Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mardi 13 octobre 2020 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

La réunion débute à 17 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Dominique Simonnot dont la nomination dans les fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté est proposée par le Président de la République, puis vote sur cette proposition de nomination dans les conditions prévues par l'article 29 du Règlement (M. Stéphane Peu, rapporteur).

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Nous sommes réunis pour entendre Mme Dominique Simonnot dont la nomination dans les fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté est proposée par le Président de la République. Nous voterons ensuite sur cette proposition et, le Sénat ayant entendu Mme Simonnot cet après-midi, nous pourrons procéder au dépouillement des bulletins simultanément.

Ainsi que le prévoit l'article 29-1 du règlement de l'Assemblée nationale, nous avons désigné un rapporteur, en la personne de M. Stéphane Peu. Il a adressé un questionnaire à Mme Simonnot, dont les réponses ont été transmises aux commissaires et mises en ligne sur le site internet de l'Assemblée nationale.

La nomination de Mme Simonnot ne pourra avoir lieu si l'addition des votes négatifs des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat représente plus des trois cinquièmes de l'ensemble des suffrages exprimés.

(Mme Dominique Simonnot est introduite dans la salle).

Madame Simonnot, le Président de la République envisage de vous nommer en qualité de Contrôleur général des lieux de privation de liberté, fonction très importante. Nous avons beaucoup travaillé au cours de cette législature sur les questions relatives à la détention ; nous avons auditionné régulièrement votre prédécesseure, le directeur de l'administration pénitentiaire et le garde des Sceaux, et nous nous rendons fréquemment dans les lieux de privation de liberté, qu'il s'agisse de lieux de détention ou de centres de rétention administrative.

J'ai déploré la vacance de plusieurs mois, depuis le départ de Mme Adeline Hazan, à la tête du Contrôle général des lieux de privation de liberté. Elle a empêché que les contrôles puissent s'effectuer, ce qui est particulièrement regrettable dans les circonstances sanitaires actuelles, et je suis heureuse qu'elle prenne peut-être bientôt fin.

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Je regrette également le retard avec lequel cette proposition de nomination est formulée ; chacun savait pourtant à quelle date le mandat de Mme Hazan s'achèverait. Il n'est pas acceptable que la France soit restée plusieurs mois sans Contrôleur général des lieux de privation de liberté et cela me paraît d'autant plus grave que les circonstances sanitaires compliquent considérablement la vie des détenus.

Institué par la loi du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante, « est chargé de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux ». Ses missions et ses prérogatives ont été complétées et renforcées par la loi du 26 mai 2014 qui prévoit, entre autres, qu'« il exerce […] le contrôle de l'exécution par l'administration des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre d'étrangers jusqu'à leur remise aux autorités de l'État de destination ». Dans un pays condamné dix-sept fois par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en raison de conditions d'incarcération contraires à la dignité humaine, la fonction de Contrôleur général est indispensable pour faire progresser la garantie des droits fondamentaux des personnes détenues.

Le garde des Sceaux l'a rappelé la semaine dernière encore : l'état d'une démocratie se mesure aussi à l'état de ses prisons. Il a annoncé que, pour donner suite à la récente décision du Conseil constitutionnel qui impose la prise en compte des conditions de détention avec une échéance au 1er mars 2021, il avait demandé à ses services de travailler activement à la rédaction d'une nouvelle loi à ce sujet. Si vous êtes nommée aux fonctions de Contrôleur général des lieux de privation de liberté, madame, vous arriverez donc à un moment charnière pour notre système carcéral. Vous aurez bien sûr un rôle important à jouer dans ce cadre : le Contrôleur général et ses équipes peuvent demander tout élément d'information et, surtout, se rendre dans les lieux de privation de liberté à tout moment pour des visites planifiées ou inopinées qui ne peuvent être refusées que pour des motifs graves et impérieux précisés par la loi. Depuis 2008, 1 367 établissements ont été contrôlés lors de 1 691 visites, pour un total de 5 205 lieux de privation de liberté en France. Ce travail, qui devra bien sûr être poursuivi, enrichira utilement les travaux législatifs à venir.

Les attentes sont grandes en matière d'amélioration des conditions de vie carcérales mais les lieux de privation de liberté autres que les prisons ne doivent pas être négligés, qu'il s'agisse des locaux de garde à vue, des dépôts et des geôles des tribunaux, des centres éducatifs fermés, des centres de rétention administrative, des établissements de soins psychiatriques sans consentement... C'est ce travail complet, essentiel, que devra poursuivre la personne désignée pour succéder à Mme Adeline Hazan. Tout en reconnaissant des progrès dus à un travail fécond, celle-ci regrettait, lors de sa dernière audition par notre commission, que certaines de ses alertes soient ignorées et que, parfois, les réponses du ministre à une recommandation formulée par le Contrôleur général n'arrive pas à temps, ou pas du tout. L'incarnation du contrôle des lieux de privation de liberté qu'est le Contrôleur général rend cette fonction fondamentale ; la proposition de votre nomination est donc un moment important.

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Dominique Simonnot

J'ai été la première surprise par cette proposition de nomination, à laquelle je ne m'attendais absolument pas. Je n'y ai pas pensé, je ne me suis pas portée candidate et j'ai eu besoin d'un moment d'ajustement pour l'envisager : vais-je vraiment quitter Le Canard enchaîné ? Suis-je apte à cette fonction ? Suis-je vraiment la personne qu'il faut ? Puis j'ai fait un retour sur ma vie, sur mon premier vrai emploi, celui de conseillère d'insertion et de probation – déléguée à la probation, disait-on alors – au sein de l'administration pénitentiaire. J'y ai été, pendant plus de dix ans, sans cesse confrontée, comme mes collègues, à d'innombrables obstacles pour obtenir une chambre dans un hôtel ou une place dans un foyer de réinsertion par exemple et je m'arrachais les cheveux pour trouver un travail à nos « petits gars » – ils étaient souvent si jeunes ! –, fréquemment en démarchant les gens que je connaissais.

