La réunion débute à 15 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet.
La Commission examine le projet de loi organisant la fin de l'état d'urgence sanitaire (n° 3077) (Mme Marie Guévenoux, rapporteure).
Nous examinons pour la troisième fois en moins de trois mois un projet de loi relatif à l'état d'urgence sanitaire. J'espère que l'amélioration de la situation se confirmera et qu'il ne sera pas nécessaire de nous retrouver une quatrième fois.
Le contexte a considérablement évolué depuis le 20 mars ; la courbe épidémique était dans sa phase ascendante, justifiant l'examen du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, suite au confinement général de la population. On recensait alors 12 612 cas, 5 226 personnes étaient hospitalisées, dont 1 297 en réanimation ; 450 décès dus au coronavirus étaient constatés.
L'épidémie ayant amorcé son recul à partir de la mi-avril, nous nous sommes retrouvés le 6 mai afin de préparer le déconfinement, dans le cadre du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions. Sur 137 150 cas recensés, 23 893 personnes étaient toujours hospitalisées, dont 3 147 en réanimation ; le nombre de décès s'élevait alors à 25 809.
Aujourd'hui, si l'épidémie a touché plus de 155 000 Français et provoqué plus de 29 000 décès, le nombre de personnes hospitalisées a reculé à 11 465 dont 903 en réanimation. Les indicateurs épidémiologiques se situent à un « niveau bas », selon les termes du conseil scientifique : sur les 35 000 tests effectués par jour, le taux de positivité est de 1,6 % ; le taux de reproduction effectif du virus, sur une période glissante de sept jours, est inférieur à 1.
Dans son avis sur le présent projet de loi, le conseil scientifique a estimé que la circulation du virus en France a été fortement ralentie et que l'épidémie est contrôlée, justifiant une sortie de l'état d'urgence sanitaire. Des points de vigilance demeurent néanmoins, notamment en Guyane et à Mayotte, mais aussi dans les territoires où sont récemment apparus des clusters, comme la Meurthe-et-Moselle. De l'avis même du conseil, le fait que l'épidémie continue de circuler justifie que des mesures soient prises pour prévenir sa reprise : obligation du port du masque dans les transports en commun, limitation des rassemblements, maintien de la fermeture de certains lieux recevant du public.
Trois solutions étaient envisageables.
La première aurait été la prorogation pure et simple de l'état d'urgence et de l'ensemble des dispositions qu'il entraîne. Toutefois, l'amélioration de la situation sanitaire ne justifie plus ce dispositif réservé au cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. Si l'état d'urgence sanitaire a fait ses preuves depuis le 23 mars et a permis de maîtriser l'épidémie, il doit demeurer un outil exceptionnel et circonstancié.
La seconde option consisterait à laisser expirer l'échéance du 10 juillet, après seize semaines d'état d'urgence sanitaire. Aussi séduisante soit-elle pour tourner la page du covid-19 au plus vite, cette solution n'est ni prudente ni compatible avec les recommandations du conseil scientifique. Elle risquerait d'anéantir les efforts consentis par les Français durant le confinement et le déconfinement progressif, et pourrait déboucher sur une nouvelle déclaration de l'état d'urgence sanitaire, au cœur de l'été ou à la rentrée, si la situation sanitaire venait à se dégrader. La responsabilité et la résilience de nos concitoyens doit être saluée, mais méfions-nous des conséquences d'un tel scénario sur l'acceptabilité sociale du dispositif.
La troisième option répond à cette période d'entre-deux, qui n'est plus celle de la catastrophe sanitaire, mais pas encore celle de la disparition complète de l'épidémie. C'est celle qui a été retenue à travers un dispositif permettant d'adapter certaines dispositions de l'état d'urgence sanitaire au contexte spécifique de sortie de crise du covid-19.
L'article 1er du présent projet de loi, sans modifier le régime général de l'état d'urgence sanitaire, propose de permettre l'application de certaines de ses mesures pour une durée de quatre mois après le 10 juillet. Dans ce cadre, le Premier ministre pourra continuer à prendre des mesures concernant la circulation des personnes, l'accueil du public dans certains établissements et les rassemblements sur la voie publique.
Le texte du Gouvernement comporte des garanties. D'abord, ce dispositif n'est pas pérenne ; il est limité dans le temps. Ensuite, les mesures seront prises aux seules fins de garantie de la santé publique ; elles seront strictement proportionnées au risque sanitaire encouru et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, et il y sera mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Une information immédiate du procureur de la République territorialement compétent sur les mesures individuelles prises est également prévue. Enfin, le Parlement sera informé sans délai des mesures prises par le Gouvernement. Il pourra, par ailleurs, requérir toute information complémentaire dans le cadre de leur contrôle et de leur évaluation.
J'ai déposé des amendements de nature à renforcer ces garanties. Il s'agira, d'abord, de restreindre le champ de la mesure relative à la limitation des rassemblements. Compte tenu des réactions suscitées par cette disposition, je vous proposerai un dispositif très précis qui devrait contribuer à lever les craintes formulées. Je souhaite, ensuite, que le dispositif transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire puisse continuer de s'appuyer sur les recommandations du conseil scientifique, autorité indépendante et respectée, alors que sa dissolution est prévue lorsqu'il est mis fin à l'état d'urgence sanitaire. Je vous proposerai, enfin, de garantir les voies de recours applicables aux mesures prises jusqu'au 10 novembre, d'accroître la transparence de certaines d'entre elles, et de limiter les décisions individuelles qui pourraient être prises dans le cadre du dispositif.
J'estime que ces amendements permettront de répondre aux critiques émises à l'encontre de celui-ci, qui ne constitue pas un « chèque en blanc » du Parlement permettant au Gouvernement de reconduire un état d'urgence sanitaire ne disant pas son nom. Le 10 juillet, nous sortirons de l'état d'urgence sanitaire ; il y sera définitivement mis fin, sauf catastrophe sanitaire, à l'échéance de cette période transitoire.
L'article 2 revient sur une disposition que nous avons adoptée dans le cadre de la loi du 11 mai dernier. S'il maintient à trois mois la durée générale de conservation des données collectées dans les systèmes d'information SI-DEP et Contact-covid, il permet d'y déroger pour certaines données et certaines finalités par décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et du comité de liaison. Les personnes concernées en seraient informées sans délai, de manière notamment à pouvoir faire usage de leur droit d'opposition ou d'effacement. Je comprends que nombre de commissaires aient souhaité supprimer cette disposition qui revient sur notre accord en commission mixte paritaire (CMP). Toutefois, il me semble qu'une solution de compromis peut être trouvée sans dénaturer nos précédents votes. Je vous proposerai donc de conserver cette durée de trois mois pour les données identifiantes les plus sensibles ; celles-ci devront bien être détruites à la fin de cette échéance.
Pour les données anonymisées et recueillies avec le consentement des personnes à des fins de suivi épidémiologique et de recherche, je vous propose de prolonger cette conservation jusqu'en janvier prochain, comme le prévoit l'article et sous les mêmes garanties : un décret en Conseil d'État pris après avis public de la CNIL et du comité de liaison. On peut convenir qu'en matière de recherche, puisque les données sont anonymisées, la conservation doit être plus longue, d'autant que les personnes devront être informées et y consentir. En cas de désaccord, elles pourront faire usage de leur droit d'opposition, et les données ne pourront être conservées au-delà de trois mois.
En tant que rapporteure, mon souci premier aura été d'apporter toutes les précisions et garanties utiles à la bonne mise en œuvre de cette période transitoire. Je suis convaincue que nos travaux contribueront utilement à expliciter le sens des mesures proposées, ainsi que les conditions strictes dans lesquelles il pourra y être recouru en cas de reprise de l'épidémie.
Au 10 juillet, l'état d'urgence sanitaire aura été appliqué sur l'ensemble du territoire national pendant près de seize semaines. Sa mise en œuvre a permis au Gouvernement de prendre les mesures indispensables à la gestion de la crise sanitaire et d'organiser la reprise progressive de l'activité. Si la situation sanitaire est en voie de nette amélioration, la crise n'est pas encore derrière nous et une vigilance particulière reste nécessaire dans les prochaines semaines.
Nous ouvrons aujourd'hui un nouveau cycle dans la gestion de l'épidémie de covid‑19, qui doit permettre à la fois de répondre à l'aspiration collective de rétablissement du droit commun et de garder la capacité d'agir rapidement face à une éventuelle dégradation de la situation sanitaire. Les mesures contenues dans ce texte sont strictement limitées à cet objectif.
Le Conseil d'État estime que le régime transitoire tel qu'il est envisagé, sur une période limitée, est de nature à répondre aux nécessités de sortir de manière prudente, graduée et contrôlée de l'état d'urgence sanitaire. Le projet de loi organise donc, après le 10 juillet 2020, une période transitoire, pendant laquelle une vigilance particulière reste nécessaire. Le Gouvernement propose de la faire courir jusqu'au 10 novembre, mais, les mesures mises en œuvre impliquant des restrictions de libertés publiques, le groupe La République en Marche proposera par amendement une date plus proche.
Le projet de loi permet également d'allonger la durée de conservation des données collectées dans le cadre des systèmes d'information instaurés pour lutter contre l'épidémie. Là encore, nous souhaitons un meilleur encadrement, car les données personnelles ne doivent pas servir à autre chose qu'à limiter l'épidémie ; nous pensons qu'elles doivent être anonymisées.
Nous proposerons d'autres amendements relatifs à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.
Tâchons d'organiser la sortie de l'état d'urgence sanitaire en bon ordre, de manière sereine et respectueuse des libertés.
Je ne vous cache pas une forme de colère à l'égard de ce texte. Le groupe Les Républicains, qui a été en responsabilité pendant de longues années, n'a pas cherché à profiter de la délicate situation de crise sanitaire. À deux reprises, nous avons voté, tout en demandant bien légitimement des garanties, l'état d'urgence sanitaire, estimant que nous devions accompagner l'État et le Gouvernement dans cette crise sans précédent. Dans le cadre de la loi de prorogation du 11 mai, dite urgence 2, nous avions demandé à ce que les conditions de l'état d'urgence soient examinées au mois le mois : l'entrée progressive dans la fin de crise justifiait de ne pas prolonger l'état d'exception dans lequel nous vivons. Le texte prévoit bien, dans un alinéa qui est sans doute le seul intéressant, que l'état d'urgence prendra fin le 10 juillet, mais, juste après, par des dispositifs divers et variés, on revient à un état d'urgence qui ne dit pas son nom. Sous les apparences de la liberté, ce n'est pas la liberté ; c'est encore l'état d'urgence, voire pire puisqu'un certain nombre de dispositifs se retrouvent purement et simplement aux mains du Gouvernement.
L'État de droit était déjà malmené par les « émotions » du ministre de l'intérieur. Le Conseil d'État avait rappelé à juste titre que la liberté des cultes constitue un droit fondamental en France ; samedi dernier, il nous a également rappelé que la liberté de manifester ne peut pas être supprimée, même pendant la période d'état d'urgence sanitaire. Pourtant, la majorité déroule, depuis le conseil des ministres de mercredi dernier, un texte purement et simplement liberticide. Plutôt que d'organiser telle ou telle manifestation, on l'interdit ; plutôt que d'organiser les déplacements, on interdit d'aller et venir – les contraintes étaient beaucoup plus souples pendant la période de confinement. On nous propose ce régime jusqu'au 10 novembre prochain, excusez du peu ! En réalité, le Gouvernement est très mal intentionné et ses propositions sont très malvenues.
Pour la première fois dans l'histoire de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel avait considéré, le 11 mai, que les données personnelles, en particulier les données de santé, appelaient une « particulière vigilance ». L'article 2, en revenant sur la durée de leur conservation, nous propose tout simplement de nous asseoir sur un élément essentiel de l'accord obtenu en CMP, qui a permis la prorogation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet. Non seulement ce texte est inutile mais il arrive à contretemps ; surtout, il est dangereux. Nous essaierons de l'amender, mais, si vous deviez vous entêter, je ne vois pas comment nous pourrions le voter. Nous dénonçons avec beaucoup de force cette atteinte aux libertés, cet état d'urgence qui n'en est plus officiellement un mais qui, à certains égards, est encore plus rude et plus liberticide que ne l'était l'état d'urgence sanitaire.
Nous attendions ce texte pour qu'enfin la liberté redevienne la règle et l'interdiction, l'exception. Tel est bien l'esprit de ce projet de loi : sortir du cadre juridique spécifique du début de la crise sanitaire, qui n'était qu'un régime d'exception. C'est primordial d'un point de vue juridique, politique et symbolique. Juridiquement, même si la prudence doit rester de mise, la situation sanitaire du pays n'exige plus les restrictions que nous avons connues. Politiquement, le Gouvernement doit désormais se consacrer à la gestion de l'après et surtout à la relance économique du pays. Symboliquement, sortir de l'état d'urgence sanitaire est un signal fort envoyé aux Français.
