Je tiens à vous remercier pour cette invitation à m'exprimer devant vous. Ma feuille de route comprend effectivement deux textes concernant les collectivités territoriales.
Ces textes, dans leur vision globale, n'en font qu'un. Il s'agit tout d'abord d'un projet de loi organique visant à assouplir les expérimentations territoriales prévues à l'article 72 de la Constitution, qui reprend des propositions émises par le Conseil d'État dans un récent rapport. Passé en conseil des ministres le 23 juillet, il sera examiné en séance publique au Sénat le 2 novembre. Suivra son examen par l'Assemblée nationale, dont la date n'est pas encore fixée.
Le second texte est un projet de loi ordinaire dit « 3D », auquel il est envisagé d'ajouter un quatrième « D ». Le Premier ministre tient en effet à introduire dans la loi la notion de « décomplexification » des procédures – les trois autres « D » signifiant déconcentration, décentralisation et différenciation. Il me semble important de le rappeler car on oublie parfois la signification des acronymes. Or les lois doivent être lisibles pour nos concitoyens.
Le Gouvernement a entendu le besoin de stabilité exprimé par les élus locaux et les citoyens. En conséquence, nous excluons tout « big bang » territorial dans ce texte. Nous n'allons pas supprimer les départements, par exemple !
Nous avons également entendu les deux principaux besoins exprimés quant à l'action publique, à commencer par celui de proximité. Certaines réformes passées avaient tendance à aller vers des organisations toujours plus vastes – cela a marqué la première partie de la décennie 2010. Le besoin de proximité et de circuits courts n'en a été que plus prégnant. La loi « engagement et proximité » que nous étions venus présenter dans cette salle avec M. Sébastien Lecornu y répondait déjà.
Le second besoin est celui de l'efficacité. Nombre de territoires font déjà la preuve de leurs capacités d'innovation et d'action pour accélérer les grandes transitions contemporaines en économie, en écologie, dans le social ou le numérique. Ces territoires montrent également leurs capacités d'adaptation dans la crise sanitaire et économique que nous vivons.
Dans la période actuelle, les demandes de proximité et d'efficacité l'emportent sur beaucoup d'autres.
Par ailleurs, le vieux rêve du jardin à la française – une place pour chaque chose et chaque chose à sa place – s'est heurté aux multiples dynamiques et échanges qui dépassent toujours les cadres institutionnels. Dans un monde où les enjeux globaux et locaux s'articulent et s'entrechoquent chaque jour – ce qu'illustre tragiquement depuis plusieurs mois la crise sanitaire –, les territoires doivent avoir les moyens d'être plus dynamiques et plus élastiques pour répondre aux défis qui se présentent. L'inventivité – ou le bon sens – pousse d'ailleurs parfois les territoires à trouver des solutions non sur un périmètre administratif arrêté mais par le biais de coopérations. Ils peuvent travailler ensemble sans qu'il soit pour autant nécessaire de modifier les limites des collectivités territoriales. Cela existe depuis toujours, mais n'était pas assez connu, assez pratiqué, par les élus. Ainsi, le principe des ententes, en vigueur depuis le XIXe siècle, était insuffisamment utilisé. Nous pensions que, pour progresser, il fallait changer forcément les collectivités territoriales. Ce temps n'est pas révolu, car des évolutions sont toujours possibles, mais ce n'est plus la voie unique à emprunter. À nous, à travers les politiques publiques, de mieux prendre en compte la diversité, la singularité des territoires pour leur apporter des réponses adaptées à leurs besoins. C'est ce que j'appelle le « cousu main » ou le « sur-mesure ».
Cette nouvelle étape de décentralisation doit s'accompagner d'une confiance à l'égard des territoires et non prendre la forme d'une solution unique déployée sur l'ensemble du territoire français. Cela peut heurter certains dans leur souci d'équité et d'égalité de traitement. Nous le voyons d'ailleurs dans le cadre de la crise. Lorsque l'on a décidé de tout fermer partout, le vieux fond français était là. En revanche, lorsque l'on a commencé à dire que l'on fermait les bars et les restaurants dans la région de Marseille, cela a été perçu comme une façon de montrer du doigt ce territoire. Or ce n'était pas le cas. Il s'agissait de répondre à une situation donnée – une circulation plus importante du Covid-19 – nécessitant des mesures spécifiques.