Puis, j'ai eu une autre chance : celle de devenir journaliste, d'abord à Libération, où l'on m'a confié les sujets de l'immigration puis de la justice. J'ai pu dépeindre mon ancien métier, dur, formidable et ignoré de tous – on me tenait, quand j'en parlais, pour une « gardienne de prison » … –, pensant que peut-être, ainsi, les gens comprendraient que ce métier est indispensable et que cela ferait avancer les choses. J'ai aussi parlé du rôle des juges de l'application des peines. J'ai beaucoup écrit sur les prisons, les centres de rétention, les sans‑papier – tous ces sujets qui nous tiennent à cœur car ils concernent des gens aux marges de la société, comme sont aux marges de la société les lieux un peu cachés que doit contrôler le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Ces sujets sont aussi un peu mystérieux pour ceux qui ne fréquentent pas des sans‑logis, des sans‑papiers, des prisonniers, des malades mentaux, des mineurs délinquants.

Ces sujets m'ont toujours tenu à cœur et quand je suis entrée au Canard enchaîné, il y a quatorze ans, j'ai continué de traiter de ces questions et de me bagarrer pour faire passer mes papiers sur ce peuple de l'ombre. J'ai eu beaucoup de mal à me décider à quitter ce journal. Parce qu'il vit sans publicité et sans actionnaires et n'appartient qu'à ses salariés, j'y ai appris ce qu'est l'indépendance véritable. Si vous me faites l'honneur de me nommer aux fonctions auxquelles je suis proposée, je laisserai d'ailleurs derrière moi mes parts du Canard enchaîné, qui sont incessibles : c'est la formule imaginée pour garantir son indépendance.

L'indépendance indispensable au contrôle, je l'ai apprise là, mais auparavant déjà, dans mon métier d'éducatrice, j'étais une post-soixante-huitarde assez rebelle. Si je suis nommée, j'exercerai mes fonctions avec indépendance et impartialité. Je suis consciente de l'énormité de la tâche, et je n'éprouve pas de plaisir particulier à cogner sur les administrations. J'ai horreur, en particulier, que l'on tape gratuitement sur l'administration pénitentiaire : ce n'est pas une chaîne d'hôtels qui peuvent afficher « complet, on n'entre plus », ce que ne manqueraient pas de faire les directeurs d'établissement et les surveillants s'ils le pouvaient. Comme ils ne le peuvent pas, on compte dans les prisons françaises un surveillant pour cent-dix détenus – je ne sais si l'on prend la mesure de ce que c'est –, dans des lieux où un tiers des personnes incarcérées souffrent de graves pathologies mentales. Une maladie mentale est en soi une souffrance horrible, mais être enfermé en plus ? C'est aussi une souffrance et une inquiétude pour les membres du personnel pénitentiaire, qui ne sont pas plus infirmiers psychiatriques que nous ne le sommes – et je ne pense pas que nous supporterions cela très longtemps. Des mesures ont certes été prises pour réduire la population carcérale dans le contexte de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, mais, malheureusement, les chiffres remontent. Les maisons d'arrêt étaient pleines à craquer, jusqu'à 180 % de leur capacité ; j'ignore absolument comment les mesures de distanciation peuvent y être respectées.

Mme Adeline Hazan a promu un système de régulation carcérale qu'il faudrait vraiment mener à son terme. Le Conseil constitutionnel a donné cinq mois au Parlement pour adopter une loi permettant aux personnes placées en détention provisoire de faire respecter leur droit d'être incarcérées dans des conditions dignes ; vous allez donc y réfléchir. Quel que soit le Contrôleur général nommé, ses équipes seront à vos côtés, et peut-être légiférerez-vous, en toute logique, afin que le texte s'applique à tous les détenus.

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Vous ne vous attardez pas, dans vos réponses écrites, sur les centres éducatifs fermés ni, plus généralement, sur la privation de liberté des mineurs ; pourriez-vous nous en dire quelques mots ? Vous approuvez le mécanisme de régulation carcérale qu'Adeline Hazan appelait de ses vœux et dites, dans vos réponses au questionnaire, considérer que la création de nouvelles places de prison ne permet pas de répondre à la surpopulation carcérale ; pouvez-vous préciser votre point de vue ? Enfin, vous souhaitez raccourcir le délai de publication des rapports du contrôle général ; pourriez-vous également nous en dire plus ?

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Dominique Simonnot

Centres éducatifs fermés et foyers de l'enfance forment un tout car la prise en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) peut connaître des ratés. Si l'enfant est confié à une mauvaise famille, s'il est affecté à un foyer où les choses se passent très mal, s'il est enlevé brutalement à ses parents, tout peut partir en vrille. Je l'ai constaté sans cesse quand j'étais éducatrice. Puis, en assistant pendant vingt ans aux audiences de comparution immédiate, j'ai vu qu'un grand nombre de prévenus sont des jeunes gens qui ont été mis à la rue ou qui sortent de leur prise en charge par l'ASE. On se doute qu'être pauvres et ne pas recevoir beaucoup d'éducation ne destine pas toujours ces enfants à prendre le chemin de l'École polytechnique, mais il est tellement horrible d'entendre le juge dire que tel prévenu a été placé à l'âge de six mois puis ballotté de familles d'accueil en foyers ! Il n'est peut-être pas étonnant qu'à dix-huit ans ces jeunes gens n'aient pas de travail, alors qu'il y a beaucoup de chômage et qu'ils n'ont ni les outils ni les relations qui leur permettraient de s'en sortir.

L'ASE réussit par ailleurs des choses formidables, mais pour les jeunes filles et les jeunes gens placés dans des centres éducatifs fermés, Mme Adeline Hazan a souligné que de gros efforts sont nécessaires, notamment pour la formation du personnel et pour l'enseignement dispensé aux résidants, en les orientant vers des métiers qui leur plaisent. Dans la jeunesse, même délinquante, il y a beaucoup de dons, de vigueur, de vivacité et de drôlerie – et beaucoup de souffrance aussi. Il faut faire quelque chose. À quoi sert de dépenser tant d'argent pour créer ces centres si les gens en sortent plus mauvais qu'ils n'y sont entrés ou s'ils n'ont qu'une envie, en partir ?