La fin du régime d'exception se justifie d'autant plus que les indicateurs sont tous au vert. Les chiffres de Santé publique France de la semaine dernière faisaient état d'une stabilisation du virus. Il ne circule plus de manière incontrôlée et la détection de clusters se fait nettement plus rapidement. La prise en charge des personnes infectées a évolué par rapport au début de la crise, au gré de la progression des connaissances scientifiques. S'il nous faut maintenir notre niveau de vigilance au maximum, conserver pour règles les gestes barrière et la distanciation sociale, et le réflexe du port du masque, nous sommes passés dans une phase de retour progressif à une vie normale. Cette progressivité est au cœur de ce texte et justifie que le Premier ministre garde la possibilité de réglementer l'ouverture des établissements accueillant du public et ne pouvant répondre aux exigences sanitaires, les rassemblements sur la voie publique et les déplacements des Français. Le groupe Mouvement Démocrate et apparentés restera très attentif à ce que ces pouvoirs restent exceptionnels ; pour cela, le contrôle du Parlement sera crucial, et nous y veillerons.
Nous nous interrogeons sur l'allongement de la conservation des données collectées dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Cette conservation pose problème d'un point de vue éthique, car il s'agit de données extrêmement sensibles, mais aussi elle contrevient aux engagements pris en CMP. Sous l'effet d'une réaction épidermique vis-à-vis de ce qui apparaissait comme une remise en cause d'une disposition souhaitée par le Parlement, nous avons déposé un amendement de suppression de l'article 2. Toutefois, n'ignorant pas l'intérêt scientifique que ces données peuvent revêtir, nous consentons à envisager cette prolongation pourvu qu'elle soit très strictement encadrée. Aussi avons-nous souhaité, dans un autre amendement, nous associer à la proposition de la rapporteure d'autoriser l'extension de la durée de conservation des seules données aux fins de surveillance épidémiologique et de recherche, et à condition que celles-ci soient anonymisées. Nous devons apprendre de cette pandémie et nous doter d'outils pour mieux anticiper une éventuelle prochaine crise du même type, mais soyons collectivement très prudents. Nous soutiendrons donc ce texte mais serons très attentifs à la recherche d'un équilibre garantissant pleinement les libertés de nos concitoyens.
C'est une curieuse troisième voie que le Gouvernement expérimente ici. Il y avait le droit commun et l'état d'exception ; il y a désormais un nouveau régime dérogatoire, faussement appelé transitoire, car, en réalité, on met fin officiellement à l'état d'urgence tout en conservant une bonne partie de son contenu, si ce n'est le recours à un confinement strict. Pour une durée certes limitée, des pouvoirs exceptionnels restent activables par l'exécutif et, jusqu'au 10 novembre 2020, le Premier ministre pourra toujours, par décret et sans repasser par le Parlement, interdire la circulation des personnes et des véhicules, ordonner la fermeture provisoire des établissements accueillant du public et interdire des rassemblements sur la voie publique et des réunions de toutes natures. Pourquoi créer ce nouveau régime alors que le code de la santé publique offre aussi la possibilité de recourir à des pouvoirs très larges en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles ?
Parmi les mesures prorogées se trouvent celles qui touchent au droit de manifester, un droit fondamental, hautement sensible. Alors que les Français aspirent à retrouver toutes leurs libertés après avoir vécu une privation sans précédent, on les leur restitue par morceaux. Cette restriction fait curieusement écho aux propos tenus hier par le Président de la République, et aux annonces diverses et variées du Gouvernement. Il va falloir travailler plus, l'examen de certaines réformes, comme celle des retraites, va reprendre ; autrement dit, la vie d'après va furieusement ressembler à celle d'avant, à cette différence près – de taille – qu'il ne faudra pas envisager se réunir, se rassembler ou manifester jusqu'à la fin de l'année. Voilà quel est le message envoyé !
Il nous apparaît que l'article 1er, notamment le maintien des dispositions permettant au Premier ministre d'interdire toute manifestation et toute réunion, est tout à fait disproportionné. Il fait valoir la vigilance dont il convient de faire preuve dans l'hypothèse d'une deuxième vague. Or celle-ci, pour s'exercer, n'a pas besoin que l'on restreigne les libertés. Il est d'ailleurs étonnant de constater que ce texte dit peu sur les outils nécessaires à l'exercice de cette vigilance – que l'on pourrait approuver. On pourrait considérer que l'allongement de la durée de conservation des données collectées par l'application StopCovid participe de cette vigilance et d'une meilleure connaissance de la maladie, mais le texte renvoie ici à un décret, et ne nous donne que peu de précisions sur la sécurisation juridique de cette mesure.
Ce projet de loi est donc une nouvelle démonstration du « en même temps » caractéristique de l'exécutif, avec, d'un côté, un Président de la République qui explique que la vie reprend ses droits, et, de l'autre, un Premier ministre qui dit que ce n'est pas tout à fait le cas, prolongeant des atteintes aux libertés qui seront bien compliquées à faire admettre. Cette façon d'agir n'est pas propice à la sérénité dont les Français ont besoin, qui passe par un rétablissement plein et entier du droit commun. La prudence est une chose, l'hésitation en est une autre.
Nous sommes en effet dans un état d'urgence édulcoré qui, sorti par la fenêtre, reviendrait finalement par la porte. Nous avons déjà vu, à l'occasion des lois antiterroristes et d'autres lois de ce type, que ce qui était dans l'état d'urgence pouvait petit à petit s'introduire dans la loi générale. S'agirait-il d'un cheval de Troie pour créer une société plus sécuritaire ?
On peut aussi s'interroger en termes de proportionnalité : le risque est-il si important qu'il nous faille continuer à limiter deux libertés fondamentales, celle de déplacement et celle de réunion et son corollaire, la liberté de manifestation ? Outre que le Conseil d'État a recalé le Gouvernement sur la liberté de culte et sur celle de manifestation, qui doivent effectivement être préservées, le code de la santé publique nous offre déjà un arsenal juridique permettant de protéger la population. Je m'interroge donc sur l'utilité d'un tel texte.
En cas d'apparition de foyers épidémiques, les autorités préfectorales peuvent également prendre un certain nombre de mesures de manière incontestable. Pourquoi vouloir limiter la liberté de réunion et de manifestation ? L'automne sera sans doute relativement chaud, et j'ai noté qu'au sein des propositions qui étaient faites, le « en même temps » avait fait long feu : aux ouvriers, on propose de travailler plus pour gagner moins ; au capital, de payer toujours moins d'impôts. Je suppose qu'on nous expliquera ce phénomène.
Surtout, on nous propose ces mesures pour quatre mois. Quatre mois pendant lesquels le Parlement remettrait une partie de ses pouvoirs au pouvoir exécutif : ce n'est pas l'idée que je me fais du fonctionnement parlementaire.
Vous voulez aussi garder les données numériques plus longtemps. Quant à moi, j'ai voté contre StopCovid et je ne le regrette pas.
Nous estimons que ce projet de loi est inutile et dangereux, attentatoire aux libertés, et que les mesures nécessaires peuvent être prises d'une autre façon.
À la suite d'un Président de la République égal à lui-même, autosatisfait et toujours orienté vers la recherche du profit maximum, voilà le Parlement convoqué pour créer une nouvelle catégorie juridique qui n'est ni l'état d'exception, ni le droit commun, mais l'état de dérogation permanente.
Déjà, vous avez introduit dans le droit commun un certain nombre de dispositions de l'état d'urgence, allant toujours dans le sens de la restriction des libertés fondamentales. Vous n'avez pas retenu celles permettant à l'État de procéder à des réquisitions et à des encadrements de prix, alors que, dans la crise économique et sociale particulièrement grave qui s'annonce, ces outils seraient de ceux qu'un État au service de sa population pourrait utiliser pour la protéger au mieux. Vous avez choisi d'empêcher la population d'interpeller le pouvoir en se réunissant, mais vous n'y arriverez pas : depuis le début du déconfinement, des mobilisations s'organisent et, dès demain, soignants et soignantes seront dans la rue, avec des milliers de citoyens et de citoyennes qui les ont applaudis et vont maintenant les soutenir concrètement. Vous vous dotez des instruments qui vous permettront de réprimer encore mieux et de faire jouer encore davantage une forme d'arbitraire qui tolère certains rassemblements mais en empêche d'autres.
À l'article 2, l'allongement de la durée de conservation des données collectées dans le cadre des systèmes d'information est exactement ce que nous pointions du doigt. Vous dites le faire au nom de la recherche. Or le monde de la recherche s'est mobilisé depuis des mois contre votre politique qui ne lui donne pas de véritables moyens pour prévenir le type d'épidémie auquel nous avons fait face. Au contraire, elle l'instrumentalise pour mettre en place une société de surveillance. Vous développez cette mesure, non pour répondre aux demandes des chercheurs et des chercheuses, mais plutôt pour satisfaire les intérêts économiques de la marchandisation des données.
Avec ces deux articles, on observe encore une fois, de manière condensée et caricaturale, le tournant à la fois autoritaire et toujours plus libéral du Gouvernement. C'est le pire du monde d'avant. Nous nous opposerons à ce texte ici, à l'Assemblée nationale, mais aussi en allant manifester contre votre politique tant en matière de santé et de droits et de libertés, qu'en matière économique et sociale, dépourvue d'outils pour prévenir ce qui va arriver.
Il y a quelque chose d'étrange à entamer l'examen en commission de ce projet de loi au lendemain de l'intervention du Président de la République qui, pour l'essentiel, a souhaité rassurer les Français sur la maîtrise du virus. Sans que celui-ci ait totalement disparu, la vie économique, sociale et scolaire devrait pouvoir reprendre normalement. Or plutôt que d'organiser la fin de l'état d'urgence sanitaire, ce texte maintient en l'état, et pour une durée de quatre mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire fixée, après accord en CMP, au 10 juillet, des dispositions exceptionnelles, attentatoires aux libertés collectives et individuelles, permettant à l'exécutif de faire fi des droits du Parlement, alors même qu'on nous dit que la situation sanitaire est sous contrôle et que les conditions de sécurité sanitaire sont établies.
S'agissant de la limitation des rassemblements, le Conseil d'État a considéré samedi que, même dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le droit de manifester ne saurait être totalement interdit. D'ailleurs, même interdites, les manifestations se tiennent, inspirant au ministre de l'intérieur un concept particulier consistant à les considérer comme « tolérées ». L'ordre républicain exige pourtant qu'un acte commis en dépit de son interdiction doit être sanctionné. Il devient compliqué de démêler tous ces concepts !
En revenant sur la date du 10 juillet, le projet de loi revient aussi à prolonger sans le dire l'état d'urgence.
Le délai de conservation des données personnelles, à l'article 2, a fait l'objet de débats importants, qui étaient indispensables parce qu'ils touchent à des éléments constitutifs des libertés publiques individuelles. Notre groupe avait voté les dispositions initiales, qui étaient équilibrées. Désormais, le déséquilibre est total, tant sur le plan juridique que politique. Les droits du Parlement ne peuvent plus souffrir de restriction au nom de l'état d'urgence sanitaire, dès lors que celui-ci n'est plus de mise et alors même que nous serions capables de prendre les dispositions nécessaires dans des situations exceptionnelles de retour de l'épidémie.
Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un Parlement qui abandonnerait ses droits à l'exécutif. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements de suppression des articles 1er et 2. Les députés du groupe UDI et indépendants voteront résolument contre ce texte.
Le groupe Écologie Démocratie Solidarité s'oppose à ce dispositif qui implique une régression des libertés fondamentales dans la hiérarchie des normes. Nous sommes en effet en train de les retirer du domaine de la loi, avec tout ce que cela entraîne en matière de capacité de contrôle par le Parlement, par le Conseil constitutionnel et par les citoyens. Si la logique du dispositif n'évoluait pas d'ici à la séance, une ligne rouge serait franchie et nous serions obligés de voter contre.
Néanmoins, soucieux de faire preuve de responsabilité et de comprendre les besoins concrets exposés par le Gouvernement, nous ne sommes pas fermés à des alternatives permettant de déclencher des mesures d'exception le temps d'assurer la réussite absolue de la sortie de crise. Mais cela ne doit certainement pas se faire par voie réglementaire, pour une durée de quatre mois, sans aucun autre droit de regard du Parlement. Nous avons déposé une série d'amendements, certains constituant un appel à discuter de la cohérence d'une sorte d'état d'urgence qui ne dit pas son nom. À nos yeux, c'est la seule situation qui pourrait justifier de déléguer au Gouvernement la gestion des libertés publiques. Sommes-nous ou ne sommes-nous pas en état d'urgence ? Le discours prononcé hier soir par le Président de la République laisse penser que ce n'est plus le cas.
