Intervention de Paula Forteza

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 10h50
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaula Forteza, rapporteure :

Cette proposition de loi vise à réconcilier les futures générations avec la pratique du vote. Elle abaisse l'âge du premier vote à 16 ans.

Cette proposition, qui n'est pas nouvelle dans le débat public, n'est pas la mienne, ni celle du seul groupe EDS, ni celle d'un seul camp politique. Elle est avant tout celle de jeunes, d'associations, d'organisations, de personnalités publiques, de chercheurs, qui réfléchissent à cette question depuis de nombreuses années.

Cette proposition est celle de Matthieu, président de l'Union nationale lycéenne, qui milite pour que les lycéens et les lycéennes soient entendus au sein de leur établissement. Elle est celle d'Athénaïs, présidente du parti Allons enfants, qui encourage les jeunes à se présenter aux élections. Elle est celle d'Hugo, le plus jeune maire de France qui, à 19 ans, a choisi de représenter ses concitoyens de la commune de Vinzieux, en Ardèche. Elle est encore celle de Maryam, vice-présidente de l'Unef, qui veut que les jeunes acquièrent leur autonomie et leur indépendance, celle de Camille, porte-parole du collectif « On est prêt », qui nous alerte sur l'urgence climatique, celle de Brandy, fondateur de la Cité des chances, qui a créé un parcours citoyen pour les jeunes issus des quartiers populaires, afin de leur donner le goût de l'engagement, celle de Samuel et Radia, membres de l'association Coexister, qui milite pour l'inclusion et le respect entre les jeunes. C'est encore celle du Forum français de la jeunesse et du comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire, le CNAJEP, principaux réseaux associatifs de jeunesse, qui portent depuis de nombreuses années cette question dans le débat public. C'est celle des parents d'élèves de la FCPE qui, conscients que leurs enfants ont des choses à dire, souhaitent qu'ils puissent les exprimer démocratiquement. C'est enfin celle de l'Unicef qui nous rappelle que la place que nous devons accorder à nos enfants et à nos jeunes dans nos sociétés est une priorité politique majeure et mondiale. C'est donc au nom d'un collectif que je m'exprime aujourd'hui.

Nous sommes nombreux, dans cette assemblée, à penser qu'il faut, en effet, accorder une nouvelle place à la jeunesse dans notre démocratie. La crise de confiance entre nos institutions représentatives et nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, qui se détournent des urnes, nous pose problème. Les dernières échéances électorales ont montré une hausse de l'abstention, qui témoigne de la désaffection envers les politiques.

Cette proposition se veut être un message de confiance destiné à ceux qui feront notre avenir. Elle se justifie pour au moins trois raisons.

Tout d'abord, l'histoire de notre République, de notre démocratie, est intimement liée à l'extension du suffrage. De censitaire et capacitaire, il est progressivement devenu universel. Fixé à 30 ans sous la première Restauration, l'âge du droit de vote a été peu à peu abaissé jusqu'à celui de 18 ans, à l'occasion de la dernière grande réforme de 1974. Cette proposition s'inscrit dans le sens de l'histoire.

Il est souvent reproché à la jeunesse de ne pas être capable, légitime ou mûre pour faire des choix éclairés. Or, nous avons reconnu aux jeunes de 16 ans des droits et des devoirs qui les placent face à de lourdes responsabilités : exercer l'autorité parentale, travailler, payer des impôts, participer aux élections prud'homales, créer et administrer une association, adhérer à un parti politique, être responsable pénalement, mais aussi piloter un hélicoptère ou devenir sapeur-pompier.

Par ailleurs, cette réforme pourrait, sur le long terme, renforcer la participation aux élections, comme le soulignent de nombreux professeurs de droit, sociologues et politologues, spécialistes des élections. Par l'exercice du droit de vote et une formation civique appropriée, les jeunes concevront un intérêt plus fort et plus durable pour l'engagement politique et social. C'est pourquoi cette réforme doit s'accompagner de la mise en place d'un enseignement civique en milieu scolaire plus précoce et plus riche, afin de former les citoyens de demain.

