Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer :

Madame la présidente, je vous remercie d'avoir accepté le principe d'une audition en visioconférence. Chacun comprend qu'il était de mon devoir de me rendre à Nouméa au lendemain de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté. J'ai cru comprendre que ce format convenait aux parlementaires ultramarins, et pour cause : la géographie de leurs territoires s'y prête bien ! Je précise que je me tiens à leur disposition pour évoquer la situation sanitaire. Nous suivons de près son évolution, notamment en Guadeloupe et en Martinique.

Si l'ordre du jour de la présente audition est clair – débattre de la mission « Outre-mer » et des deux programmes qui la composent –, j'y viendrai après un rappel général. Le budget consacré aux outre-mer s'étend sur trente et une missions et quatre-vingt-quatorze programmes. Il se chiffre à 19,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 19,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Sur trente et une missions, quatre dépassent le milliard d'euros : outre la mission « Outre-mer », il y a « Relations avec les collectivités territoriales », « Écologie, développement et mobilité durables » et « Solidarité, insertion et égalité des chances » qui concernent très directement les territoires ultramarins. Par ailleurs, deux missions consacrent des dépenses de personnel importantes à l'outre-mer : 4,7 milliards d'euros sont alloués au paiement des traitements des agents de l'éducation nationale ; un peu plus d'un milliard d'euros aux dépenses de personnel des forces de sécurité intérieure.

J'aimerais aussi évoquer la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer (DACOM), dont la mission « Relations avec les collectivités territoriales » prévoit la poursuite du rattrapage. Ce débat intéressera le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, M. Jean-René Cazeneuve. Il s'agit d'un engagement du Président de la République pris l'an dernier dans le cadre du grand débat national. Un premier rattrapage a été réalisé, en matière de péréquation, dans le cadre de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour les collectivités d'outre-mer, singulièrement pour le bloc communal. Les dotations d'aménagement et la DGF des communes d'outre-mer augmentent chaque année de façon significative. Le mouvement s'accélérera l'an prochain : dans le cadre de la révision de la DACOM, nous vous demanderons de légiférer pour quatre ans. Dès l'an prochain, le volume de péréquation augmentera pratiquement de 17 millions d'euros.

Dans les crédits du ministère de l'éducation nationale, 42 millions d'euros des programmes dédiés à l'enseignement et 37 millions d'euros du programme « Vie de l'élève » sont fléchés vers Mayotte et la Guyane. Il s'agit également d'un engagement du Gouvernement et du Président de la République. Un rattrapage important s'impose dans ces deux territoires où l'État assure la maîtrise d'ouvrage de la construction d'établissements scolaires, notamment – mais pas uniquement – du premier degré.

Enfin, j'effectuerai un dernier détour par le plan de relance. Si la troisième loi de finances rectificative pour 2020 (LFR3) et le prochain collectif budgétaire (PLFR4) comportent des éléments constitutifs de la relance, c'est le projet de loi de finances pour 2021 qui intègre les fameux 100 milliards d'euros du plan de relance – sans compter les crédits du plan de relance européen. Au sein de ces 100 milliards d'euros, un socle – non un plafond ! – de 1,5 milliard d'euros permettra, en plus des crédits de la mission « Outre-mer » que je m'apprête à présenter, de procéder à des engagements importants pour les territoires. Plusieurs questions au Gouvernement m'ont déjà permis de m'exprimer à ce sujet. Pour mémoire, voici ce que j'ai indiqué : 50 millions d'euros seront consacrés aux réseaux d'eau et d'assainissement, ce qui intéressera directement nos concitoyens guadeloupéens ou mahorais ; 50 millions d'euros seront consacrés au plan séisme Antilles, notamment pour renforcer les bâtiments publics et accélérer la mise en œuvre des programmes en cours ; 80 millions d'euros seront consacrés à la transformation de l'agriculture et à l'équipement des abattoirs. Nous sommes attendus sur ce point, notamment à La Réunion. Le compte y sera !

Plusieurs sous-enveloppes sont également prévues dans le budget du ministère de la transition écologique et solidaire, notamment pour les infrastructures routières en Guyane et à La Réunion. Enfin, il y a un effort pour La Réunion s'agissant du soutien à l'emploi par le biais des parcours emploi compétences. La garantie des recettes fiscales des collectivités territoriales est d'ores et déjà prévue par la troisième loi de finances rectificative pour 2020.

Je ne peux pas ne pas mentionner les collectivités d'outre-mer (COM). L'un des enjeux est de parvenir à les connecter au plan de relance. Le déplacement à Paris du président polynésien Édouard Fritch a été l'occasion d'aborder le sujet. Compte tenu de leurs compétences, il incombe à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie d'amorcer la relance. Notre rôle est de les aider et de les accompagner par le biais de l'Agence française de développement (AFD) et par l'exercice des compétences régaliennes. Ainsi le ministre de l'intérieur et moi-même souhaitons-nous un plan de rénovation des gendarmeries.

