvent le cas échéant des arrêts de la Cour de cassation. Le Conseil d'État a jugé l'ordonnance et la circulaire suffisamment claires. La grande majorité des chambres de l'instruction appliquent ces textes comme le préconise ma direction.
Combien de plaintes ont-elles été déposées depuis le début du confinement ? Nos concitoyens renoncent-ils à faire valoir leurs droits ? Certains pères instrumentalisent-ils la situation pour exercer une pression sur leur ancienne conjointe ? Comment soutenir les mères qui luttent pour retrouver l'enfant dont elles ont la garde légitime ?
Ni masques ni gants ne sont à la disposition des avocats lors des audiences en comparution immédiate.
Par ailleurs, certains prévenus atteints de pathologies graves se sont vu refuser une demande de mise en liberté alors que des libérations anticipées ont lieu en masse ; pourquoi ?
Enfin, beaucoup d'avocats parviennent à faire relaxer des récidivistes condamnés pour violations du confinement. Ce délit fonctionne-t-il bien ?
Le nombre de plaintes pour violences familiales ne baisse pas partout – pas dans le ressort de Castres, en tout cas. Pourquoi cette disparité territoriale ? Ces plaintes diminuent-elles de 80 % comme le contentieux pénal général ? La possibilité de signalement en pharmacie a-t-il permis l'ouverture de procédures ?
Je ne suis pas en mesure de livrer des données fiables sur les dépôts de plaintes, ni sur l'instrumentalisation du confinement par certains pères.
Les juridictions appliquent à tous, personnel judiciaire et avocats, les directives sanitaires nationales. Beaucoup de mises en liberté sont ordonnées en raison de l'état de santé des personnes et de la surpopulation carcérale.
L'utilisation de la visioconférence a augmenté de plus de 70 % pour les communications avec les établissements pénitentiaires en mars 2020 par rapport à la moyenne de fin 2019. Les juridictions et les établissements ont utilisé toutes les possibilités.
Le dispositif de signalement des violences intrafamiliales dans les pharmacies a été utilisé à plusieurs reprises et l'enquête judiciaire a permis de mettre le conjoint violent immédiatement hors d'état de nuire.
On peut comprendre, sans la partager, la logique sous-tendant la prorogation d'office de la détention provisoire. Mais pourquoi ne pas avoir au moins permis la tenue d'un débat contradictoire ? C'est le minimum quand on est attaché aux droits de la défense !
Disposez-vous déjà de données relatives au nouveau délit de manquement réitéré aux obligations de confinement ? Il est regrettable, quand la justice fonctionne en mode dégradé, de mobiliser trois magistrats à cet effet.
Enfin, n'y a-t-il pas des difficultés pour obtenir les expertises nécessaires dans le cadre des délits jugés en flagrance ?
Le fonctionnement sinistré du service public de la justice appelle une attention particulière pour la sortie de crise. Qu'envisager pour les petits cabinets d'avocats, en difficulté après des mois sans activité ?
Sur un autre plan, la qualité des visioconférences est-elle satisfaisante ?
Il est heureux que le détenu conserve la possibilité de présenter une demande de mise en liberté à tout moment ! Mais, lorsque nous avons eu à débattre des peines planchers, un argument de même nature, selon lequel le juge peut toujours écarter la peine plancher pourvu qu'il motive sa décision, avait été avancé ; malgré cela, nous avions constaté l'augmentation mécanique du nombre d'incarcérations. Je soumets cette réflexion en ce moment particulier où nos discussions portent sur la détention provisoire et sur la détention tout court. Nous parvenons à réduire la population carcérale ; il faudra certainement en tirer des conséquences pour l'avenir.
Par ailleurs, les outils numériques mis à la disposition de l'institution judiciaire dans cette période très difficile sont-ils à la hauteur ?
L'ordonnance du 25 mars 2020 semble appliquée de la manière la plus stricte. Je regrette que la prolongation des mandats de dépôt n'ait pas, à tout le moins, été limitée à ceux qui venaient à échéance pendant l'état d'urgence. La position maximaliste pose problème. Vous devrez tenir compte des observations de notre Commission au sujet d'une disposition qui a beaucoup choqué et qui heurte notre ambition commune de réduction de la surpopulation carcérale.
Les palais sont vides. Le service public de la justice semble absent alors que tout le monde, dans les services publics, s'efforce d'être présent. Des professionnels et des avocats me rapportent qu'une activité plus fournie pourrait être organisée dans le respect des gestes barrières. Un message positif est-il possible à l'endroit des avocats, actuellement à la peine, et des justiciables, qui redoutent les délais supplémentaires à venir du fait des vacances judiciaires ?
Enfin, y a-t-il en ce moment beaucoup de gardes à vue ? Le respect des gestes barrières est-il possible dans cette situation ?
Je joins ma voix à celles, très nombreuses, de mes collègues. Je souscris aux termes de l'ordonnance du 25 mars 2020. La justice est soumise à de fortes tensions ; des mesures exceptionnelles devaient être prises. C'est ce que fait l'ordonnance en prolongeant les délais maximaux de la détention provisoire et en organisant le respect du contradictoire.
En revanche, je n'ai pas compris les dispositions de la circulaire qui prévoient une prolongation de plein droit alors même que le débat contradictoire était possible. Il s'agit de liberté ; il s'agit de détenus provisoires dont la liberté est d'autant plus précieuse qu'ils sont présumés innocents. Il fallait maintenir le débat contradictoire. C'est la position manifestement majoritaire de la commission des Lois.
En raison de l'état d'urgence sanitaire, les expertises ne peuvent pas forcément avoir lieu. C'est un des aspects qui rendent nécessaire l'allongement de plein droit des détentions provisoires : les investigations des magistrats se trouvent ralenties, sinon impossibles, si bien que le cours normal de la justice ne peut s'exercer. Il y aura des débats contradictoires, mais la période dans laquelle ils doivent se tenir est allongée, pour permettre au personnel judiciaire de respecter les règles sanitaires strictes et pour les motivations déjà exposées.
La plupart des délits de violation réitérée du confinement sont jugés en comparution immédiate. Les poursuites sont encore peu nombreuses : environ quatre-vingt-dix procédures ont été engagées.
Que peut-on envisager pour les avocats ? La question sera traitée dans le cadre de la reprise d'activité des tribunaux. Nous n'en sommes pas encore là.
Les chefs de cour et de juridiction n'ont pas signalé de difficulté récurrente aiguë à propos de la visioconférence.
Nous ferons, le moment venu, le bilan des dispositions édictées dans l'urgence. Je note qu'elles se traduisent, depuis le 16 mars, par 4 000 détentions provisoires de moins. Cela tient pour partie à la réduction du nombre de nouveaux détenus provisoires, mais aussi aux décisions de mainlevée de détentions provisoires en cours.
La communication numérique s'est considérablement développée dans le service public de la justice, ce qui rend le télétravail possible dans de fortes proportions – pour les magistrats en tout cas. Cela me permet de tempérer le propos de Mme Untermaier : certes, les palais sont vides, mais la justice continue de s'exercer à distance pour un certain nombre de contentieux. Le secrétariat général du ministère multiplie la mise à disposition d'outils numériques pour développer encore le télétravail. Les plans de continuité de l'activité permettent la poursuite de l'activité pénale urgente, de la justice des mineurs et de l'application des peines. Ces plans seront modifiés en fonction de l'évolution de l'état d'urgence sanitaire. Enfin, la situation des personnes dont la détention provisoire est prolongée a été examinée par des magistrats au moment du mandat de dépôt ; on ne peut donc pas parler d'absence de contradictoire.
J'espère être parvenue à vous faire mesurer l'équilibre difficile que nous devons trouver dans ces circonstances exceptionnelles sur le sujet de la détention provisoire. Nous devons articuler le ralentissement des investigations avec le droit des personnes à accéder à leur juge, droit auquel l'ordonnance n'a touché en aucune manière.
Nous n'avons pas la même appréciation de cet équilibre. Mais nous vous remercions pour vos réponses complètes et pour ce que vous avez fait, vite et bien, pour adapter nos juridictions afin que les justiciables ne soient pas totalement privés de leurs droits.