Nous attendrons aussi des réponses à nos interrogations concernant des dispositions du code de la santé publique, en particulier les articles L. 3131-1 et L. 3131-13, qui permettent au ministre chargé de la santé de prendre des mesures tout au long d'une sortie d'épidémie, et, si besoin, de déclencher un état d'urgence sanitaire par décret pris en conseil des ministres. En quoi ces dispositions ne seraient-elles pas suffisantes pour réagir rapidement si le virus reprenait dans les prochains mois ?
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine salue la sortie de l'état d'urgence, conclusion espérée d'une mobilisation sans faille des personnels soignants et du civisme de nos concitoyens. Ce projet de loi devrait signer la sortie d'un régime d'exception et ainsi réunir les conditions d'une vie sociale et économique normale. De fait, les mouvements sociaux, mouvements d'affrontement de classes, vont sans doute s'exprimer dans les toutes prochaines semaines. C'est pourquoi nous n'approuvons pas le maintien des prérogatives du Premier ministre pour réglementer les déplacements, l'ouverture des établissements et les rassemblements de rue.
Il nous sera répondu que ces dispositions maintiennent un filet de précaution d'urgence en cas de résurgence de l'épidémie. C'est trop si l'on considère l'épidémie comme maîtrisée, la surveillance et la réactivité sanitaires comme pleinement opérationnelles ; ce n'est pas assez si la recrudescence du virus est telle qu'elle compromet la vie économique et sociale du pays, auquel cas rien n'empêcherait l'exécutif de recourir une nouvelle fois à l'état d'urgence sanitaire.
Ce projet de loi est un dispositif hybride fondé sur le doute et la méfiance vis-à-vis de nos compatriotes. Nous lui préférons une sortie de l'état d'exception fondé sur la confiance, le retour d'expérience et la vigilance démocratique. La loi d'airain de la restriction des libertés fondamentales éclaire les propos de marbre du Président de la République hier qui consolident sa politique de plomb.
Il est rare que j'entende M. Gosselin être aussi virulent ! Mon parcours, sous le symbole de la balance, me conduit à rechercher l'équilibre et le bon compromis : entre le confinement très strict et plus rien, il doit y avoir une étape transitoire. C'est ce qui est organisé par l'article 1er.
J'ai eu un petit coup de sang en découvrant l'article 2. Après les débats que nous avons eus au Parlement et en CMP, nous avons l'impression un peu désagréable qu'on fait entrer par la fenêtre ce qui a été mis à la porte. Nous avons donc déposé un amendement de suppression.
Je tiens tout de même à dire que notre rapporteure a fait un excellent travail. Avec les amendements qu'elle a déposés, le texte est bien plus équilibré : à l'article 1er, grâce à la prise en compte de la récente ordonnance du Conseil d'État, et peut-être aussi à l'article 2, qui pourrait permettre, lorsque les données sont anonymisées, à nos épidémiologistes d'être plus sûrs dans leurs prédictions.
Ce projet de loi pose question, tout d'abord par son titre : « Projet de loi organisant la fin de l'état d'urgence sanitaire ». Or la fin de l'état d'urgence est fixée au 10 juillet ; il s'agit donc de continuer l'état d'urgence jusqu'au 10 novembre – mais pourquoi pas plus ? Un pays continuellement en état d'urgence, cela commence à poser problème, ne serait-ce qu'en raison du dessaisissement du Parlement. D'autant plus que l'on peut se mettre à nouveau en état d'urgence le cas échéant.
L'article 1er vise à restreindre à nouveau deux libertés fondamentales : la liberté de déplacement et celle de réunion. Et dans l'article 2, nous apprenons que les données qui étaient présentées pour lutter contre le covid-19 seront désormais conservées. Jusqu'à quand ? Combien de temps resterons-nous ainsi surveillés et privés de nos libertés fondamentales ?
Il n'y a rien de paradoxal à exprimer une intention forte de reprise progressive des activités et à examiner ce projet de loi. Oui, la vie doit reprendre son cours normal mais le virus est toujours là, l'épidémie n'est pas contrôlée. Je vous renvoie aux avis du conseil scientifique des 2 et 8 juin, établissant quatre scénarios possibles, dont les trois plus optimistes disent tout de même que nous avons besoin d'outils : des mesures générales comme le port du masque dans les transports en commun et des mesures plus localisées en cas de résurgence de l'épidémie dans des clusters.
Ces avis disent, au fond, deux choses : nous ne sommes plus dans l'état de catastrophe sanitaire qui nécessiterait la prorogation de l'état d'urgence mais nous ne sommes pas non plus dans une période normale avec un contrôle garanti de l'épidémie. Dès lors, nous avons besoin d'outils de police sanitaire. Ceux-ci n'étant pas tous prévus dans le droit commun – l'avis du Conseil d'État est très clair à ce sujet –, la meilleure option est d'adopter un projet de loi transitoire nous permettant de prendre des mesures générales qui pourront être actionnées de façon ponctuelle, avec des garanties que je proposerai de compléter. Le juge veille aussi de manière très exigeante à la proportionnalité des mesures d'application.
La Commission en vient à l'examen des articles du projet de loi.
Avant l'article 1er
La Commission examine l'amendement CL35 de M. Hervé Saulignac.
Cet amendement vise à rétablir sans délai la liberté de manifestation. La seule suppression de l'alinéa 4 de l'article 1er ne pourrait conduire qu'au rétablissement de cette liberté le 10 juillet prochain. Or c'est dès à présent que le retour à l'État de droit est impératif.
Avis défavorable. Comme vous avez pu le voir samedi dernier, le droit de manifester n'a pas été aboli sous couvert d'état d'urgence sanitaire. Dans sa décision du 11 mai, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité de la base législative en application desquelles les mesures qui peuvent être prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, car celles-ci sont temporaires, circonstanciées et proportionnées à la situation.
Depuis le 23 mars, le dispositif de l'état d'urgence sanitaire n'a cessé d'évoluer afin de s'adapter à la situation sanitaire. Ces mesures, conformément à la loi, sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
Avec l'amélioration de la situation sanitaire, les autorités font preuve de discernement dans l'application de ces mesures, et c'est souhaitable, mais certaines d'entre elles continuent à s'appliquer strictement, par exemple celle visant les rassemblements de plus de 5 000 personnes, et ce jusqu'au 31 août au moins. Compte tenu du contexte incertain dans lequel nous nous trouvons encore, il importe de maintenir les marges de manœuvre existantes afin de prévenir tout risque de reprise épidémique. Gardons en tête que la propagation de l'épidémie en France a été accélérée soudainement par un rassemblement dans le Haut-Rhin.
Dans son avis du 2 juin, le conseil scientifique explique à plusieurs reprises pourquoi une vigilance doit être maintenue concernant les rassemblements. Selon le conseil, le plan de prévention et de protection renforcé qui doit être mis en place et enclenché selon la situation épidémique doit pouvoir comporter un protocole de renforcement des mesures barrières et des mesures de distanciation physique dans la population générale, notamment dans le cadre des rassemblements.
Le 6° de l'article L. 3131-15 et le 3° du I de l'article 1er ne constituent plus, à ce stade de l'épidémie, une mesure générale et absolue d'interdiction de tous les rassemblements sur le territoire. Ce n'est pas, d'ailleurs, ce que disent ces dispositions. À l'avenir, elles continueront d'être utiles et proportionnées, aux seules fins de garantir la santé publique, en vue de réguler certains rassemblements ou de protéger des territoires encore fragiles.
L'ordonnance rendue avant-hier par le Conseil d'État ne dit pas autre chose. Si l'interdiction générale et absolue de manifester n'est plus fondée dans le contexte sanitaire actuel, celui-ci justifie néanmoins le maintien de mesures de prévention. Pour cela, je vous proposerai, au cours de la discussion de l'article 1er, un amendement qui permettra de faire évoluer cette disposition après le 10 juillet. D'ici à cette date, je vous renvoie au décret qui a été publié ce matin par le Gouvernement afin de se conformer à l'ordonnance du Conseil d'État.
Je m'interroge sur le discernement du Gouvernement et ses choix récents, autorisant certains rassemblements et pas d'autres : sur quelles bases interdit-on à certains de manifester, avant que, pour mettre en œuvre cette interdiction, on les nasse, empêchant ainsi des milliers de personnes de pratiquer mesures barrières et distanciation physique, et l'on ordonne des tirs lacrymogènes toxiques, interdits en guerre mais utilisés contre la population civile en temps de paix ? Quelle confiance peut-on accorder à un gouvernement qui, sous prétexte de prévention du covid-19, met en œuvre une stratégie de maintien de l'ordre favorisant la propagation du virus ? Le principe du droit de manifester, c'est que les pouvoirs publics doivent garantir la sécurité des manifestants, y compris leur sécurité sanitaire. De toute évidence, pour La République en Marche, la démocratie est à géométrie variable.
Autant l'on peut comprendre, dans une période d'état d'urgence sanitaire où les foyers et les risques de propagation sont nombreux, qu'il existe un encadrement, autant l'on ne peut comprendre la géométrie variable constatée la semaine dernière. Je me demande ce qu'il faut faire pour plaire au Gouvernement et obtenir des autorisations. J'ai cru comprendre des propos, inadmissibles, du ministre de l'intérieur qu'il fallait susciter de l'émotion, mais l'État de droit n'a pas à dépendre des émotions d'un ministre !
La liberté de manifester doit être réaffirmée de façon pleine et entière. Il peut exister des conditions particulières mais il n'y a pas non plus de quoi s'étonner que le Gouvernement ait publié ce matin un nouveau décret pour se mettre en conformité avec l'ordonnance du Conseil d'État, car c'est de bon fonctionnement démocratique. Le signal envoyé par ces restrictions, alors que la levée de l'état d'urgence est annoncée, est à tout le moins maladroit, et je considère même que c'est fautif.
Je n'avais pas saisi que nous étions dans un pays où il est interdit de manifester ! Vous diriez à des personnes à l'étranger que nous sommes un pays où l'on n'a pas l'habitude de manifester, elles ouvriraient de grands yeux et vous demanderaient si vous parlez bien de la France... S'il y a un pays où le droit de manifester est reconnu et exercé, c'est bien la France, y compris d'ailleurs en fin d'état d'urgence, ce qui pose d'autres problèmes.
Les gens que je rencontre sont heureux que nous sortions de l'état d'urgence sanitaire mais ils souhaitent le faire avec un minimum de sécurité ; c'est ce que permet le texte. Si jamais revenait un cluster important, nous pourrons l'empêcher de devenir un nouvel élément de propagation du virus. Et le Président de la République a rappelé hier qu'il fallait être en mesure de sécuriser les rassemblements pour ne pas être de nouveau dans la situation que nous avons connue.
J'ai le sentiment qu'une partie de l'opposition se dit : « Enfin on ne va plus pouvoir opposer la crise sanitaire à notre envie de dire tout le mal que nous pensons de ce gouvernement ! Enfin nous allons pouvoir dénoncer le complot liberticide qui se cache derrière la maladie ! » Deux cents nouveaux clusters se sont formés depuis le déconfinement, dont l'un à cause d'un dîner de cinquante personnes ; des gens meurent encore aujourd'hui.
Il ne s'agit pas de restreindre les libertés mais de retourner progressivement à leur exercice normal. On a annoncé qu'il n'y avait plus de zone orange, en particulier pour l'Île-de-France : nous sommes en zone verte, sauf Mayotte et la Guyane, mais la zone verte n'est pas un retour à l'état antérieur au confinement, c'en est un aménagement plus souple et allégé.
Il faut arrêter avec le complotisme qui voit derrière chaque acte du Gouvernement une volonté liberticide. Notre seule volonté est de protéger la vie des Français et leur retour serein à une situation normale.
Selon le juge des référés du Conseil d'État, la crise sanitaire ne justifie pas une interdiction de rassemblement, sauf si les mesures barrières ne peuvent être respectées ou si le rassemblement réunit plus de 5 000 personnes. La situation n'est pas la même qu'avant le confinement. C'est pourquoi notre groupe ne votera pas cet amendement.
La Commission rejette l'amendement.
Article 1er : Régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire
La Commission examine les amendements identiques de suppression CL6 de Mme Emmanuelle Ménard, CL20 de Mme Marie-France Lorho, CL23 de M. Philippe Gosselin, CL38 de Mme Danièle Obono, CL41 de Mme Agnès Thill, CL47 de M. Pascal Brindeau, CL49 de M. Paul Molac et CL66 de M. Hervé Saulignac.
