Intervention de Marie Guévenoux

Réunion du lundi 15 juin 2020 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Guévenoux, rapporteure :

Nous examinons pour la troisième fois en moins de trois mois un projet de loi relatif à l'état d'urgence sanitaire. J'espère que l'amélioration de la situation se confirmera et qu'il ne sera pas nécessaire de nous retrouver une quatrième fois.

Le contexte a considérablement évolué depuis le 20 mars ; la courbe épidémique était dans sa phase ascendante, justifiant l'examen du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, suite au confinement général de la population. On recensait alors 12 612 cas, 5 226 personnes étaient hospitalisées, dont 1 297 en réanimation ; 450 décès dus au coronavirus étaient constatés.

L'épidémie ayant amorcé son recul à partir de la mi-avril, nous nous sommes retrouvés le 6 mai afin de préparer le déconfinement, dans le cadre du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Sur 137 150 cas recensés, 23 893 personnes étaient toujours hospitalisées, dont 3 147 en réanimation ; le nombre de décès s'élevait alors à 25 809.

Aujourd'hui, si l'épidémie a touché plus de 155 000 Français et provoqué plus de 29 000 décès, le nombre de personnes hospitalisées a reculé à 11 465 dont 903 en réanimation. Les indicateurs épidémiologiques se situent à un « niveau bas », selon les termes du conseil scientifique : sur les 35 000 tests effectués par jour, le taux de positivité est de 1,6 % ; le taux de reproduction effectif du virus, sur une période glissante de sept jours, est inférieur à 1.

Dans son avis sur le présent projet de loi, le conseil scientifique a estimé que la circulation du virus en France a été fortement ralentie et que l'épidémie est contrôlée, justifiant une sortie de l'état d'urgence sanitaire. Des points de vigilance demeurent néanmoins, notamment en Guyane et à Mayotte, mais aussi dans les territoires où sont récemment apparus des clusters, comme la Meurthe-et-Moselle. De l'avis même du conseil, le fait que l'épidémie continue de circuler justifie que des mesures soient prises pour prévenir sa reprise : obligation du port du masque dans les transports en commun, limitation des rassemblements, maintien de la fermeture de certains lieux recevant du public.

Trois solutions étaient envisageables.

La première aurait été la prorogation pure et simple de l'état d'urgence et de l'ensemble des dispositions qu'il entraîne. Toutefois, l'amélioration de la situation sanitaire ne justifie plus ce dispositif réservé au cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. Si l'état d'urgence sanitaire a fait ses preuves depuis le 23 mars et a permis de maîtriser l'épidémie, il doit demeurer un outil exceptionnel et circonstancié.

La seconde option consisterait à laisser expirer l'échéance du 10 juillet, après seize semaines d'état d'urgence sanitaire. Aussi séduisante soit-elle pour tourner la page du covid-19 au plus vite, cette solution n'est ni prudente ni compatible avec les recommandations du conseil scientifique. Elle risquerait d'anéantir les efforts consentis par les Français durant le confinement et le déconfinement progressif, et pourrait déboucher sur une nouvelle déclaration de l'état d'urgence sanitaire, au cœur de l'été ou à la rentrée, si la situation sanitaire venait à se dégrader. La responsabilité et la résilience de nos concitoyens doit être saluée, mais méfions-nous des conséquences d'un tel scénario sur l'acceptabilité sociale du dispositif.

La troisième option répond à cette période d'entre-deux, qui n'est plus celle de la catastrophe sanitaire, mais pas encore celle de la disparition complète de l'épidémie. C'est celle qui a été retenue à travers un dispositif permettant d'adapter certaines dispositions de l'état d'urgence sanitaire au contexte spécifique de sortie de crise du covid-19.