La Commission auditionne, en visioconférence, M. Marc Cimamonti, procureur général près la cour d'appel de Versailles, et Mme Cécile Dangles, première vice-présidente chargée de l'application des peines au tribunal judiciaire de Lille.
Mme Cécile Dangles et M. Marc Cimamonti vont nous décrire l'organisation actuelle de leurs juridictions respectives et les problèmes quotidiens auxquels ils doivent faire face dans les fonctions qu'ils occupent.
Le ressort de la cour d'appel de Versailles couvre les départements de l'Eure-et-Loir, des Hauts-de-Seine, du Val-d'Oise et des Yvelines. Les tribunaux judiciaires de Nanterre, Versailles et Pontoise font partie des douze plus importants que compte notre pays ; celui de Chartres est au cinquante-deuxième rang.
Il y a sept établissements pénitentiaires dans le ressort. Lorsque j'ai pris mon poste, j'ai été frappé par l'ampleur de la surpopulation carcérale, qui peut atteindre ponctuellement 190 %. Ce taux était compris entre 117 % et 123 % à Lyon-Corbas lorsque j'exerçais mes précédentes fonctions.
À partir du 15 mars, il a fallu articuler par visioconférence les plans de continuation d'activité avec le premier président de la cour d'appel – j'insiste sur l'importance de la dyarchie des chefs de cour –, les chefs de juridiction et les directeurs de greffe. Ma réflexion a ensuite porté sur l'encadrement propre à prévenir des incohérences et à faciliter le plus possible l'action des procureurs de la République, alors que les plans de continuité d'activité mobilisent physiquement un sixième des magistrats du parquet seulement. J'ai posé le principe d'un entretien téléphonique très régulier avec chacun des procureurs ; la synthèse et de brèves notes, écrites en lien avec le premier président de la cour d'appel, sont immédiatement diffusées.
Dans la crise sanitaire, notre principale préoccupation a été la surpopulation carcérale. En janvier et en février, nous avons été très mobilisés par la préparation de l'entrée en vigueur des dispositions réformant le droit des peines de la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 ; mi-mars, nous avons craint une explosion dans les établissements. Cela m'a conduit, dès le lendemain du discours du Président de la République, à appeler formellement les procureurs de la République du ressort à juguler la surpopulation carcérale en différant les placements sous écrou non urgents, en anticipant la mise en œuvre de la réforme du droit des peines et en différant les enquêtes préliminaires qui pouvaient l'être. Je les invitais aussi à procéder au cas par cas, en restant vigilants face aux faits de criminalité organisée et aux atteintes aux personnes, notamment en cas de proximité entre l'auteur et sa victime.
L'autre champ d'action a concerné la détention provisoire et la flambée des demandes de mise en liberté. Le 19 mars, j'ai demandé aux procureurs de la République de réexaminer les situations et de réserver la détention provisoire aux cas les plus graves. Le premier président de la cour d'appel a relayé ces propos aux présidents de tribunal. Le 24 mars, date de l'entrée en vigueur de la réforme du droit des peines, j'ai appelé à en appliquer scrupuleusement les principes.
Mes échanges suivis avec les parquets me permettent de donner de la cohérence à l'action pénale, d'évoquer les problématiques juridiques nées de l'état d'urgence sanitaire, et de vérifier la politique d'exécution et d'application des peines. Pour la réduction de peine exceptionnelle prévue dans l'ordonnance n° 2020‑303 du 25 mars 2020, mon approche a été plus souple que celle que préconise la circulaire du 26 mars : j'ai invité les procureurs à répondre favorablement aux demandes des juges de l'application des peines (JAP), et je les ai incités au dialogue.
Les indicateurs de la délinquance font actuellement défaut, c'est regrettable. La diminution du nombre de gardes à vue et de défèrements atteindrait 50 à 60 % depuis le début du confinement, malgré une reprise ces dernières semaines. Les contentieux significatifs sont les violences familiales, avec plus d'interventions et moins de plaintes. On note un certain nombre de violations du confinement ainsi qu'un frémissement dans les chiffres du trafic de stupéfiants et des vols avec violence.
Dans les établissements pénitentiaires, la pression a diminué. Les refus de réintégration des cellules, les 17 et 18 mars, avaient alertés sur l'urgence d'appliquer une politique différenciée. Dans le ressort de Versailles, le taux d'occupation est passé de 157 % à 123 % entre le 16 mars et le 14 avril. La tendance est bonne, la situation globalement maîtrisée.
Les demandes de mise en liberté directe et les appels sur les décisions relatives à la détention provisoire ont doublé au début de l'état d'urgence ; ils ont triplé désormais. La tension est forte et l'allongement des délais de jugement est bienvenu. Nous devons créer des outils de pilotage avec les directions de greffe pour adapter le fonctionnement des chambres de l'instruction.
Nous n'avons pas été parfaits. Mais j'ai une opinion plutôt favorable de ce qui a été fait, de la responsabilité des parquets, de l'ensemble des tribunaux judiciaires et des agents du greffe. Surtout, j'ai constaté de véritables politiques de juridiction entre services d'exécution et d'application des peines, permettant une prévisibilité de l'action judiciaire. Elle ne dépend pas du parquet, qui n'est rien s'il n'est pas suivi par les magistrats du siège.
Enfin, je tiens à souligner la qualité des échanges avec nos interlocuteurs institutionnels, notamment la direction interrégionale des services pénitentiaires.
Madame Dangles, comment avez-vous organisé l'application des peines, notamment les libérations anticipées ?
Je soulignerai d'abord, au nom de l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP), combien la crise nous apprend que la surpopulation carcérale n'est pas une fatalité. Nous sommes capables de traiter cette question. Lorsque juges du siège, magistrats du parquet et administration pénitentiaire travaillent en équipe, ils sont très efficaces. Retenons cette leçon !
Nous observons une baisse de la population carcérale dans les ressorts où il y a eu mobilisation en ce sens. Les chiffres fluctuant, l'important est surtout de savoir combien de personnes ne sont pas entrées en prison, combien sont sorties de détention provisoire, et combien sont sorties en fin, aménagement ou réduction de peine.
Selon le directeur de l'administration pénitentiaire, que nous avons auditionné hier, la moyenne nationale quotidienne est passée de 215 à 85 écrous et de 209 à 404 sorties. Au 13 avril, le nombre des détenus avait baissé de 9 923, dont 3 335 prévenus.
Les condamnés sortent en plus grand nombre que les détenus provisoires, ce qui suscite de sérieuses interrogations puisqu'ils sont présumés innocents. J'aimerais savoir combien de personnes doivent encore partager une cellule et combien sont encore en dortoir.
Depuis un mois, nos services fonctionnent avec 20 % de l'effectif physiquement présent. Les magistrats peuvent télétravailler, pas les fonctionnaires du greffe dont 20 % de l'effectif habituel est également présent. Même si les magistrats peuvent maintenir une certaine activité, le greffe ne peut donc pas suivre.
Pour les peines exécutées en milieu ouvert, nous gérons seulement les urgences, c'est-à-dire les condamnés qui violent gravement leurs obligations et qui doivent être réincarcérés. Nous tenons autant que possible des débats contradictoires, par visioconférence, avant de rendre une décision.
En milieu fermé, la première priorité a visé les centres de semi-liberté, souvent vétustes, où les allers-retours entraînent des risques de contamination. Nous avons entrepris de faire baisser nettement leur taux d'occupation : en anticipant l'entrée en vigueur de la loi de programmation du 23 mars 2019, nous avons ordonné des sorties en libération conditionnelle sans débat contradictoire.
Assez équilibrée, l'ordonnance n° 2020‑303 du 25 mars dernier est arrivée à temps car nous commencions à nous épuiser. Réductions de peine exceptionnelles, assignations à domicile et conversions des peines de moins de six mois nous ont satisfaits. Il nous paraissait logique de commencer par les réductions de peines. Hélas, la circulaire d'application a recommandé d'attendre un mois pour appliquer les réductions de peine supplémentaires ! Cela a été un immense cafouillage. Certains parquets se sont adaptés ; d'autres n'ont pas voulu. Nous avons perdu beaucoup de temps et d'énergie.
