Intervention de Robin Reda

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRobin Reda, rapporteur :

Lorsque nous avons rédigé ce rapport sur la proposition d'amende forfaitaire délictuelle, nous n'avons jamais prétendu régler avec cet outil la question de la consommation parfois très importante de stupéfiants dans notre pays, et notamment chez les jeunes, mais nous voulions combattre l'impunité dans l'espace public, qui fatigue nos forces de l'ordre et nos concitoyens.

Nous pouvons nous satisfaire du fait qu'il y a désormais moins de timidité de la part du Gouvernement pour se saisir de cet outil, mais plusieurs points ont retenu notre attention quand nous avons interrogé les forces de l'ordre et les services du ministère de la Justice.

Le premier point qui attire notre attention est l'identification de l'auteur de l'infraction. Premier point de satisfaction : alors que la présentation d'une pièce d'identité était obligatoire dans la phase d'expérimentation, il a été décidé, lors de la généralisation, de permettre l'identification de l'auteur de l'infraction au moyen de « tous les éléments permettant d'établir l'identité de la personne mise en cause ». Parmi les moyens dont disposent les forces de l'ordre pour établir l'identité de l'auteur figure la consultation du TAJ. Cependant, cette consultation n'est pas optimisée pour un usage sur smartphone ou tablette. Il n'est donc évident de le consulter sur le terrain et d'évaluer si l'auteur de l'infraction est un primo-délinquant. Le matériel et les solutions logicielles doivent donc s'améliorer en la matière.

Le deuxième point d'attention est celui de la saisie et du stockage des produits stupéfiants. Les représentants des forces de l'ordre sont apparus sceptiques sur la possibilité d'estimer, sans balance, le poids des produits stupéfiants. De même, l'ensemble des forces de l'ordre ne semble pas disposer du matériel nécessaire au transport et au stockage des produits stupéfiants avant leur destruction, qui est parfois attendue très longtemps. L'équipement des commissariats et des gendarmeries en boites hermétiques, voire en armoires réfrigérées, qui permettent de stocker les produits stupéfiants de façon sécurisée avant leur destruction, est d'autant plus nécessaire que les saisies de petites quantités de stupéfiants devraient se multiplier avec le développement de l'AFD.

Le troisième point d'attention porte sur les exclusions, qui ont été précisées par le ministère de la Justice dans une dépêche du 30 août 2020 et qui sont nombreuses. Elles créent une limite à la réelle généralisation de l'AFD. Ainsi, la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle n'est pas applicable :

– lorsque le délit a été commis par un mineur. Nous avions eu ce débat au moment de la rédaction du rapport et nous avions exclu les mineurs. Mais je pense que les mineurs, à partir de 16 ans, pourraient se voir appliquer cette procédure, l'amende reçue au domicile des parents pouvant avoir un effet dissuasif pour un certain type de jeunes consommateurs ;

– lorsque plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément ;

– aux conducteurs de véhicule terrestre à moteur. Cela peut conduire à certaines incohérences : ainsi, si le conducteur n'a pas consommé mais détient des stupéfiants, la procédure de l'AFD étant exclue il se voit appliquer une procédure judiciaire « classique » qui peut éventuellement se conclure par un rappel à la loi, sanction plus douce que l'AFD. Le passager peut se voir, en revanche, appliquer l'AFD s'il détient des stupéfiants ;

– lorsque sont découverts plusieurs types de produits stupéfiants différents, y compris si les quantités sont inférieures à celles fixées par les parquets ;

– lorsque le mis en cause ne peut justifier de son identité ou ne déclare aucune adresse postale. C'est une vraie limite : on peut craindre que s'instaure un « petit jeu » entre les délinquants et les forces de l'ordre conduisant à ne pas appliquer l'AFP et à maintenir des procédures judiciaires chronophages ;

– lorsque le mis en cause conteste les faits, ou est sous l'emprise de stupéfiants ou montre des difficultés de compréhension de la langue française.

Dans ces cas, l'auteur de l'infraction se verra appliquer la procédure « classique » avec une saisine du parquet, qui aboutira potentiellement à un certain laxisme puisque ce genre de procédure aboutit actuellement le plus souvent à des rappels à la loi.

Compte tenu de ces nombreux cas d'exclusion, deux évolutions nous semblent nécessaires. En premier lieu, s'il n'est pas possible d'appliquer une procédure forfaitaire délictuelle à un mineur, il nous semble essentiel de mettre en place une sanction adéquate pour les mineurs et de développer une politique de prévention plus active. Rappelons que 40 % des adolescents ont déjà fumé du cannabis à 17 ans et que l'adolescence est une période de vulnérabilité accrue aux stupéfiants.

En second lieu, compte tenu des nombreux cas dans lesquels l'AFD n'est pas applicable, il est indispensable que les parquets durcissent la réponse pénale lorsqu'ils seront saisis. Rappelons que jusqu'à présent, la majorité des affaires d'usage de stupéfiants faisaient l'objet d'alternatives aux poursuites et que ces alternatives étaient très souvent de simples rappels à la loi. Il faudra donc éviter qu'une personne qui ne peut se voir appliquer la procédure de l'AFD se voie appliquer in fine une sanction moins sévère, comme un rappel à la loi, alors qu'elle devrait être sanctionnée plus sévèrement en raison d'une récidive ou qu'elle devrait faire l'objet d'une prise en charge sanitaire, si elle est dans une logique de polyconsommation.

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