Mme Adeline Hazan préconise un mécanisme de régulation carcérale. C'est un sujet ancien et la réflexion a beaucoup évolué ; le système de numerus clausus par exemple est finalement critiqué car il ne permet pas l'égalité devant la loi. Ce serait un incroyable progrès – mais ce qui est véritablement incroyable est que cela ne soit pas déjà le cas – que tous les magistrats siégeant au tribunal correctionnel, notamment pour les comparutions immédiates, pourvoyeuses de plus de 50 % des détentions, soient informés en temps réel de l'état des prisons de leur ressort. Alors décideraient-ils peut-être de s'emparer enfin de toutes les alternatives à l'incarcération, dont les bracelets électroniques et les incarcérations à domicile, peines très contraignantes et difficiles à supporter. Ce sont de vraies peines, contraignantes, qui peuvent vous interdire d'approcher tels endroits ou vous imposer d'être rentré chaque jour à une heure précise. Il existe également le travail d'intérêt général, peine d'une extraordinaire utilité car elle remet l'intéressé dans la société et lui met un pied à l'étrier en le réhabituant au travail. L'éventail des peines alternatives à l'incarcération est large ; il y a plus de possibilités qu'avant et il serait formidable que tous les magistrats s'en emparent pour de bon. Cela demandera un peu de moyens.

Réduire le délai de publication des rapports du contrôle général est une nécessité absolue. Si un an s'écoule entre la visite d'un lieu de privation de liberté et la publication du rapport le concernant, l'endroit peut avoir beaucoup changé et la perception que l'on en donne n'est pas juste. Si je suis nommée, je mettrai à ce sujet mon expérience de journaliste au service du contrôle général. Un journal ne peut sortir avec un grand espace blanc : on rend son papier en temps et en heure. Ce doit être possible au contrôle général aussi.

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Dans votre réponse à la troisième question du rapporteur, vous écrivez : « […] il appartient au CGLPL de trouver les voies et moyens de contraindre le Gouvernement à tenir compte de ses recommandations », et à la cinquième question : « Je souligne en tout cas qu'il n'appartient pas au CGLPL d'améliorer les conditions de détention, mais de recommander aux responsables politiques de le faire et d'exercer la pression nécessaire pour les y contraindre ». « Contraindre le Gouvernement », « faire pression sur les responsables politiques »… Comment envisagez-vous le rôle du contrôle général ?

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Vos prédécesseurs avaient, avant leur nomination, des fonctions de fonctionnaire d'État ou de magistrat qui les prédisposaient peut-être davantage à ces fonctions. Votre parcours professionnel vous a pourtant donné une solide connaissance de la prison. S'agissant de la traduction législative de la décision du Conseil constitutionnel, comment pourriez-vous nous aider à revoir l'article 144-1 du code de procédure pénale ? La modification demandée est simple sur le plan technique mais compliquée à mettre en œuvre.

Votre réponse à la huitième question du rapporteur m'inquiète. Vous souhaitez « renforcer le contrôle de la garde à vue, en examinant, notamment, la nécessité des mesures et les actes d'investigation conduits ». Je n'ai pas le sentiment qu'il revienne au Contrôleur général de contrôler l'opportunité des actes des services de police et de gendarmerie en matière de garde à vue. Cela appelle quelques explications.

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Madame, vous avez présenté avec sincérité un parcours de femme engagée et exprimé votre point de vue sur plusieurs aspects de la fonction de Contrôleur général. Aurez‑vous l'impartialité nécessaire à cette fonction, pour que vos convictions n'interfèrent pas dans votre appréciation de l'organisation du milieu carcéral ? S'agissant de la régulation carcérale, vous avez commencé d'évoquer d'autres pistes que l'augmentation du nombre de places de prison ; pourriez-vous préciser votre propos ? Enfin, j'aimerais aussi en savoir davantage sur votre vision du lien entre contrôle de la garde à vue et investigations.

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Madame, si vous êtes nommée Contrôleur général, vous serez à la tête d'une autorité administrative indépendante à laquelle il ne revient pas de définir la politique carcérale. Or, dans vos réponses au questionnaire, vous indiquez plusieurs fois votre opposition à la construction de nouvelles prisons, portant ainsi une appréciation sur ce que doit être la politique carcérale et la décision du Parlement. Outre que cette prise de position ne relève pas du CGLPL, elle est contraire à la volonté du Président de la République de mener à bien un programme déjà budgété de construction de nouvelles places de prison. Pouvez-vous nous éclairer sur votre conception de la fonction de Contrôleur général ?

Dans votre réponse à la neuvième question du rapporteur, vous écrivez « […] je ne me priverai jamais de rendre publics les manquements ou l'indignité de situations constatés par le CGLPL. Mais je trouverai également normal, de temps en temps, de souligner ce qui va bien. » « Jamais » d'une part, « de temps en temps » d'autre part… Cette différence d'approche est surprenante. Dire ce qui va bien, c'est aussi un moyen de faire évoluer les doctrines et les actes. N'est-ce pas là un regard de militante plutôt que de Contrôleur général des lieux de privation de liberté ?

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Nous avons été heureux de vous entendre, madame. Vous connaissez bien le monde de la prison et vous aurez une approche profondément humaine. Je partage votre analyse relative à la surpopulation carcérale. Mme Adeline Hazan appelait à la libération anticipée des détenus qui sont à six mois ou moins de la fin de leur peine ; partagez-vous cet avis ? Parler de libération anticipée signifie que les détenus concernés sont en phase de réinsertion, ce qui passe par un emploi. Le droit à l'enseignement en prison, enjeu majeur, doit être garanti. Or, l'enseignement vient souvent en dernière position dans le quotidien des personnes détenues. Considérez-vous qu'il faille rendre la formation en prison obligatoire?

Au sujet de l'enfermement sans consentement de patients en service de soins psychiatriques, Mme Adeline Hazan a indiqué que l'hospitalisation à temps plein s'accompagne d'atteintes plus ou moins graves au droit des patients et à leur dignité : régime d'interdictions strictes, enfermement injustifié, isolement et contention banalisés, informations non fournies... Est-ce un sujet majeur pour vous ? Quelles pistes d'amélioration proposez-vous, sans altérer, évidemment, les traitements thérapeutiques ?

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Dominique Simonnot

Les mots « contraindre » et « faire pression » semblent vous avoir choqués. Ils sont un peu forts, car je ne vais pas étrangler les ministres, mais je compte faire jouer à plein le devoir d'alerte et de contrôle imparti au Contrôleur général. Contraindre, pour moi, c'est en appeler à l'opinion publique, à mes collègues actuels, les journalistes, et à vous, parlementaires ; c'est tirer toutes les sonnettes d'alarme possibles si je constate que quelque chose ne va pas et ne trouve pas le moyen d'en sortir. Il ne suffit pas de dire « cela doit changer», il faut des changements tangibles. Or, je sais qu'Adeline Hazan était profondément déçue, agacée et même furieuse que beaucoup de ses recommandations ne soient pas suivies d'effet. Travailler pour une autorité indépendante à laquelle on donne des moyens mais qu'on laisse crier dans le désert est déprimant. À quoi sert-on si l'on a rapporté de manière impartiale, argumentée et prouvée des choses indignes mais qu'il ne se passe rien ? Peut-être mes mots ont-ils été maladroits ou trop forts, et je devrai certainement apprendre à parler une langue autre que la mienne, mais quand je les ai écrits, je n'ai pas eu le sentiment d'être hors les clous, et je n'envisage pas d'aller manifester devant le ministère de la Justice pour réclamer une mesure. Je n'emploierai évidemment que des moyens parfaitement légaux ; ce que je voulais dire, c'est que je ferai tout pour que ça marche.