Nous n'avons pas compris que les condamnés pour crime soient exclus du bénéfice de la réduction supplémentaire de deux mois. Cette durée n'est pas d'une immense générosité. De premiers cas de contamination ont eu lieu parmi les directeurs d'établissement, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les détenus ; à voir le porte-avions Charles-de-Gaulle, je crains que l'on ne soit qu'au début de la contagion. Les condamnés pour crime subissent comme les autres la fin des parloirs, des permissions de sortie et des activités. Ils se sont souvent engagés dans un parcours d'exécution de peine ; ils sont parfois modérateurs des détenus plus jeunes. Pour l'ANJAP, les exclure est anormal ; vous pouvez encore y remédier.
Les réactions dans les différents ressorts ont été disparates. Certains services ont été efficaces immédiatement. Ailleurs, cela a complétement « coincé » : des juges qui voulaient avancer étaient contrés par le parquet, ou l'inverse. Dans certains ressorts, presque rien n'a été fait pour soulager l'administration pénitentiaire et les établissements de la surpopulation carcérale. Je m'interroge sur les directives des parquets comme sur les orientations données par l'administration centrale aux présidents de juridiction.
J'en viens à l'avenir des tribunaux. La grève des transports a entraîné le report des rendez-vous dans les métropoles ; il y a eu ensuite la grève des avocats contre la réforme des retraites ; il y a maintenant le coronavirus. Nous sommes une entreprise sinistrée, incapable de traiter les affaires accumulées. Il nous faut de l'aide. Par exemple, nous anticipons un embouteillage pour l'exécution des travaux d'intérêt général puisque nos partenaires devront se relancer. Personne ne pose aujourd'hui de dispositif de surveillance électronique, faute de possibilité de respecter les gestes barrières : il n'y a ni détention à domicile ni surveillance électronique ; on ignore quand cela pourra reprendre. Des possibilités d'aménagement de peine ne peuvent donc être utilisées.
Pour repartir à flot, nous avons besoin d'une loi d'amnistie. Ce ne sont pas les juges d'application des peines qui peuvent décider que telle ou telle peine ne sera pas exécutée. Vous seuls, parlementaires, pouvez relancer la machine. Les sursis probatoires ou avec mise à l'épreuve arrivant à échéance dans les quatre à six mois pourraient être amnistiés, sauf exception. Nous continuerons d'assurer les suivis socio-judiciaires, la surveillance judiciaire, les libérations conditionnelles et certains contentieux, mais si vous voulez que nous continuions d'intervenir contre les violences conjugales, vous devez nous libérer des autres cas et nous aider à relancer les mesures de milieu ouvert. De même, vous devez convertir les peines d'emprisonnement qui ont vocation à être aménagées quand les condamnés ont été autorisés à entrer en discussion avec les juges d'application des peines. Renvoyer à un an les rencontres est ridicule : nous perdons toute visibilité et toute efficacité. Une amnistie serait aussi nécessaire pour les détenus – ce qui ne signifie pas un blanc-seing. Pourraient par exemple sortir les condamnés à un certain quantum de peine : sans fait nouveau pendant trois ans, on les considérerait réintégrés dans la société et la peine serait oubliée ; de nouvelles difficultés conduiraient à l'exécution de l'ensemble. Vous avez le droit d'être inventifs !
La période met en valeur notre travail avec les parquets. La surpopulation carcérale n'est pas une fatalité. Dans l'urgence, on a agi brutalement, mais on peut définir un mécanisme structuré avec des objectifs quantifiés. J'ai souvenir du beau discours sur la réinsertion prononcé par le Président de la République à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ÉNAP). Je crois à « l'outil prison » : on nous jugera sévèrement dans quelques siècles, mais la prison est aujourd'hui un outil essentiel pour le juge de l'application des peines, quand les peines sont supérieures à un an. En deçà, nous ne faisons rien d'efficace : cela coûte cher socialement pour un résultat nul en termes de réinsertion et de prévention de la récidive.
Aidez-nous à remettre à flot les maisons d'arrêt, et à ce qu'elles y restent ! L'ANJAP ne défend pas le numerus clausus auquel je suis personnellement opposée : si une personne doit entrer en détention, elle y entre. Mais on peut définir des mécanismes de régulation permettant, quand un seuil de population est atteint, de procéder à la libération anticipée des personnes investies, disposant d'un logement… Bref, il faut faire ce que nous faisons en urgence de manière plus structurée, en équipe, avec un projet de juridiction. Le parquet est capable de mener des équipes de manière opérationnelle ; les parquetiers ont l'habitude du travail d'équipe davantage que les juges du siège, mais preuve est faite que nous pouvons apprendre. Donnez-nous l'impulsion, vous verrez combien nous pouvons être efficaces !
Les mesures prises en raison de l'urgence n'obligent-elles pas à envisager de généraliser la régulation de la population carcérale ?
La surpopulation de la maison d'arrêt de Nanterre est encore plus inquiétante en période de confinement. Je remercie M. le procureur général d'avoir déployé une organisation spécifique pour y faire face.
La délinquance s'est-elle accrue dans le ressort du tribunal judiciaire de Nanterre depuis le début du confinement, notamment en matière de trafics ? Qu'en est-il du suivi des détenus assuré par les services pénitentiaires d'insertion et de probation, notamment dans les Hauts-de-Seine ?
Pour combattre la surpopulation carcérale, faut-il porter à quatre mois la réduction de peine de deux mois prévue par l'ordonnance du 25 mars 2020 ? L'épidémie étant loin d'être enrayée, nous ne saurions nous satisfaire de la réduction de la population carcérale – certes bienvenue – obtenue depuis le déclenchement de la crise.
Ne négligeons pas les difficultés que rencontrent les avocats. Une reprise d'activité, qui leur permettrait de rouvrir leurs dossiers, est-elle envisageable ? Dans quel délai ?
Nous avons besoin d'un mécanisme de régulation carcérale pour les maisons d'arrêt réservées aux hommes : la surpopulation nous empêche d'y accomplir notre travail. Quand les conditions s'y prêtent, nous sommes capables de construire des parcours d'exécution des peines qui font sortir les personnes de la délinquance. Ils nécessitent un engagement des détenus et un changement radical de leur mode de vie. C'est un discours inaudible par un détenu qui partage sa cellule, qui se conforme à ceux qui l'entourent et qui ne rencontre jamais ni l'administration ni les soignants. Le dispositif actuel est coûteux et inutile. La crise nous prouve qu'il est possible de réduire la population carcérale : saisissons cette occasion !
La population de l'établissement de Nanterre est passée de 1 031 à 851 détenus entre le 15 mars et le 14 avril. De façon globale, l'administration pénitentiaire chargée de la probation, en détention ou hors détention, n'exerce plus que 20 % de son activité normale. Elle fait preuve d'une grande mobilisation, qu'il faut saluer. Je ne sais ce qu'il en est du SPIP dans les Hauts-de-Seine en particulier.
Il serait souhaitable de porter à quatre ou six mois le délai de réduction des peines. Une fois le confinement levé, nous aurons besoin de temps pour revenir à la normale.
La situation des avocats est extrêmement compliquée. Ils doivent se déplacer pour consulter les dossiers, s'entretenir à distance avec leurs clients avant que nous organisions nous-mêmes une visioconférence… Ce fonctionnement d'urgence ne doit pas perdurer si nous voulons préserver les droits de la défense et le principe du contradictoire.
Je puis communiquer à Mme la députée Isabelle Florennes tous les éléments chiffrés dont elle a besoin. La procureure de Nanterre, Mme Catherine Denis, reste sur ce point l'interlocuteur à privilégier.
Comme l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, l'administration pénitentiaire et les SPIP se concentrent sur les urgences. Je regrette néanmoins l'absence de suivi des assignations à domicile. J'en ai fait part au directeur interrégional des services pénitentiaires.
Quant aux remises de peine, nous devons permettre aux acteurs judiciaires de moduler les réponses en fonction des situations. Le quantum maximal de deux mois sera refusé à certains – par exemple, aux détenus radicalisés ou risquant de réitérer des atteintes aux personnes dans un contexte de confinement. Tout ne se décide pas au niveau central : les parquets et les juges d'application des peines ont une responsabilité de terrain.
