C'est un honneur d'être devant votre prestigieuse commission des Lois. Nous répondrons bien évidemment toujours avec plaisir à vos interpellations et convocations.
Depuis de trop nombreuses années, qui dépassent bien largement le quinquennat en cours, la France est malade de son insécurité. Certes, l'insécurité sociale a de graves conséquences, mais les Français pensent – à raison, selon moi – que l'on ne peut pas toujours trouver des excuses à tout. Des faits insupportables d'une extrême violence se multiplient et choquent, bien légitimement, nos concitoyens. Voyez plutôt l'inventaire, un peu macabre, de ceux qui se sont produits depuis notre arrivée, avec Marlène Schiappa, au ministère de l'Intérieur.
Près d'Angers, une gendarme de vingt-cinq ans a été fauchée par un automobiliste refusant d'obtempérer à un contrôle ; la jambe arrachée, elle en est morte. Dans les territoires ruraux, censés être plus tranquilles, les gendarmes font face à un refus d'obtempérer par heure.
À Étampes, alors qu'il essayait d'éteindre un incendie, un sapeur-pompier s'est fait tirer dessus à balles réelles pour la troisième fois en dix mois. L'année dernière, 2 045 pompiers ont été agressés, ce qui équivaut à six agressions par jour – d'ici à la fin de cette audition, ce sera probablement le cas encore pour un pompier de plus, et pour trois policiers et gendarmes : pour eux, le chiffre s'élève à 11 000, soit trente agressions par jour, au cours desquelles sept d'entre eux ont trouvé la mort.
À Lyon, une aide‑soignante a été traînée sur plusieurs centaines de mètres. À Avignon, une petite fille de onze ans a été retrouvée ligotée, noyée dans le Rhône.
À Bayonne, un chauffeur de bus, à quelques mois de la retraite, a été lynché à mort pour avoir demandé à des usagers de porter un masque et de payer leur ticket.
À Lille, dans le quartier de Moulins, une femme a été sauvagement agressée, pour avoir dérangé un dealeur alors qu'elle cherchait à rentrer chez elle. En 2019, 146 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint, et 339 000 différends familiaux ont nécessité l'intervention des forces de l'ordre.
À Toulouse, pour avoir demandé à un groupe de faire moins de bruits, un homme de quarante-quatre ans a été tabassé à coups de pied de biche. Dans l'Isère, un maire a été agressé, après 360 autres – j'ai une pensée pour le maire de Signes, décédé il y a bientôt un an. En 2019, 35 000 dépositaires de l'autorité publique ont été agressés ; d'ici à la fin de la journée, ce sera donc le cas pour 94 personnes qui défendent les valeurs de la République…
Quant aux querelles sémantiques, la réalité est la même pour tous. Nous, responsables politiques, devons avoir conscience du monde dans lequel vit une grande partie de nos concitoyens, notamment ceux des classes populaires et moyennes, bien éloignées de l'univers ouaté des belles discussions et des beaux quartiers, un monde qui n'est pas celui d'Alice au pays des merveilles. Si nous ne disons pas les choses telles qu'elles sont, les citoyens feront de moins en moins confiance à leurs responsables politiques, à l'État et choisiront de se protéger par communauté, en dehors des lois de la République, ou de s'auto-défendre, ce qu'aucun républicain ne souhaite. Nous devons répondre fermement à cette violence brutale comme aux incivilités du quotidien, qui gâchent la vie des gens et sont parfois la source de violences plus importantes. Nous ne devons tolérer aucune entorse à l'ordre républicain et soutenir ceux qui, par la loi que vous votez, ont légitimement l'autorité. Les fondements de notre République – la liberté, qui ne peut exister sans la sécurité, l'égalité, garantie par la loi républicaine, et la fraternité, qui permet de faire nation ensemble – doivent être sauvegardés et confortés.
Lutter contre la délinquance suppose d'abord des moyens. Sur les 10 000 créations de postes de policiers et de gendarmes annoncées par le Président de la République sur l'ensemble du quinquennat, 6 500 ont déjà été déployés ; le reste le sera en 2021. Le budget du ministère de l'Intérieur a augmenté de 1 milliard d'euros, progression jamais connue depuis le début de la Ve République. La généralisation dans toutes les patrouilles de policiers et de gendarmes de caméras‑piétons sera effective dès le premier semestre de 2021. Un budget de 75 millions d'euros a d'ores et déjà été attribué au renforcement du matériel et des équipements : ainsi, 2 300 véhicules ont été achetés et arriveront dès le mois de décembre. Nous allons développer les primes de fidélisation des policiers nationaux dans les secteurs les plus difficiles ainsi que les primes de nuit.
