Intervention de Hervé Saulignac

Réunion du lundi 15 juin 2020 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Saulignac :

C'est une curieuse troisième voie que le Gouvernement expérimente ici. Il y avait le droit commun et l'état d'exception ; il y a désormais un nouveau régime dérogatoire, faussement appelé transitoire, car, en réalité, on met fin officiellement à l'état d'urgence tout en conservant une bonne partie de son contenu, si ce n'est le recours à un confinement strict. Pour une durée certes limitée, des pouvoirs exceptionnels restent activables par l'exécutif et, jusqu'au 10 novembre 2020, le Premier ministre pourra toujours, par décret et sans repasser par le Parlement, interdire la circulation des personnes et des véhicules, ordonner la fermeture provisoire des établissements accueillant du public et interdire des rassemblements sur la voie publique et des réunions de toutes natures. Pourquoi créer ce nouveau régime alors que le code de la santé publique offre aussi la possibilité de recourir à des pouvoirs très larges en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles ?

Parmi les mesures prorogées se trouvent celles qui touchent au droit de manifester, un droit fondamental, hautement sensible. Alors que les Français aspirent à retrouver toutes leurs libertés après avoir vécu une privation sans précédent, on les leur restitue par morceaux. Cette restriction fait curieusement écho aux propos tenus hier par le Président de la République, et aux annonces diverses et variées du Gouvernement. Il va falloir travailler plus, l'examen de certaines réformes, comme celle des retraites, va reprendre ; autrement dit, la vie d'après va furieusement ressembler à celle d'avant, à cette différence près – de taille – qu'il ne faudra pas envisager se réunir, se rassembler ou manifester jusqu'à la fin de l'année. Voilà quel est le message envoyé !

Il nous apparaît que l'article 1er, notamment le maintien des dispositions permettant au Premier ministre d'interdire toute manifestation et toute réunion, est tout à fait disproportionné. Il fait valoir la vigilance dont il convient de faire preuve dans l'hypothèse d'une deuxième vague. Or celle-ci, pour s'exercer, n'a pas besoin que l'on restreigne les libertés. Il est d'ailleurs étonnant de constater que ce texte dit peu sur les outils nécessaires à l'exercice de cette vigilance – que l'on pourrait approuver. On pourrait considérer que l'allongement de la durée de conservation des données collectées par l'application StopCovid participe de cette vigilance et d'une meilleure connaissance de la maladie, mais le texte renvoie ici à un décret, et ne nous donne que peu de précisions sur la sécurisation juridique de cette mesure.

Ce projet de loi est donc une nouvelle démonstration du « en même temps » caractéristique de l'exécutif, avec, d'un côté, un Président de la République qui explique que la vie reprend ses droits, et, de l'autre, un Premier ministre qui dit que ce n'est pas tout à fait le cas, prolongeant des atteintes aux libertés qui seront bien compliquées à faire admettre. Cette façon d'agir n'est pas propice à la sérénité dont les Français ont besoin, qui passe par un rétablissement plein et entier du droit commun. La prudence est une chose, l'hésitation en est une autre.

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