Intervention de Christian Saint-Palais

Réunion du jeudi 16 avril 2020 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christian Saint-Palais, avocat au barreau de Paris, président de l'association des avocats pénalistes :

Dernier auditionné de l'après-midi, je limiterai mon propos à la spécificité de l'approche et de la pratique d'un avocat en cette période.

L'épidémie a bouleversé notre activité : des procès, comme celui du Mediator, ont été suspendus, d'autres reportés. Seul reste le contentieux de l'urgence, notion diversement appréciée par les parquets. Comment les droits de la défense seront-ils garantis ? Voilà ce qui nous préoccupe. Des aménagements peuvent être nécessaires, mais il existe un bloc auquel on ne pourrait toucher sans atteindre l'État de droit et qu'il serait peut-être impossible de rétablir à l'issue de la crise.

Nous défendons des hommes et des femmes qui nous ont choisis ou parce que nous avons été commis d'office. La confidentialité de nos échanges doit être garantie ; notre relation avec le justiciable est fondée sur ce secret et elle suppose une proximité physique dont il est difficile de se dispenser. Nous avons le devoir de ne jamais mettre en péril ceux que nous assistons. Or, la science nous a appris que nous pouvions être porteurs du virus sans aucun symptôme, donc constituer, à notre insu, un danger pour ceux que nous approchons. Dès la garde à vue, l'avocat est auprès de celui qu'il défend et l'entretien doit être confidentiel. L'ordonnance n° 2020‑303 du 25 mars 2020 a prévu la possibilité d'une conversation téléphonique mais, sans dire qu'il existe des écoutes sauvages, aucun avocat n'estime la confidentialité ainsi garantie !

De même, des comparutions immédiates ont encore lieu dans tous les tribunaux ; cela suppose de réserver à l'avocat, pour préparer l'audience, un espace assurant à la fois la confidentialité et la sécurité sanitaire. Jusqu'à hier, le bâtonnier de Paris n'a pu commettre d'office aucun avocat : la salle mise à disposition ne permettait pas – dans des locaux aussi vastes et vides que ceux du tribunal de Paris actuellement – une distance suffisante !

Nous connaissons les prisons, certes moins bien que les parlementaires qui peuvent visiter – quand on ne les en empêche pas, n'est-ce pas monsieur Bernalicis ? – des zones auxquelles nous n'avons pas accès. La surpopulation, que la Cour européenne des droits de l'homme a de nouveau condamnée en janvier, ces conditions de détention jugées indignes et infamantes, nous en partageons la responsabilité : nous n'avons pas été assez convaincants ; vous avez adopté les textes sur lesquels se fondent les juges pour décider des incarcérations.

Notre activité consiste aujourd'hui presque exclusivement à répondre aux appels de détenus et de leurs familles. Parmi vous, certains ont été ou sont encore avocats : ils savent que nous ne parlons pas de statistiques, mais d'hommes et de femmes qui expriment leur angoisse. Vendredi dernier, sur La Chaîne parlementaire, Me Henri Leclerc a été submergé par l'émotion à la seule évocation de cette souffrance. Mme la directrice des affaires criminelles et des grâces vous parlait d'un nombre très élevé de demandes de mise en liberté : ce mouvement n'a pas été concerté. Les détenus nous ont saisis individuellement ; ils avaient peur ; il s'agissait de leur vie.

À plusieurs reprises, nous avons souligné l'incohérence de certaines décisions du Gouvernement. La volonté de désengorger les prisons a déjà été évoquée. Vous avez rappelé, à cet égard, le nombre de détenus qui ont quitté les centres pénitentiaires et les maisons d'arrêt. Ce chiffre, non négligeable, concerne toutefois principalement les personnes en fin de peine.

En ce qui concerne la détention provisoire, et alors que chacun d'entre nous est appelé à se confiner pour se protéger et éviter de mettre autrui en danger, nous avons souhaité que la procédure de demande de mise en liberté soit adaptée. L'ordonnance du 25 mars 2020 a simplifié certaines formalités pour certains actes. L'avant-dernier alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale a été modifié : désormais, les demandes d'actes pendant l'instruction peuvent être régularisées par lettre recommandée avec accusé de réception et par courriel. Or, les demandes de mise en liberté ont été exclues de cette facilité procédurale. Les avocats sont toujours obligés de faire la queue au bureau de poste dans les conditions que vous connaissez – avec des juges qui indiquent par la suite n'avoir rien reçu dans les temps – ou de se déplacer jusqu'au greffe et de s'exposer personnellement. Donc l'ordonnance qui devait mettre un terme à un certain désordre, puisque certains juges avaient accepté de prendre en compte des demandes sous forme électronique quand d'autres le refusaient, n'a pas permis de résoudre cette difficulté.

Les mises en liberté ordonnées par les juges l'ont été avec discernement et en conscience, au regard de la situation des personnes et de l'état sanitaire que nous connaissons. Ces décisions ont pu prendre en compte l'état de santé des mis en examen qui, je le rappelle, sont judiciairement présumés innocents. D'ailleurs, une grande partie des personnes mises en examen est définitivement innocentée au terme de la procédure.

Si certains juges ont décidé des mises en liberté, il faudra aussi examiner à l'issue de cette crise les détentions régularisées par le parquet. Les procureurs de la République ne se sont pas privés de recourir au référé-détention qui leur permet de s'opposer, par un simple recours, à la mise à exécution d'une décision d'un juge du siège. Aujourd'hui, dix dossiers ayant fait l'objet d'un référé-détention étaient examinés par la chambre de l'instruction de Paris. Ils soulignent tous, contrairement à ce qui était prétendu, qu'en ce qui concerne la détention provisoire, le parquet n'a pas laissé sortir tous ceux que les juges avaient choisi de libérer. Par ailleurs, les délais d'examen par la chambre de l'instruction sont rallongés de trente jours. Auparavant, en cas d'appel sur une décision de remise en liberté, la chambre de l'instruction avait quinze ou vingt jours pour se prononcer. Depuis l'ordonnance du 25 mars, ce délai est désormais de cinquante jours !