Nous avons fait preuve de responsabilité, car la situation nécessitait des moyens très particuliers. Les Républicains ont voté la prorogation de l'état d'urgence jusqu'au 10 juillet sans se pincer le nez, même si nous aurions préféré un rendez-vous au mois le mois. À présent, l'article 1er nous ramène à un état d'urgence qui ne dit pas son nom, dans une forme dégradée mais qui concerne encore deux droits fondamentaux, la liberté de réunion et la liberté d'aller et venir, dans des conditions plus contraignantes encore, par certains aspects, que pendant l'état d'urgence lui-même. Rien ne justifie, même si le covid-19 n'est pas encore tout à fait derrière nous, une telle situation juridique, qui nous apparaît réellement liberticide, alors que par ailleurs le code de la santé publique permet déjà de répondre à un retour de flamme toujours possible. Si nous devions connaître un retour de flamme fort, il faudrait réunir le Parlement.
Le Gouvernement ne nous a pas convaincus de l'utilité de créer cette zone grise entre état d'urgence et droit commun. La rapporteure n'a pas répondu sur le fait qu'existe déjà dans le code de la santé publique des dispositions nous permettant de réagir. Nous avons vu l'incompétence et les mensonges du Gouvernement tout au long de cette crise sanitaire, alors que notre groupe avait, dès le départ, relayé sans rechigner les consignes sanitaires et continue de le faire. Il est devenu de notoriété publique que vous utilisez de faux arguments et des mensonges pour justifier vos manquements. Depuis trois ans, nous avons d'ailleurs toujours dénoncé, au côté des organisations de défense des droits humains, les restrictions des libertés sous ce mandat.
Si le présent projet de loi organise bien la fin de l'état d'urgence, celle-ci étant fixée au 10 juillet, il est tout à fait arbitraire et antinomique de continuer à réglementer la circulation, à ordonner la fermeture d'établissements, à interdire des rassemblements.
Pour les transports, les établissements recevant du public et les déplacements, la crise économique devient plus importante que la crise sanitaire dont elle découle. Aussi, dès lors que les gestes barrière et masques sont utilisés, il n'y a plus aucune raison de continuer à laisser la France sombrer dans la crise économique la plus grave de son histoire. De même, le droit fondamental d'exercice du culte ne peut plus continuer à être entravé, le Conseil d'État l'a rappelé. Les lieux culturels et touristiques doivent reprendre leurs activités, tout comme le secteur de l'événementiel, avec ses intermittents, et toutes les activités qui en dépendent.
Le droit de manifester est protégé par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et garanti par les articles 10 et 20 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d'association pacifique. » Il ne peut être interdit que pour préserver l'ordre public, le Conseil d'État l'a également rappelé. L'indulgence dont le ministre de l'intérieur a fait preuve pour certaines manifestations récentes ne saurait en aucun cas être refusée à d'autres. Suite à cette indulgence, il conviendra de définir l'émotion avant d'interdire une quelconque manifestation. Aux organisateurs, pour l'intérêt général et par sens de responsabilité, d'organiser les gestes barrière. Rappelons que le confinement a eu lieu parce qu'il n'y avait pas de masques pour toute la population. Il ne faut pas que l'exception devienne la règle, que ce qui était du domaine de l'état d'urgence devienne la loi. S'il fallait revenir à l'état d'urgence, nous le pourrions comme nous l'avons déjà pu.
Cet article est inutile, dangereux ; il permettra de limiter les manifestations, ainsi que les fêtes locales et culturelles. Dans les collèges, plusieurs milliers de collégiens pourront être tassés dans un petit espace, mais on interdira un festival sous prétexte qu'il y aurait plus de 5 000 personnes sur un champ immense où les distanciations peuvent être respectées. Ce n'est pas logique !
En quoi l'article L. 3131-1 du code de la santé publique est-il inopérant ? Il me semble, au contraire, qu'il permet de prendre des mesures en situation d'urgence.
Je ne comprends pas non plus l'argument du complotisme : ce n'est pas parce que je défends, avec le groupe Socialistes et apparentés, la liberté de manifester que je vois un complot dans la mesure proposée par le Gouvernement. Je dis seulement que vous ne pouvez pas affirmer que la vie démocratique va reprendre, le Président de la République faire des annonces, le Parlement se remettre à légiférer, le débat d'idées revenir, et dire en même temps aux Français qu'ils ne peuvent manifester leur opinion en se rassemblant sur la voie publique. C'est une folie, vous êtes en train de mettre dans une éprouvette les ingrédients d'un cocktail explosif !
Nous sommes dans une période d'entre-deux : ni catastrophe sanitaire qui nécessiterait la prorogation d'un état d'urgence, ni retour à la normale avec une épidémie parfaitement contrôlée.
Le conseil scientifique décrit quatre scénarios, dont l'un très pessimiste, avec redéclenchement nécessaire de l'état d'urgence sanitaire, et trois autres plus optimistes mais appelant tout de même des mesures collectives, comme le port du masque dans les transports en commun, et d'autres plus localisées en cas de formation de nouveaux clusters.
Il souligne également qu'on peut imaginer une augmentation des déplacements durant la période estivale, comme c'est le cas chaque année, en direction de territoires fragiles en matière d'accueil hospitalier – la Corse, par exemple, n'a pas de centre hospitalier universitaire (CHU). Par ailleurs, certaines situations sont d'ores et déjà préoccupantes, notamment en Guyane et à Mayotte. Il faut prolonger des dispositions extrêmement utiles telles que l'obligation de réaliser un test PCR moins de soixante-douze heures avant tout déplacement outre-mer. Cela nécessite soit de proroger l'état d'urgence sanitaire soit d'adopter ce projet de loi.
L'article L. 3131-1 du code de la santé publique ne suffit pas pour traiter tous les aspects de la situation, et l'adoption d'un régime d'exception pour répondre à une menace sanitaire grave a réduit la possibilité de recourir à cet article. L'avis du Conseil d'État mentionne clairement la faiblesse d'une telle base légale.
L'article 1er reprend trois mesures qui permettront de réglementer ou d'interdire la circulation des personnes et des véhicules, d'ordonner la fermeture provisoire et de réglementer l'ouverture des établissements recevant du public et des lieux de réunion, et de limiter ou d'interdire les rassemblements sur la voie publique. Ces dispositions pourront être utilisées en tout ou partie, d'une manière très localisée. Nous allons passer d'une approche maximale à une logique plutôt minimale.
Ces mesures seront encadrées : elles ne pourront être prises qu'aux fins de garantir la santé publique ; elles devront être strictement proportionnées au risque sanitaire encouru et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ; il s'agit d'un dispositif transitoire, applicable jusqu'au 10 novembre prochain et qui ne sera pas codifié.
J'ai déposé plusieurs amendements tendant à modifier assez profondément l'article 1er. Je propose d'alléger les dispositions relatives aux rassemblements pour garantir le droit de manifester, de préciser que toutes les mesures doivent être prises dans le seul objectif de lutter contre l'épidémie de covid-19, d'accroître leur transparence, de réduire le champ des mesures individuelles possibles et de permettre au conseil scientifique de continuer à émettre des avis, y compris en s'autosaisissant.
L'épidémie est loin d'être contrôlée, que ce soit en France ou à l'étranger – des décisions ont été prises en Chine pour faire face une résurgence. Nous avons tous envie de sortir de la période actuelle, mais on ne peut pas le faire d'une manière sèche : il faut prévoir des mesures d'accompagnement. J'émets donc un avis défavorable à ces amendements tendant à supprimer l'article 1er.
L'article L. 3131-1 du code de la santé publique n'est pas applicable, en effet, puisque nous sommes dans le cadre de l'état d'urgence. Le raisonnement du Conseil d'État est donc logique. Seulement, nous ne serons plus dans ce cadre le 10 juillet prochain.
Personne ne conteste que la pandémie n'est pas totalement derrière nous. Il y a encore des morts, des personnes en réanimation et des foyers de contamination. Nous ne sommes pas suicidaires, mais il nous semble qu'on ne peut pas avoir en même temps une levée de l'état d'urgence sanitaire et des mesures liberticides qui s'y apparentent.
Si nous devions rencontrer de graves difficultés, le Parlement pourrait se réunir, y compris cet été ou en septembre. Les sénateurs – je le dis car je sens venir l'argument – exerceront leur mandat jusqu'à sa dernière heure.
Je ne suis pas sûr que réunir le Parlement lorsque le Sénat est en cours de renouvellement soit une manière optimale de procéder.
Ce qui nous est proposé n'est pas l'état d'urgence – dans ce cadre, des ordonnances permettent au Gouvernement d'agir dans de nombreux domaines. Nous avons maintenant à gérer la transition entre la période intense de l'épidémie et le moment où nous en serons sortis. Pour cela, nous laisserons quelques prérogatives au Gouvernement. La rapporteure a précisé en quoi l'article L. 3131-1 du code de la santé publique ne permet pas de couvrir l'ensemble des mesures nécessaires.
Quand une collègue de l'opposition – je ne visais pas M. Saulignac –, dit que le Gouvernement ment pour cacher ses intentions liberticides, je pense que cela peut ressembler à une vision complotiste.
En cas d'explosion de l'épidémie, il faudrait évidemment prendre d'autres mesures. Ce texte suit une logique préventive, pour faire face à des résurgences. Je rappelle qu'un des clusters a pour origine un dîner de cinquante personnes.
J'ajoute que nous nous sommes engagés, lorsque nous avons adopté la loi du 23 mars dernier, à ce qu'un véritable régime d'état d'urgence sanitaire soit adopté. Nous devrons le faire avant avril 2021.
Le conseil scientifique a dit très clairement que la réactivité sera déterminante en ce qui concerne le contrôle du virus. Nous pouvons certes adopter une loi en trois jours – nous l'avons déjà fait –, mais nous n'allons peut-être pas réunir le Parlement pour avoir la possibilité d'agir face à un cluster très localisé, dans un département par exemple.
Je cite, monsieur Gosselin, le passage de l'avis du Conseil d'État auquel je me suis référée. « Dans le contexte de recul de l'épidémie et de reprise progressive des activités, ce dispositif apparaît mieux proportionné que ne le serait une nouvelle prorogation de l'état d'urgence pour quelques mois. Par ailleurs, l'article L. 3131-1 du code de la santé publique relatif aux pouvoirs propres du ministre de la santé en cas de menace sanitaire ne donnerait pas aux mesures envisagées par le Gouvernement une base légale suffisamment solide dans le contexte d'une sortie de crise ».
Les mesures souhaitées par le Gouvernement sont a priori liberticides. Vous en avez apporté la démonstration. Le code de la santé publique donne déjà un certain nombre de pouvoirs au ministre chargé de la santé pour gérer ce genre de situation. Vous ajoutez une couche supplémentaire, qui est l'interdiction de manifester, de se réunir et d'aller et venir librement. Ce sont des droits fondamentaux.
La Commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l'amendement CL57 de Mme Paula Forteza.
Il s'agit d'un amendement d'appel. Nous comprenons que le virus continue à circuler et qu'il faut être en mesure d'agir rapidement, mais nous pensons, même si c'est peut-être un peu contre-intuitif, que l'état d'urgence sanitaire permet au Parlement d'assurer un contrôle et de ne pas sortir les libertés fondamentales du domaine de la loi. Les restreindre par la voie réglementaire constitue une ligne rouge pour nous. Pourquoi ne pas passer à une troisième étape de l'état d'urgence sanitaire, dont le champ serait davantage circonscrit ?
Je vous suggère de retirer cet amendement, sinon j'émettrai un avis défavorable.
La prorogation de l'état d'urgence sanitaire n'est pas souhaitable – je crois que nous sommes presque tous d'accord sur ce point. Par ailleurs, un contrôle du Parlement est prévu à l'article 1er, dans la même rédaction que celle de la loi du 23 mars dernier.
L'amendement est retiré.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l'amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard.
La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL60 de Mme Paula Forteza, CL24 de M. Raphaël Schellenberger et CL67 de M. Guillaume Vuilletet.
Notre amendement CL60 tend à avancer au 10 septembre, au lieu du 10 novembre, la fin de l'application des mesures prévues à l'article 1er.
Par notre amendement CL24, nous proposons également de réduire la durée de l'état d'exception que vous voulez instaurer, même s'il ne s'agira plus d'un état d'urgence. Tout le reste n'est qu'un habillage de communication… Nous souhaitons nous caler sur le premier jour de la prochaine session ordinaire du Parlement, le 1er octobre. On peut comprendre le besoin d'une phase transitoire un peu plus longue que ce qui serait a priori acceptable parce que l'été est une période particulière pour le débat public, mais il n'y a absolument pas de raison d'aller au-delà du moment où le Parlement peut à nouveau être réuni en session ordinaire, de prolonger des dispositifs visant à restreindre des libertés publiques en esquivant le débat parlementaire.
