J'entends accorder une attention particulière au réseau territorial, au lien avec les élus locaux, à l'ancrage local. Du fait de mon parcours au sein d'ATD Quart monde, je suis très sensible au rôle du bénévolat, que je considère comme noble et qui peut tout à fait se conjuguer avec le professionnalisme et l'engagement. Certes, il peut arriver, quand la charge de travail est trop lourde, qu'une certaine souffrance soit ressentie par les bénévoles, mais être délégué territorial a un sens, car le réseau est la porte d'entrée de l'accès aux droits. Je pense d'ailleurs que cette action peut intéresser les jeunes, et même des salariés d'entreprise, qui pourraient être détachés un jour par semaine pour remplir cette tâche. C'est en multipliant les échanges que les questions trouveront des réponses.
Si les délais de réponse restent trop longs, c'est certainement en raison du manque de moyens humains et financiers. Quant à savoir comment les recommandations peuvent être suivies d'effet, c'est la question de fond. Il faudra déterminer, surtout, pourquoi elles ne le sont pas, et agir en conséquence. C'est tout l'intérêt d'effectuer un suivi.
Le contradictoire est assuré dans les juridictions : lors des médiations, les arguments sont communiqués à l'avance à chacune des deux parties.
Concernant la violence institutionnelle, je ne me prononcerai pas sur la conception de Jacques Toubon. Je ne peux pas m'empêcher, en revanche, de vous parler d'une étude réalisée sur l'initiative d'ATD Quart monde en partenariat avec l'université d'Oxford. La recherche, menée pendant trois ans, a porté sur les dimensions de la pauvreté dans six pays, trois du Nord – France, Grande-Bretagne, États-Unis – et trois du Sud – Bolivie, Tanzanie, Bangladesh. Une des spécificités de ce travail réalisé a été d'associer à des chercheurs de haut niveau des personnes en situation de précarité comme cochercheurs. Ce qui est ressorti dans l'ensemble des pays étudiés, outre les constats connus tels que les difficultés d'accès aux droits, le manque de revenus financiers et l'empêchement à agir, c'est la question de la violence institutionnelle.
Ce ne sont pas les personnes qui veulent mal faire, mais leurs actes sont ressentis comme violents. La pédagogie est au centre : il faut comprendre comment est perçu ce qu'on dit et ce qu'on fait. Le système peut être violent pour les personnes les plus en difficulté, et quand je dis cela, je ne veux juger personne. Les pauvres ne sont pas violents ; ils sont victimes de violences.
Étant profondément respectueuse des institutions, je n'ai pour l'instant pris l'attache de personne, mais si ma nomination est effective, je nommerai mes adjoints en complémentarité avec mon propre profil. Je choisirai des personnes de haut niveau avec lesquelles j'entends travailler en collégialité. On est plus intelligent à plusieurs.
Concernant les publications, le rapport annuel me semble déjà suffisamment montrer les fractures de la société. Je suis toutefois favorable à l'idée défendue par Jacques Toubon de créer un observatoire des discriminations.
Si je suis interpellée par la montée des revendications identitaires, je ne pense pas que mon avis sur le sujet importe. En tant que pigiste puis journaliste à France Inter et à RFI, j'ai fait le tour de toutes les banlieues. Ce que j'ai vu m'a conduit à me demander : « qu'est-ce qu'on a raté ? ». Face à ce constat, il faut trouver le moyen de travailler ensemble. L'échange est capital pour éviter l'enfermement dans des convictions. Il me semble que les collèges, les comités d'entente et de liaison sont essentiels pour mener ce travail et entretenir le dialogue avec les acteurs associatifs et les entreprises.
Sur l'autosaisine, il faut trouver le moyen de faire remonter à l'institution les difficultés du terrain, et ne pas s'en tenir aux seules affaires publiées dans la presse. Je ferai en sorte que la porte soit toujours ouverte au plus grand nombre d'associations et de groupements.
Quant à dépasser les clivages politiques, vous pouvez me croire, j'y ai été formée au sein d'ATD Quart monde, et ce n'est pas un problème pour moi. C'est d'ailleurs ce qui m'a attirée au départ dans ce mouvement : la diversité des opinions politiques et des origines, et la possibilité de travailler ensemble au service d'un but commun.
Les atteintes aux libertés font partie des questions à approfondir. Il est, à cet égard, intéressant d'observer ce qui s'est passé durant le confinement : la restriction des libertés a été largement acceptée par les citoyens, mais combien de temps une telle atteinte est-elle admissible, et comment peut-elle être contrôlée ? Au demeurant, si nous avons eu l'impression que nos libertés étaient rognées, elles le sont depuis bien longtemps pour les personnes victimes de discrimination.