Intervention de Didier Paris

Réunion du mercredi 8 juillet 2020 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Paris, rapporteur :

Si la situation paraît aujourd'hui un peu moins tendue qu'elle a pu l'être, nul d'entre nous ne peut affirmer que la menace terroriste a disparu.

La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 30 octobre 2017 comporte quatre mesures phares qui permettent l'instauration de périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, la mise en place de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires. Ces mesures sont applicables jusqu'au 31 décembre 2020.

De la même manière, les dispositions de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, issues de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, ont été instaurées pour une durée limitée, initialement jusqu'au 31 décembre 2018, et prorogées jusqu'au 31 décembre 2020 par l'article 17 de la loi SILT.

Trois solutions s'offraient à nous. La première consistait à adapter les mesures dont il est question pour les inscrire définitivement dans notre arsenal législatif. Mais les délais impartis, la priorité donnée à la relance économique et l'expérimentation tardive – elle ne remonte qu'à 2017 – de la technique de recueil de renseignement « algorithme » la rendaient peu viable. Il faut du temps pour mener une discussion de fond sur chacune de ces dispositions et en ce sens, les amendements de notre collègue M'Jid El Guerrab viennent trop tôt. Il nous faut aussi attendre que la Cour de justice de l'Union européenne rende son arrêt sur la conservation généralisée de certaines données, qui pourrait avoir des conséquences sur certaines techniques de renseignement.

Opter pour la deuxième solution, qui consistait à laisser les dispositions venir à expiration le 31 décembre 2020, eût été manquer à notre devoir de protection vis-à-vis des Français.

La troisième solution consistait à proroger, sans les modifier, ces mesures. C'est celle qui a été retenue. Il s'agit d'enjamber cette période pour envisager dans de meilleures conditions le débat sur le fond.

Les mesures prises en application de la loi SILT paraissent toujours aussi indispensables et ont largement démontré leur utilité : l'instauration de périmètres de protection est la plus souple d'entre elles, donc la plus utilisée ; il a été procédé à sept fermetures administratives de lieux de culte ; les MICAS ont fait l'objet d'un encadrement progressif, 294 ont été prononcées ; 167 visites domiciliaires ont été effectuées, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD), 97 ont conduit à des saisies, 18 ont débouché sur l'ouverture d'une information judiciaire, elles ont permis de déjouer au moins un attentat, en mai 2018. Ces mesures ont fait l'objet d'un contrôle parlementaire renforcé.

Le bilan sur la technique algorithmique de renseignement est plus complexe à établir, d'autant que certains aspects sont couverts par le secret-défense. Son expérimentation n'a débuté qu'en 2017, après le travail de paramétrage permettant de viser des données pertinentes. Progressivement mis en œuvre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), les trois algorithmes sont exclusivement liés aux données de facturation et portent sur les appels téléphoniques, les textos et les consultations de répondeur.

Il est question d'inclure d'autres données, notamment les données dites Internet Protocol (IP) qui utilisent le réseau internet et d'étendre la disposition aux applications telles que WhatsApp ou Telegram. Une autre évolution consisterait à inclure les Uniform Resource Locator (URL), ou adresses web, ce qui permettrait de détecter non plus seulement les connexions mais les consultations ou les téléchargements pouvant caractériser une menace, comme les vidéos d'appel au djihad ou les tutoriels permettant d'élaborer un explosif.

Cette extension est sans doute nécessaire pour répondre aux besoins de sécurité des Français. Nous en débattrons ultérieurement, le Gouvernement ayant déjà soumis certains éléments au Conseil d'État.

Le présent projet de loi prévoit une prorogation d'un an à compter de la date limite d'expérimentation, soit jusqu'au 31 décembre 2021.

Faut-il suivre cette logique ? Compte tenu des enjeux liés aux libertés individuelles, nous ne devons pas tarder à réexaminer les dispositions de la loi SILT. Nous disposons déjà du rapport de novembre 2019 du Gouvernement sur l'application de la loi SILT et des comptes rendus réguliers de Yaël Braun-Pivet, Raphaël Gauvain et Éric Ciotti, chargés du contrôle de la loi. Nos collègues notent que les quatre mesures, utilisées de façon parcimonieuse et raisonnée, se sont révélées efficaces.

S'agissant de l'application de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, le Gouvernement a remis son rapport le 30 juin dernier. En outre, dans le cadre de la mission d'information présidée par notre collègue Guillaume Larrivé sur l'évaluation de la loi relative au renseignement, les rapporteurs Loïc Kervran et Jean-Michel Mis ont apporté un éclairage précis sur ce point.

Proroger la durée de validité de ces mesures jusqu'au 31 décembre 2022, comme le demande le groupe Les Républicains, reviendrait à repousser encore le débat parlementaire que nous appelons tous de nos vœux.

En outre, les dispositions dont nous débattrons ont été largement amendées, pour mieux préserver les libertés individuelles. L'instauration de périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte et les MICAS ont fait l'objet de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel a notamment censuré certaines dispositions relatives aux délais de recours et à l'intervention du juge dans le cadre des MICAS.

Les articles 65 et 66 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont j'ai été le rapporteur, ont modifié ces dispositions, conformément aux réserves formulées par le Conseil constitutionnel.

Si les libertés individuelles ne commandent pas de modifier en urgence ces dispositions, il nous faut en débattre rapidement. Je propose donc de proroger la validité des dispositions concernées jusqu'au 31 juillet 2021.

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