Monsieur Paris, je souhaite que le contrôle général continue de travailler en liaison étroite avec votre commission et que toutes les ressources dont il dispose alimentent la réflexion commune sur un texte, que vous allez devoir adopter avant mars je crois, qui implique un mécanisme compliqué, puisqu'une personne détenue dans des conditions qu'elle estime indignes pourra en appeler au juge, qui devra aller vérifier ou faire vérifier sur place si tel est bien le cas – et que faire alors ? Libère-t-on le détenu concerné ? Le transfère-t-on ? De plus, vous serez appelés à faire appliquer le dispositif à tous les détenus : c'est la suite logique de la décision du Conseil constitutionnel que ce qui vaudra d'abord pour les détenus provisoires vaille demain pour tous les détenus. Dans tous les cas, le CGLPL travaillera avec vous comme il l'a fait au fil des ans.

Peut-être est-ce une autre maladresse de ma part d'évoquer la nécessité de vérifier le bien-fondé des investigations et actes de police, mais je n'ai pas voulu dire que le Contrôleur général devait mettre son nez dans les actes d'enquête. L'idée que j'ai exprimée figure dans un rapport d'Adeline Hazan et c'est une bonne idée. Il ne s'agit pas de dire à l'officier de police « Holà ! Vous n'avez pas à faire ça », mais de vérifier si les prolongations de garde à vue sont justifiées par les actes invoqués. Vous savez que, parfois, des gens sont gardés à vue beaucoup plus longtemps que prévu, pour mille raisons. Il importe de savoir si c'était vraiment utile, mais je ne prétends pas m'immiscer dans l'enquête d'une quelconque façon.

Monsieur Viala, vous vous interrogez sur mon impartialité et j'ai cru comprendre que vous voyez en moi une militante. Je n'ai jamais milité dans aucun parti ni aucune association ; je n'aimerais pas être militante, je trouve cela trop compliqué. Je pense avoir appris l'impartialité et l'indépendance dans mon métier de journaliste. Je ne saurai vous dire plus pour vous rassurer, sinon que j'espère exercer ces nouvelles fonctions, si vous en décidez ainsi, de la manière la plus honnête possible, non comme la passionaria que j'ai peut-être donné l'impression d'être. Je le répète, je ne compte nullement m'immiscer dans les actes d'enquête ; ce serait grotesque. Je me vois mal dire au juge d'instruction « Ça, ça ne va pas » ! Je l'ai dit, je considère que le contrôle général a pour rôle de vérifier que la garde à vue n'a pas duré trop longtemps et que les actes nécessaires ont pris un temps normal ; tout cela figure dans le rapport d'Adeline Hazan.

De même, s'agissant de la construction de places de prison, j'ai exprimé un avis rendu par Adeline Hazan et aussi par Jean-Marie Delarue et qu'à mon sens tout Contrôleur général a le droit d'avoir : étant donné l'état de certaines prisons, de certains locaux de garde à vue et de certains centres de rétention, mieux vaudrait ne pas construire plus mais plutôt rénover ce qui existe, quand ça peut l'être. Une journée en prison coûte plus de 100 euros par jour ; un bracelet électronique, moins de 15 euros par jour. Je tiens compte de ces considérations financières car avec des budgets particulièrement contraints, il est mieux de dépenser moins pour avoir un plus grand effet. La réinsertion sociale, quand on y consacre les moyens nécessaires, et le travail d'intérêt général peuvent très bien remplacer une cellule et coûtent beaucoup moins cher. Bien des gens, pas seulement des militants, le disent aussi. C'est un point de vue sociétal exprimé par des professeurs, des universitaires, des parlementaires, des gens qui font mon ancien métier et des magistrats. Je ne vois pas ce qu'il y a de militant dans cette observation.

J'ai regretté avoir écrit que je trouverai normal de souligner « de temps en temps » ce qui va bien, mais mes réponses au questionnaire étaient déjà parties – avec une coquille, qui plus est. Toujours dire quand les choses vont bien est une meilleure façon d'avancer avec les administrations, donner en exemple les bonnes pratiques permet qu'elles soient reproduites. C'est dire aussi que tout n'est pas désespérant, que des gens travaillent dans le sens du progrès. Il est bien de mettre en exergue les bonnes expériences pour qu'elle soient reprises ; c'est une façon de faire républicaine. Dire du bien de ce qui est bien, c'est aussi une manière de bien travailler avec les administrations et de réfléchir avec elles. Mon optique n'est aucunement de cogner à tour de bras sans arrêt sur tout. Encore une fois, je ne me sens pas militante ; « engagée » ne signifie pas « militante » – un mot qui, au demeurant, n'est pas une insulte.

Madame Untermaier, je partage votre point de vue, qui est aussi celui de Mme Hazan, sur la régulation carcérale et les libérations anticipées ; ce n'est pas une opinion militante mais une opinion engagée… Et puisque les détenus en fin de peine vont sortir de prison, il faut tout faire pour qu'ils en sortent meilleurs qu'ils n'y sont entrés. Ce n'est pas un vœu pieu, c'est un souhait profond que doit avoir toute la société, pas seulement les parlementaires, le contrôle général, les magistrats, les directeurs de prison ou les éducateurs. Je ne vis pas dans un monde de Bisounours : je sais parfaitement que des gens doivent être enfermés, je ne suis pas favorable à ce qu'on laisse sortir tout le monde de prison, mais quand des détenus sont en fin de peine, il me semble intelligent de mettre en œuvre des mesures permettant qu'ils soient à la fois encadrés et dehors.

