Intervention de Dominique Simonnot

Réunion du mardi 13 octobre 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Dominique Simonnot :

Les mots « contraindre » et « faire pression » semblent vous avoir choqués. Ils sont un peu forts, car je ne vais pas étrangler les ministres, mais je compte faire jouer à plein le devoir d'alerte et de contrôle imparti au Contrôleur général. Contraindre, pour moi, c'est en appeler à l'opinion publique, à mes collègues actuels, les journalistes, et à vous, parlementaires ; c'est tirer toutes les sonnettes d'alarme possibles si je constate que quelque chose ne va pas et ne trouve pas le moyen d'en sortir. Il ne suffit pas de dire « cela doit changer», il faut des changements tangibles. Or, je sais qu'Adeline Hazan était profondément déçue, agacée et même furieuse que beaucoup de ses recommandations ne soient pas suivies d'effet. Travailler pour une autorité indépendante à laquelle on donne des moyens mais qu'on laisse crier dans le désert est déprimant. À quoi sert-on si l'on a rapporté de manière impartiale, argumentée et prouvée des choses indignes mais qu'il ne se passe rien ? Peut-être mes mots ont-ils été maladroits ou trop forts, et je devrai certainement apprendre à parler une langue autre que la mienne, mais quand je les ai écrits, je n'ai pas eu le sentiment d'être hors les clous, et je n'envisage pas d'aller manifester devant le ministère de la Justice pour réclamer une mesure. Je n'emploierai évidemment que des moyens parfaitement légaux ; ce que je voulais dire, c'est que je ferai tout pour que ça marche.

Monsieur Paris, je souhaite que le contrôle général continue de travailler en liaison étroite avec votre commission et que toutes les ressources dont il dispose alimentent la réflexion commune sur un texte, que vous allez devoir adopter avant mars je crois, qui implique un mécanisme compliqué, puisqu'une personne détenue dans des conditions qu'elle estime indignes pourra en appeler au juge, qui devra aller vérifier ou faire vérifier sur place si tel est bien le cas – et que faire alors ? Libère-t-on le détenu concerné ? Le transfère-t-on ? De plus, vous serez appelés à faire appliquer le dispositif à tous les détenus : c'est la suite logique de la décision du Conseil constitutionnel que ce qui vaudra d'abord pour les détenus provisoires vaille demain pour tous les détenus. Dans tous les cas, le CGLPL travaillera avec vous comme il l'a fait au fil des ans.

Peut-être est-ce une autre maladresse de ma part d'évoquer la nécessité de vérifier le bien-fondé des investigations et actes de police, mais je n'ai pas voulu dire que le Contrôleur général devait mettre son nez dans les actes d'enquête. L'idée que j'ai exprimée figure dans un rapport d'Adeline Hazan et c'est une bonne idée. Il ne s'agit pas de dire à l'officier de police « Holà ! Vous n'avez pas à faire ça », mais de vérifier si les prolongations de garde à vue sont justifiées par les actes invoqués. Vous savez que, parfois, des gens sont gardés à vue beaucoup plus longtemps que prévu, pour mille raisons. Il importe de savoir si c'était vraiment utile, mais je ne prétends pas m'immiscer dans l'enquête d'une quelconque façon.

Monsieur Viala, vous vous interrogez sur mon impartialité et j'ai cru comprendre que vous voyez en moi une militante. Je n'ai jamais milité dans aucun parti ni aucune association ; je n'aimerais pas être militante, je trouve cela trop compliqué. Je pense avoir appris l'impartialité et l'indépendance dans mon métier de journaliste. Je ne saurai vous dire plus pour vous rassurer, sinon que j'espère exercer ces nouvelles fonctions, si vous en décidez ainsi, de la manière la plus honnête possible, non comme la passionaria que j'ai peut-être donné l'impression d'être. Je le répète, je ne compte nullement m'immiscer dans les actes d'enquête ; ce serait grotesque. Je me vois mal dire au juge d'instruction « Ça, ça ne va pas » ! Je l'ai dit, je considère que le contrôle général a pour rôle de vérifier que la garde à vue n'a pas duré trop longtemps et que les actes nécessaires ont pris un temps normal ; tout cela figure dans le rapport d'Adeline Hazan.