Le plan de relance concerne également l'immobilier. Les casernes de gendarmerie, les petites comme les grosses, souvent vétustes – celle de Satory est dans un état déplorable – seront modernisées, ainsi que les commissariats, qu'ils soient centraux ou de quartier. Nous ne serons pas les ministres des grands éléphants blancs, mais ceux du quotidien de la sécurité et de la réflexion territoriale. Nous devons supprimer les désagréments matériels qui minent le travail des équipes au quotidien, de l'ordinateur en panne aux toilettes bouchées.
Il faut également adapter la réponse pénale – sur ce point, je veux m'inscrire dans la suite des propos tenus devant vous par le Garde des Sceaux –, dans une dynamique de simplification et d'efficacité, au service des professionnels comme des victimes. Plutôt qu'un « grand soir », souvent promis, jamais arrivé, il faut offrir aux acteurs de la procédure pénale des moyens et des outils de répression adaptés, simplifier la vie des magistrats et des policiers qui agissent sous leur autorité et répondre aux besoins des victimes, qui restent notre souci constant. La généralisation annoncée de la forfaitisation des délits de stupéfiants est une mesure importante ; le chantier de la plainte en ligne mérite d'être accéléré, tout comme celui de la procédure pénale numérique, qui a pris du retard.
La lutte contre la délinquance passe aussi par le renforcement du lien de proximité entre la police et la population – lien d'autant plus évident que la police fait partie de la population. Les forces de l'ordre doivent être plus présentes, au contact des habitants et des commerçants. Chaque semaine désormais, je réunis les préfets, les directeurs départementaux de la sécurité publique et les responsables de commandement de la gendarmerie et je demande la communication de ces patrouilles à pied ou à vélo, qui rendent le « bleu » plus visible et rassurent nos concitoyens, partout sur le territoire national – et je vous en rendrai compte à chaque fois que vous le demanderez.
Nous devons également nous appuyer davantage sur les élus locaux, les agents de la police municipale dont les pouvoirs pourront, le cas échéant, être amenés à évoluer, ainsi que les services de sécurité privée, à l'occasion sans doute du livre blanc. Mais d'ores et déjà, nous sommes favorables à la proposition de loi d'Alice Thourot et de Jean‑Michel Fauvergue, laquelle nous permettra de concrétiser plusieurs annonces du Premier ministre. La police nationale doit garder 100 % de ses compétences : il n'est pas question de la transformer en un FBI qui ferait des enquêtes tandis qu'une police municipale aurait des pouvoirs absolus. Il s'agit de confier des compétences très pratiques à la police municipale, de sorte qu'elle puisse agir plus rapidement, par exemple en relevant les infractions pour ivresse publique et manifeste (IPM) ou en accédant aux fichiers des véhicules et des amendes. Il ne s'agit pas de généraliser ni l'armement des polices municipales, ni l'octroi de nouvelles compétences : les expérimentations annoncées par le Premier ministre ne se feront pas qu'à Nice.
La sécurité doit être l'affaire de tous. Le directeur général de la police nationale me rendra vendredi ses propositions pour améliorer la sécurité dans les transports en commun, qu'il s'agisse des transports utilisés en régie par les collectivités locales, des grandes liaisons nationales ou des délégations de service public ; je pourrai y revenir devant vous à la rentrée. Le livre blanc de la sécurité intérieure, préparé par mes prédécesseurs, sera présenté au début de l'année 2021, après concertation avec les parlementaires, et pourra être traduit dans un projet de loi d'orientation lorsque le Premier ministre souhaitera l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement.
La lutte contre la délinquance, qui risque de s'aggraver avec la crise économique et sociale, doit appeler des réponses fermes et courageuses pour s'attaquer à son terreau. Nous travaillerons en collaboration avec la ministre du travail, le ministre de l'éducation nationale, le ministre des solidarités et de la santé et la ministre de la culture. C'est sur les crédits du ministère de l'Intérieur que sont menées certaines actions de prévention dans les quartiers, en lien avec les centres sociaux et les collectivités locales. Ce continuum est essentiel pour offrir une réponse globale à l'insécurité et prévenir la délinquance. Nous le ferons dans les villes comme dans les campagnes : la République ne doit céder aucun mètre carré à l'insécurité, même si nous savons bien qu'il y a des endroits plus difficiles que d'autres. Nous organiserons le déploiement des soixante quartiers de reconquête républicaine, dont quarante‑sept ont déjà été créés.