Notre logique n'est pas très éloignée, mais nous ne faisons pas le même calcul. Nous pensons aussi que la période qui va s'ouvrir doit être aussi courte que possible, que le Parlement puisse réintervenir au plus vite. Mais il y a un léger problème : le Sénat est en cours de renouvellement. Nous voulons laisser aux sénateurs qui seront élus fin septembre le temps de s'installer et nous prenons aussi en compte l'existence d'une navette parlementaire – un vote conforme ou une CMP conclusive n'est pas une obligation – et le temps nécessaire pour que le Conseil constitutionnel se prononce. La date du 30 octobre nous paraît un compromis satisfaisant. Tel est l'objet de notre amendement CL67.
Les arguments exposés par Guillaume Vuilletet m'avaient conduite à ne pas déposer d'amendement visant à modifier la date : je ne voulais pas mettre, en quelque sorte, les sénateurs au pied du mur. Compte tenu des raisons qui viennent d'être invoquées, j'émets un avis favorable à l'amendement CL67 et défavorable aux autres.
Je remercie la rapporteure d'accepter l'idée qu'un débat au Parlement est incontournable quand il est question de libertés publiques : c'est l'objet de ces amendements. M. Vuilletet ne propose de réduire que de dix jours la durée envisagée par le Gouvernement. On discute un peu du sexe des anges… Si le 1er octobre est peut-être une date un peu trop proche pour des raisons techniques, notamment légistiques, pourquoi ne pas retenir le 10 octobre ? Cela nous paraît possible et bien plus respectueux des libertés publiques.
Je rappelle que nous avons prorogé l'état d'urgence jusqu'au 10 juillet alors que la date du 23 juillet était initialement prévue. Cela ne faisait qu'une douzaine jours en moins mais nous avions considéré que c'était une décision sage.
Successivement, la Commission rejette les amendements CL60 et CL24 et adopte l'amendement CL67.
Elle adopte l'amendement rédactionnel CL71 de la rapporteure.
Elle est saisie de l'amendement CL51 de M. Paul Molac.
Par cet amendement, le Premier ministre ne pourrait adopter des mesures restreignant les libertés sur le fondement de l'article 1er qu'après avoir recueilli l'avis du comité de scientifiques sur la situation sanitaire des territoires concernés. Cela permettrait de s'assurer que les dispositions prises sont strictement nécessaires et proportionnées.
Je vous suggère de retirer votre amendement, sans quoi j'émettrai un avis défavorable : ce que vous proposez est inopérant, car l'article L. 3131-19 du code de la santé publique dispose que le comité de scientifiques est dissous à la fin de l'état d'urgence sanitaire. Votre demande sera néanmoins satisfaite, car un de mes amendements prévoit le maintien de ce comité.
L'amendement est retiré.
La Commission examine l'amendement CL52 de M. Paul Molac.
Nous souhaitons préciser que les dispositions réglementaires prises par le Premier ministre afin de garantir la santé publique doivent s'inscrire dans le cadre de la situation sanitaire liée au covid-19. Les atteintes aux libertés prévues par l'article 1er sont importantes et doivent être parfaitement circonscrites à ce contexte. S'agissant d'autres crises sanitaires, le Conseil d'État a en outre souligné que le dispositif prévu par le Gouvernement « risquerait d'être inadapté, en raison tant de la diversité des causes possibles de catastrophes que de la nature des mesures susceptibles de les juguler ».
Je pense que votre amendement est basé sur une mention de l'avis du Conseil d'État qui concernait l'avant-projet de loi : la mesure en cause ne figure pas dans le texte qui nous est soumis. Votre amendement va néanmoins dans le sens d'une clarification qui est souhaitable. Je vous propose de le retirer au profit de mon amendement CL73, dont la rédaction me paraît préférable. Sinon, j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement est retiré.
La Commission est saisie de l'amendement CL44 de Mme Agnès Thill.
Je vous propose de supprimer l'alinéa 2, qui permettrait de réglementer ou d'interdire la circulation des personnes et des véhicules et de réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage à la fin de l'état d'urgence. À partir du moment où les gestes barrière sont bien respectés par les usagers et où ils portent un masque, l'article 13 de la déclaration universelle des droits de l'Homme doit être respecté : la liberté de circulation est le droit pour tout individu de se déplacer librement dans un pays.
La reprise totale de l'activité économique est un impératif prépondérant, la crise sanitaire étant désormais réduite grâce aux gestes barrière et à l'accessibilité, pour tout le monde, des masques. Les entreprises appliquent des recommandations sanitaires très onéreuses et l'État s'est énormément engagé à leurs côtés. Dans ces conditions, le travail doit reprendre pour chacun et la liberté de circuler doit de nouveau s'appliquer.
La France se trouve dans une situation économique des plus graves. L'augmentation du chômage mettra beaucoup de nos concitoyens en difficulté. Ils doivent pouvoir accéder de nouveau aux services publics.
L'article 1er permettra non pas de revenir à un confinement strict mais d'appliquer des mesures que j'ai déjà eu l'occasion de présenter. Elles sont demandées par le conseil scientifique : la multiplication des déplacements estivaux risque de fragiliser des territoires qui ne sont pas armés pour faire face à l'apparition de clusters. Faut-il abandonner toute forme de réglementation de l'activité des navires de croisière ? Doit-on renoncer à protéger les territoires insulaires ou d'outre-mer ? J'ai parlé tout à l'heure des tests PCR qui doivent être réalisés. Toutes ces mesures tomberaient. J'émets un avis défavorable à votre amendement.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie des amendements identiques CL11 de Mme Marie-France Lorho, CL25 de M. Raphaël Schellenberger et CL32 de M. Hervé Saulignac.
La rédaction actuelle du texte nous pose une vraie difficulté en ce qui concerne la liberté de circulation. On peut éventuellement la restreindre, d'une manière encadrée et sous le contrôle du juge administratif, pour limiter le développement du covid-19, mais une interdiction générale et absolue serait en contradiction avec la fin de l'état d'urgence sanitaire. Il faut être cohérent.
Il importe de limiter les pouvoirs du Premier ministre dans cette période qui est seulement de transition, si j'ai bien compris. En matière de liberté de circulation, une simple réglementation suffit. Nous proposons de supprimer la possibilité d'interdire la circulation des personnes et des véhicules. Si on sort de l'état d'urgence sanitaire, on ne peut pas maintenir cette disposition.
L'article 1er prévoit des mesures législatives d'ordre général qui pourront être utilisées ponctuellement et localement. Il est important de garder la possibilité d'une interdiction, en particulier compte tenu du caractère insulaire de certains territoires. Sinon, on affaiblirait juridiquement la possibilité de conditionner les voyages outre-mer à la réalisation d'un test PCR. La Corse n'a pas de CHU. Si des clusters s'y développent, il faut pouvoir interdire la circulation dans ce territoire. Je le répète : il s'agirait de mesures très localisées. Je suis défavorable à ces amendements.
J'entends ces explications mais, même au plus fort de l'épidémie et de l'état d'urgence sanitaire, les mesures prises par le ministre chargé de la santé ont toujours consisté en de simples restrictions. Elles ont parfois été très fortes, mais il n'y a jamais eu d'interdiction générale. La rédaction qui nous est proposée, dans une période de sortie de l'état d'urgence sanitaire, où il faudrait regagner des libertés publiques, rend l'ensemble de ce texte suspect. Il faut sortir de cette logique d'affichage de moyens démesurés et disproportionnés dont le Parlement, garant des libertés publiques, confie l'utilisation au Gouvernement.
La rédaction de cette disposition est la même que celle en vigueur à l'heure actuelle. Votre inquiétude ne me paraît donc pas fondée.
La Commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l'amendement CL45 de Mme Agnès Thill.
Il s'agit de supprimer l'alinéa 3.
Ce texte organise la fin de l'état d'urgence à compter du 10 juillet prochain. À condition que les gestes barrière, y compris le port du masque, soient bien respectés par les usagers, les institutions publiques, les établissements recevant du public et les lieux de réunion pourront fonctionner comme avant. La liberté de culte est un droit fondamental qui ne peut plus continuer à être entravé. De même, les lieux culturels qui attirent du tourisme durant la période estivale doivent reprendre leurs activités, tout comme le secteur de l'événementiel, avec les intermittents et toutes les activités qui en dépendent.
Il ne faut pas que l'exception devienne la règle. Ce qui était du domaine de l'état d'urgence sanitaire ne doit pas devenir la loi.
J'émets un avis défavorable. Il faut que l'activité reprenne son cours progressivement. Cela signifie que des restrictions seront encore nécessaires dans certains établissements. Nous souhaitons qu'ils rouvrent le plus tôt possible, mais ce ne sera pas le cas dans l'immédiat.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL33 de M. Hervé Saulignac.
De même que nous souhaitions éviter une interdiction de la liberté de circulation, nous proposons que le Premier ministre ne puisse pas interdire l'ouverture d'établissements recevant du public mais qu'il ait simplement la possibilité de les réglementer. Cela nous paraît plus conforme à une sortie de l'état d'urgence sanitaire et amplement suffisant compte tenu du contexte.
Avis défavorable. Si un établissement recevant du public ne respecte pas la réglementation, il faudra avoir la possibilité d'ordonner provisoirement sa fermeture.
Ce qui nous rend ce texte suspect est que tous les cas que vous évoquez peuvent déjà trouver des réponses dans le droit actuel. Quand quelqu'un ne respecte pas la loi, l'État dispose de moyens pour la faire appliquer par la force et par la contrainte. La règle ne doit pas être une interdiction ou une fermeture décidée a priori par l'État : la sanction vient après la constatation d'une non-application de la règle. Or vous inversez le raisonnement.
Vous êtes en train de maintenir un État liberticide. Cela va bientôt faire six mois : les Français en ont assez, ils ne comprennent plus. Les mesures que vous adoptez sont incohérentes. Vous tapez sur les bons justiciables, alors que vous autorisez des rassemblements massifs dans les rues sans aucun respect des gestes barrière.
Nous voulons vous aider à sortir de la crise : il faut, pour cela, une loi juste – et ce n'est pas une loi qui interdit a priori.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l'amendement CL14 de Mme Marie-France Lorho.
La Commission examine les amendements identiques CL13 de Mme Marie-France Lorho et CL26 de M. Raphaël Schellenberger.
Nous pensons qu'il n'y a plus lieu de fermer les lieux de réunion, en particulier lorsqu'ils contribuent à la vie démocratique. On ne peut pas accepter que les échanges, le débat et la délibération collective restent empêchés en cette période de déconfinement massif. Nous avons connu des exemples très concrets dans notre assemblée : on peut utiliser des applications américaines pour multiplier des échanges de points de vue à distance entre collègues tout en s'assurant qu'une seule personne parle à la fois, puisqu'on peut gérer les micros… En démocratie, le débat et la contradiction sont nécessaires.
Avis défavorable. La notion d'établissement recevant du public est imprécise. C'est pourquoi elle a été complétée par la référence aux « lieux de réunion » que vous voulez supprimer par ces amendements. Dans un contexte estival, il peut s'agir, par exemple, de l'esplanade des Invalides, qui est très fréquentée certains soirs et où les mesures barrières ne sont alors pas appliquées. L'autorité compétente doit être en mesure de réglementer et, au besoin, de fermer au public ces lieux de réunion.
Certes, nous avons pu constater que le confinement n'était pas toujours respecté sur l'esplanade des Invalides ou sur les quais de Seine. Mais, en l'espèce, il s'agit bien de tout lieu de réunion, y compris des espaces fermés. Or, cette prorogation de l'état d'urgence qui ne dit pas son nom s'étendra jusqu'au 30 octobre. Elle s'appliquera donc durant la rentrée sociale, qui pourrait être singulière – et il me paraît normal que les représentants syndicaux puissent se réunir –, et durant les élections sénatoriales, qui doivent se dérouler fin septembre. Il est déjà difficile aujourd'hui d'organiser des réunions en vue du second tour des élections municipales. N'ajoutons donc pas de la difficulté à la difficulté : les lieux de réunion peuvent d'autant plus facilement être exclus de ce dispositif général que les maires et les préfets, qui disposent de pouvoirs de police, peuvent, le cas échéant, réglementer l'organisation de réunions qui « déraperaient ».
Nous souhaitons tous que les réunions, qu'elles soient électorales ou associatives, puissent à nouveau se tenir. Cela dit, les élections sénatoriales donnent rarement lieu à l'organisation de grands meetings. Je comprends votre logique, mais la prudence est de mise au cours de cette période transitoire. On a vu récemment qu'une fête de famille était à l'origine d'un cluster. Au reste, si nous n'étions pas prudents, vous nous le reprocheriez. Essayons donc de trouver un juste équilibre.