Il serait formidable de rendre l'enseignement en prison obligatoire, mais les conditions ne s'y prêtent pas quand, dans les anciennes prisons, les surveillants sont dans l'incapacité d'amener les détenus à la douche plus d'une ou deux fois par semaine, quand il n'y a pas de travail, peu d'activités et peu de promenades car cela demande toute une organisation. C'est un tout : la régulation carcérale entraînera peut-être un peu plus d'enseignement en prison. Cela étant, on a des exemples de détenus qui ont réussi des études exceptionnelles en prison, grâce à l'administration qui s'est beaucoup ouverte sur l'extérieur. Il faudrait multiplier les cours, mais il faudrait aussi que chacun puisse choisie la voie dans laquelle il voudrait aller. J'espère que vous ferez des propositions en ce sens.

J'ai lu le rapport d'Adeline Hazan sur l'isolement et la contention dans les établissements de santé mentale et sur les atteintes, plus ou moins grandes, à la dignité des personnes, qui y sont commises. C'est terrible, parce que les malades se trouvent dans un lieu qui a tout du carcéral pendant que la prison joue le rôle asilaire des anciens hôpitaux psychiatriques où, comme vous le savez, beaucoup de lits ont été fermés. Sans doute faudrait‑il, là encore, de l'argent, des moyens pour développer des centres d'accueil de jour. Les lits en psychiatrie ont été fermés au prétexte qu'on allait réintroduire, comme on disait à l'époque, « le fou dans la cité » et que l'on créerait en parallèle des places dans des centres médico-psychologiques de jour. Mais le nombre de ces places est notoirement insuffisant, si bien que les malades qui décompensent sont envoyés dans les services fermés des hôpitaux psychiatriques, où le personnel est insuffisant et épuisé et où se produisent des dérives qui font froid dans le dos. On en sortira, je pense, en créant des places à l'extérieur, pour éviter que des gens décompensent complétement et finissent hospitalisés d'office. J'ai malheureusement eu à connaître de ces questions chez des proches ; je sais combien il est perturbant de décider qu'un proche doit être enfermé, et qu'il l'est plus encore de constater qu'il est enfermé dans des conditions effrayantes. La récente décision du Conseil constitutionnel, qui vous oblige à légiférer sur l'encadrement des mesures d'isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement, place la balle dans votre camp.

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Je souhaite vivement que nous puissions travailler avec vous, si votre nomination est confirmée, aussi fructueusement que nous l'avons fait avec Mme Adeline Hazan, et qu'une qualité de travail identique continue de nourrir la réflexion de notre commission. Le Conseil d'État vient d'estimer que le protocole sanitaire de la maison d'arrêt de Seysses-Toulouse suffit à la dispenser de mettre des masques à la disposition de tous les détenus sans contact avec des personnes de l'extérieur et de lancer une campagne de dépistage systématique du Covid-19. Cette décision a provoqué quelques remous, singulièrement dans le contexte de dégradation de la situation sanitaire à Toulouse, zone placée en alerte maximale. Sans commenter la décision du Conseil d'État, comment entendez-vous dresser le bilan de la gestion de la crise sanitaire par les établissements pénitentiaires pour mesurer les réussites, les erreurs et les éventuelles atteintes aux libertés fondamentales ?

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Madame, j'ai apprécié votre indépendance d'esprit, votre volonté de bien faire et votre humanité. Être à la tête d'une autorité administrative suppose un vocabulaire un peu plus feutré ; ce qui est outrancier étant insignifiant, tout est dans la manière de faire passer ses idées, en utilisant les bons mots au bon endroit pour bien se faire comprendre, et on vous aidera à le faire : les fonctionnaires qui ont l'habitude de ces choses n'en serviront que mieux le message que vous voulez faire passer. Les lieux de privation de liberté sont des lieux de souffrance. Le Contrôleur général a donc un rôle important dans nos institutions, car il y a là un enjeu démocratique et un enjeu humanitaire ; on comprend que vous essayerez de faire le mieux possible. Notre assemblée avait débattu de l'interdiction de retenir des mineurs dans les centres de rétention administrative. Je sais que vous serez sensible à ces questions, respectueuse des gens qui y travaillent et de l'institution. Quant au fait que les recommandations ne sont pas forcément suivies d'effet, nous en savons aussi quelque chose !

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Quel est votre avis sur les prisons ouvertes, modèle plus développé à l'étranger que dans notre pays ? Dans les hôpitaux psychiatriques, des mesures de contention et d'isolement sont prises pour des raisons médicales. La décision du Conseil constitutionnel interroge ces pratiques : comment articuler avis médical, traçabilité des actes du personnel hospitalier et intervention d'un juge – qui, pour l'instant, n'existe pas réellement – sur les mesures prises ? Sur un autre plan, le Défenseur des droits a lui aussi une compétence en matière de prisons ; n'y a-t-il pas un risque de télescopage entre les deux institutions ? Comment envisagez-vous le modus vivendi entre vos compétences respectives ?

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Effectivement, nous n'obtenons pas forcément ce que nous demandons. Ainsi, le seul de mes amendements adopté lors du débat sur la loi de programmation et de réforme pour la justice visait à la remise par le Gouvernement, dans les six mois, d'un rapport sur les conditions de détention des femmes ; plus de six mois se sont écoulés et nous n'avons toujours pas reçu ce rapport. Á ce sujet, les femmes ont beaucoup moins que les hommes accès aux aménagements de peine et à d'autres mesures, dans et hors la prison ; comptez-vous vous pencher sur ces questions ?

Les hôpitaux psychiatriques sont souvent oubliés quand on parle des lieux d'enfermement. Or, il ressort d'un rapport parlementaire rendu notamment par ma collègue Caroline Fiat que les hôpitaux psychiatriques vivent un peu dans le passé… pour rester poli.

Pendant le confinement, le CGLPL a arrêté ses visites ; j'en comprends la raison, mais c'est un problème en soi. J'espère donc que vous pourrez faire tous les contrôles nécessaires en ces temps de Covid, pendant lesquels il est particulièrement nécessaire de vérifier les conditions de détention.

