La réalité à laquelle nous sommes confrontés évolue en permanence ; il doit en être de même des arguments que nous échangeons. Il y a quinze jours, les messages étaient extrêmement rassurants, on avait le sentiment d'assister à une sorte d'extinction progressive de l'épidémie. Malheureusement, il en est allé tout autrement : on a dénombré 1 000 cas dans une seule entreprise en Allemagne, et même dans notre pays, près de 200 clusters sont apparus. Les cas continuent à se multiplier et des gens meurent. Même si l'épidémie est très clairement moins forte – en tout cas chez nous, car dans certains pays elle n'est pas encore sous contrôle –, il faut prévoir une période de transition, pour mesurer l'évolution de la situation, piloter à vue, avec l'humilité qui s'impose, en suivant les avis des scientifiques, et en même temps permettre progressivement au pays de redémarrer.
Je regrette, comme tout le monde, que la CMP n'ait pas été conclusive, mais peut-être pour d'autres raisons. En effet, à travers nos travaux et les lois que nous votons, nous adressons des messages au pays ; or, jusqu'à maintenant, nous avions envoyé un message de consensus. C'est moins le cas avec ce texte, et je le regrette profondément, d'autant plus que le consensus existe autour de certaines de ses dispositions, à commencer par celles que nous ne sommes pas amenés à réexaminer parce qu'elles ont été votées conformes – je pense en particulier à l'article 2, qui porte sur les systèmes d'information, objet de débats parfois virulents en première lecture. Le Sénat, dans sa sagesse, a choisi de soutenir la rédaction de l'Assemblée et je m'en réjouis.
Le travail en CMP aura malgré tout permis de trouver des points d'équilibre, par exemple en ce qui concerne l'outre-mer. Nous avons donc progressé, même si j'entends tout à fait la remarque de Maina Sage – chacun comprendra, à la lecture du Journal officiel de ce matin, que j'y suis particulièrement sensible.
Sur le reste, notre désaccord tient à une raison finalement simple : le Sénat, et ici le groupe Les Républicains, qui est dans l'opposition, n'acceptent pas le principe d'une période de transition. Selon eux, soit on est dans l'état d'urgence, soit on en sort – cette fameuse phrase revient régulièrement. Je ne crois pas que les choses fonctionnent ainsi : nous avons besoin d'outils qui nous permettent de gérer la transition. Certes, le Parlement peut être convoqué à tout moment pour rétablir l'état d'urgence, mais il faut quand même six jours pour le faire. Entre-temps, bien des choses peuvent arriver, une situation peut même totalement basculer. Par ailleurs, l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, objet de toutes les attentions ces derniers temps, n'est pas suffisant. Certes, il l'a été une première fois, précisément parce que nous réagissions à une situation exceptionnelle. Mais prétendre prévoir l'exceptionnel me semble un peu bizarre… En vérité, il est évident qu'il faut réformer ce dispositif ; preuve en est, le Sénat a souhaité le réécrire pour l'adapter à la situation.
Nous avons achoppé sur un point très particulier : la question de savoir si, au niveau communal ou au niveau départemental, le représentant de l'État, autrement dit le préfet, doit pouvoir prendre les mesures nécessaires en cas d'apparition d'un cluster. Dans la loi portant organisation du second tour des élections municipales, on avait admis qu'il n'était pas nécessaire de voter une nouvelle loi dès lors que le nombre de communes pour lesquelles le scrutin pouvait être remis en cause par l'apparition d'un cluster ne dépassait pas 5 % de l'ensemble des communes concernées. Là, on est à l'échelle du département – notre pays en compte cent : 1 % d'un côté, 5 % de l'autre… Je pense que nous aurions pu trouver un accord. Cela n'a pas été le cas, et c'est d'autant plus dommage que nous avons besoin de stabiliser un vrai dispositif d'état d'urgence sanitaire, comme le prévoit du reste la loi du 23 mars 2020. Nous allons y travailler ; nous devrons l'avoir organisé d'ici au mois d'avril 2021.
Vous avez raison, monsieur Schellenberger : je souhaitais intervenir après vous, car je voulais que vous répétiez ce que vous aviez dit en CMP – je fais référence à la distinction que vous opérez entre la liberté individuelle et la liberté collective. J'entends l'argument, il n'est pas anodin, mais la crise est globale, elle impose une réaction de la société – de la solidarité. Ce n'est pas en isolant, en stigmatisant, en neutralisant des personnes que nous réussirons. Au demeurant, nous avons tous subi des restrictions de nos libertés individuelles, ne serait-ce que celle de se déplacer, que nous avons vécues intimement. Mais c'est à l'échelle de la société que nous avons dû réagir pour organiser une réponse cohérente. En ce qui me concerne, je soutiens donc le choix qui a été fait.
Pour conclure, je regrette une fois de plus que nous n'ayons pas de nouveau envoyé un message de consensus à la population, à notre pays, qui nous observe, qui examine la manière dont la représentation nationale le représente et lutte contre l'épidémie de covid-19. Mais ce n'est pas si grave : le combat n'est pas terminé et nous aurons d'autres occasions, je l'espère, de nous mettre d'accord sur de très nombreux points, de trouver des consensus.