À propos de l'article 16 de cette même ordonnance, qui porte sur la prolongation de la détention provisoire et qui a fait à tout le moins l'objet d'interrogations, ce qui nous semble devoir être rappelé au nom de ceux que nous défendons et dont les audiences sont annulées, c'est la destruction du lien qui unit le justiciable à ses juges. Dans un État de droit, ce qui est important selon moi et ce à quoi veille le barreau, c'est l'autorité de la justice. Il faut que les parties aient confiance en ce qui a été dit pour que la décision, même défavorable, soit acceptée. Lorsqu'une personne est placée en détention provisoire, c'est au terme d'un débat avec le juge des libertés et de la détention. Ce dernier, après avoir délibéré, rend l'ordonnance de placement en détention provisoire et indique que cette décision sera revue dans quatre mois. C'est une forme de contrat entre le juge et le justiciable.

Or, j'ai sur mon bureau une ordonnance du 27 mars d'un juge des libertés et de la détention de Paris. Le mis en examen était présent ; son avocate se trouvait dans la salle prête à plaider ; la juge et le greffier étaient également là. Au moment où le débat allait commencer, une ordonnance a été délivrée indiquant qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur le fondement de l'ordonnance du 25 mars et de sa circulaire d'application. Qui peut expliquer à celui qui attend son procès, pour débattre notamment de sa détention provisoire, qu'une décision de l'exécutif annule ledit procès ? Ce n'est pas compréhensible et cela rompt le lien de confiance avec l'autorité judiciaire.

Des juges d'instruction ont, par ailleurs, prolongé de deux mois la détention provisoire de personnes dont le mandat de dépôt de quatre mois expirait trois jours plus tard. Quel justiciable peut comprendre ce changement des règles du jeu et accepter la privation de procès dans des circonstances pareilles ?

Puis-je prendre la liberté, mesdames et messieurs les députés, de m'adresser directement à vous ? Cette ordonnance a été critiquée par toutes les associations d'avocats – conseil national des barreaux, ordre des avocats au barreau de Paris et conférence des bâtonniers. Nous avons saisi le Conseil d'État dans le cadre d'un référé-liberté qu'évoquait, lors de son audition, la directrice des affaires criminelles et des grâces. Le juge administratif a estimé que cette disposition ne contrevenait à aucun principe fondamental. Mais il relève surtout que l'ordonnance est prise dans les limites de la loi. Or, si le nombre de personnes détenues est aussi important, si notre pratique de la détention provisoire nous singularise dans le monde occidental, c'est du fait des lois en vigueur. Tant qu'elles ne diront pas, par exemple, qu'on ne peut recourir à la détention provisoire pour des infractions contre les biens, des magistrats en feront usage dans ces situations. Voilà comment s'explique l'inflation de la détention provisoire, donc de la population carcérale, et les problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui.

Je voudrais dire quelques mots sur nos préoccupations au regard de la situation dans les prisons. Quels y sont, aujourd'hui, nos moyens d'action ? Il s'y trouve des personnes que nous avons délaissées. Dans un premier temps, pensant que le confinement imposait de ne pas quitter notre domicile personnel, nous ne sommes pas allés dans les établissements. Et nous avons d'ailleurs pensé, assez longtemps, qu'ils nous seraient fermés, ce qui d'ailleurs était le cas pour certains.

Puis nous avons entendu la Garde des Sceaux dire que les avocats pouvaient se rendre dans les prisons. Et c'est parce que le Conseil d'État, saisi en référé par une association de défense des droits des détenus, a invité le ministère à fixer un cadre, dans une note datée du 6 avril, que nous pouvons à présent le faire.

Dans quelles conditions allons-nous en prison ? Nous y allons sans masque parce nous n'avons pas de filière d'approvisionnement ; nos instances ordinales n'avaient pas prévu un tel péril. Nous devons par ailleurs remplir une attestation sur l'honneur selon laquelle nous ne sommes pas atteints du Covid-19 et nous n'avons pas rencontré de personne atteinte, chose impossible à savoir. Quel est le but de cette attestation ? Pouvoir reprocher ensuite aux avocats d'avoir contaminé ceux qu'ils ont rencontrés ?

Ensuite, toutes les prisons n'ont pas mis à disposition des parloirs familiaux, plus grands, pour permettre de respecter les distances de sécurité. À Nanterre, la semaine dernière, nous étions dans nos cabines habituelles d'un mètre carré où il est absolument impossible d'empêcher la propagation du virus. Nous utilisons le téléphone pour pallier ces difficultés. Je suis désolé de le dire mais nous avons une confiance relative dans la confidentialité assurée par ce moyen de communication.

La crise sanitaire oblige à aménager les conditions de l'État de droit, ce que nous acceptons, mais il y a des blocs auxquels nous ne devons absolument pas toucher. Quand les avocats refusent d'intervenir à certaines audiences, c'est parce qu'ils savent que les droits de la défense ne pourront s'exercer pleinement. Il n'est pas question de paralyser l'institution mais on ne peut renoncer à cette relation singulière que nous entretenons avec nos clients. Celle-ci repose sur un socle – la confidence – dont le respect n'est pas pleinement assuré aujourd'hui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.