L'attachement à la démocratie se transmet, s'explique, s'apprend : 90 % des jeunes votent à 18 ans puis cessent de le faire parce qu'ils n'en ont pas pris l'habitude et que leur vote leur semble inutile.

L'écart de participation entre les 25-35 ans et les plus de 65 ans atteint entre 25 et 35 points selon les élections, ce qui est inacceptable. La sous-représentation de leurs préférences fragilise notre système démocratique.

Enfin, cette génération est fortement mobilisée pour des causes qui lui tiennent à cœur. Les jeunes que nous avons rencontrés lors de nos travaux préparatoires nous ont dit combien l'urgence climatique les angoissait – ce qu'ils appellent l'éco-anxiété. Or, les décisions que nous prenons dans les domaines de l'écologie et de l'économie auront de lourdes conséquences pour eux. Concernant les discriminations, ils nous rappellent régulièrement qu'ils ne peuvent plus tolérer les injustices commises en raison de leur origine, de leur appartenance sociale ou de leur croyance religieuse.

Concernant la cause féministe, les jeunes femmes ne veulent plus d'une société patriarcale et inégalitaire. Elles répéteront d'ailleurs demain qu'elles entendent bien ne pas se faire dicter la manière dont elles s'habillent.

Chers collègues, à ceux qui douteraient du bien-fondé d'une telle mesure, je ne peux que les encourager à s'inspirer des exemples étrangers.

Plusieurs voisins européens ont déjà adopté une telle mesure. L'Autriche et Malte l'appliquent à toutes les élections, l'Allemagne, l'Écosse et l'Estonie aux élections locales. Les résultats sont probants puisqu'en Autriche, environ 80 % des 16-17 ans se rendent aux urnes.

Le débat, du reste, est à l'ordre du jour de plusieurs pays. Le Parlement suisse s'apprête à adopter un texte comparable. Les habitants de San Francisco seront consultés localement en novembre pour abaisser l'âge du vote à 16 ans. En Allemagne, trois partis ont demandé que cette mesure soit étendue au niveau fédéral.

Permettez-moi également de rappeler à mes collègues de la majorité l'engagement pris par le Président de la République, à l'occasion des élections européennes, de réfléchir à ce sujet si la jeunesse française faisait une démonstration de force et exerçait pleinement son droit de vote. Justement, la participation des jeunes à ces élections a augmenté de 14 %.

Pour toutes ces raisons, l'article 1er de cette proposition de loi prévoit de modifier l'article L. 2 du code électoral pour abaisser de 18 à 16 ans le droit de vote. J'ai déposé un amendement pour adapter le code civil et distinguer la majorité électorale de la majorité civile, qui serait maintenue à 18 ans, comme cela s'est déjà pratiqué dans le passé, notamment en faveur des jeunes médaillés de guerre. Un autre de mes amendements tendra à renforcer l'enseignement moral et civique prévu par le code de l'éducation, qui ne remplit pas suffisamment son rôle.

L'article 2, quant à lui, prévoit de rendre automatique l'inscription sur les listes électorales. Trop de personnes restent éloignées du processus électoral pour un problème d'inscription, qui se produit généralement lorsque les jeunes quittent le foyer familial pour étudier ou travailler dans une autre ville. Il convient de simplifier l'actualisation des listes électorales, l'information sur l'organisation du scrutin et les conditions de participation des électeurs.

Des réformes très utiles ont été adoptées récemment, en particulier les lois dites Pochon-Warsmann du 1er août 2016 qui ont créé le répertoire électoral unique. Nous devons poursuivre dans cette voie pour garantir à tous un égal accès au scrutin.

Le sujet de l'abaissement à 16 ans du droit de vote et, plus généralement, du renforcement de la participation des citoyens à la vie publique, nous engage tous, au-delà des étiquettes partisanes, que nous y soyons favorables ou non. Le renforcement de l'adhésion au fonctionnement démocratique de nos institutions est un défi que nous devons tous relever. La commission des Lois s'est illustrée, par le passé, dans ce domaine et je ne doute pas qu'elle poursuive dans sa lancée.

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