J'ai fait un détour par le plan de relance car il en sera beaucoup question au cours de la discussion budgétaire. Les priorités de la seconde partie du quinquennat – plan séisme Antilles, réseaux d'infrastructures, d'eau et d'assainissement – répondent à des préoccupations concrètes, éminemment comprises par nos concitoyens. J'en viens maintenant au détail de la mission « Outre-mer » et de ses deux programmes, le programme 138 « Emploi outre-mer » et le programme 123 « Conditions de vie outre-mer ». J'ai la chance de présenter des budgets en augmentation, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. Globalement, l'augmentation des AE est de 6 % et celle des CP de 2,5 %. Toutefois, et Mme George Pau-Langevin qui a officié rue Oudinot avant moi le sait, l'un des enjeux de ce ministère n'est pas tant d'inscrire des sommes au budget que de s'assurer qu'elles sont effectivement consommées.

Si l'on se penche sur le programme 138, les AE augmentent de 107 millions d'euros et les CP de 93 millions d'euros. Ce programme est très observé en raison de la situation sanitaire, économique et sociale. Nous apportons un soutien aux entreprises par le biais de l'augmentation, à hauteur de 6,6 %, de la compensation des exonérations de charges patronales dans le cadre de la loi pour le développement économique de l'outre-mer, dite LODEOM. En matière d'aide à l'insertion, mentionnons l'ouverture d'une troisième compagnie du régiment du service militaire adapté de Nouvelle-Calédonie (RSMA-NC) à Bourail. Avec trente-cinq équivalents temps pleins (ETP) supplémentaires, elle constitue un symbole important, surtout en ce moment. La consommation des crédits du programme ne devrait pas poser problème, compte tenu de leur mode de fonctionnement et de la possibilité de les solliciter par le biais des dispositifs d'urgence économique applicables outre-mer.

S'agissant du programme 123, relatif au cadre de vie outre-mer, les AE augmentent de 55 millions d'euros. Parmi les priorités pour lesquelles des mesures nouvelles sont prévues en 2021, le logement vient en tête : les besoins, dans les territoires ultramarins, sont énormes. Cela peut résulter de la fragilité sociale de la population, qui nécessite une politique d'accession à la propriété ou de prêt social location accession. Cela peut aussi découler d'une croissance démographique, notamment à Mayotte et en Guyane. L'outil bien connu des ultramarins qu'est la ligne budgétaire unique (LBU) voit ses crédits augmentés de 8,7 %, soit 224 millions d'euros dont 18 millions en autorisations d'engagement dédiés aux établissements publics fonciers de Guyane et de Mayotte.

Force est toutefois de constater qu'en fin d'exercice, bien souvent, les crédits ne sont pas intégralement consommés. Un rapport de la Cour des comptes, largement commenté, a formulé plusieurs préconisations dont il faut convenir qu'elles sont intéressantes, très précises et redoutablement exactes. Il recommande de différencier davantage la politique du logement menée outre-mer. De fait, on ne construit pas un logement de la même façon à La Réunion et aux Antilles. Nous avons connu des échecs, par exemple en matière d'accession au foncier à Mayotte et en Guyane. L'augmentation précitée de 18 millions d'euros permettra aux deux établissements publics fonciers d'acquérir des terrains de sorte qu'on puisse construire des logements.

Je dois rendre hommage à ceux qui ont participé à la nouvelle génération du plan logement outre-mer pour les années 2019-2021 (PLOM), dans lequel commencent à être traités les sujets d'ingénierie, de gouvernance et de partenariat. Mme Ericka Bareigts, aujourd'hui maire de Saint-Denis de La Réunion et qui m'a précédée, s'est beaucoup investie sur ces sujets. Nous sommes sur une bonne trajectoire. En dépit du confinement, les chiffres de consommation pour 2020 sont bons. Il sera intéressant d'observer les évolutions à venir.

Je conclurai à propos du logement en indiquant que nous accompagnerons les efforts de CDC Habitat, qui a élaboré son propre plan de relance. Celui-ci prévoit 6 000 logements destinés à la vente en état de futur achèvement (VEFA).

J'en viens aux crédits consacrés à l'éducation. Nous déployons beaucoup d'énergie pour les constructions scolaires. Nous investissons 13,4 millions d'euros dans les établissements du premier degré de Mayotte, et 17 millions d'euros pour le lycée d'État de Wallis-et-Futuna. Pour celui-ci, le décalage entre AE et CP s'explique par le fait que les travaux s'échelonneront sur plusieurs années, au moins deux exercices budgétaires. Je me suis rendu sur place il y a plus de deux ans ; quiconque y est allé sait à quel point les travaux sont nécessaires.