J'approuve que l'on s'interroge sur l'usage de la garde à vue, puisque les missions du CGLPL comprennent le contrôle du respect des droits fondamentaux, au nombre desquels celui de ne pas être enfermé arbitrairement. Bien sûr, les officiers de police judiciaire peuvent exercer leurs prérogatives dans la période de flagrance ; bien sûr, on peut placer en garde à vue. Mais le même code prévoit les critères qui le permettent, et, dans le cadre de la commission d'enquête que mon collègue Didier Paris et moi-même avons conduite, il y a eu un débat sur les gardes à vue des Gilets jaunes à Paris après que nous avons eu connaissance d'une note indiquant : « On va les garder un petit peu plus longtemps pour qu'ils ne retournent pas en manifestation ». Une telle pratique entre dans le champ de compétences du CGLPL, car on ne prive pas quelqu'un de liberté comme ça, ne serait-ce qu'une heure. Ce n'est pas un acte neutre : il doit être contrôlé – ce qui ne signifie pas contrôler l'enquête elle‑même – et je préfère qu'il le soit par une autorité administrative indépendante qui ne peut pas influencer l'enquête que par un ministre de la Justice en poste.

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Dans une vie antérieure, j'ai attaqué l'État à de multiples reprises en raison de la situation scandaleuse des prisons et ma plus grande satisfaction était que des magistrats indépendants le condamnent. L'état des prisons est scandaleux en France métropolitaine mais aussi Outre-mer, ce dont personne ne parle. À La Réunion, à une certaine époque, il y avait deux prisons : une pour les Blancs, une autre pour ceux qui ne l'étaient pas, une prison où l'on mettait les élus – vingt-deux des vingt-quatre maires étaient emprisonnés –, une autre où on ne les mettait pas… Ces prisons étaient dans un état inimaginable : par moment, douze personnes étaient incarcérées dans une seule pièce, dont on les faisait sortir à 5 heures du matin pour éviter qu'ils s'entre-tuent. De grands progrès ont été faits, mais il faut se battre absolument parce que la dignité humaine suppose la dignité des conditions dans lesquelles on emprisonne les condamnés. Aussi bien, lorsque j'ai appris que le Président de la République proposait à une journaliste du Canard Enchaîné de venir contrôler nos prisons, j'ai pensé à Louis XVI nommant Beaumarchais pour apprécier l'état de l'Ancien régime… Après tout, Beaumarchais était quelqu'un d'exceptionnel !

J'ai discuté avec l'inspecteur général chargé des prisons de la présence des animaux de compagnie en cellule ; il m'a dit que c'était impossible. Pourquoi donc ne pas permettre à une personne incarcérée, éventuellement pour purger une peine très lourde, d'avoir son chat avec elle ? Après tout, pourquoi pas ?

Depuis que j'ai été élu pour la première fois, en 1997, je me bats au sujet des femmes enceintes et des mères d'enfants mineurs en prison. C'est un scandale absolu. Les Italiens interdisent l'incarcération des mères d'enfants âgés de moins de quatre ans. Je sais la présidente de notre commission très préoccupée par cette question ; battez-vous ensemble et faites, madame, que l'on puisse vous aider à ce sujet. Les femmes n'ont pas à être en prison, les mères d'enfants mineurs n'ont pas être en prison, elles ont déjà rempli leur devoir vis‑à‑vis de la société en ayant des enfants – et l'on sait d'autre part que les femmes ne récidivent pas, ou si peu. Les femmes représentent moins de 3 % de la population carcérale et moins de 3 % des détenues récidivent ; alors pourquoi les mettre en prison ? Battons-nous pour faire en sorte qu'avant la fin de cette législature, il n'y ait plus de mères en prison.

Enfin, pourquoi les détenus corses sont-ils à ce point séparés de leur famille ? La situation qui leur est imposée est scandaleuse. Certes, il y a parmi eux des terroristes et des criminels, mais ils ne le sont pas tous et cela ne saurait justifier que les familles n'aient pas le droit de se voir, alors que c'est la famille qui crée la possibilité d'une réinsertion dans la société ?

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J'aurai également l'occasion de vous entretenir des prisonniers corses, et aussi de la place des femmes et des enfants en prison, sujet d'un rapport parlementaire que j'ai rédigé il y a deux ans. Je souhaite vous interroger aujourd'hui sur l'aumônerie carcérale, qui appelle une réforme car elle est complétement désorganisée. C'est un des champs de la vie pénitentiaire sur lesquels nous devons travailler pour éviter que ce ne soit un foyer de diffusion d'idées néfastes, y compris pour ceux qui sortent de prison. D'autre part, il est prévu dans le plan immobilier pénitentiaire que les constructions les plus nombreuses de nouvelles prisons auront lieu dans les départements et territoires d'outre-mer. Chacun sait que ce plan ne sera pas mené à bien. Alors, pour mettre un terme à la situation décrite par mon collègue Tourret, qu'imaginez-vous, qu'il s'agisse d'alternatives à l'incarcération ou de changement de cap de la politique pénitentiaire dans son ensemble ? Je suis contraint de m'éclipser et je vous prie de m'en excuser ; sachez, madame, que si j'avais pu rester, je me serais prononcé en faveur de votre nomination.

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Le vote se fait à bulletin secret, mais puisque vous ne voterez pas…

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Madame, je salue votre présentation. Vous avez indiqué que vous serez impartiale et il me plaît de savoir que vous aurez à cœur de contrôler les conditions de détention, les conditions de travail des détenus et les conditions dans lesquelles la direction de l'administration pénitentiaire remplit ses missions. Je suis rassurée de savoir que vous ne serez pas un Contrôleur général complaisant. La décision du Conseil constitutionnel nous oblige à légiférer rapidement sur la régulation carcérale et va dans le sens de ce que nous avons voté : que les juges soient intégrés à la mécanique de régulation et soient au courant de la situation dans les prisons, comme vous l'avez appelé de vos souhaits. Comment renforcer cette régulation ? D'autre part, la CEDH nous invite à revoir l'espace personnel alloué à chaque prisonnier et l'indemnisation des détenus qui demandent réparation pour avoir été incarcérés dans des conditions indignes ; qu'en pensez-vous ?

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À la fin de son mandat, Mme Adeline Hazan a mis en évidence de multiples cas d'incarcérations qu'elle considérait excessives. La pandémie a conduit à accélérer la sortie de détenus en fin de peine ; il faut prolonger ce mouvement et en venir à des alternatives complètes aux peines d'incarcération pour favoriser le processus de réinsertion sociale et professionnelle ; quel est votre avis à ce sujet ? S'agissant du placement des mineurs en centre de rétention administrative, si, en France métropolitaine les mineurs concernés sont souvent avec leur famille et retenus peu de temps, le problème est tout autre à Mayotte où l'on a plutôt affaire à des mineurs isolés ou accompagnés par des personnes dont on ne connaît pas le lien familial exact qu'ils ont avec eux ; qu'en pensez-vous ? Enfin, il est prévu de créer des centres d'éducation fermés supplémentaires pour éviter l'incarcération des jeunes gens et tenter de les resocialiser et de les accompagner sur la voie de la réinsertion par l'enseignement ; quelle est votre opinion sur ce point ?