Dans l'Oise, des foyers épidémiques se sont développés très tôt et le préfet a parfaitement pu, bien avant le vote de la loi d'état d'urgence, prendre la décision de fermer les écoles et d'interdire les réunions.
Vos arguments, madame la rapporteure, ne m'ont toujours pas convaincu. Le quatrième alinéa vise à interdire ou limiter les rassemblements sur la voie publique. Pourquoi ajouter « les réunions de toute nature » s'il s'agit uniquement d'inclure les rassemblements sur l'esplanade des Invalides ? Celle-ci n'est-elle pas située sur la voie publique ? Cette précision est superflue, donc dangereuse car elle ouvre un champ d'interdictions possibles dont je ne perçois pas l'intérêt, sinon qu'elles permettraient au Gouvernement de limiter la vie sociale, la vie économique et la vie démocratique de notre pays.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine les amendements identiques CL17 de Mme Marie-France Lorho, CL27 de M. Philippe Gosselin, CL31 de M. Hervé Saulignac, CL40 de Mme Agnès Thill et CL61 de Mme Paula Forteza.
Faute d'avoir pu supprimer l'article 1er, qui nous paraît disproportionné, nous proposons d'en supprimer l'alinéa 4. Si les manifestations ne peuvent évidemment pas se dérouler dans un bazar sans nom, l'interdiction générale et absolue prévue à cet alinéa ne se justifie pas.
Cet amendement vise également à supprimer l'alinéa 4, afin de rétablir aussi vite que possible la liberté de manifester sur la voie publique. Alors que l'amorçage du déconfinement a permis la réouverture des bars et des restaurants, il est grand temps de retrouver une vie démocratique normale et donc de permettre aux citoyens de se mobiliser pour défendre leurs idées. De même que l'état d'urgence sanitaire est un régime d'exception dont la durée doit être réduite au strict nécessaire, de même la limitation des libertés induite par ce régime d'exception ne peut être que strictement proportionnée.
L'alinéa 4 vise à limiter et interdire les rassemblements sur la voie publique – ce qui paraît étrange, dès lors que des manifestations ont été récemment autorisées au nom de l'émotion – ainsi que les réunions de toute nature. Est-ce à dire qu'en septembre, les réunions de parents d'élèves pourront être interdites ? Les gens ne comprennent pas !
Le droit de manifester est protégé par l'article 9 de la CEDH et garanti par les articles 10 et 20 de la DDHC et ne peut être limité que pour préserver l'ordre public. Les conditions sanitaires ont justifié la suspension temporaire de ce droit. Or la loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire a fixé la fin de l'exception au 10 juillet. L'exception ne doit donc pas devenir la règle : une suspension prolongée serait une atteinte à ce droit inaliénable.
La manifestation constitue un moyen de pression sur le pouvoir politique ; elle peut influencer le législateur. Le projet de loi de bioéthique et la réforme des retraites ont mobilisé des milliers de personnes. Il serait antidémocratique que ces textes, comme d'autres, soient de nouveau examinés sans que personne puisse s'exprimer dans la rue. L'indulgence dont le ministre de l'intérieur a fait preuve vis-à-vis de certaines manifestations récentes ne saurait en aucun cas être refusée à d'autres.
Dans la droite ligne de l'ordonnance du Conseil d'État du 13 juin, notre amendement vise à protéger la liberté de manifester, qui constitue l'un des contre-pouvoirs républicains nécessaires à la démocratie.
Avis défavorable. Il ne s'agit en aucun cas de limiter le droit de manifester des Français. Je défendrai, d'ailleurs, un amendement qui devrait apaiser les inquiétudes qui se sont exprimées.
J'ignore ce qu'est le « grand bazar » dont parlait Philippe Gosselin, mais le conseil scientifique en a une idée assez précise. Il recommande en effet que les rassemblements sur la voie publique se fassent dans le respect des gestes barrière et que ceux réunissant plus de 5 000 personnes continuent d'être interdits, et ce probablement jusqu'au 31 août. Le Conseil d'État a adopté la même position dans son ordonnance de samedi dernier, puisqu'il estime que « l'interdiction des manifestations sur la voie publique mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes ne peut dès lors, sauf circonstances particulières, être regardée comme strictement proportionnée aux risques sanitaires désormais encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu, ainsi que l'imposent les dispositions de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique en application desquelles cette interdiction a été prise, que lorsqu'il apparaît que les mesures barrières ou l'interdiction de tout événement réunissant plus de 5 000 personnes ne pourront y être respectées ». Bien entendu, il est très difficile de s'assurer au préalable que les participants à une manifestation respecteront les gestes barrière et la jauge autorisée. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement qui vise à remédier à ces difficultés.
Madame Thill, vous écoutez trop M. Gosselin. Il se trompe lorsqu'il affirme, avec le talent qui est le sien, que nous allons vers des interdictions générales et absolues. De fait, le texte prévoit que ces interdictions ne peuvent être prises qu'« aux seules fins de garantir la santé publique ». Si, par exemple, on constate l'apparition d'un cluster dans les environs d'une école où doit se tenir une réunion de parents d'élèves, on doit pouvoir interdire cette réunion car elle mettrait en danger les participants. Nous nous inscrivons dans une logique de transition et non d'interdiction générale et absolue.
J'ajoute que ces dispositions ne s'appliqueront que jusqu'au 10 novembre. Elles participent d'une sorte de tuilage de l'état d'urgence, qui doit permettre de réagir rapidement et efficacement à l'apparition d'éventuels clusters ou à la reprise ponctuelle et localisée de l'épidémie. Vous me connaissez trop bien, monsieur Gosselin, pour m'accuser d'être liberticide.
Vous savez parfaitement qu'il s'agit de dispositions transitoires. Du reste, si nous n'adoptions pas ces dispositions et qu'il apparaissait nécessaire, au mois d'octobre, de prendre rapidement des mesures, vous nous reprocheriez de ne pas avoir préparé la suite. Chacun apprend, dans ce contexte sanitaire inédit. Il s'agit de s'adapter à la situation qui pourrait survenir dans les semaines qui viennent : le 10 novembre, ce sera terminé – nous aviserons à ce moment-là.
Nous écrivons ce texte à la lumière de la pratique de l'état d'urgence par le Gouvernement. Or, sous cet éclairage, la rédaction proposée vient démolir ce qu'il reste de l'acceptation de l'autorité de l'État par l'opinion publique. Pourquoi ? Il s'agit de permettre au Gouvernement de limiter ou d'interdire les rassemblements sur la voie publique, rassemblements qui sont a priori autorisés et soumis à déclaration. Ainsi, on n'empêche pas le rassemblement de ceux qui ne déclarent pas leur manifestation, et ne respectent donc pas la loi, mais on serait prêt à limiter ou à interdire les rassemblements des citoyens qui se conforment à la loi. C'est profondément scandaleux, et cela contribuera à saper un peu plus ce qu'il reste de l'acceptation de l'autorité de l'État dans nos territoires.
Cette discussion illustre l'inutilité de ce texte. Prenons l'exemple du Morbihan. Un premier foyer d'épidémie y est apparu avant le vote de l'état d'urgence sanitaire ; or le préfet a pu fermer les écoles, interdire les manifestations et les marchés sans qu'il ait été besoin de voter cette loi. Nous légiférons donc pour rien ! J'ajoute que ce n'est pas parce qu'on déclare une manifestation qu'elle est autorisée. De fait, beaucoup de manifestations ne le sont pas, et la puissance publique n'est pas là pour protéger les manifestants.
Dormez tranquilles, braves gens, nous dit Erwan Balanant : le 10 novembre, c'est terminé ! Qui sait ?
Je ne serais pas aussi affirmatif que vous. Quoi qu'il en soit, vous nous avez tenu le même discours lorsque nous avons voté l'état d'urgence sanitaire puis sa prorogation – et nous l'avons fait en responsabilité. Or, entre-temps, le Conseil d'État et d'autres juridictions administratives nous ont rappelé qu'il n'y avait pas lieu de dormir tranquille, d'abord parce qu'il était porté atteinte de façon scandaleuse à la liberté de culte, ensuite parce que l'état d'urgence ne permettait pas en soit de justifier l'interdiction de manifester.
Que le ministre de l'intérieur décide de ne pas sanctionner les contrevenants parce qu'il accepte implicitement telle manifestation, c'est son affaire. Nous, nous estimons, compte tenu de précédents fâcheux, que nous devons être particulièrement vigilants. Nous ne faisons là que tirer les enseignements de ce qui s'est passé durant l'état d'urgence. Si celui-ci prend fin le 10 juillet, il ne doit pas être maintenu artificiellement par des mesures dont on prétend qu'elles ne relèvent pas de l'état d'urgence mais qui, de fait, en relèvent.
M. Balanant n'a jamais dit que tout serait terminé le 10 novembre : nous n'en savons rien ! Nous étions d'ailleurs dans la même situation le 22 mars, et nous avons voté l'état d'urgence. Nous nous adaptons à la situation. Bien entendu, le Conseil d'État est dans son rôle lorsqu'il exerce sa vigilance sur la question des libertés, et c'est très bien ainsi. Du reste, la rapporteure nous proposera un amendement qui tient compte de son ordonnance.
Enfin, monsieur Molac, je peux vous dire que le préfet de mon département était bien content de pouvoir s'appuyer sur la loi instaurant l'état d'urgence sanitaire lorsqu'il a dû discuter avec les maires de l'interdiction des marchés. Il faut être de bonne foi, monsieur Gosselin.
La Commission rejette les amendements.
Elle examine, en discussion commune, les amendements CL83 de la rapporteure et CL15 de Mme Marie-France Lorho.
Par l'amendement CL83, je propose que les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature puissent être, non plus interdits ou limités, mais réglementés.
Le présent projet de loi n'a pas pour objectif d'interdire les manifestations, comme cela a pu être dit. La liberté de manifester a été consacrée, en 1995, par le Conseil constitutionnel au travers du « droit d'expression collective des idées et des opinions », qui découle de l'article 11 de la DDHC. Au printemps 2019, le Conseil constitutionnel, saisi de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs, a rappelé que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
La possibilité, pour le Premier ministre, de « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature », puis, pour les préfets, de prendre les mesures d'application de cette disposition, figurait initialement dans le dispositif de l'état d'urgence sanitaire. Dans le contexte du confinement puis du déconfinement progressif, elle s'est avérée proportionnée à la situation sanitaire. À ce jour, l'amélioration de la situation épidémique et la sortie adaptée de l'état d'urgence sanitaire justifient une évolution de ce dispositif, ainsi que l'a ordonné le Conseil d'État samedi 13 juin. Dans son ordonnance, celui-ci estime néanmoins que « la situation sanitaire continue de justifier des mesures de prévention, au nombre desquelles figurent les mesures dites barrières ».
Cet amendement prévoit donc un dispositif comportant deux niveaux, qui fixera un nouveau cadre législatif adapté et circonstancié à la phase transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire. Ainsi, les rassemblements sur la voie publique et les réunions de toute nature spontanées, qui ne font pas l'objet d'une organisation particulière, ne pourront pas être interdits. En revanche, le nombre de leurs participants pourra être encadré et ils pourront faire l'objet d'une réglementation, afin de permettre notamment le respect des gestes barrière en toutes circonstances. Quant aux manifestations sur la voie publique, déclarées en préfecture sur le fondement de l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure, elles feront l'objet d'un régime d'autorisation adapté, circonstancié et transitoire, au regard de la mise en œuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l'épidémie de covid-19.
Je souhaiterais que vous m'éclairiez sur les conséquences qu'emporte cette nouvelle rédaction de l'alinéa 4. Si je comprends bien, il s'agit de substituer un régime d'autorisation au régime de déclaration. Dans quelles conditions les manifestations pourront-elles avoir lieu si ce texte est adopté ? Je pense notamment à celles que ne manquera pas de provoquer l'inscription prochaine à l'ordre du jour de notre assemblée du projet de loi relatif à la bioéthique. On peut d'ailleurs se demander s'il n'existe pas un lien de cause à effet entre l'instauration de ce régime d'exception concernant la liberté de manifester et la précipitation avec laquelle on inscrit la deuxième lecture ce texte à l'agenda parlementaire, alors qu'il y a bien d'autres priorités.
Je me délecte de l'exposé sommaire de l'amendement de la rapporteure : « Les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature spontanées – c'est-à-dire non déclarés – ne seront ni limités ni interdits. Ils feront simplement l'objet d'une réglementation afin de permettre notamment le respect des gestes barrière en toutes circonstances. » En gros, si l'on affaire à de bons citoyens, on sera tatillon et l'on vérifiera l'application de règles dont le sens n'est plus compris en maints endroits tant les incohérences du Gouvernement sont manifestes. En revanche, si l'on a affaire à des personnes qui ne respectent pas le régime de la déclaration d'une manifestation sur la voie publique, on les laissera faire ce qu'elles veulent : on placardera simplement une petite affiche rappelant les gestes barrière. En fait, vous encouragez les Français à ne pas respecter le régime de déclaration des manifestations publiques et à bafouer la loi !