En France, il existe toujours une ligne de crête entre le souci de l'unité nationale, ancré dans l'histoire de notre pays, et le besoin de répondre plus précisément aux diverses situations. J'y suis très attentive.
Je veux bien qu'il faille faire partout pareil, mais alors pourquoi y-a-t-il des zones franches urbaines (ZFU), ou des zones de revitalisation rurale (ZRR), ou encore une loi montagne ? Tous ces dispositifs ont été instaurés pour montrer qu'il fallait traiter et aider certains territoires différemment. Ainsi, la Creuse, dans laquelle je dois me rendre en fin de semaine, a des besoins qui lui sont propres. Ce n'est pas le département de la Seine-Saint-Denis, où j'étais récemment, qui a aussi ses problèmes spécifiques. Nous avons d'ailleurs élaboré un plan avec ce territoire.
C'est cela que nous voulons transcrire dans le cadre de l'expérimentation. Certains craignent que l'on touche à l'unité française et à l'égalité entre les territoires. Or c'est exactement le contraire que nous faisons. Nous cherchons à gagner en efficacité et à mieux répondre aux différences. L'État est garant des fonctions régaliennes qui fondent l'unité de la Nation, mais il faut répondre aux problèmes qui se posent dans les territoires. C'est la raison qui motive cette loi organique.
À travers ce projet de loi organique nous simplifierons la procédure issue de l'article 72-4 de la Constitution en supprimant la publication au Journal officiel comme condition d'entrée en vigueur de l'expérimentation et en allégeant le contrôle de légalité. Nous permettrons en outre la sortie de l'alternative radicale qui s'imposait précédemment entre généralisation et abandon de l'expérimentation. Si une mesure expérimentale fonctionne quelque part, elle pourra continuer à y être appliquée sans pour autant devoir s'appliquer sur l'ensemble du territoire français.
Le projet de loi ordinaire « 3D » traitera pour sa part de décentralisation et portera sur la transition écologique, le logement, et le transport. Nous tirerons aussi les leçons de la crise sanitaire dans le domaine de la santé et des solidarités. Avec ce nouveau texte, nous donnerons aux collectivités les bons outils pour accélérer les transitions sur ces quatre piliers notamment en examinant, politique publique par politique publique, les doublons qui existent entre l'action de l'État et celle des collectivités. Nous transférerons également aux collectivités locales des outils réglementaires qui leur donneront les mains libres pour agir dans leur champ de compétences. Ainsi, la norme sera prise par une délibération de la collectivité concernée et non par le biais d'une réglementation venue de Paris. La collectivité prendra donc ses responsabilités sur le plan réglementaire, dans son champ de compétences. Nous nous attacherons en outre à donner aux collectivités territoriales les moyens de mieux se répartir les compétences entre elles à travers des outils de gouvernance partagée.
La philosophie de ce projet de loi est donc bien, à l'instar du projet de loi organique, de favoriser l'expérimentation et le transfert de compétences en donnant aussi aux collectivités les moyens de travailler entre elles.
Nous accélérerons également la réforme de l'organisation territoriale de l'État – c'est ce que l'on appelle la déconcentration, destinée à rapprocher les moyens de l'État des territoires –, en lien avec M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, et Mme Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques.
Le quatrième « D » reprend la volonté du Premier ministre de simplifier plusieurs mesures.
J'en viens à la méthode et au calendrier. J'avais commencé en janvier 2020 à mener des concertations sur le territoire, qui se sont arrêtées avec la crise sanitaire. Pendant le confinement, j'ai tenu de nombreuses réunions en visioconférence, notamment avec les associations d'élus. Je travaille en effet à plusieurs niveaux : avec les associations d'élus et avec les élus sur le terrain. Il faut toujours aller sur le terrain, car il arrive que les discours des représentants nationaux des associations d'élus ne correspondent pas tout à fait à ce que l'on entend sur le terrain – surtout lorsqu'ils ont d'autres préoccupations… Ces concertations vont reprendre. Je serai ainsi le 5 octobre dans le Gers et le 12 octobre dans le département du Loir-et-Cher – chez moi. Il se trouve que ce département est au centre de la région Centre. Nous sommes donc doublement centristes !