S'agissant du soutien à l'investissement local, le fonds exceptionnel d'investissement (FEI), outil apprécié des maires et des présidents d'intercommunalité, est stable à 110 millions d'euros. Il est complété par les crédits du plan de relance, par 900 millions d'euros versés d'ici à 2023 dans le cadre de REACT-UE et par le milliard d'euros alloué par le plan de relance à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), auquel les départements et régions d'outre-mer (DROM) sont éligibles. En outre, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), inscrite dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales », est maintenue à un niveau équivalent. Toutes les collectivités d'outre-mer, dès lors qu'elles rentrent dans les critères de potentiel financier, y sont éligibles, y compris celles de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Enfin, les contrats de convergence et de transformation remplacent petit à petit les contrats de plan État-régions. Si tous ont été décidés au mois de juillet 2019, certains arrivent à échéance, d'autres ont été prolongés, d'autres viennent d'être signés. Il faudra faire œuvre de pédagogie car la fin n'est pas tant le contrat que les projets qu'il prévoit. Tout cela s'inscrit dans l'enjeu de la relance.

J'aimerais, à présent, aborder un sujet qui me tient à cœur, non en tant qu'élu local ou ancien ministre chargé des collectivités territoriales, mais parce que je vois bien que nous sommes dans un moment important de la relation entre l'État et les collectivités d'outre-mer. On ne peut envisager la décentralisation, la différenciation territoriale et les libertés locales sans une puissance publique locale qui fonctionne. Les collectivités ont besoin d'un accompagnement en ingénierie et en matière financière. Leur schéma de recettes repose, en premier lieu, sur la dotation de l'État. J'ai indiqué que la péréquation leur est favorable. Elle est d'autant plus généreuse que son augmentation repose sur l'écrêtement de la dotation forfaitaire des communes de l'hexagone. Il s'agit véritablement d'un effort de solidarité de la nation tout entière en faveur des communes d'outre-mer. Ce schéma repose, en second lieu, sur la fiscalité. La réforme de la taxe d'habitation a fait l'objet de compensations à l'euro près, quoi que certains puissent en dire : les maires nouvellement élus ou réélus peuvent constater que la parole a été tenue. S'agissant des conséquences de la crise du covid-19, je tiens à rappeler que l'octroi de mer fait partie du panier de recettes garanties aux collectivités. Toutefois, chacun sait inutile de travailler sur les recettes sans réflexion sur les dépenses. Tel était le sens de la mission confiée au sénateur de Guyane Georges Patient et à M. Jean-René Cazeneuve, président de votre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Ils ont commis un rapport dont il faut reconnaître le courage car il est le premier à recommander un débat sur les dépenses, singulièrement sur les dépenses de fonctionnement et, en leur sein, de personnel.

Les contrats d'accompagnement proposés par la mission Patient-Cazeneuve me semblent intéressants. Certains parlementaires envisagent de les inscrire dans la loi par voie d'amendement ; j'indique d'ores et déjà ma bienveillance à leur égard. Distincts des « contrats de Cahors », ce sont des outils qui vont dans le bon sens. Nous pourrions commencer, sur la base du volontariat, par identifier une dizaine de collectivités par an par appel à projets. Cela permettrait de dresser un diagnostic pluriannuel de l'évolution des finances locales sur lequel s'appuyer pour choisir des outils de transformation, dont le rebasage des bases fiscales et le respect des instructions comptables, de sorte à retrouver une transparence dans les assemblées délibérantes. Cela me semble important pour éviter certaines dérives, notamment en période électorale – on a pu voir des dépenses de fonctionnement, pour l'embauche de personnel, augmenter significativement quelques mois avant une élection. Un tel choix appartient aux assemblées délibérantes. Il ne m'incombe pas de le qualifier ; encore faut-il que nos concitoyens soient informés et qu'on ne cache rien aux diverses assemblées.

Une question relative aux outre-mer, plus délicate encore et sur laquelle nous sommes attendus par le monde économique, des grandes entreprises aux PME en passant par les commerçants, concerne les délais de paiement. L'État s'efforce de montrer l'exemple, notamment par le biais des centres hospitaliers. Il serait souhaitable que les collectivités territoriales en fassent autant. Le retard de paiement des factures et d'exécution des comptes par les collectivités territoriales est préoccupant ; il ne s'explique pas toujours par des difficultés de trésorerie. Nous devons résoudre ce problème.

L'outre-mer est un sujet sans fin. J'arrête donc là cette présentation globale de la mission « Outre-mer », complétée par quelques considérations sur certaines missions de mes collègues, dont les crédits ont des conséquences énormes pour les territoires, et sur le plan de relance, qui constitue une part importante du projet de loi de finances pour 2021.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.