C'est vous qui, par ce type d'insinuations, incitez les Français à ne pas respecter la loi. Qu'entendons-nous par « réunions de toute nature » ? Nous pensons aux rassemblements d'amis, de familles, dans les parcs publics, sur les esplanades des villes ou les places de village à l'occasion d'un pique-nique ou d'un anniversaire. Il ne s'agit donc pas de fermer les yeux sur des manifestations qui n'auraient pas été préalablement déclarées en préfecture.
En ce qui concerne les manifestations sur la voie publique, monsieur Breton, leurs organisateurs devront démontrer, dans le cadre d'une autorisation préalable – vous avez bien compris –, leur capacité à faire respecter les mesures barrières, capacité qui sera appréciée par le préfet. En cas de problème, le juge des référés pourra évidemment être saisi.
Votre rédaction, madame la rapporteure, permet, en fait, de viser un tout autre type de rassemblement que les réunions familiales auxquelles vous faites allusion. Ainsi, nous aurons, d'un côté, les manifestants qui respecteront le cadre habituel, déclareront leur manifestation, et qui, si on leur oppose un refus, seront coincés et enfreindront la loi et, de l'autre, ceux qui mettront les autorités devant le fait accompli et qui bénéficieront, en définitive, d'un régime de faveur puisqu'on se contentera de vérifier qu'ils respectent bien les gestes barrière. Il y a bien deux poids, deux mesures. Il faut se méfier de tout ce qui pourrait supprimer la liberté de manifester, notamment si des questions particulièrement sensibles sont discutées cet été.
Enfin, je me méfie également du pouvoir d'appréciation des préfets. La question de l'interdiction des marchés est, certes, moins grave du point de vue des libertés publiques, mais nous sommes nombreux à avoir été confrontés, en la matière, à des préfets qui ont fait une interprétation très personnelle des textes. Ainsi, la position du préfet de la Manche, qui n'a quasiment accordé aucune dérogation, n'avait rien à voir avec celle du préfet du Calvados voisin.
Monsieur Gosselin, monsieur Schellenberger, je comprends qu'étant dans l'opposition, vous souhaitiez vous opposer, mais cela vous conduit à faire preuve d'une incroyable mauvaise foi. D'un côté, vous nous reprochez de limiter les libertés publiques ; de l'autre, vous vous offusquez qu'on laisse se tenir des rassemblements familiaux spontanés. Lorsque ma famille se réunit, nous sommes 250, et il arrive qu'une trentaine d'anciens partent se promener ensemble sur la voie publique. On ne va tout de même pas interdire ce type de rassemblements ! Votre volonté de vous opposer systématiquement au texte vous conduit à dire n'importe quoi, et c'est fort regrettable.
Madame la rapporteure, il vous serait difficile de nous démontrer que l'article L. 3131-1 du code de la santé publique ne permet pas de mettre en œuvre les mesures que vous nous proposez dans votre nouvelle rédaction de l'alinéa 4. J'y vois l'illustration de votre trouble. Consciente qu'il est délicat de permettre l'interdiction de manifestations hors du contexte de l'état d'urgence sanitaire, vous faites marche arrière mais, ce faisant, vous en revenez au droit commun, de sorte que l'on finit par s'interroger sur le bien-fondé de ce texte.
On perçoit le malaise de la majorité à la façon dont elle essaye de sortir de l'impasse d'une stratégie de durcissement et d'une réponse essentiellement sécuritaire à la crise sanitaire. Je rassure M. Balanant : hormis à Paris, sous l'administration du préfet Lallement, il est bienvenu que 250 personnes manifestent. Reste à savoir si, avec cet article, les préfets pourraient s'assurer du respect des gestes barrière tout en appliquant des stratégies de maintien de l'ordre consistant à « nasser », c'est-à-dire à empêcher les personnes présentes de se déplacer. C'est précisément ce que fait le préfet Lallement, avec l'approbation du ministre de l'intérieur, ce qui va à l'encontre du dispositif que vous essayez d'instaurer.
Le groupe Les Républicains évoque les événements que pourrait organiser « La manif pour tous » cet été, mais des manifestations de soignantes et de soignants sont prévues dès demain, dans toute la France, sans que l'on connaisse les consignes que les préfets donneront à leur égard.
L'intention initiale de l'alinéa 4, qui prévoyait de « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique », subsiste, malgré la rédaction plus détaillée que la rapporteure propose. On passe d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. Or nous devons à tout prix préserver la liberté de manifester, quelle que soit la cause défendue.
La rapporteure conseille de saisir le juge des référés en cas de problème. Quelle manière de légiférer que de considérer qu'on peut se satisfaire d'une législation liberticide avec un juge en face ! Il est de notre devoir de porter cet impératif de liberté et de définir dans quelles conditions il peut s'exercer avec prudence. L'apathie de mes collègues sur le sujet est pour le moins surprenante.
Plutôt que d'apathie, nous faisons montre de lassitude. Il est extravagant de dire que la réponse principale du Gouvernement à la crise sanitaire a été liberticide : 460 milliards d'euros ont été mis sur la table pour soutenir l'économie, aider les plus faibles et les soignants, et faire en sorte que le pays puisse répondre à la crise sanitaire. Il est absurde de prétendre que les restrictions à la liberté de manifester sont la marque de fabrique du Gouvernement.
La rédaction que propose la rapporteure est plus précise, qui protège encore davantage les libertés publiques, si la situation sanitaire le justifie. On peut imaginer tous les complots de la terre, la réalité est qu'il faut donner à l'exécutif la capacité à réagir promptement à une dégradation ciblée de la situation sanitaire.
Le conseil scientifique et le Conseil d'État insistent sur la nécessité de s'assurer que les manifestants respecteront les gestes barrière dans les rassemblements sur la voie publique qui se dérouleront à partir du 10 juillet, et que leur nombre ne dépassera pas 5 000. La difficulté reste de démontrer a priori qu'un cortège respecte les gestes barrière. Parce qu'on ne peut pas le préjuger, on est obligé de le soumettre à un tel régime d'autorisation préalable. Sans être pleinement satisfaisant, il constitue la seule solution pour introduire la réglementation.
Quant à l'article L. 3131-1, il ne permet pas d'autorisation préalable. M. Saulignac le confond peut-être avec la déclaration en préfecture, qui n'est pas similaire.
Enfin, l'amendement CL83 vise une autorisation préalable pour les cortèges et les manifestations militantes, syndicales, professionnelles, qui découlent de la liberté d'expression. Leurs organisateurs devront effectuer une déclaration en préfecture et démontrer que les manifestants seront en mesure d'appliquer les mesures barrières, sans quoi ils se trouveront dans l'illégalité.
La Commission adopte l'amendement CL83.
En conséquence, l'amendement CL15 tombe, de même que l'amendement CL16 de Mme Marie-France Lorho .
La Commission est saisie de l'amendement CL73 de la rapporteure.
Le présent amendement reprend la garantie souhaitée par M. Molac que les mesures des alinéas 2 à 4 sont prises « aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19. »
La Commission adopte l'amendement.
La Commission est saisie des amendements identiques CL74 de la rapporteure, CL3 de Mme Emmanuelle Ménard et CL18 Mme Marie-France Lorho.
L'article L. 3131-16 du code de la santé publique prévoyait, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, que le ministre de la santé puisse prendre, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé. L'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 avait été pris sur ce fondement. Le même article prévoyait aussi la possibilité de prendre toute mesure individuelle nécessaire à l'application des mesures prises par le Premier ministre en application de l'article L. 3131-15.
Le dispositif transitoire qu'instaure le projet de loi vient restreindre le champ des mesures pouvant être prises par le Premier ministre à la circulation des personnes, aux établissements recevant du public et aux rassemblements. Sur ce fondement, il apparaît difficile d'identifier les mesures individuelles qui pourraient être prises par le ministre des solidarités et de la santé. C'est pourquoi le présent amendement propose de supprimer l'alinéa 5.
La Commission adopte les amendements.
En conséquence, les amendements CL62 de Mme Paula Forteza, les amendements identiques CL4 de Mme Emmanuelle Ménard et CL19 de Mme Marie-France Lorho, ainsi que les amendements identiques CL5 de Mme Emmanuelle Ménard et CL21 de Mme Marie-France Lorho tombent.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l'amendement CL10 de Mme Emmanuelle Ménard.
Elle en vient à l'amendement CL54 de M. Yannick Favennec Becot.
Pour donner plus de transparence à la décision d'un représentant de l'État sur un territoire d'y mettre en œuvre des mesures portant atteinte à certaines libertés individuelles, l'amendement tend à ne l'autoriser qu'après information du président du conseil départemental et des parlementaires concernés.
Avis défavorable . Je partage toutefois la nécessité d'un dialogue constant entre les représentants de l'État et les élus de leur territoire, à qui il importe de laisser de la souplesse et des marges de manœuvre dans l'exécution des mesures.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL75 de la rapporteure.
Il s'agit de rendre public l'avis que le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) donne sur les mesures décidées seuls par les représentants de l'État en application des I, II et III.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est saisie des amendements identiques CL7 de Mme Emmanuelle Ménard et CL42 de Mme Agnès Thill.
Il s'agit de supprimer l'alinéa 8. Le conseil scientifique ayant déclaré, le 12 juin 2020, que la situation sanitaire est sous contrôle en France, il n'y a pas lieu de prendre des mesures « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », à moins de ne pas croire un conseil pourtant suivi par le Gouvernement pour toutes les décisions prises jusqu'à présent.
La Commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l'amendement CL76 de la rapporteure.
En tant qu'il précise les voies de recours possibles, l'amendement vise à renforcer les garanties juridiques qui encadreront la sortie de l'état d'urgence sanitaire.
Afin d'assurer la préservation des libertés fondamentales, il est important que le juge des référés puisse être saisi des mesures qui seront prises en application de l'article 1er. La disposition, qui figurait dans le dispositif de l'état d'urgence sanitaire, doit pouvoir s'appliquer pour la période transitoire débutant le 11 juillet.
La Commission adopte l'amendement.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l'amendement CL8 de Mme Emmanuelle Ménard.
La Commission est saisie de l'amendement CL77 de la rapporteure
Il s'agit de renforcer les garanties qui encadreront le régime transitoire, en maintenant le conseil scientifique entre le 11 juillet et le 10 novembre, alors que l'article L. 3131-19 du code de la santé publique en prévoit la dissolution à la fin de l'état d'urgence sanitaire.
Tout au long de la période de l'état d'urgence sanitaire, le conseil a démontré son utilité en rendant périodiquement des avis publics sur l'état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s'y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme. Il est souhaitable qu'il puisse poursuivre sa mission afin d'évaluer la pertinence des mesures prises après le 10 juillet et leur adaptation à l'évolution de la situation sanitaire. Le conseil scientifique sera également en mesure d'éclairer les pouvoirs publics dans l'hypothèse où un durcissement des mesures s'avérait nécessaire. Il pourra également être utilement sollicité, en amont du 10 novembre, au moment d'acter la sortie du dispositif transitoire.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement CL55 de M. Paul Molac.
L'amendement vise à obliger le Gouvernement à demander la prorogation du dispositif au Parlement toutes les six semaines, entre le 10 juillet et le 10 novembre.
Avis défavorable. Il importe de maintenir les équilibres constitutionnels qui encadrent les compétences de nos institutions : au Parlement, la définition des conditions d'intervention du pouvoir réglementaire ; au pouvoir réglementaire, l'application des mesures dans le cadre défini par le législateur.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine, en discussion commune, l'amendement CL9 de Mme Emmanuelle Ménard, et les amendements identiques CL22 de M. Yannick Favennec Becot et CL48 de M. Pascal Brindeau.
J'émets un avis défavorable sur l'amendement CL9.
Le Conseil d'État s'interroge sur l'utilité de l'alinéa 10 et son caractère superfétatoire. L'alinéa permet toutefois de garder à l'esprit que l'introduction du dispositif transitoire n'est pas exclusive des mesures de droit commun, telles celles de quarantaine et d'isolement prévues à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, ou celles relatives aux réquisitions ou au contrôle des prix.
Si le législateur souhaite supprimer cet alinéa, son intention doit néanmoins être énoncée clairement. Les dispositions de l'article 1er s'appliquent sans préjudice de celles du chapitre Ier du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique et de l'article L. 410-2 du code de commerce.
Je donne donc un avis favorable aux amendements identiques CL22 et CL48.