L'article 1er du présent projet de loi, sans modifier le régime général de l'état d'urgence sanitaire, propose de permettre l'application de certaines de ses mesures pour une durée de quatre mois après le 10 juillet. Dans ce cadre, le Premier ministre pourra continuer à prendre des mesures concernant la circulation des personnes, l'accueil du public dans certains établissements et les rassemblements sur la voie publique.

Le texte du Gouvernement comporte des garanties. D'abord, ce dispositif n'est pas pérenne ; il est limité dans le temps. Ensuite, les mesures seront prises aux seules fins de garantie de la santé publique ; elles seront strictement proportionnées au risque sanitaire encouru et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, et il y sera mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Une information immédiate du procureur de la République territorialement compétent sur les mesures individuelles prises est également prévue. Enfin, le Parlement sera informé sans délai des mesures prises par le Gouvernement. Il pourra, par ailleurs, requérir toute information complémentaire dans le cadre de leur contrôle et de leur évaluation.

J'ai déposé des amendements de nature à renforcer ces garanties. Il s'agira, d'abord, de restreindre le champ de la mesure relative à la limitation des rassemblements. Compte tenu des réactions suscitées par cette disposition, je vous proposerai un dispositif très précis qui devrait contribuer à lever les craintes formulées. Je souhaite, ensuite, que le dispositif transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire puisse continuer de s'appuyer sur les recommandations du conseil scientifique, autorité indépendante et respectée, alors que sa dissolution est prévue lorsqu'il est mis fin à l'état d'urgence sanitaire. Je vous proposerai, enfin, de garantir les voies de recours applicables aux mesures prises jusqu'au 10 novembre, d'accroître la transparence de certaines d'entre elles, et de limiter les décisions individuelles qui pourraient être prises dans le cadre du dispositif.

J'estime que ces amendements permettront de répondre aux critiques émises à l'encontre de celui-ci, qui ne constitue pas un « chèque en blanc » du Parlement permettant au Gouvernement de reconduire un état d'urgence sanitaire ne disant pas son nom. Le 10 juillet, nous sortirons de l'état d'urgence sanitaire ; il y sera définitivement mis fin, sauf catastrophe sanitaire, à l'échéance de cette période transitoire.

L'article 2 revient sur une disposition que nous avons adoptée dans le cadre de la loi du 11 mai dernier. S'il maintient à trois mois la durée générale de conservation des données collectées dans les systèmes d'information SI-DEP et Contact-covid, il permet d'y déroger pour certaines données et certaines finalités par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et du comité de liaison. Les personnes concernées en seraient informées sans délai, de manière notamment à pouvoir faire usage de leur droit d'opposition ou d'effacement. Je comprends que nombre de commissaires aient souhaité supprimer cette disposition qui revient sur notre accord en commission mixte paritaire (CMP). Toutefois, il me semble qu'une solution de compromis peut être trouvée sans dénaturer nos précédents votes. Je vous proposerai donc de conserver cette durée de trois mois pour les données identifiantes les plus sensibles ; celles-ci devront bien être détruites à la fin de cette échéance.

Pour les données anonymisées et recueillies avec le consentement des personnes à des fins de suivi épidémiologique et de recherche, je vous propose de prolonger cette conservation jusqu'en janvier prochain, comme le prévoit l'article et sous les mêmes garanties : un décret en Conseil d'État pris après avis public de la CNIL et du comité de liaison. On peut convenir qu'en matière de recherche, puisque les données sont anonymisées, la conservation doit être plus longue, d'autant que les personnes devront être informées et y consentir. En cas de désaccord, elles pourront faire usage de leur droit d'opposition, et les données ne pourront être conservées au-delà de trois mois.

En tant que rapporteure, mon souci premier aura été d'apporter toutes les précisions et garanties utiles à la bonne mise en œuvre de cette période transitoire. Je suis convaincue que nos travaux contribueront utilement à expliciter le sens des mesures proposées, ainsi que les conditions strictes dans lesquelles il pourra y être recouru en cas de reprise de l'épidémie.

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