Protéger les Français, c'est aussi poursuivre, avec la plus grande détermination, la mobilisation contre le terrorisme. La menace est extrêmement élevée : depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués, dont un au début de cette année. Les attaques à la préfecture de police, à Villejuif, à Romans‑sur‑Isère et à Colombes nous ont tristement rappelé que la menace restait prégnante. Nous aurons l'occasion, à la rentrée, de discuter de la loi SILT.
Nous entendons continuer à renforcer les moyens des services de renseignement. L'engagement du Président de la République est sans précédent : depuis le début du quinquennat, 1 900 postes ont été créés à la DGSI. Nous poursuivrons cet effort pour aider, sans naïveté, les services de renseignement à travailler pour nous protéger. Les instruments juridiques prévus dans la loi SILT et dans la loi relative au renseignement doivent continuer à exister. Les outils sur le terrain doivent être renforcés, par un resserrement continu des mailles du filet, notamment grâce à l'action des préfets, que j'ai appelés à s'impliquer dans les groupes d'évaluation départementaux et à suivre la mise à jour du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
Nous protégeons chacun dans la liberté de sa foi et de sa religion : le ministre de l'Intérieur est le ministre des cultes. La laïcité doit être affirmée. Nous défendrons avec intransigeance la liberté totale de croyance et de culte, ceux qui veulent croire, ceux qui veulent ne pas croire, ceux qui veulent se convertir, ceux qui veulent caricaturer, ceux qui veulent exprimer leur opinion ; mais jamais la foi ne doit être au-dessus de la loi. Aucun courant de pensée, aucune croyance ne peut s'en prendre à la République. C'est pourquoi il nous faudra lutter davantage contre l'islamisme politique et le séparatisme. Un projet de loi vous sera proposé, dès la fin du mois d'août. Il ne faut toucher à ces sujets que d'une main tremblante ; je ne souhaite pas modifier la loi de 1905, mais la renforcer, afin de garantir la sécurité de nos concitoyens.
Assurer la sécurité des Français, c'est aussi assurer celle de nos frontières. Nous veillerons à faire respecter les règles en matière d'asile et d'immigration – Mme la ministre est particulièrement attentive à ce sujet. Le ministère de l'Intérieur étant également celui des crises, je remercie tous les agents des préfectures, ainsi que les forces de l'ordre et les pompiers, pour la mise en œuvre des règles sanitaires à nos frontières.
Notre priorité est également de protéger ceux qui nous protègent : les policiers, les gendarmes, les sapeurs‑pompiers et les agents des ministères. Lors des épisodes des gilets jaunes, du coronavirus et du déconfinement, les agents du ministère de l'Intérieur ont été à la hauteur des engagements de la République : le retour de l'État dans les territoires, et sans doute aussi le besoin de l'État, a été particulièrement sensible à l'occasion du confinement comme du déconfinement, et j'en remercie très sincèrement le corps préfectoral et l'ensemble des agents.
L'uniforme, qui protège les Français, est aussi parfois une cible. Les policiers et les gendarmes exercent bien souvent leur tâche dans des conditions extrêmement délicates, parfois au péril de leur intégrité physique ou, plus scandaleux encore, de leur famille. Depuis notre arrivée, nous ne cessons d'être à leurs côtés : je veux les assurer de notre soutien total. Mais après les promesses d'amour, il faut des actes. Nous allons leur donner les moyens nécessaires à leur mission. Nous allons redonner du sens à leur métier et leur permettre de se recentrer sur leurs tâches principales, en supprimant les tâches indues et chronophages, en déstockant les procédures en lien avec le parquet, en répartissant les effectifs de façon plus cohérente sur le territoire. Parce qu'il est important de renouer le dialogue social, ce ne sont pas moins de vingt et une rencontres avec les instances représentatives du ministère de l'intérieur que nous avons organisées.
Nous ne sommes pas que des ministres de la sécurité – je récuse le terme de « premier flic de France » – mais de toute l'action territoriale de l'État. Il est essentiel de s'appuyer d'abord sur le département plutôt que sur la région. Nous allons renforcer les effectifs des préfectures des quarante départements les plus ruraux, en contrepartie d'une diminution de ceux de l'administration centrale, parallèlement à la création d'une Maison France Services par canton, en lien avec la ministre des collectivités territoriales Jacqueline Gourault : en voyant comment, dans le département de la Lozère, on est passé en dix ans de 130 à 90 agents, on se dit que l'État territorial et départemental a besoin d'être renforcé. C'est ce que j'ai fait à Bercy lorsque j'étais ministre des comptes publics ; je compte bien faire la même chose au ministère de l'Intérieur.
Madame la présidente, veuillez m'excuser d'avoir été si long. J'avais l'habitude de présenter des textes budgétaires ; or il est forcément plus complexe de traiter de l'humain, et des sentiments de ceux qui nous protègent.