Successivement, la Commission rejette l'amendement CL9 et adopte les amendements CL22 et CL48.
Elle en vient à l'amendement CL43 de Mme Agnès Thill.
Le droit de manifester est garanti par l'article 9 de la CEDH et par l'article 10 de la DDHC. Il ne peut être interdit que pour préserver l'ordre public. Si sa suspension temporaire a été justifiée par les conditions sanitaires, une suspension prolongée constituerait une atteinte à ce droit inaliénable.
Plusieurs organisations, dont la Confédération générale du travail et la Ligue des droits de l'homme, ont déjà demandé au Conseil d'État de trancher sur l'interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, synonyme selon elles d'une « interdiction générale et absolue des manifestations ».
Le projet de loi relatif à la bioéthique et celui portant réforme des retraites ont mobilisé des milliers de personnes dans la rue. Il est impensable que ces lois, comme d'autres, soient réexaminées sans qu'elles puissent à nouveau s'exprimer. La manifestation, qui constitue un moyen de pression sur le pouvoir politique, influence le législateur. Nous l'avons encore constaté lors des récentes prises de position du ministre de l'intérieur à la suite des manifestations. L'indulgence dont il a fait preuve ne saurait, en aucun cas, être refusée à d'autres manifestations. La limitation du droit de manifester ne peut donc être prolongée sans méconnaître le droit fondamental de manifester. Tel est le sens de l'amendement CL43.
Avis défavorable. Pour ce qui concerne la CEDH, l'article 55 de la Constitution est formel depuis 1958 : les accords internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois. Le contrôle de conventionnalité est opéré par la Cour de Cassation depuis 1975, par le Conseil constitutionnel depuis 1988 et par le Conseil d'État depuis 1989. L'État de droit et les normes supralégislatives encadrent bien les dispositions du présent projet de loi.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l'amendement CL63 de Mme Paula Forteza.
La Commission adopte l'amendement de coordination CL78 de la rapporteure
Elle adopte l'article 1er modifié.
Article 2 (art. 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions) : Prolongation de la durée de conservation de certaines données personnelles collectées par les systèmes d'information de santé
La Commission examine les amendements de suppression CL1 de Mme Emmanuelle Ménard, CL12 de Mme Marie-France Lorho, CL28 de M. Philippe Gosselin, CL30 de Mme Laurence Vichnievsky, CL34 de M. Hervé Saulignac, CL36 de Mme Agnès Thill, CL39 de M. Ugo Bernalicis, CL46 de M. Pascal Brindeau et CL50 de M. Paul Molac.
L'article 2 est extrêmement préoccupant en ce qu'il revient sur l'accord conclu lors de la commission mixte paritaire sur la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire qui limite à trois mois la conservation des données de santé collectées. Du reste, pour la première fois, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 11 mai 2020, la nécessité d'exercer une vigilance particulière sur le traitement de ces données et de limiter le plus possible leur durée de leur détention.
Et voilà que le projet de loi envisage d'y déroger dans certains cas ! Certes, la décision est renvoyée à un décret en Conseil d'État, devant être pris après avis de la CNIL, mais celle-ci s'est déjà prononcée à maintes reprises ; elle n'a pas vocation à changer fréquemment de jurisprudence et à réaffirmer des principes qui devraient être gravés dans le marbre.
Si les conséquences politiques n'étaient que de se moquer du Parlement, ce ne serait pas si grave, mais les risques sont forts d'atteinte aux données personnelles de santé, dans un contexte où l'on a développé non seulement l'application StopCovid mais aussi des brigades sanitaires et une plateforme des données de santé. La coupe est pleine !
Je partage le point de vue de Philippe Gosselin. Même si nous avons déposé un amendement de repli, car nous recherchons un compromis acceptable, sur le principe, nous souhaitons la suppression de l'article.
En prévoyant que certaines catégories de données pourront être conservées pendant toute la durée de mise en œuvre des systèmes d'information, soit jusqu'au 10 janvier 2021, l'article revient sur l'accord auquel nous étions parvenus en CMP, après des débats longs et agités. Bien que les garanties apportées en matière d'information des personnes concernées soient conformes aux préconisations du Conseil d'État, nous considérons que la possibilité de conserver les données au-delà de trois mois est disproportionnée par rapport à l'atteinte à la vie privée qui pourrait en résulter.
L'article 2 aurait mérité un argumentaire solide, car prolonger la durée de conservation des données collectées par les systèmes d'information de santé n'est pas anodin. Or l'exposé des motifs reste vague, tout comme le dispositif lui-même qui revient à confier les pouvoirs du législateur au pouvoir réglementaire. D'où notre amendement de suppression.
La prolongation de la conservation des données personnelles pose un grave problème de confidentialité et porte manifestement atteinte à la vie privée des Français. De nombreuses protestations se sont déjà élevées, alertant sur l'utilisation qui peut être faite des données de santé récupérées au cours de la crise. Lors des précédents débats, il a été dit que leur conservation devait être strictement conditionnée à la durée de la crise ; celle-ci semblant s'achever, tout argument en faveur d'une prolongation de la durée de conservation des données, aussi inadéquate que dangereuse, s'en trouve annulé.
Par ailleurs, l'article 2 complète le troisième alinéa du I de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020 qui stipule que « Les données à caractère personnel collectées par ces systèmes d'information à ces fins ne peuvent être conservées à l'issue d'une durée de trois mois après leur collecte. » On voit mal l'intérêt d'instaurer une règle dans la première phrase, que l'on transgresse dès la seconde.
La mise en œuvre de cette prolongation reste éminemment floue dans la mesure où seul le Conseil d'État viendra décider des finalités de traitement. Aucune date ni durée n'est mentionnée, créant une insécurité juridique alarmante, et écartant le Parlement de tout contrôle effectif sur la méthode employée, ce qui nuit grandement à l'équilibre de nos institutions.
Enfin, du point de vue de la méthode, il est inquiétant de faire passer des mesures d'exception dans le droit commun. À l'expiration de ce nouveau délai, un prétendu nouveau motif viendra encore prolonger cette conservation, transposant des mesures censées être d'exception dans le droit commun. Cet article, d'une dangerosité extrême, doit donc être supprimé.
L'article 2 prévoit d'allonger au-delà de trois mois la durée de conservation de données collectées par les systèmes d'information instaurés pour lutter contre l'épidémie de covid-19. Les risques présentés par ces plateformes avaient été soulevés tant par des acteurs et actrices du domaine que par des parlementaires. Lors des débats, la majorité avait déjà tenté d'ajouter au texte des possibilités de remettre en cause la protection des données personnelles. Le risque de concentration des données de santé est en particulier déjà dénoncé pour la plateforme Health data hub, critiquée notamment par la CNIL, en raison du risque de marchandisation lié à la conservation des données par de grandes entreprises du numérique.
Cette demande de prolongation n'étant pas justifiée, nous souhaitons la suppression de l'article 2.
Deux raisons principales sous-tendent ces amendements de suppression : la nécessité de respecter l'accord conclu en commission mixte paritaire fixant à trois mois la durée de conservation des données personnelles collectées dans SI-DEP et Contact Covid ; la garantie apportée par cette durée que l'atteinte à la vie privée liée au traitement de ces données particulièrement sensibles est proportionnée. Je comprends tout à fait ces arguments.
En mai dernier, à l'occasion de l'examen du projet de loi, j'ai affirmé, reprenant l'avis de la CNIL, que si la durée de conservation des données pouvait être décidée par décret, elle devait être proportionnée et respectueuse de la vie privée des personnes. Ma position n'a pas changé. En limitant cette durée à trois mois, l'accord trouvé en commission mixte paritaire apporte une garantie importante. Je propose donc de ne pas adopter l'article 2 dans sa rédaction actuelle.
Il existe néanmoins une différence fondamentale entre des données identifiantes, éventuellement collectées sans le consentement des personnes, et des données pseudonymisées recueillies avec l'accord des intéressés aux seules fins de recherche et de surveillance épidémiologique. C'est uniquement pour cette dernière catégorie que je propose, dans l'amendement CL79, d'autoriser la conservation des données pendant plus de trois mois, en maintenant les garanties suivantes : la prolongation ne pourrait intervenir que par décret en Conseil d'État pris après avis public de la CNIL et du comité de liaison ; les personnes concernées seraient informées sans délai de cette prolongation et pourraient s'y opposer ; la conservation des données ne pourrait se prolonger au-delà de six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire, soit janvier 2021.
Cette rédaction lève les problèmes liés au consentement et à l'identification des personnes, tout en permettant à la recherche sur cette épidémie de progresser et de déboucher, je l'espère sur un vaccin. Je suis donc défavorable aux amendements de suppression au profit de l'amendement que je viens de présenter.
Puisqu'une nouvelle rédaction est proposée, nous pourrions d'abord voter unanimement la suppression de cet article et réintroduire un nouvel article ! Le Gouvernement ne manque pas de souffle en nous soumettant une rédaction faisant fi d'une loi votée par le Parlement dont l'encre est à peine sèche. Ce très mauvais signal renforce nos craintes concernant la liberté de manifestation et la liberté d'aller et venir sur l'article 1er ; nous ne pouvons donner de blanc-seing en ces matières.
Madame la rapporteure, votre amendement reprend-il la distinction opérée par le règlement général sur la protection des données (RGPD) entre données anonymisées et données pseudonymisées ? Le texte que nous avions voté ne mentionne que ces dernières, or il convient d'être extrêmement précis : les données pseudonymisées permettent de retrouver l'identité des personnes, pas les données anonymisées. Si la rédaction proposée ne permet pas d'identifier les personnes, nous pouvons l'envisager ; dans le cas contraire, elle n'apporte rien et fait peser un risque sur les données de santé.
Avec Contact covid, StopCovid, la plateforme de données de santé Health data hub – qui est entre les mains de Microsoft – et les brigades sanitaires, sans compter l'extension des fichiers existants prévue par le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, la recherche a déjà largement les moyens de travailler.
Dans le domaine de la recherche, les données sont pseudonymisées, toutefois les garanties encadrant les traitements me paraissent suffisantes
La Commission rejette les amendements.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette successivement les amendements CL59 et CL58 de Mme Paula Forteza.
Elle est saisie des amendements identiques CL79 de la rapporteure, CL64 de M. Dimitri Houbron, CL65 de Mme Laurence Vichnievsky et CL68 de M. Guillaume Vuilletet.
Il est vrai que données pseudonymisées et anonymisées sont deux choses différentes. Le compromis proposé dans ces amendements de repli n'est qu'un moindre mal.
La Commission adopte les amendements.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL80 et CL81 de la rapporteure.
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l'amendement CL53 de M. Paul Molac.
La Commission adopte l'article 2, modifié.
Après l'article 2
La Commission est saisie des amendements CL69 et CL70 de M. Guillaume Vuilletet, l'un et l'autre faisant respectivement l'objet des sous-amendements CL85 et CL84, et CL86 et CL82, tous de la rapporteure.
Les règles que nous sommes sur le point d'adopter doivent être adaptées à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française. Pour ces territoires épargnés par le virus, une modalité de quarantaine doit être maintenue. Ces adaptations sont demandées par les autorités locales.
Successivement, la Commission adopte les sous-amendements CL85 et CL84 et l'amendement CL69, sous-amendé, ainsi que les sous-amendements CL86 et CL82 et l'amendement CL70, sous-amendé. Les articles 3 et 4 sont ainsi rédigés.
Titre
Suivant l'avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l'amendement CL56 de Mme Paula Forteza.
Elle est saisie de l'amendement CL72 de la rapporteure.
Je propose d'intituler le projet de loi « Sortie de l'état d'urgence sanitaire ».
Si la situation sanitaire s'est aujourd'hui largement améliorée, le maintien de la vigilance est de mise face à un virus qui continue de circuler sur notre territoire. Proroger l'état d'urgence sanitaire n'était pas fondé, et en sortir sèchement, pas raisonnable. Ce texte instaure un dispositif transitoire permettant de sortir progressivement de ce mécanisme qui a été décisif pour maîtriser la propagation de l'épidémie dans notre pays, d'où ma proposition.
Ce titre est plus conforme à la réalité : il ne s'agit pas de la fin de l'état d'urgence, mais d'une sortie progressive. Certains de ses éléments demeurent.
La Commission adopte l'amendement. Le titre du projet de loi est ainsi rédigé.
Elle adopte l'ensemble du projet de loi modifié.
La réunion se termine à 18 heures 35
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Bérangère Abba, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Pacôme Rupin, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Hubert Wulfranc
Excusés. - Mme Émilie Guerel, M. Arnaud Viala
Assistaient également à la réunion. - M. Pascal Brindeau, Mme Paula Forteza, Mme Agnès Thill