Ce projet de loi, même s'il est présenté comme transitoire, prévoit de pérenniser un régime d'exception. Or, depuis l'adoption de la loi de 1955 relative à l'état d'urgence, certains principes ont toujours été respectés : un délai court – le texte de 1955 l'avait limité à douze jours renouvelables sur autorisation légale – et un contrôle parlementaire tout au long de son application. En bafouant ces principes, nous prenons le risque de nous accoutumer à un régime d'exception qui accorde des pouvoirs exorbitants à l'exécutif, mais également à favoriser leur inclusion dans le droit commun. On a déjà pu le constater dans un passé récent. C'est ce à quoi contribue le projet de loi que nous examinons.
Le Président de la République l'a répété : nous devons nous habituer à vivre avec le virus. Devrons-nous pour autant nous habituer à vivre dans un droit extraordinaire au mépris de nos principes démocratiques ? Je ne le crois pas car ce serait un mauvais signe adressé à notre pays.
Nous disposons de tout l'arsenal juridique nécessaire dans notre législation pour affronter le risque épidémique et un éventuel rebond : ainsi l'article L. 3131‑1 du code de la santé publique autorise-t-il le ministre chargé de la santé à prendre toute mesure proportionnée aux risques et appropriée aux circonstances afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. La loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, promulguée le 23 mars dernier, donne au Gouvernement la possibilité de déclarer l'état d'urgence sanitaire, par décret, pour une durée deux mois.
Paradoxalement, il serait démocratique de rester fidèle à la loi du 23 mars 2020 qui permet au Parlement de contrôler régulièrement les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence, au lieu de proroger pour six mois un régime d'exception qui porte atteinte aux libertés individuelles fondamentales. À bien y regarder, on s'aperçoit que ce mécanisme transitoire met principalement en cause les droits de manifester, de se rassembler et de circuler. Dès lors, comment ne pas faire le parallèle entre l'acuité de la crise économique qui frappe notre pays et qui s'est tristement traduite, la semaine dernière, par des licenciements massifs, et ce régime transitoire qui ne porte en rien sur des questions sanitaires ni sur des mesures d'urgence propres à enrayer la pandémie, mais sur les libertés individuelles ? Cela pose un problème d'ordre démocratique qui n'aura pas échappé, du reste, au Conseil d'État. N'a-t-il pas, en juin dernier, constaté une atteinte grave et illégale au droit de manifester ? Il faut tenir compte de tous les jugements du Conseil d'État, pas seulement de ceux qui vont dans le sens du Gouvernement.