Les plans de continuation de l'activité des juridictions se réduisent aux urgences ; ils sont élargis au cas par cas, quand les conditions matérielles et humaines le permettent. La reprise devra se faire dans le respect des mesures barrières ; elle entraînera ipso facto celle du travail des avocats.
La libération anticipée est soumise à une condition essentielle : le détenu doit rester confiné, par conséquent disposer d'un domicile. À combien de personnes a-t-on refusé une libération faute de remplir cette condition ? Cette donnée nous instruira sur la proportion de détenus dont les perspectives de réinsertion sociale sont pénalisées par l'absence de logement. Existe-t-il des solutions par défaut, comme des placements en foyer ou à l'hôtel ?
Comment se déroulent la surveillance et le retour en détention en cas de non-respect des mesures de confinement à domicile d'un détenu récemment libéré ?
Je rends hommage aux services du renseignement, dont le travail est rendu difficile par le confinement, et qui manquent d'effectifs.
Puisque nous sommes invités à des propositions audacieuses, la seule audace serait d'engager le plan immobilier pénitentiaire prévoyant la création de quinze mille places supplémentaires afin que les prisonniers cessent de vivre dans des conditions indécentes. La libération anticipée me paraît une solution de facilité.
La réduction de la population carcérale permet de pratiquer plus fréquemment l'encellulement individuel. Ces mesures pourront-elles se poursuivre au-delà de la crise, ou sont-elles liées au ralentissement conjoncturel de l'activité judiciaire ? Ce ralentissement tient-il à des causes internes ou à une chute de la délinquance résultant du confinement ?
Les peines d'emprisonnement de moins de six mois ont un effet désocialisant. Elles ne permettent pas de préparer la sortie dans de bonnes conditions. À cet égard, les réductions de peine ont du sens.
La construction d'établissements pénitentiaires demande du temps. Aussi faut-il réserver la détention provisoire aux situations dans lesquelles elle est absolument nécessaire !
La diminution récente de la population pénale s'explique à la fois par une baisse des entrées – la délinquance ayant diminué –, par des mainlevées de détention provisoire qui n'auraient probablement pas eu lieu dans un contexte normal, et par des mesures d'application des peines. Nous manquons d'éléments pour quantifier chacun de ces facteurs.
Les évolutions des usages liées à la crise confortent les orientations tracées par la loi du 23 mars 2019 en matière d'application des peines. Je suis persuadé que nous adopterons ensuite des pratiques différentes et que nous modulerons les traitements en fonction des infractions et du risque de réitération. Tout dépendra des moyens alloués au milieu ouvert, en particulier aux dispositifs de surveillance électronique des condamnés et d'identification des manquements à leurs obligations.
L'administration pénitentiaire a mené un important travail d'identification des détenus disposant d'un domicile, ce qui a permis de prononcer des libérations conditionnelles.
En définitive, le juge de l'application des peines suit très peu de détenus : 84 % des condamnés à une peine inférieure à un an retrouvent la liberté une fois celle-ci intégralement purgée, parfois sans domicile. La crise conduit à s'intéresser à des profils inhabituels, qui n'auraient pas demandé de remise en liberté en temps normal ou qui étaient éligibles à une réduction de peine – certains n'avaient pas de domicile, voire ne désiraient pas que leur peine soit réduite faute de savoir où loger. Des grandes métropoles ont réquisitionné des hôtels et des auberges de jeunesse, mais le logement reste un enjeu majeur de l'aménagement des peines.
Les personnes remises en liberté qui ne respectent pas le confinement peuvent faire l'objet de poursuites. Le juge de l'application des peines traite les infractions aux conditions d'aménagement des peines au cas par cas, en tenant compte des situations particulières.
La libération anticipée n'a rien d'une solution de facilité. Mon seul objectif est de trouver des solutions efficaces pour prévenir la récidive. Or, pour les peines inférieures à six mois ou un an, nous ne faisons rien d'efficace et nous le payons au prix fort : une journée de détention coûte cent euros ; la construction d'une cellule atteint 200 000 euros ! Dans quel autre domaine investit-on autant pour un résultat aussi médiocre ?
Certains établissements, dont celui de Fresnes, offrent des conditions indécentes. Il convient de renouveler le parc pénitentiaire, de fermer les maisons d'arrêt ayant des dortoirs et les centres de semi-liberté vétustes. Imaginons des établissements innovants, en nous inspirant des propositions intéressantes du livre blanc de 2017 sur l'immobilier pénitentiaire ! Nous avons besoin de prisons décentes, adaptées, pas de plus de prisonniers : l'emballement de l'incarcération est sans commune mesure avec les hausses de la population et de la délinquance.
Outre les conditions prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020, sur quels critères identifier les détenus éligibles à la réduction de peine de deux mois et à l'assignation à résidence ? Ces dispositions ont-elles été largement utilisées ? Reste-t-il des cas à traiter ?
Comme plusieurs membres de la commission des Lois, je dénonce les conditions dans lesquelles les détentions provisoires sont désormais prolongées, de manière automatique et sans débat contradictoire.
Madame Dangles, je vous remercie pour votre liberté de ton. Votre proposition d'aménagement de la fin d'exécution des peines, sous la forme d'un ajournement soumis à une sorte de clause de revoyure, me paraît très pertinente. Une question toutefois : vous paraît-il légitime que des détenus purgeant des peines délictuelles – violences conjugales notamment – soient exclus de la réduction de peine de deux mois ?
Cette crise entraîne un ralentissement de la chaîne pénale, déjà affectée par les grèves du début d'année. Le retour à la normale sera progressif. Beaucoup de plaintes seraient refusées au motif que le fait générateur ne relève pas de l'urgence. Une victime ne peut accepter cette hiérarchisation. Les violences, en particulier, commencent souvent par quelque chose que l'on ne qualifierait pas d'urgent, mais elles montent en puissance, surtout dans un confinement qui exacerbe des troubles psychologiques. Que faire pour que le retard de prise en charge des victimes ne s'accumule pas ? Faut-il de nouveaux outils, utiliser davantage le numérique, pour que chacun fasse valoir ses droits ?
Une loi d'amnistie, d'ailleurs proposée par le groupe La France insoumise, permettrait de réduire le nombre de dossiers à juger dans l'urgence. Les juges de l'application des peines et les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation sont au cœur d'une dynamique qui, espérons-le, aboutira à l'encellulement individuel. Quelles mesures faire perdurer pour éviter que les prisons ne se remplissent ensuite aussi vite qu'elles se sont vidées ? Comment utiliser les réductions et les aménagements de peine exceptionnels pour lutter contre la récidive, si les peines courtes ne sont guère utiles ?
Vos chiffres en matière de sorties effraient. Vous parliez des détenus libérés dépourvus de logement ; quid de ceux qui n'ont pas de téléphone, par lequel passe actuellement le suivi des conseillers pénitentiaires ?
Nous avons adopté une nouvelle échelle des peines dans la loi du 23 mars 2019, qui supprime les plus courtes peines et privilégie leur aménagement. Mais la sortie du confinement sera probablement progressive. Comment étendre les travaux d'intérêt général, la détention à domicile, dans le cadre du confinement – fût-il allégé ? Par ailleurs, le directeur de la maison d'arrêt de Fresnes a dit avoir pu rétablir des conditions correctes d'encellulement, ses effectifs ayant diminué de 400 détenus.
J'ai demandé aux procureurs de la République de mon ressort que les assignations à domicile soient formalisées par un suivi des SPIP. En période de confinement, cette mesure doit obéir à une logique plus exclusive que celle de la loi, mais tout de même très large. Chacun doit pouvoir donner un avis circonstancié, notamment dans le cadre des réductions de peine exceptionnelles.