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Que la présidence de la République vous propose, madame, pour succéder à Mme Adeline Hazan donnait matière à réflexion : qu'une journaliste du Canard Enchaîné aux prises de position assez tranchées devienne Contrôleur général des lieux de privation de liberté, cela peut surprendre. À mon avis, ce n'est pas un choix disruptif mais un choix cohérent et une grande chance pour la fonction. Vous connaissez les sujets de la justice, vous avez été éducatrice pendant dix ans, vous avez été confrontée à l'univers carcéral ; votre expérience diffère de celle de vos prédécesseurs, mais elle compte. Vous avez beaucoup écrit sur la justice judiciaire, vous êtes allée à la rencontre des avocats, des magistrats, des directeurs d'administrations, les avez écoutés ; vous connaissez le fonctionnement des institutions, ce qui est essentiel dans l'exercice des futures missions qui vous seront éventuellement confiées. Je ne doute ni de votre compétence, ni de votre envie, ni de votre ambition pour le contrôle général.

Au nombre des sujets d'intérêt majeur, je citerai la détention provisoire, en raison de l'urgence due à la censure du Conseil constitutionnel ; la détention en soi ; l'état des prisons Outre-mer. J'ai été marquée par un voyage pendant lequel j'accompagnais la présidente de notre commission et au cours duquel nous nous sommes rendues à la prison de Nouméa ; il vous faudra, madame, aller voir ce qui s'y passe, tout comme à Mayotte et ailleurs. Nos concitoyens ultramarins aussi ont besoin que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté s'intéresse aux conditions de détention dans les prisons de leurs territoires. Il y a beaucoup à faire ici, mais il y a aussi beaucoup à faire là-bas.

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Dominique Simonnot

Sans commenter outre mesure une décision de justice, je dirai simplement qu'au moment où l'on sacralise les gestes barrières et la distanciation sociale et où l'on envisage d'instaurer un couvre-feu, la décision du Conseil d'État relative à la distribution de masques aux détenus de la maison d'arrêt de Seysses, qui n'est pas précisément vide, est surprenante. Entrer dans une cellule où sont déjà deux ou trois personnes sans masque, alors que certaines personnes ont des contacts avec l'extérieur, peut faire peur et je n'ai pas compris cette décision.

Avant de m'interroger, monsieur Molac, vous avez cherché à me rassurer en m'expliquant que des collègues m'apprendraient à parler, et même à écrire ; c'était très amusant. Effectivement, les prisons sont des lieux de souffrance. Faut-il interdire la présence d'enfants dans les centres de rétention administrative ? À dire vrai, je ne comprends pas pourquoi on n'assigne pas les gens à résidence. En ma qualité de journaliste, je suis sans cesse appelée par des parents d'élèves de villages ou de petites villes qui cachent des enfants et leurs parents pour éviter qu'ils soient envoyés dans des centres de rétention. Ceux qui me téléphonent ne sont en général ni des révolutionnaires ni des militants. Simplement, à la sortie de l'école, leur fils ou leur fille leur a dit « Tatiana sanglote » ; alors ils vont voir et l'enfant explique que ses parents lui ont dit qu'ils allaient repartir. À chaque fois, je suis surprise de la simplicité avec laquelle ils racontent cela, de la gentillesse de leur geste ; ils n'ont pas une vision politique de la chose – c'est comme ça, c'est tout. C'est d'ailleurs ainsi qu'est né le réseau Éducation sans frontières. Je ne pense pas qu'une loi interdira les enfants dans les centres de rétention administrative, mais un texte pourrait dire qu'il faut absolument préférer l'assignation à résidence.

Monsieur Morel-à-l'Huissier, je trouve le concept de prison ouverte formidable ; il y en a de différents types, dont la sensationnelle ferme de Moyembrie. Les gens qui y sont incarcérés ne l'ont pas été ab initio mais on pourrait très bien imaginer qu'ils le soient. Ce modèle qui existe depuis quelques années a failli disparaître ; il est étrange qu'en France, parfois, d'excellentes idées soient mises en œuvre mais ne soient pas reproduites. Pourquoi n'y a-t-il pas beaucoup d'autres fermes de Moyembrie ? Pourquoi y a-t-il si peu d'autres prisons ouvertes en France que celle de Casabianda ? On tend aussi à extraire les prisons des centres-villes pour les cacher très loin, c'est dommage, parce que la prison c'est aussi la vie de la ville. Je compte visiter la ferme de Moyembrie et je trouverais formidable que, si des résultats y sont obtenus, on multiplie les endroits de ce type.

Vous avez parlé de la contention et de l'isolement comme actes médicaux. J'ai toujours entendu parler de ces actes par des psychiatres de mes amis comme de quelque chose d'horrible, qu'eux-mêmes ne pratiqueraient jamais. Je préfère donc me situer dans ce camp plutôt que dans celui des partisans de la contention. J'ignore ce que l'on peut ressentir quand on est fou et attaché ; ce doit être terrifiant. D'ailleurs, beaucoup de films d'horreur montrent ce genre de scènes. Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel a décidé que c'en était à peu près terminé ; vous serez amenés à légiférer sur l'encadrement de l'isolement et de la contention et le CGLPL travaillera avec votre commission et avec la commission des Affaires sociales.

La Défenseure des droits, qui a des délégués en prison, est chargée de rétablir les droits des plus démunis. Nos rôles s'articuleront en bonne entente car je ne vois pas comment on peut ne pas tomber d'accord avec la Défenseure des droits en poursuivant le même but : améliorer les choses. D'ailleurs, si vous me faites l'honneur de me nommer, ma première visite sera pour Mme Claire Hédon.

