Je vais en effet vous présenter un bilan du suivi des recommandations de la mission commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, que j'avais présidée en 2018, et dont notre collègue de la commission des finances, Mme Émilie Cariou, était rapporteure. Je tiens à remercier la commission des infractions fiscales, la direction générale des finances publiques (DGFIP), TRACFIN, la direction des affaires criminelles et des grâces et le parquet national financier, qui ont participé à la réalisation de cette évaluation par des contributions écrites. Le rapport formulait huit recommandations, au service de deux ambitions principales : permettre au législateur de se réapproprier le processus de sélection des dossiers présentant un profil pénal à l'issue d'un contrôle fiscal, et accroître les marges de manœuvre de l'autorité judiciaire en lui donnant un rôle plus actif en matière de fraudes fiscales.
La plupart des propositions ont fait l'objet d'évolutions législatives ou réglementaires. La proposition principale consistait à mettre fin au « verrou de Bercy », en définissant dans la loi les critères auxquels doit répondre un dossier issu d'un contrôle fiscal pour donner lieu à un examen systématique de l'opportunité d'engager des poursuites. Nous avions constaté que seuls les dossiers les plus simples étaient orientés au pénal, par crainte d'un échec de la procédure pour les autres. Les montages frauduleux les plus complexes et astucieux y échappaient ainsi, de manière tout à fait paradoxale.
La loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, très inspirée par les conclusions de nos travaux, a supprimé le « verrou de Bercy », vieux de presqu'un siècle, en prévoyant que l'administration fiscale est désormais contrainte de dénoncer au procureur de la République les faits de fraude fiscale les plus graves. Je tiens d'ailleurs à rappeler que cette évolution majeure est le résultat du travail parlementaire puisqu'elle ne figurait pas dans le projet de loi initial. En 2019, 965 dénonciations obligatoires au parquet ont été enregistrées, et 378 l'ont été au cours du premier semestre de l'année 2020.
Nous proposions également que les liens entre l'administration fiscale et le parquet soient renforcés. C'est chose faite depuis la circulaire du 7 mars 2019, qui prévoit notamment la mise en place d'un comité d'échange entre le procureur de la République, la direction régionale ou départementale des finances publiques et la direction spécialisée du contrôle fiscal, la mise en place de référents « fraude fiscale » dans les parquets et l'instauration d'une réunion annuelle entre les procureurs généraux et les directeurs des finances publiques. Le déploiement de ces dispositifs a déjà commencé. Certains d'entre eux sont achevés.
Plusieurs autres recommandations ont également été mises en œuvre. Conformément à notre recommandation n°5, la loi de 2018 de lutte contre la fraude permet aujourd'hui au parquet d'exercer directement l'action publique à l'encontre de faits de fraude fiscale portant sur le même contribuable ou sur des impôts ou périodes différents de ceux mentionnés dans la plainte initiale.
La recommandation n°6-b, qui visait à institutionnaliser le suivi du traitement des informations transmises par l'autorité judiciaire à l'administration fiscale, est évoquée dans la circulaire du 7 mars 2019 qui invite les parquets à veiller à ce que ce suivi, prévu par les textes, soit effectif.
La modernisation de la chaîne pénale de répression des infractions fiscales, que nous appelions de nos vœux dans la proposition n° 8, a été engagée. Par exemple, les procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et les conventions judiciaires d'intérêt public ont été étendues aux délits de fraude fiscale par la loi de 2018. La DGFIP a également mis en place de nouvelles pratiques ayant pour objet de mieux prévenir les risques de contrariété de décisions entre le juge de l'impôt et le juge pénal. Je me réjouis, enfin, que la loi de 2018 ait délié les agents de l'administration fiscale du secret professionnel à l'égard du procureur, ce qui permet d'ouvrir un nouvel espace de dialogue entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale.
Cependant, je souhaiterais revenir sur deux propositions en particulier, qui n'ont pas été suivies d'effet. En premier lieu, la recommandation n°4 prévoyait de supprimer la commission des infractions fiscales (CIF) ou de rendre ses avis consultatifs. Pour rappel, la recevabilité des plaintes de l'administration fiscale était, avant la réforme de 2018, soumise à un avis conforme de la commission des infractions fiscales. Sans aller jusqu'à la suppression de cette commission, la réforme du « verrou de Bercy » réduit considérablement son rôle en supprimant par exemple de son champ de compétence les faits devant faire l'objet d'une dénonciation obligatoire au procureur de la République. Alors que la commission avait été saisie de 964 dossiers en 2018, elle n'a été saisie qu'à 575 reprises en 2019 et à 214 reprises depuis le 1er janvier 2020. Bien que la recommandation n'ait pas été reprise telle quelle, le rôle de la CIF s'est donc nettement réduit.
En second lieu, la recommandation n°7 n'a pas été mise en œuvre. Une disposition législative de 2013 prévoit en effet qu'un débat annuel doit être tenu à la commission des finances sur les conditions du déclenchement des poursuites pénales en matière de fraude fiscale. Cette disposition n'était pas effective jusqu'à 2018 et, malgré notre préconisation, elle ne l'est toujours pas aujourd'hui. Nous proposions également que ce débat ait lieu simultanément devant la commission des finances et devant la commission des lois, compétente en matière de droit pénal et de procédure pénale. Je crois que cette évolution reste souhaitable pour évaluer régulièrement la cohérence et les résultats de cette politique publique majeure.
Outre ces deux points, nous pouvons donc nous féliciter collectivement que ce rapport ait joué un rôle important dans l'évolution de l'organisation de la lutte contre les infractions fiscales les plus graves.