Le texte de l'ordonnance n'était pas très clair pour la prolongation des détentions provisoires. J'ai considéré la circulaire qui a suivi comme son interprétation. J'en ai discuté avec les procureurs de la République afin d'adopter localement une position cohérente et légitime : la cohérence est une forme d'égalité devant la justice. J'ai vu des situations extrêmement hétérogènes à Chartres, Nanterre, Pontoise : la Cour de cassation ne s'est pas prononcée ; il n'y a pas de jurisprudence. J'ai voulu parvenir au plus vite à une position et la faire sanctionner par la chambre de l'instruction de Versailles, qui a retenu la même analyse que la majorité de ses homologues.
Dans le contexte actuel, même en cas de dépôt de plainte, priorité est donnée aux faits les plus graves. Le traitement des atteintes aux personnes, notamment des violences conjugales, est maintenu voire renforcé. À la sortie de la crise, nous aurons des moyens à droit constant, et peut-être d'autres, telle une loi d'amnistie, supposant une évolution de la législation et relevant du Parlement. Nous donnera-t-on la possibilité de revoir des procédures en cours ? Tous les contentieux prennent du retard ; nous définissons des priorités. Seront privilégiées les atteintes aux personnes, sans doute aussi les atteintes aux biens de personnes vulnérables. Il faudra des mécanismes prévus par la loi. La question n'est pas de recevoir ou non les plaintes, mais dans quel délai les traiter.
S'agissant des réductions de peine supplémentaires, nous appliquons la loi sans poser de question. Il y a toutefois une part d'individualisation. Certaines personnes n'ont pas voulu bénéficier de ces mesures parce qu'elles étaient dépourvues de domicile. C'est inquiétant, d'autant que ce n'est pas exceptionnel. C'est faute de pouvoir assurer leur suivi que nous n'avons pas libéré certains détenus. Nos décisions engagent notre responsabilité : nous vivons dans le même monde que vous, nous croisons les mêmes personnes. Ces réductions de peine produiront probablement leurs effets quand nous aurons fini de les traiter.
Ma disponibilité traduit ma conception du service public. Je suis d'accord, surtout en tant que femme, avec le fait que certains délits comme les violences conjugales puissent être exclus des réductions de peine exceptionnelles. En tant que juge de l'application des peines, je vois bien que l'on n'apporte pas suffisamment de nuances. L'être humain est plus compliqué que « violent un jour, violent toujours ». On aurait pu nous laisser faire notre travail d'évaluation des situations, par exemple pour éviter des retours au domicile où les violences étaient commises.
L'idée d'une clause de revoyure m'a été soufflée par votre collègue députée du Nord, Mme Florence Morlighem, au cours de la visite d'un établissement de mon ressort dont elle est sortie choquée. L'Association nationale des juges de l'application des peines a signé une tribune avec elle pour faire cette proposition. C'est la preuve que nos rôles se complètent !
Nous commençons à concevoir l'après-crise ; je crains que nous n'en soyons qu'au début des contaminations en milieu carcéral. La loi du 23 mars 2019 fournit des outils très intéressants. La nouvelle échelle des peines place la détention au dernier échelon et propose des adaptations ; nous y sommes attachés, bien que son application ait un peu déçu.
Pour utiliser ces outils, il faut restaurer la situation et prendre ensuite de bonnes habitudes. Restaurer la situation, c'est l'amnistie ; c'est votre responsabilité car ce choix ne peut relever des juges et il doit être fait à l'échelle nationale. Les bonnes habitudes, ce sont des mécanismes de régulation carcérale et de travail avec les procureurs de la République. M. le procureur général et moi-même avons finalement des points de vue proches, avec quelques désaccords qui n'empêchent pas de travailler ensemble.
Aujourd'hui paraît Libre cours : face au confinement, quelle éthique pour un procureur. M. Éric Maurel, procureur de la République de Nîmes, y estime qu'il faudrait être inconscient pour croire à l'efficacité sociale et individuelle des courtes peines d'emprisonnement. Il préconise une réflexion entre magistrats du siège et du parquet pour appliquer tout le spectre des mesures dont nous disposons.
Je partage le sentiment que les dispositions de la loi du 23 mars 2019 sont bonnes. Un ersatz de pilotage est déjà possible grâce à quelques outils qui nous ont permis de mesurer la population carcérale. Mais, pour la crédibilité de tout le système, il faut connaître le nombre d'aménagements de peine et de non-respect des mesures. Ces outils devront être à la disposition des juridictions. L'égalité devant la justice exige une approche rationnelle de notre fonctionnement.
La Commission auditionne, en visioconférence, M. Christian Saint-Palais, avocat au barreau de Paris, président de l'association des avocats pénalistes.
Dans cette série d'auditions sur la problématique de la détention il était indispensable d'entendre les avocats. C'est à un représentant des avocats pénalistes que nous allons donc maintenant donner la parole.
Dernier auditionné de l'après-midi, je limiterai mon propos à la spécificité de l'approche et de la pratique d'un avocat en cette période.
L'épidémie a bouleversé notre activité : des procès, comme celui du Mediator, ont été suspendus, d'autres reportés. Seul reste le contentieux de l'urgence, notion diversement appréciée par les parquets. Comment les droits de la défense seront-ils garantis ? Voilà ce qui nous préoccupe. Des aménagements peuvent être nécessaires, mais il existe un bloc auquel on ne pourrait toucher sans atteindre l'État de droit et qu'il serait peut-être impossible de rétablir à l'issue de la crise.
Nous défendons des hommes et des femmes qui nous ont choisis ou parce que nous avons été commis d'office. La confidentialité de nos échanges doit être garantie ; notre relation avec le justiciable est fondée sur ce secret et elle suppose une proximité physique dont il est difficile de se dispenser. Nous avons le devoir de ne jamais mettre en péril ceux que nous assistons. Or, la science nous a appris que nous pouvions être porteurs du virus sans aucun symptôme, donc constituer, à notre insu, un danger pour ceux que nous approchons. Dès la garde à vue, l'avocat est auprès de celui qu'il défend et l'entretien doit être confidentiel. L'ordonnance n° 2020‑303 du 25 mars 2020 a prévu la possibilité d'une conversation téléphonique mais, sans dire qu'il existe des écoutes sauvages, aucun avocat n'estime la confidentialité ainsi garantie !
De même, des comparutions immédiates ont encore lieu dans tous les tribunaux ; cela suppose de réserver à l'avocat, pour préparer l'audience, un espace assurant à la fois la confidentialité et la sécurité sanitaire. Jusqu'à hier, le bâtonnier de Paris n'a pu commettre d'office aucun avocat : la salle mise à disposition ne permettait pas – dans des locaux aussi vastes et vides que ceux du tribunal de Paris actuellement – une distance suffisante !
Nous connaissons les prisons, certes moins bien que les parlementaires qui peuvent visiter – quand on ne les en empêche pas, n'est-ce pas monsieur Bernalicis ? – des zones auxquelles nous n'avons pas accès. La surpopulation, que la Cour européenne des droits de l'homme a de nouveau condamnée en janvier, ces conditions de détention jugées indignes et infamantes, nous en partageons la responsabilité : nous n'avons pas été assez convaincants ; vous avez adopté les textes sur lesquels se fondent les juges pour décider des incarcérations.
Notre activité consiste aujourd'hui presque exclusivement à répondre aux appels de détenus et de leurs familles. Parmi vous, certains ont été ou sont encore avocats : ils savent que nous ne parlons pas de statistiques, mais d'hommes et de femmes qui expriment leur angoisse. Vendredi dernier, sur La Chaîne parlementaire, Me Henri Leclerc a été submergé par l'émotion à la seule évocation de cette souffrance. Mme la directrice des affaires criminelles et des grâces vous parlait d'un nombre très élevé de demandes de mise en liberté : ce mouvement n'a pas été concerté. Les détenus nous ont saisis individuellement ; ils avaient peur ; il s'agissait de leur vie.
À plusieurs reprises, nous avons souligné l'incohérence de certaines décisions du Gouvernement. La volonté de désengorger les prisons a déjà été évoquée. Vous avez rappelé, à cet égard, le nombre de détenus qui ont quitté les centres pénitentiaires et les maisons d'arrêt. Ce chiffre, non négligeable, concerne toutefois principalement les personnes en fin de peine.
