Madame la présidente, en me donnant la parole en premier, vous rompez avec l'ordre habituel des groupes, mais j'en comprends bien la raison. Quoi qu'il en soit, et même si cette soirée ne sera sans doute pas très longue, nous aurons l'occasion de répondre aux arguments de la majorité.
Je commencerai par ceux de la rapporteure. Le groupe Les Républicains regrette évidemment que nous n'ayons pas su – ou pu – trouver un accord en commission mixte paritaire – c'est d'ailleurs la première fois que cela arrive s'agissant d'un texte concernant la gestion de la crise sanitaire : jusque-là, nous avions réussi à nous accorder pour confier au Gouvernement des prérogatives exorbitantes du droit commun et revêtant une importance particulière, dans la mesure où elles restreignaient très largement la liberté de nos compatriotes. Nous n'avons pas trouvé d'accord sur ce qu'il conviendra de faire dans le cas d'une possible résurgence de l'épidémie, non sur la manière de la gérer à proprement parler, mais sur les moyens juridiques sur lesquels cette gestion se construira. S'il fallait, en raison d'une résurgence de l'épidémie, restreindre de nouveau la liberté des Français comme ce fut le cas durant le confinement, ne serait-ce que sur une partie du territoire, nous considérons, comme la majorité sénatoriale, qu'il faut le faire d'une manière appropriée sur le plan juridique, autrement dit sur le fondement d'un texte spécifique. Nous ne saurions voter un texte censé organiser la sortie de l'état d'urgence mais qui revient à proroger pour quatre mois des prérogatives exorbitantes du droit commun en matière de restriction des libertés.
L'état d'urgence, soit on en sort, soit on y reste. En l'état actuel des textes, il peut être à nouveau décrété par le Gouvernement jusqu'au mois d'avril 2021 pour gérer les éventuelles reprises de l'épidémie ; c'est donc ce régime qu'il faut utiliser. On ne peut priver à ce point les Français de leur liberté que dans un cadre juridique bien particulier, correspondant à une situation bien spécifique, certainement pas par le biais d'un texte affichant l'ambition de sortir de la crise… C'est une question de confiance et de compréhension des citoyens : si la sortie de la crise se fait sur la base d'un droit hybride et confus, les Français auront du mal à comprendre non seulement ces mesures, mais la situation sanitaire elle-même, à plus forte raison après une gestion de crise marquée par nombre de décisions contradictoires… Mais nous n'allons pas polémiquer là-dessus ce soir. Ce qu'il faut, c'est un droit cohérent et compréhensible pour nos concitoyens.
Dans la grande majorité des cas, il ne devrait pas y avoir de problème ; s'il y en a, il faudra appliquer des mesures exceptionnelles, et non des mesures de droit commun. Voilà ce qui a conduit au désaccord. Sur le fond, nous approuvons les moyens que le Gouvernement utilisera çà et là, mais nous ne voulons pas qu'ils soient inscrits dans le droit de façon trop durable : ils doivent rester exceptionnels. Telle est la position que nous défendrons ce soir ; elle est claire, de nature à être comprise par nos compatriotes et à faciliter l'acceptation d'une situation tout de même très particulière.
Il est un dernier point que j'ai abordé en commission mixte paritaire et qui me semble essentiel quant à la façon dont nous abordons le rôle qui est le nôtre : lors de la discussion de ce texte en première lecture, on a observé une tentative de dédramatisation des prérogatives exorbitantes du droit commun qui y figurent : au fond, on a choisi de limiter les libertés collectives pour ne pas porter atteinte aux libertés individuelles. C'est une erreur : je préférai toujours que l'on soit conduit à restreindre quelques libertés individuelles, c'est-à-dire les libertés de quelques-uns – du fait, par exemple, qu'ils ont été contaminés par le covid-19 – pour protéger la liberté de tous. Cela aussi me semble important à l'heure où nous discutons de la sortie de la crise.