Je sais, monsieur Tourret, que vous avez plusieurs fois attaqué l'État en raison de l'état des prisons. Au sujet des animaux de compagnie, j'ai ennuyé pendant trois ans le conseiller pénitentiaire de Mme Guigou, alors garde des Sceaux, pour que l'on rende à une femme incarcérée le jeune chat de quatre mois qu'on lui avait enlevé, la laissant inconsolable ; n'en pouvant plus, il a fini par me proposer de remplacer le chat par un poisson rouge. Ce refus était inhumain, minable au point d'en être presque comique, de plus incohérent sachant que cette femme était emprisonnée à Fleury‑Mérogis, maison d'arrêt pleine de rats. Je ne comprends pas plus que vous pourquoi les détenus ne pourraient pas avoir un animal de compagnie – je ne parle pas des pitbulls. Dans certains établissements, les détenus nourrissent des oiseaux habitués à venir manger auprès d'eux, et aussi les rats, car rien n'est plus facile en prison que de nourrir rats, cafards et punaises.

Pour les femmes enceintes se pose d'abord la question de l'accouchement : il a parfois encore lieu la femme étant entravée et menottée ; c'est insupportable. Si, en Italie, on interdit l'emprisonnement des mères d'enfants mineurs, j'imagine qu'elles sont aux arrêts domiciliaires – et pourquoi pas ? Le plus cruel est que l'on vous enlève votre enfant quand il atteint l'âge de dix-huit mois ; je ne sais comment chacun de nous réagirait face à cela.

Tout le monde est toujours favorable au rapprochement familial, mais il se trouve qu'avec les Corses ça ne marche pas toujours. J'imagine qu'il y a des gens que l'on ne veut pas rapprocher. C'est un sujet que je n'ai jamais traité, mais je ne demande qu'à y réfléchir et à en parler avec vous.

J'ai rencontré des aumôniers de prison, mais je ne me suis pas penchée sur la question de l'aumônerie carcérale. Que vous dire, sinon que si elle est totalement désorganisée, il faut la réorganiser ?

Chacun a compris que le Plan 15 000 places est maintenant réduit à un Plan 5 000…

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Notre intention est toujours de mener à bien le Plan 15 000.

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Dominique Simonnot

Mais il faut regarder les choses en face : il n'y aura jamais 15 000 nouvelles places ; c'est tout ce que je veux dire, si je peux le dire.

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Dominique Simonnot

Nous savons à peu près tous que ces 15 000 places ne seront pas construites ; quelque chose me dit que le budget ne le permettra pas. Alors, quelles mesures alternatives à l'incarcération ? Nous en avons parlé tout à l'heure : il faut favoriser les aménagements de peine ab initio. J'ai d'ailleurs constaté, lors des dernières audiences de comparution immédiate auxquelles j'ai assisté que les magistrats s'emparaient plus fréquemment de ces dispositifs, prononçant ab initio le bracelet électronique, la semi‑liberté ou d'autres mesures. Le réalisme commande d'admettre que 15 000 places ne seront pas construites.

Les juges doivent bien sûr être inclus dans la mécanique de régulation carcérale et ils le sont déjà par la loi que vous avez adoptée, dont j'espère qu'elle portera des fruits à la mesure de vos espoirs. Je n'y croyais pas trop, mais j'ai vu des magistrats dire : « Monsieur, vous allez avoir un bracelet, mais je vous préviens, avant que vous acceptiez, que c'est très contraignant » – tout aussi contraignant que la prison à domicile. De fait, si les bracelets dysfonctionnent, comme ce fut le cas un temps, et sonnent en permanence – alors que l'on est dans l'autobus par exemple – et qu'à chaque fois ceux qui le portent sont déclarés évadés, c'est très difficile à vivre. J'ai assisté à des poses de bracelet électronique et ça n'a rien de facile. De plus, le réglage de ces bracelets est tel que vous ne pouvez même pas aller jusqu'au fond de votre jardin faire un barbecue : vous devez rester sur le perron…

La CEDH nous invite à revoir l'espace vital alloué à chaque prisonnier. Cela va avec la régulation carcérale. Franchement, qui d'entre nous, quel être humain supporterait d'être enfermé à trois ou à quatre dans une cellule ? À deux déjà, ce doit être énervant... J'approuve bien sûr la CEDH : il faut revoir cet espace vital qui n'est pas vital du tout. D'ailleurs, si l'on veut qu'il y ait des chats en détention, l'encellulement doit être individuel car il ne peut y avoir deux chats dans la même cellule ; ces animaux sont parfois très nerveux en présence les uns des autres.

Je pense avoir répondu aux questions portant sur les alternatives à l'incarcération ab initio : les juges ont commencé de s'en saisir et ils devraient s'en saisir plus encore.

Pour les mineurs en centre de rétention administrative, je pense, je vous l'ai dit, qu'il faut favoriser le plus possible les assignations à résidence. Quant aux centres d'éducation fermés, ils permettront d'éviter des incarcérations ultérieures s'ils produisent les effets que l'on en attend, avec plus d'éducation et l'apprentissage de la vie et d'un métier.

Je compte bien procéder à des contrôles en temps de Covid et pour éviter qu'on ne me l'interdise alors que je respecte apparemment davantage les barrières sanitaires qu'elles ne le sont en prison – et apparemment plus que ne l'exige le Conseil d'État – je me présenterai avec l'arrêt du Conseil d'État.

Je ne peux qu'être d'accord avec vous, monsieur Bernalicis, puisque c'est moi qui avais fait publier la note sur les manifestations de Gilets jaunes assorties de gardes à vue extensives ; je crois que c'est d'ailleurs ce qui a déterminé Adeline Hazan à en parler dans son dernier rapport et dans ses recommandations minimales.

Madame Moutchou, j'irai Outre-mer.

La détention provisoire est un énorme problème : il y a en France 30 000 détenus provisoires ; un tiers des détenus sont donc des prévenus.

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J'indique à M. Ugo Bernalicis que j'ai adressé au garde des Sceaux un courrier récapitulant les rapports qu'il nous devait. J'ai procédé de la même manière avec chaque ministre dans les domaines de compétence de la commission des Lois. Nous devons avoir cette vigilance ; rien ne sert de voter que des rapports doivent être remis par le Gouvernement au Parlement s'ils ne le sont pas.

Je vous remercie, madame, pour vos réponses très complètes.

Nous allons maintenant procéder au vote sur la proposition de votre nomination.

À l'issue de cette audition, délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l'article 29-1 du Règlement, sur cette proposition de nomination.

Le résultat du scrutin est le suivant :

Nombre de votants : 27

Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 1

Suffrages exprimés : 26

Avis favorables : 15

Avis défavorables : 11

La réunion s'achève à 19 heures 30

Membres présents ou excusés

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.