En ce qui concerne la détention provisoire, et alors que chacun d'entre nous est appelé à se confiner pour se protéger et éviter de mettre autrui en danger, nous avons souhaité que la procédure de demande de mise en liberté soit adaptée. L'ordonnance du 25 mars 2020 a simplifié certaines formalités pour certains actes. L'avant-dernier alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale a été modifié : désormais, les demandes d'actes pendant l'instruction peuvent être régularisées par lettre recommandée avec accusé de réception et par courriel. Or, les demandes de mise en liberté ont été exclues de cette facilité procédurale. Les avocats sont toujours obligés de faire la queue au bureau de poste dans les conditions que vous connaissez – avec des juges qui indiquent par la suite n'avoir rien reçu dans les temps – ou de se déplacer jusqu'au greffe et de s'exposer personnellement. Donc l'ordonnance qui devait mettre un terme à un certain désordre, puisque certains juges avaient accepté de prendre en compte des demandes sous forme électronique quand d'autres le refusaient, n'a pas permis de résoudre cette difficulté.
Les mises en liberté ordonnées par les juges l'ont été avec discernement et en conscience, au regard de la situation des personnes et de l'état sanitaire que nous connaissons. Ces décisions ont pu prendre en compte l'état de santé des mis en examen qui, je le rappelle, sont judiciairement présumés innocents. D'ailleurs, une grande partie des personnes mises en examen est définitivement innocentée au terme de la procédure.
Si certains juges ont décidé des mises en liberté, il faudra aussi examiner à l'issue de cette crise les détentions régularisées par le parquet. Les procureurs de la République ne se sont pas privés de recourir au référé-détention qui leur permet de s'opposer, par un simple recours, à la mise à exécution d'une décision d'un juge du siège. Aujourd'hui, dix dossiers ayant fait l'objet d'un référé-détention étaient examinés par la chambre de l'instruction de Paris. Ils soulignent tous, contrairement à ce qui était prétendu, qu'en ce qui concerne la détention provisoire, le parquet n'a pas laissé sortir tous ceux que les juges avaient choisi de libérer. Par ailleurs, les délais d'examen par la chambre de l'instruction sont rallongés de trente jours. Auparavant, en cas d'appel sur une décision de remise en liberté, la chambre de l'instruction avait quinze ou vingt jours pour se prononcer. Depuis l'ordonnance du 25 mars, ce délai est désormais de cinquante jours !
À propos de l'article 16 de cette même ordonnance, qui porte sur la prolongation de la détention provisoire et qui a fait à tout le moins l'objet d'interrogations, ce qui nous semble devoir être rappelé au nom de ceux que nous défendons et dont les audiences sont annulées, c'est la destruction du lien qui unit le justiciable à ses juges. Dans un État de droit, ce qui est important selon moi et ce à quoi veille le barreau, c'est l'autorité de la justice. Il faut que les parties aient confiance en ce qui a été dit pour que la décision, même défavorable, soit acceptée. Lorsqu'une personne est placée en détention provisoire, c'est au terme d'un débat avec le juge des libertés et de la détention. Ce dernier, après avoir délibéré, rend l'ordonnance de placement en détention provisoire et indique que cette décision sera revue dans quatre mois. C'est une forme de contrat entre le juge et le justiciable.
Or, j'ai sur mon bureau une ordonnance du 27 mars d'un juge des libertés et de la détention de Paris. Le mis en examen était présent ; son avocate se trouvait dans la salle prête à plaider ; la juge et le greffier étaient également là. Au moment où le débat allait commencer, une ordonnance a été délivrée indiquant qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur le fondement de l'ordonnance du 25 mars et de sa circulaire d'application. Qui peut expliquer à celui qui attend son procès, pour débattre notamment de sa détention provisoire, qu'une décision de l'exécutif annule ledit procès ? Ce n'est pas compréhensible et cela rompt le lien de confiance avec l'autorité judiciaire.
Des juges d'instruction ont, par ailleurs, prolongé de deux mois la détention provisoire de personnes dont le mandat de dépôt de quatre mois expirait trois jours plus tard. Quel justiciable peut comprendre ce changement des règles du jeu et accepter la privation de procès dans des circonstances pareilles ?
Puis-je prendre la liberté, mesdames et messieurs les députés, de m'adresser directement à vous ? Cette ordonnance a été critiquée par toutes les associations d'avocats – conseil national des barreaux, ordre des avocats au barreau de Paris et conférence des bâtonniers. Nous avons saisi le Conseil d'État dans le cadre d'un référé-liberté qu'évoquait, lors de son audition, la directrice des affaires criminelles et des grâces. Le juge administratif a estimé que cette disposition ne contrevenait à aucun principe fondamental. Mais il relève surtout que l'ordonnance est prise dans les limites de la loi. Or, si le nombre de personnes détenues est aussi important, si notre pratique de la détention provisoire nous singularise dans le monde occidental, c'est du fait des lois en vigueur. Tant qu'elles ne diront pas, par exemple, qu'on ne peut recourir à la détention provisoire pour des infractions contre les biens, des magistrats en feront usage dans ces situations. Voilà comment s'explique l'inflation de la détention provisoire, donc de la population carcérale, et les problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui.
Je voudrais dire quelques mots sur nos préoccupations au regard de la situation dans les prisons. Quels y sont, aujourd'hui, nos moyens d'action ? Il s'y trouve des personnes que nous avons délaissées. Dans un premier temps, pensant que le confinement imposait de ne pas quitter notre domicile personnel, nous ne sommes pas allés dans les établissements. Et nous avons d'ailleurs pensé, assez longtemps, qu'ils nous seraient fermés, ce qui d'ailleurs était le cas pour certains.
Puis nous avons entendu la Garde des Sceaux dire que les avocats pouvaient se rendre dans les prisons. Et c'est parce que le Conseil d'État, saisi en référé par une association de défense des droits des détenus, a invité le ministère à fixer un cadre, dans une note datée du 6 avril, que nous pouvons à présent le faire.
Dans quelles conditions allons-nous en prison ? Nous y allons sans masque parce nous n'avons pas de filière d'approvisionnement ; nos instances ordinales n'avaient pas prévu un tel péril. Nous devons par ailleurs remplir une attestation sur l'honneur selon laquelle nous ne sommes pas atteints du Covid-19 et nous n'avons pas rencontré de personne atteinte, chose impossible à savoir. Quel est le but de cette attestation ? Pouvoir reprocher ensuite aux avocats d'avoir contaminé ceux qu'ils ont rencontrés ?
Ensuite, toutes les prisons n'ont pas mis à disposition des parloirs familiaux, plus grands, pour permettre de respecter les distances de sécurité. À Nanterre, la semaine dernière, nous étions dans nos cabines habituelles d'un mètre carré où il est absolument impossible d'empêcher la propagation du virus. Nous utilisons le téléphone pour pallier ces difficultés. Je suis désolé de le dire mais nous avons une confiance relative dans la confidentialité assurée par ce moyen de communication.
La crise sanitaire oblige à aménager les conditions de l'État de droit, ce que nous acceptons, mais il y a des blocs auxquels nous ne devons absolument pas toucher. Quand les avocats refusent d'intervenir à certaines audiences, c'est parce qu'ils savent que les droits de la défense ne pourront s'exercer pleinement. Il n'est pas question de paralyser l'institution mais on ne peut renoncer à cette relation singulière que nous entretenons avec nos clients. Celle-ci repose sur un socle – la confidence – dont le respect n'est pas pleinement assuré aujourd'hui.
En vertu de l'article 5 de l'ordonnance du 25 mars, l'utilisation de la visioconférence sans l'accord des parties est autorisée dans les affaires pénales – sauf procédure criminelle. En cas d'impossibilité de recourir à cette méthode, on peut employer d'autres moyens comme le téléphone à la double condition de la qualité de la transmission et du respect de la confidentialité. J'aurais aimé connaitre votre appréciation sur ces procédés.
Par ailleurs, comment évaluez-vous la poursuite de vos missions auprès vos clients en détention compte tenu des mesures de confinement dans les établissements pénitentiaires ?
J'ai bien entendu les difficultés que rencontrent les avocats, comme d'autres professions, pour s'équiper de moyens de protection contre le virus.