De même, s'agissant de la construction de places de prison, j'ai exprimé un avis rendu par Adeline Hazan et aussi par Jean-Marie Delarue et qu'à mon sens tout Contrôleur général a le droit d'avoir : étant donné l'état de certaines prisons, de certains locaux de garde à vue et de certains centres de rétention, mieux vaudrait ne pas construire plus mais plutôt rénover ce qui existe, quand ça peut l'être. Une journée en prison coûte plus de 100 euros par jour ; un bracelet électronique, moins de 15 euros par jour. Je tiens compte de ces considérations financières car avec des budgets particulièrement contraints, il est mieux de dépenser moins pour avoir un plus grand effet. La réinsertion sociale, quand on y consacre les moyens nécessaires, et le travail d'intérêt général peuvent très bien remplacer une cellule et coûtent beaucoup moins cher. Bien des gens, pas seulement des militants, le disent aussi. C'est un point de vue sociétal exprimé par des professeurs, des universitaires, des parlementaires, des gens qui font mon ancien métier et des magistrats. Je ne vois pas ce qu'il y a de militant dans cette observation.

J'ai regretté avoir écrit que je trouverai normal de souligner « de temps en temps » ce qui va bien, mais mes réponses au questionnaire étaient déjà parties – avec une coquille, qui plus est. Toujours dire quand les choses vont bien est une meilleure façon d'avancer avec les administrations, donner en exemple les bonnes pratiques permet qu'elles soient reproduites. C'est dire aussi que tout n'est pas désespérant, que des gens travaillent dans le sens du progrès. Il est bien de mettre en exergue les bonnes expériences pour qu'elle soient reprises ; c'est une façon de faire républicaine. Dire du bien de ce qui est bien, c'est aussi une manière de bien travailler avec les administrations et de réfléchir avec elles. Mon optique n'est aucunement de cogner à tour de bras sans arrêt sur tout. Encore une fois, je ne me sens pas militante ; « engagée » ne signifie pas « militante » – un mot qui, au demeurant, n'est pas une insulte.

Madame Untermaier, je partage votre point de vue, qui est aussi celui de Mme Hazan, sur la régulation carcérale et les libérations anticipées ; ce n'est pas une opinion militante mais une opinion engagée… Et puisque les détenus en fin de peine vont sortir de prison, il faut tout faire pour qu'ils en sortent meilleurs qu'ils n'y sont entrés. Ce n'est pas un vœu pieu, c'est un souhait profond que doit avoir toute la société, pas seulement les parlementaires, le contrôle général, les magistrats, les directeurs de prison ou les éducateurs. Je ne vis pas dans un monde de Bisounours : je sais parfaitement que des gens doivent être enfermés, je ne suis pas favorable à ce qu'on laisse sortir tout le monde de prison, mais quand des détenus sont en fin de peine, il me semble intelligent de mettre en œuvre des mesures permettant qu'ils soient à la fois encadrés et dehors.

Il serait formidable de rendre l'enseignement en prison obligatoire, mais les conditions ne s'y prêtent pas quand, dans les anciennes prisons, les surveillants sont dans l'incapacité d'amener les détenus à la douche plus d'une ou deux fois par semaine, quand il n'y a pas de travail, peu d'activités et peu de promenades car cela demande toute une organisation. C'est un tout : la régulation carcérale entraînera peut-être un peu plus d'enseignement en prison. Cela étant, on a des exemples de détenus qui ont réussi des études exceptionnelles en prison, grâce à l'administration qui s'est beaucoup ouverte sur l'extérieur. Il faudrait multiplier les cours, mais il faudrait aussi que chacun puisse choisie la voie dans laquelle il voudrait aller. J'espère que vous ferez des propositions en ce sens.

J'ai lu le rapport d'Adeline Hazan sur l'isolement et la contention dans les établissements de santé mentale et sur les atteintes, plus ou moins grandes, à la dignité des personnes, qui y sont commises. C'est terrible, parce que les malades se trouvent dans un lieu qui a tout du carcéral pendant que la prison joue le rôle asilaire des anciens hôpitaux psychiatriques où, comme vous le savez, beaucoup de lits ont été fermés. Sans doute faudrait‑il, là encore, de l'argent, des moyens pour développer des centres d'accueil de jour. Les lits en psychiatrie ont été fermés au prétexte qu'on allait réintroduire, comme on disait à l'époque, « le fou dans la cité » et que l'on créerait en parallèle des places dans des centres médico-psychologiques de jour. Mais le nombre de ces places est notoirement insuffisant, si bien que les malades qui décompensent sont envoyés dans les services fermés des hôpitaux psychiatriques, où le personnel est insuffisant et épuisé et où se produisent des dérives qui font froid dans le dos. On en sortira, je pense, en créant des places à l'extérieur, pour éviter que des gens décompensent complétement et finissent hospitalisés d'office. J'ai malheureusement eu à connaître de ces questions chez des proches ; je sais combien il est perturbant de décider qu'un proche doit être enfermé, et qu'il l'est plus encore de constater qu'il est enfermé dans des conditions effrayantes. La récente décision du Conseil constitutionnel, qui vous oblige à légiférer sur l'encadrement des mesures d'isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement, place la balle dans votre camp.

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