Cette crise sanitaire est intervenue après un long mouvement de revendication des avocats lié à la réforme des retraites qui a conduit au report de nombreuses audiences et à l'allongement d'un grand nombre de procédures. Compte tenu de la succession de ce mouvement de revendication et de la crise sanitaire, pouvez-vous nous donner une évaluation de l'ampleur des retards, pour vos clients mais également pour les avocats, dont beaucoup sont inquiets pour la poursuite de leur activité professionnelle ?
Craignez-vous que certaines mesures mises en place dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire perdurent après le confinement, voire après la levée de l'état d'urgence sanitaire, et qu'elles restreignent davantage les principes de l'égalité des armes, du contradictoire et du droit à la défense ?
Je souhaite également vous interroger sur le délit de violation du confinement. Plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité ont été déposées. Quel est votre avis sur cette nouvelle infraction ?
À ce jour, environ dix mille détenus ont quitté les maisons d'arrêt au titre de libérations anticipées. Avez-vous des craintes en ce qui concerne les effets que ces sorties de prison pourraient avoir, étant entendu cependant qu'elles n'ont bénéficié qu'à des personnes ayant de courtes peines à purger ?
Quant au recours à la visioconférence dans le parcours judiciaire des détenus, il me semble que vous faites partie des avocats opposés à ce dispositif pour les raisons évoquées durant votre présentation. Alors que le confinement entraîne un recours accru à ce mode de communication, qu'envisagez-vous de faire à ce sujet ?
Je souhaite également revenir sur la reprise de vos activités à l'issue du confinement. Sachant qu'il est nécessaire que le rythme judiciaire reprenne rapidement, comment imaginez-vous le retour à la normale ?
Enfin, je ne partage pas tout à fait votre point de vue sur la question des visites dans les prisons. Ma circonscription accueille une maison d'arrêt au sein de laquelle les avocats peuvent toujours rencontrer leurs clients en portant un masque et des protections, sans avoir à produire d'attestation sur l'honneur. Or, malgré ces précautions, il n'y a pas suffisamment d'avocats pour répondre aux besoins.
La première question qui m'a été posée est celle de l'usage de la visioconférence ou du téléphone pour compenser la perte d'espace qui permet normalement la confidentialité et la sécurité de chacun. Beaucoup de pénalistes ont pu contester la visioconférence ou alerter sur les risques qu'elle comporte. Nous voulons préserver l'exigence selon laquelle celui qui est jugé fait face à ses juges tandis que les juges sont en présence de celui qu'ils vont éventuellement condamner afin d'entendre sa défense. C'est pour cette raison que nous nous sommes opposés aux box vitrés qui établissent une paroi entre celui qui est jugé et ses juges.
Toutefois, comme je vous l'ai dit, il faut accepter, dans cette période de crise, des adaptations. Des individus qui demandent leur remise en liberté souhaitent que le juge les entende rapidement. Comme leur extraction pour les mener devant la chambre de l'instruction est impossible, ils préfèrent que cette audience se fasse par visioconférence. Nous avons souvent critiqué les insuffisances des moyens de communication. Vous constatez l'apport incroyable de la technique qui permet à chacun, depuis son domicile, de participer à une conversation ; vous en percevez aussi les limites. Nous avons des discussions qui se hachent ; nous nous voyons à peu près ; nous ne percevons pas entièrement ce qui se passe autour de nous. C'est un mode d'organisation des procès, destinés à juger un homme et statuer sur sa détention, qui ne peut pleinement nous satisfaire. C'est un palliatif, un pis-aller.
La possibilité d'un entretien par téléphone est désormais ouverte. Certains de mes confrères ont usé de cette possibilité. Plusieurs bâtonniers ont accepté de commettre d'office, y compris à Paris, des avocats pour assurer cette assistance exclusivement par téléphone, estimant qu'il y avait trop de danger à se rendre sur place. Là aussi, c'est un pis-aller qui ne garantit pas la légalité de la garde à vue, qui doit débuter par un entretien confidentiel entre l'avocat et le gardé à vue. Toutefois, je suis toujours vigilant à ce que la personne en garde à vue, qui souvent ne connait pas la procédure, puisse conserver un lien avec celui qui est susceptible de la défendre, ne serait-ce que pour le rappel de ses droits, et même si ce lien ne peut se tisser que par téléphone.
Ces expédients sont également dangereux pour le barreau car ils offrent un confort auquel chacun peut goûter. Nous allons devoir être vigilants à la sortie de cette crise. Vous-mêmes pouvez peut-être apprécier de ne pas avoir à vous déplacer pour certaines réunions, de converser devant votre écran. Personnellement, je trouve assez agréable de vaquer à mes occupations professionnelles et personnelles sans changer de lieu. Mais nous ne devons pas, au sein du barreau, considérer ce confort comme une plus-value pour l'œuvre de justice pénale. Peut-être, pour la justice civile, ces moyens de communications sont-ils suffisants. Pour le pénal, jamais ! Nous devons être dans une même salle et nous devons consentir des efforts pour cela. Ce que vous devez prévoir, ce sont des budgets suffisants pour que des extractions soient organisées, pour que ceux qui comparaissent devant le juge soient physiquement présents. Donc oui, nous pouvons accepter temporairement ces moyens de communication, mais pas nous y habituer.
Madame Dubré-Chirat, vous disiez qu'il y avait une possibilité d'accéder à certaines prisons avec un masque. Il est vrai que les régimes d'accès ne sont pas uniformes sur le territoire. Pour certaines prisons, il faut une attestation. C'est tout nouveau ; à la prison de Luynes, elle est en place depuis hier seulement. Beaucoup d'avocats nous ont rapporté qu'elle était déjà en place ailleurs. Je crois que c'est une directive de la direction de l'administration pénitentiaire.
Je disais tout à l'heure avoir la conviction que peut-être, individuellement, nous n'étions pas toujours à la hauteur des missions qui sont les nôtres. Sans doute avez-vous raison de souligner que nous ne sommes pas toujours dans les prisons auxquelles nous pourrions accéder. Je suis moi-même confiné et, depuis le 16 mars, je n'ai assisté qu'à une seule audience. Je ne suis pas allé en prison et j'ai demandé à mes collaborateurs, pour ne pas les mettre en danger, de ne pas s'y rendre non plus. On peut me le reprocher mais c'est une préoccupation de protection personnelle et d'autrui.
Mais combien d'avocats, je vous l'assure, sont sur le terrain tous les jours ! Combien d'avocats ont cette préoccupation de la défense chevillée au corps et partent sans se soucier de leur propre sécurité ! Il y a beaucoup d'avocats qui faisaient la queue aujourd'hui dans le couloir de la chambre de l'instruction, tous ces jeunes pénalistes qui vont assurer les droits de la défense et qui n'abandonnent pas. C'est notre préoccupation : ne pas abandonner ceux qui sont en prison. La Garde des Sceaux disait qu'il n'y a qu'un seul interlocuteur, c'est l'avocat : « qu'il aille donc en prison ». Nous avons trouvé cela difficile à entendre. Des masques sont parfois mis à disposition, mais pas partout. Ils vont l'être désormais et nous pourrons assurer nos missions dans des conditions plus sécurisées.
Monsieur Bernalicis m'a interrogé sur les craintes éprouvées au sujet de la visioconférence. Nous ne souhaitons pas que cette pratique se généralise car nous sommes bien sûr attachés à la qualité des audiences et des décisions rendues par les magistrats. Dans cette optique, c'est au législateur de prendre ses responsabilités : si la possibilité est laissée aux juges de faire comparaître physiquement les personnes mises en cause, ils s'en saisiront dès lors que les moyens adéquats seront fournis.
Quant au délit de non-respect du confinement, beaucoup de polémiques ont éclaté. Des questions prioritaires de constitutionnalité ont été soulevées puis, pour certaines d'entre elles, transmises à la Cour de cassation avant un possible examen par le Conseil constitutionnel. Certains contrôles de police ayant établi l'infraction ont été annulés grâce à l'action des avocats. Je suis cependant préoccupé par l'organisation de comparutions immédiates s'agissant de ce délit, eu égard aux risques sanitaires. Cela ne m'apparaît clairement pas indispensable. Il aurait été judicieux de faire preuve de discernement en la matière. Je veux néanmoins retenir la vivacité de l'État de droit qui conserve toute sa force en période de crise.
En ce qui concerne la situation financière des avocats, il est pertinent d'établir un parallèle avec les difficultés rencontrées par les artisans. Il y a très peu de grands cabinets pénalistes. Nous connaissons la précarité et la fragilité auxquelles nous sommes exposés, notamment à l'issue de notre forte et légitime mobilisation contre la réforme des retraites. Préoccupés par leur avenir et par l'exigence de maintenir la qualité de la défense, les avocats pénalistes se sont beaucoup investis, ce qui les a conduits à diminuer leur activité et à renoncer à de nombreux honoraires. Beaucoup d'avocats vivent une situation difficile, encore aggravée, aujourd'hui, par l'impossibilité de tenir des audiences et de se rémunérer. Les instances ordinales ne pourront apporter que des aides modiques. La profession sera solidaire dans la gestion de la crise comme elle l'a été contre la réforme des retraites. Malheureusement, la difficulté extrême de la situation contraindra certains d'entre nous à renoncer à leur activité, à défaut de pouvoir faire face aux charges qui leur incombent.
S'agissant de la gestion des affaires pénales en cours et qui s'accumulent, beaucoup d'entre elles ont déjà été décalées et n'ont pas encore été jugées, comme le dossier du Mediator dont le procès est censé reprendre le 1er juin. Ce bouleversement du calendrier va entraîner de nombreux retards, à l'image du procès des attentats de Charlie-Hebdo prévu en mai et déjà reporté en septembre. Les juridictions devront absorber des décalages de plusieurs mois. Il conviendra de rester vigilant afin que la justice s'accomplisse dans les meilleures conditions, c'est-à-dire pas à n'importe quel prix. Il faudra prendre tout le temps nécessaire pour juger correctement.
Je profite de ce qui vient d'être dit pour indiquer que la commission des Lois consacrera prochaine une séance au fonctionnement des juridictions civiles et pénales pendant la crise sanitaire et à la façon dont elles pourront reprendre leur marche normale une fois l'état d'urgence sanitaire levé. Nous pourrons notamment interroger des représentants du barreau quant à l'impact sur la profession.
Je m'interroge sur la profondeur du dialogue entre magistrats et avocats pour le bon fonctionnement de la justice pendant cette période de confinement. Y a-t-il des discussions ? S'entend-on sur les audiences qui permettraient aux justiciables d'être plus rapidement jugés ? La situation des justiciables et de leurs avocats est-elle correctement prise en compte ?
Pendant que le confinement se poursuit, les palais sont vides et c'est éprouvant pour les justiciables. À Clermont-Ferrand, il n'y a que vingt-cinq personnes contre trois cents habituellement ; les grandes salles inoccupées pourraient accueillir des audiences dans le respect des contraintes sanitaires. Sans même attendre le 11 mai, ne peut-on accélérer l'œuvre de justice ? Il n'est pas judicieux de laisser la population penser que l'activité judiciaire peut être suspendue deux mois sans conséquence.
Quant à la sortie de l'état d'urgence sanitaire, je crains qu'on ne soit tenté d'innover par des dispositifs attentatoires aux droits de la défense. Il faudra de la vigilance.
Vous avez exprimé votre inquiétude quant à la sortie de crise et à la période transitoire qu'elle impliquera. Comment pourrait-on mieux garantir les droits de la défense dans ces circonstances, qu'il s'agisse de la confidentialité des entretiens en garde à vue ou de l'accès des avocats aux parloirs ?
Vous avez indiqué que des attestations de non-contamination avaient été demandées à des avocats. Cette pratique est-elle généralisée ou se limite-t-elle à certains établissements ?
Je suis particulièrement attentive aux questions relatives à la détention des mineurs. Des difficultés ont-elles été portées à votre connaissance quant à leur situation ?
Les magistrats et les avocats communiquent de manière régulière, notamment au sujet de l'organisation des audiences – certaines sont d'ailleurs maintenues, à la fin du mois d'avril par exemple. Les grandes salles des tribunaux devraient permettre d'organiser les procès dans le respect des gestes barrière ; l'usage de masques et de gants de protection garantirait également des conditions sanitaires adéquates. Nous avons en tête les contraintes de fonctionnement de la justice dans des conditions de qualité et de respect des droits de la défense. Chacun des acteurs de la chaîne pénale se préoccupe de permettre la reprise des audiences le plus vite possible. En tant qu'avocats, nous sommes à l'écoute des attentes de nos clients, qui souhaitent légitimement que leur procès se déroule au plus vite.
La prise en compte à l'avenir des risques révélés par cette crise est également l'une de nos préoccupations. Nous donnons l'alerte depuis des années sur la surpopulation carcérale. La crise nous montre à quel point doit évoluer la réalité à laquelle nous étions habitués.
Le secret professionnel, qui n'a pas toujours été protégé par la loi comme il aurait dû l'être, est essentiel à notre travail. Nous ne nous rendons en garde à vue ou en prison que s'il est garanti. C'est normalement le cas des entretiens et des conversations téléphoniques que nous avons avec nos clients incarcérés. Or, la loi actuelle permet d'écouter les conversations entre une personne mise en examen et son avocat. Le respect du secret professionnel implique, selon moi, que l'on garantisse la parfaite confidentialité de toute conversation entre un justiciable, détenu ou libre, et son avocat. La crise actuelle pourrait être un levier pour y parvenir.
On a voulu instaurer la communication téléphonique entre le gardé à vue et son avocat. Certains officiers de police judiciaire s'y sont opposés en indiquant, certainement avec l'accord du parquet, qu'ils ne pouvaient pas savoir qui était au bout du fil. Cette objection n'est d'ailleurs pas inexacte. Aussi, la crise actuelle, qui nous montre que le téléphone peut être un pis-aller nécessaire, pourrait-elle permettre de recenser une liste de lignes d'avocats, lignes qui ne pourraient jamais être placées sur écoute sans avis au bâtonnier. C'est ce qui existe dans certains pays étrangers où, dès lors qu'une personne appelle un numéro affecté à un avocat, l'écoute dont il fait l'objet s'interrompt.
Comme vous le voyez, le respect du secret professionnel est un vaste chantier, qui dépend de la configuration des lieux et de l'état d'esprit des magistrats. À Paris, alors qu'il y a eu beaucoup de discussions entre le bâtonnier, les représentants ordinaux, le président du tribunal judiciaire et le procureur de la République pour assurer la qualité des comparutions immédiates, nous avons eu l'impression que certains magistrats n'étaient pas préoccupés par la question et nous offraient des lieux inadaptés. Si on préserve le secret professionnel partout, alors chacun saura qu'il faut en garantir les conditions.
Quant à l'attestation sur laquelle j'ai été interrogé, je vous renvoie à la note du 6 avril 2020 du directeur de l'administration pénitentiaire adressée à tous les directeurs interrégionaux de services pénitentiaires où il est indiqué que, pour permettre l'accès des avocats aux établissements dans le respect le plus strict des mesures de sécurité, ils devront attester sur l'honneur ne présenter aucun des signes cliniques du Covid-19 et ne pas être, ni avoir été, en contact étroit avec une personne malade ou présentant de tels symptômes. Certes, tous les centres ne demandent pas cette attestation, mais beaucoup néanmoins le font.
S'agissant enfin du sort des mineurs, ce qui nous inquiète est que la législation ait, là aussi, minoré la spécificité attachée à leur traitement pénal. Vous avez vu que l'allongement des délais prévu dans l'ordonnance du 25 mars dernier aligne le sort des mineurs sur celui des majeurs. Nous sommes également préoccupés du soutien qui sera apporté à ces mineurs.
Mes chers collègues, nous avons consacré huit heures d'auditions hier et aujourd'hui au thème de la détention. Il était important de clore ce cycle en entendant la voix d'un avocat.
La semaine prochaine, nous aborderons les questions de sécurité publique.
La réunion se termine à 18 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, Mme George Pau-Langevin, M. Jean-Pierre Pont, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier