La réunion débute à 11 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne, en visioconférence, M. Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, sur les crédits de la mission « Outre-mer » (Mme George Pau-Langevin, rapporteure pour avis).
Mes chers collègues, après avoir formulé hier un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », nous sommes réunis ce matin pour discuter de la mission « Outre-mer ». Auparavant, nous procéderons à l'audition en visioconférence de M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, actuellement en quatorzaine en Nouvelle-Calédonie. Ce format adapté à la situation sanitaire permet à plusieurs députés ultramarins de participer au débat.
Monsieur le ministre, en tant que rapporteure de la mission d'information de la conférence des Présidents sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, je vous indique que nous avons hâte de vous entendre à ce sujet. Nous serons ravis de vous accueillir pour obtenir des précisions sur la situation ainsi que sur les perspectives que vous comptez tracer.
Madame la présidente, je vous remercie d'avoir accepté le principe d'une audition en visioconférence. Chacun comprend qu'il était de mon devoir de me rendre à Nouméa au lendemain de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté. J'ai cru comprendre que ce format convenait aux parlementaires ultramarins, et pour cause : la géographie de leurs territoires s'y prête bien ! Je précise que je me tiens à leur disposition pour évoquer la situation sanitaire. Nous suivons de près son évolution, notamment en Guadeloupe et en Martinique.
Si l'ordre du jour de la présente audition est clair – débattre de la mission « Outre-mer » et des deux programmes qui la composent –, j'y viendrai après un rappel général. Le budget consacré aux outre-mer s'étend sur trente et une missions et quatre-vingt-quatorze programmes. Il se chiffre à 19,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 19,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Sur trente et une missions, quatre dépassent le milliard d'euros : outre la mission « Outre-mer », il y a « Relations avec les collectivités territoriales », « Écologie, développement et mobilité durables » et « Solidarité, insertion et égalité des chances » qui concernent très directement les territoires ultramarins. Par ailleurs, deux missions consacrent des dépenses de personnel importantes à l'outre-mer : 4,7 milliards d'euros sont alloués au paiement des traitements des agents de l'éducation nationale ; un peu plus d'un milliard d'euros aux dépenses de personnel des forces de sécurité intérieure.
J'aimerais aussi évoquer la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer (DACOM), dont la mission « Relations avec les collectivités territoriales » prévoit la poursuite du rattrapage. Ce débat intéressera le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, M. Jean-René Cazeneuve. Il s'agit d'un engagement du Président de la République pris l'an dernier dans le cadre du grand débat national. Un premier rattrapage a été réalisé, en matière de péréquation, dans le cadre de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour les collectivités d'outre-mer, singulièrement pour le bloc communal. Les dotations d'aménagement et la DGF des communes d'outre-mer augmentent chaque année de façon significative. Le mouvement s'accélérera l'an prochain : dans le cadre de la révision de la DACOM, nous vous demanderons de légiférer pour quatre ans. Dès l'an prochain, le volume de péréquation augmentera pratiquement de 17 millions d'euros.
Dans les crédits du ministère de l'éducation nationale, 42 millions d'euros des programmes dédiés à l'enseignement et 37 millions d'euros du programme « Vie de l'élève » sont fléchés vers Mayotte et la Guyane. Il s'agit également d'un engagement du Gouvernement et du Président de la République. Un rattrapage important s'impose dans ces deux territoires où l'État assure la maîtrise d'ouvrage de la construction d'établissements scolaires, notamment – mais pas uniquement – du premier degré.
Enfin, j'effectuerai un dernier détour par le plan de relance. Si la troisième loi de finances rectificative pour 2020 (LFR3) et le prochain collectif budgétaire (PLFR4) comportent des éléments constitutifs de la relance, c'est le projet de loi de finances pour 2021 qui intègre les fameux 100 milliards d'euros du plan de relance – sans compter les crédits du plan de relance européen. Au sein de ces 100 milliards d'euros, un socle – non un plafond ! – de 1,5 milliard d'euros permettra, en plus des crédits de la mission « Outre-mer » que je m'apprête à présenter, de procéder à des engagements importants pour les territoires. Plusieurs questions au Gouvernement m'ont déjà permis de m'exprimer à ce sujet. Pour mémoire, voici ce que j'ai indiqué : 50 millions d'euros seront consacrés aux réseaux d'eau et d'assainissement, ce qui intéressera directement nos concitoyens guadeloupéens ou mahorais ; 50 millions d'euros seront consacrés au plan séisme Antilles, notamment pour renforcer les bâtiments publics et accélérer la mise en œuvre des programmes en cours ; 80 millions d'euros seront consacrés à la transformation de l'agriculture et à l'équipement des abattoirs. Nous sommes attendus sur ce point, notamment à La Réunion. Le compte y sera !
Plusieurs sous-enveloppes sont également prévues dans le budget du ministère de la transition écologique et solidaire, notamment pour les infrastructures routières en Guyane et à La Réunion. Enfin, il y a un effort pour La Réunion s'agissant du soutien à l'emploi par le biais des parcours emploi compétences. La garantie des recettes fiscales des collectivités territoriales est d'ores et déjà prévue par la troisième loi de finances rectificative pour 2020.
Je ne peux pas ne pas mentionner les collectivités d'outre-mer (COM). L'un des enjeux est de parvenir à les connecter au plan de relance. Le déplacement à Paris du président polynésien Édouard Fritch a été l'occasion d'aborder le sujet. Compte tenu de leurs compétences, il incombe à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie d'amorcer la relance. Notre rôle est de les aider et de les accompagner par le biais de l'Agence française de développement (AFD) et par l'exercice des compétences régaliennes. Ainsi le ministre de l'intérieur et moi-même souhaitons-nous un plan de rénovation des gendarmeries.
J'ai fait un détour par le plan de relance car il en sera beaucoup question au cours de la discussion budgétaire. Les priorités de la seconde partie du quinquennat – plan séisme Antilles, réseaux d'infrastructures, d'eau et d'assainissement – répondent à des préoccupations concrètes, éminemment comprises par nos concitoyens. J'en viens maintenant au détail de la mission « Outre-mer » et de ses deux programmes, le programme 138 « Emploi outre-mer » et le programme 123 « Conditions de vie outre-mer ». J'ai la chance de présenter des budgets en augmentation, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. Globalement, l'augmentation des AE est de 6 % et celle des CP de 2,5 %. Toutefois, et Mme George Pau-Langevin qui a officié rue Oudinot avant moi le sait, l'un des enjeux de ce ministère n'est pas tant d'inscrire des sommes au budget que de s'assurer qu'elles sont effectivement consommées.
Si l'on se penche sur le programme 138, les AE augmentent de 107 millions d'euros et les CP de 93 millions d'euros. Ce programme est très observé en raison de la situation sanitaire, économique et sociale. Nous apportons un soutien aux entreprises par le biais de l'augmentation, à hauteur de 6,6 %, de la compensation des exonérations de charges patronales dans le cadre de la loi pour le développement économique de l'outre-mer, dite LODEOM. En matière d'aide à l'insertion, mentionnons l'ouverture d'une troisième compagnie du régiment du service militaire adapté de Nouvelle-Calédonie (RSMA-NC) à Bourail. Avec trente-cinq équivalents temps pleins (ETP) supplémentaires, elle constitue un symbole important, surtout en ce moment. La consommation des crédits du programme ne devrait pas poser problème, compte tenu de leur mode de fonctionnement et de la possibilité de les solliciter par le biais des dispositifs d'urgence économique applicables outre-mer.
S'agissant du programme 123, relatif au cadre de vie outre-mer, les AE augmentent de 55 millions d'euros. Parmi les priorités pour lesquelles des mesures nouvelles sont prévues en 2021, le logement vient en tête : les besoins, dans les territoires ultramarins, sont énormes. Cela peut résulter de la fragilité sociale de la population, qui nécessite une politique d'accession à la propriété ou de prêt social location accession. Cela peut aussi découler d'une croissance démographique, notamment à Mayotte et en Guyane. L'outil bien connu des ultramarins qu'est la ligne budgétaire unique (LBU) voit ses crédits augmentés de 8,7 %, soit 224 millions d'euros dont 18 millions en autorisations d'engagement dédiés aux établissements publics fonciers de Guyane et de Mayotte.
Force est toutefois de constater qu'en fin d'exercice, bien souvent, les crédits ne sont pas intégralement consommés. Un rapport de la Cour des comptes, largement commenté, a formulé plusieurs préconisations dont il faut convenir qu'elles sont intéressantes, très précises et redoutablement exactes. Il recommande de différencier davantage la politique du logement menée outre-mer. De fait, on ne construit pas un logement de la même façon à La Réunion et aux Antilles. Nous avons connu des échecs, par exemple en matière d'accession au foncier à Mayotte et en Guyane. L'augmentation précitée de 18 millions d'euros permettra aux deux établissements publics fonciers d'acquérir des terrains de sorte qu'on puisse construire des logements.
Je dois rendre hommage à ceux qui ont participé à la nouvelle génération du plan logement outre-mer pour les années 2019-2021 (PLOM), dans lequel commencent à être traités les sujets d'ingénierie, de gouvernance et de partenariat. Mme Ericka Bareigts, aujourd'hui maire de Saint-Denis de La Réunion et qui m'a précédée, s'est beaucoup investie sur ces sujets. Nous sommes sur une bonne trajectoire. En dépit du confinement, les chiffres de consommation pour 2020 sont bons. Il sera intéressant d'observer les évolutions à venir.
Je conclurai à propos du logement en indiquant que nous accompagnerons les efforts de CDC Habitat, qui a élaboré son propre plan de relance. Celui-ci prévoit 6 000 logements destinés à la vente en état de futur achèvement (VEFA).
J'en viens aux crédits consacrés à l'éducation. Nous déployons beaucoup d'énergie pour les constructions scolaires. Nous investissons 13,4 millions d'euros dans les établissements du premier degré de Mayotte, et 17 millions d'euros pour le lycée d'État de Wallis-et-Futuna. Pour celui-ci, le décalage entre AE et CP s'explique par le fait que les travaux s'échelonneront sur plusieurs années, au moins deux exercices budgétaires. Je me suis rendu sur place il y a plus de deux ans ; quiconque y est allé sait à quel point les travaux sont nécessaires.
S'agissant du soutien à l'investissement local, le fonds exceptionnel d'investissement (FEI), outil apprécié des maires et des présidents d'intercommunalité, est stable à 110 millions d'euros. Il est complété par les crédits du plan de relance, par 900 millions d'euros versés d'ici à 2023 dans le cadre de REACT-UE et par le milliard d'euros alloué par le plan de relance à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), auquel les départements et régions d'outre-mer (DROM) sont éligibles. En outre, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), inscrite dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales », est maintenue à un niveau équivalent. Toutes les collectivités d'outre-mer, dès lors qu'elles rentrent dans les critères de potentiel financier, y sont éligibles, y compris celles de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Enfin, les contrats de convergence et de transformation remplacent petit à petit les contrats de plan État-régions. Si tous ont été décidés au mois de juillet 2019, certains arrivent à échéance, d'autres ont été prolongés, d'autres viennent d'être signés. Il faudra faire œuvre de pédagogie car la fin n'est pas tant le contrat que les projets qu'il prévoit. Tout cela s'inscrit dans l'enjeu de la relance.
J'aimerais, à présent, aborder un sujet qui me tient à cœur, non en tant qu'élu local ou ancien ministre chargé des collectivités territoriales, mais parce que je vois bien que nous sommes dans un moment important de la relation entre l'État et les collectivités d'outre-mer. On ne peut envisager la décentralisation, la différenciation territoriale et les libertés locales sans une puissance publique locale qui fonctionne. Les collectivités ont besoin d'un accompagnement en ingénierie et en matière financière. Leur schéma de recettes repose, en premier lieu, sur la dotation de l'État. J'ai indiqué que la péréquation leur est favorable. Elle est d'autant plus généreuse que son augmentation repose sur l'écrêtement de la dotation forfaitaire des communes de l'hexagone. Il s'agit véritablement d'un effort de solidarité de la nation tout entière en faveur des communes d'outre-mer. Ce schéma repose, en second lieu, sur la fiscalité. La réforme de la taxe d'habitation a fait l'objet de compensations à l'euro près, quoi que certains puissent en dire : les maires nouvellement élus ou réélus peuvent constater que la parole a été tenue. S'agissant des conséquences de la crise du covid-19, je tiens à rappeler que l'octroi de mer fait partie du panier de recettes garanties aux collectivités. Toutefois, chacun sait inutile de travailler sur les recettes sans réflexion sur les dépenses. Tel était le sens de la mission confiée au sénateur de Guyane Georges Patient et à M. Jean-René Cazeneuve, président de votre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Ils ont commis un rapport dont il faut reconnaître le courage car il est le premier à recommander un débat sur les dépenses, singulièrement sur les dépenses de fonctionnement et, en leur sein, de personnel.
Les contrats d'accompagnement proposés par la mission Patient-Cazeneuve me semblent intéressants. Certains parlementaires envisagent de les inscrire dans la loi par voie d'amendement ; j'indique d'ores et déjà ma bienveillance à leur égard. Distincts des « contrats de Cahors », ce sont des outils qui vont dans le bon sens. Nous pourrions commencer, sur la base du volontariat, par identifier une dizaine de collectivités par an par appel à projets. Cela permettrait de dresser un diagnostic pluriannuel de l'évolution des finances locales sur lequel s'appuyer pour choisir des outils de transformation, dont le rebasage des bases fiscales et le respect des instructions comptables, de sorte à retrouver une transparence dans les assemblées délibérantes. Cela me semble important pour éviter certaines dérives, notamment en période électorale – on a pu voir des dépenses de fonctionnement, pour l'embauche de personnel, augmenter significativement quelques mois avant une élection. Un tel choix appartient aux assemblées délibérantes. Il ne m'incombe pas de le qualifier ; encore faut-il que nos concitoyens soient informés et qu'on ne cache rien aux diverses assemblées.
Une question relative aux outre-mer, plus délicate encore et sur laquelle nous sommes attendus par le monde économique, des grandes entreprises aux PME en passant par les commerçants, concerne les délais de paiement. L'État s'efforce de montrer l'exemple, notamment par le biais des centres hospitaliers. Il serait souhaitable que les collectivités territoriales en fassent autant. Le retard de paiement des factures et d'exécution des comptes par les collectivités territoriales est préoccupant ; il ne s'explique pas toujours par des difficultés de trésorerie. Nous devons résoudre ce problème.
L'outre-mer est un sujet sans fin. J'arrête donc là cette présentation globale de la mission « Outre-mer », complétée par quelques considérations sur certaines missions de mes collègues, dont les crédits ont des conséquences énormes pour les territoires, et sur le plan de relance, qui constitue une part importante du projet de loi de finances pour 2021.
L'examen des crédits de la mission « Outre-mer » se heurte effectivement à une difficulté récurrente : ce budget ne reflète pas l'intégralité des actions menées dans les outre-mer. Cet état de fait, me semble-t-il, soulève la question du rôle du ministre des outre-mer. Celui-ci ne peut que jouer d'influence sur ses collègues pour obtenir que les crédits prévus pour les outre-mer soient utilisés à leur profit – on sait que des investissements peuvent être jugés préférables dans un autre département qu'en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française. C'est aussi ce qui confère tout son intérêt au rôle du ministre des outre-mer. On a coutume de dire qu'il est à la tête d'un petit Matignon, d'où il peut suivre l'action de ses collègues ; toutefois, il joue davantage un rôle de persuasion qu'un rôle d'action directe.
Je salue l'augmentation des autorisations d'engagement dans le projet de loi de finances. Cependant, le problème de la sous-utilisation des crédits de paiement demeure. Il faut résoudre cette difficulté, notamment en aidant les collectivités en matière d'ingénierie, pour qu'elles puissent utiliser les crédits dont elles disposent.
Ce qui est frappant, dans le budget des outre-mer, c'est qu'une part importante sert à compenser l'exonération des charges patronales de sécurité sociale. Ces dépenses ont un caractère automatique, ce qui les rend difficiles à piloter. Ainsi, ce budget est souvent scruté à la loupe par les entreprises car il est important pour elles, mais il dit peu sur les autres aspects de la vie dans les outre-mer.
Certaines lignes sont privilégiées, notamment le logement qui est un enjeu important. Toutefois, le budget consacré à l'action sociale et culturelle me contrarie. Il a connu une diminution significative l'an dernier ; cette année, il stagne. Cela empêche d'envisager le redémarrage d'opérations fondamentales, notamment la Cité des outre-mer dont Mme Annick Girardin avait annoncé qu'elle serait réalisée sous une autre forme que celle envisagée initialement. Des crédits avaient été prévus en 2017 pour réhabiliter l'ancien cinéma qui devait l'héberger ; tout cela s'est un peu évaporé. Je regrette cette évolution. Pour développer un pays, il faut certes des logements, du travail et de la croissance économique, mais la culture et l'identité sont des aspects importants si l'on veut bien vivre. Malheureusement, le budget que nous examinons aujourd'hui ne garantit pas une prise en compte satisfaisante de ce point de vue.
De même, je regrette la fermeture de la chaîne de télévision France Ô avant même l'adoption du projet de loi de réforme de l'audiovisuel. Contrairement à l'espoir que nourrissaient nos collègues de la commission des Affaires culturelles, il n'est pas du tout établi que les autres chaînes prendront le relais pour donner une visibilité aux outre-mer. Au contraire, le dernier rapport de l'Observatoire de la diversité à ce sujet démontre que la diversité au sein de notre système audiovisuel a reculé. La disparition de France Ô réduira encore la visibilité des outre-mer dans notre pays.
Nous sommes également préoccupés par la différenciation territoriale. Au sein des outre-mer, on distingue les « vieilles colonies », pour ainsi dire, régies par l'article 73 de la Constitution selon le principe de l'identité législative, et les autres territoires qui disposent d'importantes possibilités d'autonomie. La révision constitutionnelle, telle qu'elle avait été annoncée, prévoyait de développer la différenciation territoriale. Cette révision étant, pour l'heure, au point mort, il serait souhaitable de reprendre la réflexion en envisageant un autre véhicule législatif.
Enfin, les crédits relatifs au service militaire adapté (SMA) et à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) sont reconduits. Les actions menées dans ce cadre, par des professionnels tout à fait compétents, sont à saluer.
À la lumière de ces observations, j'estime que ce budget est en partie la reconduction du précédent, avec des items connus. Il n'inspire à la rapporteure pour avis ni grand enthousiasme ni objection négative.
Je tâcherai d'instiller un peu d'enthousiasme dans nos commentaires sur ce budget, car je pense qu'il le mérite. Même si Mme George Pau-Langevin porte une appréciation globale qui lui a inspiré un avis d'abstention, c'est à la lumière de ses commentaires que je formulerai les miens – avec beaucoup d'humilité, car c'est en écoutant et en lisant les discours de ceux qui connaissent bien le terrain que j'apprends progressivement à prendre la mesure des outre-mer.
Les fragilités des divers territoires d'outre-mer empêchent de mesurer l'ampleur qu'y prend la crise provoquée par le covid-19. Ce qui est sûr, c'est que leur situation est difficile et qu'elle mérite une mobilisation considérable. Celle-ci a été au rendez-vous ; la réactivité de l'État doit être soulignée. Des mesures d'urgence, à hauteur de 4 milliards d'euros, ont été prises en faveur des territoires ultramarins, ce qui représente une proportion significative de l'effort national. En matière de prêts garantis par l'État (PGE), on a constaté outre-mer un phénomène de surconsommation qui n'allait pas de soi initialement.
Je relève aussi que le projet de loi de finances s'inscrit dans les stratégies de long terme du Gouvernement, notamment celles développées dans le cadre des assises des outre-mer et du Livre bleu présenté au mois de juin 2018. Il consolide les contrats de convergence et de transformation prévus par la loi sur l'égalité réelle outre-mer – ÉROM – et il permettra de financer plusieurs plans d'envergure, tels que la trajectoire outre-mer 5.0, le plan logement outre-mer 2019-2022 et le plan SMA 2025.
Avec une augmentation de 6,39 % pour les autorisations d'engagement et de 2,64 % pour les crédits de paiement, les niveaux d'engagement restent ambitieux. Toutefois, les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent que 12 % de l'effort budgétaire global de l'État s'y rapportant, compris entre 20 et 25 milliards d'euros. Ce budget renforcé permettra d'augmenter les moyens affectés au soutien à l'emploi et la formation, ainsi qu'à l'accompagnement des collectivités territoriales, à l'équipement des territoires, au logement et à la continuité territoriale.
J'aimerais aborder la question de la sous-consommation des crédits de paiement, qui a fait l'objet d'explications diverses. Elle existe aussi ailleurs, mais il serait faux de nier la singularité de l'outre-mer en la matière.
En matière de logement, sur lequel je mène, avec notre collègue Serge Letchimy, un travail déjà ancien, je me réjouis de l'annonce d'autorisations d'engagement en augmentation de 8,71 %. Au passage, je salue l'action importante des partenaires de cette politique, CDC Habitat ainsi qu'Action Logement, qui a intégré dans son plan d'investissement volontaire 1,5 milliard d'euros au profit des outre-mer. Voilà de quoi relativiser les propos que j'ai pu entendre lors de l'examen d'autres missions budgétaires, selon lesquels son rôle était menacé ! La différence entre autorisations d'engagement et crédits de paiement est importante : 176 millions d'euros pour les premières, 224 millions pour les seconds. En 2019, la sous-consommation des crédits de cette action était de 49 millions d'euros ; elle était de 170 millions d'euros en 2018.
En dépit des efforts entrepris depuis 2019, qui ont permis l'amélioration de la consommation des fonds, notamment à La Réunion, cette situation témoigne de la difficulté à mobiliser des crédits nécessitant des instructions parfois longues et complexes auprès d'autorités de gestion locales pas toujours totalement efficientes. Il est essentiel d'adapter l'accompagnement des acteurs concernés. Comment améliorer l'utilisation des crédits, notamment en matière d'ingénierie ?
Au sein du plan de relance, 1,5 milliard d'euros sont fléchés vers l'outre-mer. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que cette somme constitue un socle. On lit dans le plan de relance qu'elle est proportionnelle au poids économique des outre-mer. Sincèrement, celui qui tenait la plume n'a pas fait là un choix très heureux. Il y a d'autres façons de présenter les choses, même si j'ai bien pris note que le reste de la somme mobilisée demeure ouvert aux outre-mer. En tout état de cause, pour que les collectivités d'outre-mer puissent répondre aux appels d'offres et aux appels à projets, elles doivent disposer d'une ingénierie adaptée. Il faut véritablement que l'État les accompagne davantage. Je sais que telle est votre préoccupation, monsieur le ministre.
Outre les problèmes d'ingénierie, de moyens financiers et de moyens humains, les outre-mer souffrent aussi d'un problème de normes. J'en profite pour vous transmettre le salut de Cyrille Melchior, président du conseil départemental de La Réunion, avec qui j'ai dialogué tout à l'heure en visioconférence. Il m'indiquait que, en matière de bâtiments agricoles, il est parfois complexe d'adapter à l'outre-mer les normes décidées pour la nation. Il en résulte de fréquents refus d'implantation de ces bâtiments. Autre exemple devenu un poncif : je ne suis pas sûr que la règle de la pente maximale de 15 %, dans la construction des parkings, pour éviter aux véhicules de pompiers de glisser sur le gel, corresponde à une nécessité outre‑mer. Nous devons faire un effort en matière d'adaptation des normes et des correspondances.
Monsieur le ministre, vous avez eu la bonté de me confier une mission sur le rayonnement régional des outre‑mer, dont je pense que le plan de relance doit être l'un des moyens. J'étais hier soir avec la French Tech Polynésie. Ces gens font un travail remarquable d'innovation et d'adaptation des technologies, avec un potentiel de développement économique fort. Il faut les accompagner. L'Agence française de développement (AFD) est d'ailleurs bien au rendez‑vous.
Dans le monde qui nous attend, avec le covid et ses fragilités sanitaires, les mobilités se restreindront un peu. L'équation se fera entre prospérité, qualité de vie et développement régional. Parce que ce budget y concourt largement, je le soutiendrai avec enthousiasme, ainsi que le groupe La République en marche.
Je serai moins joyeux que M. Guillaume Vuilletet. Ce discours d'autosatisfaction ne correspond pas à la réalité outre‑mer… Nous savons que l'outre‑mer, c'est 25 % de chômage des jeunes, 42 % de la population sous le seuil de pauvreté et 25 % des jeunes entre 16 et 29 ans sans formation, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Je vous épargne la litanie des chiffres : ce n'est pas le pays de rêve doté des budgets formidables que vous décrivez. La réalité est moins joyeuse, moins épique et moins romanesque que les discours.
Il est vrai, monsieur le ministre, que le montant de l'investissement de l'État outre‑mer stagne depuis de nombreuses années autour de 20 milliards d'euros. Cet équilibre, qui repose sur des jeux de compensation, n'est pas profitable aux outre‑mer.
Deux programmes composent la mission « Outre‑mer ». Le programme 138 est consacré à l'emploi. Il vise majoritairement à faire diminuer les charges patronales pour un budget d'environ 1,565 milliard d'euros, en augmentation de 6,61 % – une augmentation constante depuis 2019. J'espère que cette année encore, après le bâtiment, le tourisme et l'aérien, de nouveaux secteurs pourront bénéficier de l'augmentation des seuils d'exonération. Des entreprises ne passeront pas cette année ou l'année 2021, étant donné que la reprise ne sera pas aussi rapide que vous l'annoncez. Sans un renforcement des exonérations de charge, nous ne retrouverons pas ces entreprises au moment où les sommes versées commenceraient à produire des résultats. En regardant les chiffres de plus près, on constate que, sur 1,51 milliard d'euros ouvert en loi de finances pour 2019, les versements effectifs ont été à peine supérieurs à 1,39 milliard d'euros.
Le programme 123 relatif aux conditions de vie et au logement inquiète encore aujourd'hui : nous fondons de grands espoirs dessus, dans la mesure où c'est dans ce domaine que le nombre d'emplois peut augmenter. Le budget pour la construction des logements étudiants est de 110 millions d'euros en autorisations d'engagement, mais seulement de 86 millions d'euros en crédits de paiement. Vous savez bien la sous‑consommation des crédits tragique outre‑mer. Ce n'est pas seulement la faute des collectivités territoriales. La responsabilité est partagée entre l'État, les collectivités et les maîtres d'œuvre. Cela vient le plus souvent de la lenteur et de la complexité des instructions autour d'autorités de gestion locale pas toujours efficaces. L'implication des collectivités n'est pas suffisante non plus.
J'entends Action Logement ou CDC Habitat dire qu'il n'y a qu'à mobiliser les stocks existants dans les dossiers au fond des tiroirs et que tout cela sortira de manière magique parce que des milliards ont été mis sur la table. Mais si les dossiers ne sont pas sortis des tiroirs, il y a des raisons, qui ne vont pas s'évaporer d'un coup sous l'effet d'annonces de financements. Pour le plan de relance, les mêmes causes produiront les mêmes conséquences. Le délai de montage du dossier de financement, entre la mise en œuvre des décrets d'application et les réponses aux appels à projets, ne permettra pas des effets réels sur l'activité avant début 2022. Pour le PLOM, ce sera le même constat : il n'y aura pas d'effet visible avant le dernier trimestre 2021. C'est pourquoi nous devons accompagner les entreprises, notamment du bâtiment, dans cette passe difficile.
Comme mes collègues, je salue évidemment l'augmentation des crédits. Je suis néanmoins inquiet parce que tout n'y est pas, concernant l'exonération des charges sociales. Je salue l'augmentation du budget en faveur du logement, tout en restant aussi inquiet quant à la sous‑consommation des crédits puisque rien n'a été prévu pour la pallier. Au final, je suis plutôt réservé et je m'abstiendrai.
La crise sanitaire a des conséquences préoccupantes outre‑mer, tant sur l'économie et l'emploi que sur les conditions de vie. Les inquiétudes de nos concitoyens ultramarins sont fortes et l'évolution de la situation à court et à moyen termes mobilise toute notre attention. Les économies ultramarines souffrent de fragilités structurelles liées à l'insularité, à l'éloignement et à l'enclavement. De plus, le tissu entrepreneurial ultramarin est composé à 95 % de TPE et de PME, ce qui renforce la vulnérabilité de ces économies.
Dans le projet de loi de finances pour 2021, les dépenses pour l'outre‑mer irriguent une grande partie du budget général de l'État, à hauteur de 12 %. Cet effort financier sera‑t‑il suffisant pour soutenir l'économie ultramarine ? N'attendons pas que nos territoires soient exsangues pour leur proposer des solutions dont l'efficacité serait amoindrie par leur arrivée tardive. Les députés du groupe MODEM aimeraient savoir si vous envisagez d'étendre aux entreprises de tous les territoires ultramarins le décret du 14 août 2020 relatif au fonds de solidarité pour les entreprises de Guyane et de Mayotte, particulièrement touchées par la covid‑19. Une telle mesure serait une pierre supplémentaire dans l'architecture destinée à permettre d'affronter la tempête et de relever les défis à venir.
Notre groupe salue les crédits en augmentation de la mission « Outre‑mer » : les autorisations d'engagement progressent de 6 % afin de soutenir, entre autres, le logement et les constructions scolaires. Dans le champ du logement social, l'offre est insuffisante au regard de la demande. La forte croissance démographique dans certaines collectivités, l'évolution des modes de vie, les structures des ménages rendent indispensable un effort financier conséquent en faveur d'un logement social plus dense. Il est également nécessaire de préserver et de renforcer la qualité de l'habitat existant. Dans ce budget, l'action relative au logement affiche des autorisations d'engagement de plus de 224 millions d'euros. Cette hausse de 8,7 % est une bonne nouvelle. Cependant, comme l'a rappelé Mme Justine Benin en commission des Affaires économiques, nous devons être vigilants pour que ces crédits soient exécutés, parce que nos concitoyens attendent une action forte sur le logement.
Parmi les autres axes concernés par la mobilisation de moyens supplémentaires, il y a l'éducation. Cela concerne les constructions scolaires, notamment à Mayotte et Wallis-et-Futuna. Ces nouveaux crédits, ajoutés aux enveloppes déjà mobilisées, représenteront un total sans précédent de plus de 137 millions d'euros. Un tel effort est le bienvenu, l'accès à l'éducation passant aussi par des infrastructures scolaires en nombre suffisant et de qualité.
Le taux de chômage des jeunes est élevé outre‑mer. La mission « Outre‑mer » renforce le soutien à l'insertion et à la qualification. Mais comment y parvenir véritablement quand les actions de formation sont à l'arrêt ou fonctionnent au ralenti ? Quand les stages sont introuvables ? Quand l'emploi est encore moins au rendez‑vous qu'avant ? À titre d'exemple, le taux global d'insertion des régiments du service militaire adapté a chuté de 8 points sur les quatre premiers mois de l'année.
L'essentiel des crédits de la mission est destiné à l'amélioration de l'emploi et de la compétitivité des entreprises, notamment par un allègement des cotisations patronales. Les moyens budgétaires prévus pour ce dispositif sont en hausse de 6,6 % par rapport à 2020 et représentent 1,5 milliard d'euros. C'est un levier important, qui nécessitera certainement d'être accompagné par d'autres mesures. Le virus met chaque jour un peu plus à mal l'économie, qui repose sur de petites entreprises moins résistantes aux chocs économiques d'une telle ampleur, mais aussi sur des secteurs frappés de plein fouet – le tourisme et le BTP.
J'appelle votre attention, monsieur le ministre, sur l'importance du secteur informel dans certains territoires, qui exclut de nombreuses activités des dispositifs d'aides, ce qui fait courir un risque d'appauvrissement aux populations qui en vivent. Cela signifie que le Gouvernement doit renforcer les actions en faveur de la solidarité et de la cohésion sociale, comme l'a rappelé la rapporteure pour avis. Le groupe MODEM accueille favorablement les crédits de cette mission.
Monsieur le ministre, je vais sortir des sentiers battus. Je partage le point de vue de M. David Lorion : si des éléments sont positifs, il faut partir du constat assez terrible de la situation économique et sociale de nos différents départements et régions d'outre‑mer. Les chiffres ont été donnés sur le chômage, en particulier des jeunes.
Par ailleurs, je partage l'avis de la rapporteure pour avis. Vous avez commencé votre intervention par une allusion au nombre de programmes – quatre‑vingt‑dix – et de missions – trente – et vous avez fait un long détour, compréhensible, pour expliquer tout ce qui se faisait en parallèle. Cela conduit à s'interroger, non pas sur la solidarité de l'État, mais sur l'efficacité d'un ministère de l'outre‑mer qui ne gère que des budgets automatisés et une petite partie seulement de ce qui est réellement consacré à l'outre‑mer. Comment permettre aux collectivités de disposer d'une vision à moyen et à long termes sur leur développement ? Comment dessiner de véritables dynamiques et les rendre lisibles alors que les programmes sont éparpillés ? Il faut réfléchir à un reformatage du ministère des outre‑mer pour redéfinir son périmètre. On ne peut pas parler de développement énergétique sans intégrer des questions de fiscalité, de formation, d'emploi ou d'exonérations. Pour un projet de développement durable, dix ministères seront concernés. Comment être efficaces dans de telles conditions ?
S'agissant de la sous‑consommation des crédits, je ne voudrais pas que l'on croie –ce n'est pas ce que vous avez dit ! – qu'il y a un problème d'ingénierie et que cela relève d'une incapacité locale. Il existe une ingénierie importante à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe ; il y a des habitants compétents, capables de mener les projets de bout en bout. Le problème est structurel. C'est un problème d'adaptation locale. Vous savez que je suis favorable à une politique de différenciation territoriale – différente de la vôtre –, permettant de donner un pouvoir d'adaptation aux collectivités sur les lois et règlements de sorte que l'on puisse tenir compte des spécificités ultramarines.
Vous connaissez la situation des collectivités. Il n'y a pas de gabegie. Il n'y a pas d'élu incapable de gérer ou qui détourne des fonds pour faire recruter des gens à la veille des élections. Cela n'est pas vrai. Nous avons notre dignité. Nous avons des compétences. Certes, il y a des dérives, mais comme partout. Nous avons vraiment besoin d'une réforme structurelle. Elle a d'ailleurs commencé avec l'ajustement de la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre‑mer.
Quel est votre projet pour répondre à la chute démographique en Martinique et en Guadeloupe, dont les populations ont perdu 30 000 personnes en dix ans ? Nous aurons, dans quelques années, le label des départements les plus vieux de France alors que les jeunes continuent à fuir. Quelles sont vos propositions pour connecter nos pays à leur voisinage et mener des actions de coopération décentralisée ?
S'agissant du chlordécone, j'espère que nous pourrons nous rencontrer prochainement. Il faut une loi-cadre, donnant une visibilité sur une vingtaine d'années, pour sortir la Martinique et la Guadeloupe de cet empoisonnement et en finir avec le rituel des petits plans tous les trois ans qui ne distribuent que des miettes.
Quelles sont vos propositions concernant la réhabilitation immobilière ? Nous ne pouvons pas continuer à voir disparaître des terres agricoles.
Je salue votre effort et l'arbitrage obtenu pour faire progresser le budget, même s'il faut rester prudent à cause de l'effet de lissage compte tenu des problèmes de sous‑consommation.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour nos échanges constructifs de la semaine dernière avec le président de la Polynésie française, M. Édouard Fritch. Je suis heureuse de cette écoute et des efforts particuliers pour le renouvellement de nos contrats de développement, la convention santé‑solidarité et la nouvelle convention sur les abris de survie. Pour moi, le ministère de l'outre‑mer a bien un rôle pivot et, en ce sens, nous vous encourageons, monsieur le ministre, qui êtes le premier porte‑parole de nos territoires, et nous comptons sur vous. Je sais combien vos actions sont importantes pour infuser au sein du Gouvernement les spécificités de nos territoires. Certes, ce n'est jamais assez et l'on peut toujours faire plus. Les parlementaires sont là pour appuyer, relayer et renforcer ces messages. Le projet de loi de finances est un moment privilégié. Mais c'est un exercice difficile parce qu'il est frustrant de devoir discuter dans un temps très court, d'autant que la mission « Outre‑mer » ne représente que 10 % du budget de l'État consacré aux territoires d'outre‑mer.
S'agissant de la Polynésie française, je voudrais savoir si le renouvellement des contrats apparaîtra au PLFR4. Comment ces contrats seront‑ils inscrits dans la loi de finances ? Par ailleurs, nous avons besoin de visibilité concernant l'éligibilité des collectivités régies par l'article 74 de la Constitution au programme d'investissements d'avenir (PIA). Lors d'une audition du rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques, M. Max Mathiasin, il m'a été confirmé que nous ne serions pas éligibles au volet tourisme du PIA. C'est un non‑sens.
Nous avons besoin de visibilité dans les secteurs clés. Je partage l'avis de M. David Lorion : s'il y a beaucoup d'éléments positifs dans le plan de relance pour les réseaux d'eau et d'assainissement, pour le bâtiment, pour le logement, il ne faut pas oublier que, du fait de la crise sanitaire, nous avons des besoins conjoncturels forts dans des secteurs clés. J'insiste pour que nous puissions bénéficier d'un fonds de soutien aux entreprises d'intérêt stratégique, comme je l'avais proposé lors de l'examen du PLFR3. Nous ne demandons pas des crédits nouveaux, mais de garantir et de sécuriser dans le fonds national une part dédiée aux entreprises outre‑mer, notamment dans le secteur aérien et celui des énergies renouvelables.
Pour ce qui est du secteur audiovisuel, je vous remercie d'avoir rétabli la LODEOM renforcée.
Enfin, à la suite du cyclone Irma aux Antilles, nous avions lancé une mission pour la gestion des risques climatiques en zone littorale. Pouvez‑vous nous confirmer l'inscription en début d'année prochaine à l'ordre du jour d'un projet de loi visant à renforcer les moyens de l'État et des communes pour mieux gérer les risques naturels qui vont aller s'intensifiant ?
Si le budget de la mission « Outre‑mer » est en légère augmentation, il demeure insuffisant. La crise sanitaire est venue frapper des territoires structurellement défavorisés, en particulier outre‑mer. Ce budget est dans la lignée du précédent, qui privilégiait les seules entreprises. Assurément, il faut les accompagner, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la population. Or, c'est encore le cas : 66 % des crédits de la mission sont destinés à l'emploi et à la compétitivité des entreprises.
Les territoires d'outre‑mer devraient bénéficier d'un volet de 1,5 milliard d'euros du plan de relance. Des projets ont été identifiés : prévention du risque sismique dans les Antilles et accélération du plan eau avec 50 millions d'euros pour consolider le marché des travaux et de la gestion des réseaux. Sachant que le coût de ces travaux est estimé à 1 milliard d'euros pour la seule Guadeloupe, voilà un nouvel exemple du décalage complet entre annonces et besoins réels.
Notre groupe a mené une série d'auditions dans le cadre d'une commission d'enquête sur la gestion du covid‑19. Que ce soit en Guadeloupe ou en Martinique, le constat sur l'état défaillant des infrastructures hospitalières était partagé. Lundi 28 septembre, des agents du service de radiologie du centre hospitalier universitaire de Guadeloupe étaient en grève contre les dysfonctionnements et les pénuries récurrents, alors que les capacités d'intervention sont amoindries depuis plus de deux ans. Les problèmes de continuité territoriale ont été aggravés par la crise économique et sociale et par l'état d'urgence, qui a duré sans résoudre la crise sanitaire. Tout cela montre bien que la pandémie n'est pas complètement jugulée. Dans les territoires ultramarins, les infrastructures ne suivent pas, ce qui pose un problème d'accès aux soins et de conditions de travail.
L'accès à l'eau est d'autant plus important dans le contexte sanitaire. Or, on constate une rupture d'égalité inacceptable : des coupures d'eau massives en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte. D'après l'agence régionale de santé (ARS), 52 % des foyers réunionnais ne disposent pas d'une eau de bonne qualité. Le prix de l'eau est beaucoup plus élevé qu'en métropole, puisque le mètre cube d'eau coûte, selon des chiffres de 2013, 2,03 euros en métropole, 2,22 euros à Saint-Pierre‑et‑Miquelon et 5,28 euros en Martinique. Il faut aussi rappeler la gestion privée catastrophique avec l'exemple de Veolia en Guadeloupe. Le collectif des travailleurs des eaux a relevé le passage d'un excédent budgétaire de 18 millions d'euros entre 2000 et 2007 à un déficit de plus de 100 millions d'euros de 2010 à 2015, sans que le réseau ait été entretenu pour autant. Nous devrions nous demander où est passé cet argent…
Ces deux exemples montrent l'insuffisance des moyens de rattrapage mais aussi le manque d'investissements sur le long terme. Nous ne soutiendrons pas ce budget.
Après la réforme de 2019 et les ajustements de l'an dernier, il est prévu que le dispositif d'exonération des cotisations sociales, qui représente plus de la moitié de la mission « Outre‑mer », trouve sa pleine application en 2021. Mais c'est sans compter la covid qui bouleverse ce calendrier, surtout quand des secteurs stratégiques subissent de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire, comme celui du tourisme. À La Réunion, la filière tourisme représente plus de 3 500 entreprises, très souvent des TPE‑PME, et près de 14 000 salariés. Outre l'hôtellerie et la restauration, il faut prendre en compte les activités de transport et de location de voiture, les activités culturelles, sportives ou événementielles. Toutes connaissent une situation catastrophique. Comme il est surtout dépendant d'une clientèle extérieure, ce secteur est corrélé aux variations du trafic aérien, dont la baisse est historique, à la réglementation sur les tests et à sa difficile mise en pratique pour de nombreux passagers et, bien sûr, aux appréhensions entourant les longs voyages. Selon les dernières prévisions, la fréquentation touristique devrait diminuer d'environ 50 % avec 300 000 touristes en 2020 contre 600 000 en 2019.
Quant aux perspectives, elles ne sont guère encourageantes. Si la clientèle locale compense en partie les pertes dans la restauration, il n'en est rien pour les autres activités. Des événements d'envergure internationale, comme le Grand Raid et le Sakifo Musik Festival, ont été annulés. Des compagnies aériennes qui desservent La Réunion sont en difficulté. Sur la carte du tourisme mondial, notre destination sera encore plus en compétition avec des pays bénéficiant d'un soutien énergique de leur gouvernement. L'ensemble de la filière redoute une trop longue sortie de crise et la destruction de nombreux emplois. Elle appelle à la définition, dès à présent, d'un plan de relance qui intègrerait des campagnes de promotion en Europe, des actions de formation, mais aussi l'élargissement des exonérations à tous les indépendants du secteur.
Je tiens à saluer la hausse de 8,7 % de la ligne budgétaire unique dédiée au logement, avec 224 millions d'euros en autorisations d'engagement. C'est un signal positif contre l'habitat indigne. Je souligne également l'effort porté vers les collectivités avec le maintien du fonds exceptionnel d'investissement à 110 millions d'euros et des crédits de paiement en hausse de 11,6 %. Cette année, des dispositions majeures sont instaurées pour soutenir nos collectivités avec la compensation des recettes non perçues, telles que l'octroi de mer et la taxe sur les carburants. La territorialisation du plan de relance doit prévoir un volet consacré à l'accompagnement et au développement des projets, portant sur l'étude et l'ingénierie. Il ne produira pas l'effet espéré s'il n'est pas déployé sur le terrain, en consommant tous les crédits disponibles. Nous avons même évoqué l'idée d'un appui en ingénierie à l'instar de ce que le Gouvernement avait institué à Mayotte et en Guyane.
C'est un budget en hausse dont nous devrons éviter la sous‑exécution. Monsieur le ministre, vous avez dit que nous arrivions au bout d'un moment important dans la relation entre l'État et les collectivités d'outre‑mer. Vous êtes l'un des pivots entre tous les ministères, notamment à Bercy où vous avez gagné nombre d'arbitrages.
Madame Obono, tous les parlementaires de Guadeloupe, quels que soient leurs bancs, sont à pied d'œuvre pour travailler avec le préfet. Nous avons régulièrement des comités de suivi : comité de gestion de la dengue ou du covid‑19, où nous travaillons de concert avec le directeur général du CHU et les chefs de service. Nous sommes informés de toutes les difficultés que rencontre le CHU. Un nouveau CHU est en construction, mais des difficultés demeurent dans celui qui a subi l'incendie de novembre 2017. Parlementaires de la Guadeloupe, de l'outre‑mer, nous connaissons nos combats et nos difficultés. Il y a, en effet, des problèmes récurrents en eau et nous sommes, là aussi, à pied d'œuvre, quels que soient nos bancs.
Rapporteur pour avis au nom de la commission des Affaires économiques, j'ai travaillé sur le secteur du tourisme. Je souhaitais souligner trois points.
Le premier point concerne la crise causée par la raréfaction du tourisme, due notamment à la diminution des vols. Beaucoup de petites entreprises souffrent et ont besoin d'une aide urgente pour ne pas aggraver le chômage, structurel chez nous puisqu'il touche 25 % de la population active. Je pense aux compagnies de voyage, aux loueurs de véhicule, de gîtes, aux petits restaurateurs et à d'autres encore. Tous, en raison de leur structure et de la faiblesse de leurs fonds propres, n'ont pas pu accéder aux aides proposées par l'État. Je vous demande de vous pencher particulièrement sur ces entreprises, qui risquent de fermer leurs portes et d'aggraver la crise sociale.
Le deuxième point concerne le Syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) que vous avez décidé de dissoudre au 1er décembre. Vous connaissez bien le drame de l'eau en Guadeloupe. Comme l'a dit Mme Danièle Obono, il faudra beaucoup d'argent pour remettre à flot ce réseau : le passif est lourd. Vous avez pris cette décision alors que nous n'avons aucune visibilité sur la reconstruction. Un plan de 71 millions d'euros a été payé essentiellement par les collectivités, la région et le département, l'État n'intervenant qu'à hauteur de 10 % environ. Puisque vous n'affichez que 50 millions d'euros pour l'eau dans tous les territoires ultramarins, l'État fera-t-il réellement un effort ? Il faut de la visibilité et que l'État prenne ses responsabilités, qu'il se mette autour de la table avec les collectivités, afin de construire le nouvel organisme que nous appelons de nos vœux. Selon le président de la région, le Président de la République avait promis une enveloppe de 400 millions d'euros pour l'eau en Guadeloupe. Nous avons évoqué cette question avec vous lors d'une réunion à la préfecture de Basse-Terre. Mais depuis, plus rien !
Enfin, vous devez savoir que beaucoup de personnels soignants, infirmiers, aides-soignants, médecins, ont été diagnostiqués positifs au covid-19 à Pointe-à-Pitre, et qu'ils sont contraints de travailler dans des conditions difficiles. Y aura-t-il une prise en considération de cette situation ? Je ne dis pas que des efforts n'ont pas été faits, mais les personnels soignants ont besoin de visibilité. Ils doivent savoir si des aides leur seront apportées pour faire face à la crise.
Il y a quelques mois, un navire chinois s'est échoué sur l'atoll d'Aratua posant un problème lié à la capacité technique de son désenchouage. Les moyens de la Polynésie française ont été mis à contribution, mais cela n'a pas suffi. Peut-on envisager un soutien de la marine nationale ?
Une indemnisation a été demandée pour réparer les dégâts occasionnés par ce navire. Or, dans ce genre de situation, les armateurs chinois ont tendance à se défausser et à disparaître. Là encore, nous aurions besoin que l'État veille au grain et discute avec ses homologues chinois afin de s'assurer que ces indemnisations ne s'évaporent pas.
Par ailleurs, le prélèvement sur recettes en faveur des communes concerne-t-il les communes françaises du Pacifique ?
Le budget de la mission « Outre-mer » doit être apprécié lucidement au regard de la situation préoccupante de nos territoires ultramarins. Celle de La Réunion, notamment, s'est aggravée depuis le début de la pandémie de covid-19, avec la perte de 4 500 emplois entre décembre 2019 et juin 2020.
En 2019, une réforme en profondeur des aides économiques avait été opérée, suscitant beaucoup d'émotion tant elle avait pris de court les parlementaires et les acteurs concernés. Des ajustements sont toujours en cours puisqu'un amendement, adopté en commission des Affaires sociales, a permis d'intégrer la production audiovisuelle dans les secteurs renforcés. Nous nous en félicitons, même si le secteur du bâtiment et des travaux publics est toujours écarté – je ne reviendrai pas sur les propos de M. David Lorion, que je partage.
Le programme 138 affiche une hausse de plus de 6 % par rapport à l'année 2020 durant laquelle, entre le confinement et la crise économique, ont forcément été retardés des projets publics et privés. Cette hausse de 6 % en autorisations d'engagement et de 2 % en crédits de paiement semble optimiste au regard des années précédentes qui ont vu une sous-consommation des crédits, prouvant la déconnexion entre l'affichage budgétaire et la réalité. Vous n'en portez évidemment pas la responsabilité, monsieur le ministre, mais cette incertitude ne rassure personne.
Les crédits de la mission sont en hausse mais l'effort de l'État outre-mer est moindre. Faut-il, hors péréquation des collectivités que je salue, y voir la poursuite du basculement de la solidarité nationale en solidarité ultramarine ? Par exemple, la ligne budgétaire unique du logement augmente de 18 millions en autorisations d'engagement et baisse de 5 millions en crédits de paiement, pour revenir au-dessous des 220 millions. Dans le même temps, le programme 109 « Aide à l'accès au logement » de la mission « Cohésion des territoires » du document de politique transversale outre-mer est en baisse de 50 millions d'euros.
Vous avez compris que, si ma collègue tout à l'heure a fait un plaidoyer en faveur de ce budget, ce plaidoyer est impossible pour moi.
Je suis d'accord avec nos collègues qui ont souligné combien la crise imputable au covid-19 a aggravé des situations déjà difficiles. Les restrictions en matière de transport aérien ont fortement détérioré la situation dans le tourisme. Il serait intéressant qu'il y ait, à côté de la communication sur le budget en général, une communication claire sur la partie outre-mer du plan de relance.
Mes collègues ont également eu raison de souligner que, si beaucoup de crédits n'étaient pas consommés, ce n'était pas dû seulement à l'ingénierie mais aussi à l'attitude tâtillonne des services de contrôle et d'instruction. Lorsque j'étais ministre des outre-mer, il fallait souvent deux ans pour lancer une opération de logement : Bercy disait toujours que l'opérateur n'était pas suffisamment fiable, que la finalisation du projet était insuffisante. Pour consommer les crédits et accélérer les procédures, il conviendra de se montrer plus souple.
S'agissant de l'eau, la situation est compliquée du fait qu'il existe plusieurs intervenants : les communes, les collectivités départementale et régionale, voire l'État. Non seulement il faut augmenter les crédits, mais il faut aussi faire évoluer la gouvernance de l'eau. Or, c'est sur ce dernier point que les choses achoppent.
Enfin, je vais reprendre une partie de mon rapport pour repréciser ce que j'ai voulu dire à propos des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. On sait que les populations veulent que les lois et règlements soient adaptés, mais aussi qu'elles craignent de sortir de l'article 73. Il faut un équilibre entre les deux articles.
On voit bien que le débat sur les articles 73 et 74 de la Constitution s'estompe, que le besoin de différenciation sur le terrain institutionnel existe toujours mais qu'il s'exprime de manière moins aiguë dans le débat public : parce que certaines collectivités ont émergé, comme les collectivités territoriale de Guyane (CTG) et de Martinique (CTM), mais aussi parce que la situation de crise sanitaire, économique et sociale laisse peu de place à cette question. Les sujets devant nous sont consensuels ou ne le sont pas. À Wallis-et- Futuna, il n'y a toujours pas de loi organique parce qu'il n'y a pas de consensus. Dans les régions mono-départementales de La Réunion et de Guadeloupe, il faut clarifier qui, du département et de la région, fait quoi. J'ai dit publiquement, et je le répète devant les parlementaires, que je suis prêt à examiner cette question dans le cadre du projet de loi « 3D », à condition que les territoires concernés la défendent. Ce n'est pas au Gouvernement d'arriver avec une solution clé en main. J'ai entendu, pour la Guadeloupe, que la région pourrait gérer les lycées et le département les collèges. Ou bien, peut-être serait-il plus clair que l'un des deux étages ait la compétence sur le scolaire et l'autre étage sur autre chose. Ce sont des éléments sur lesquels on peut avancer en dehors d'une révision constitutionnelle. Si Mme George Pau-Langevin est volontaire, en tant qu'ancienne ministre des outre-mer et parlementaire, pour travailler sur ces sujets, je serai très heureux de l'accompagner.
Vous souhaitez avoir une meilleure compréhension de ce que fait l'État de façon transversale. C'est du citoyen qu'il faut partir. Que les parlementaires doivent regarder dans plusieurs missions et plusieurs programmes, cela fait partie du métier ! Le fonctionnement entre la rue Oudinot et Bercy, c'est notre affaire. Ce qui compte, in fine, c'est que l'entrepreneur touristique trouve ce dont il a besoin, que le maire puisse lancer la construction de logements qu'il souhaite. L'interministérialité passe par le préfet, peut-être encore davantage outre-mer. Mais la lisibilité n'est pas un enjeu propre à l'outre-mer – élu de l'Eure, j'en sais quelque chose.
Mme George Pau-Langevin s'est investie dans la Cité des outre-mer jusqu'à la fin du quinquennat précédent, mais le projet n'a pas eu le temps d'aboutir. J'ai vu que la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, a fait des annonces dans le cadre de sa campagne municipale. Comme je serai amené à la rencontrer prochainement, j'échangerai avec elle sur le projet car il requiert, non seulement d'avancer du point de vue de l'infrastructure avec la mairie de Paris, mais aussi sur le fonctionnement de cette infrastructure. Ensuite, il faut créer les réseaux et la dynamique adéquats. De ce point de vue, nous avons plus de moyens et il faut maintenant basculer en mode projet. Je vous le dis franchement : soit on fait quelque chose de bien, soit on a le courage de dire qu'on ne fait rien. On ne reste pas entre-deux. Je suis plutôt volontaire pour faire quelque chose parce que le besoin de culture existe.
Dans le plan de relance, il ne faut pas tant raisonner du point de vue du volet outre-mer que par territoire – quelle sera l'enveloppe globale pour La Réunion, pour la Guadeloupe, pour la Guyane ? Quand je parle de socle, cela veut dire premier arrivé, premier servi. S'il y a suffisamment de projets, ils trouveront leur financement. Beaucoup de choses contradictoires ont été dites. On ne peut pas affirmer qu'il n'y a pas assez d'argent et qu'il y a trop d'AE mais pas assez de CP ; que le décalage entre les deux est dû aux particularités locales, et ne pas renvoyer à une territorialisation du plan de relance. J'essaie d'être ministre comme j'ai été maire et président de conseil départemental, en cherchant à fonctionner de manière opérationnelle. Cela nécessite de regarder les choses avec beaucoup de sens pratique. Ce qui m'intéresse, c'est décliner très vite les choses par territoire. Quelque chose me dit qu'il sera plus facile de territorialiser le plan de relance outre-mer, qu'il sera plus compliqué de le rendre visible en Normandie qu'à La Réunion. Des instructions ont été passées aux préfets qui ont dû commencer à réunir les élus, les parlementaires, le monde économique et social. Dans certains territoires, notamment en Guadeloupe et en Martinique, il est évident que la question sanitaire passe avant celle de la relance, mais il faut parvenir à conjuguer les deux.
Monsieur Vuilletet, je vous remercie d'être revenu sur la réactivité de l'État par rapport à la crise. Le plan de relance prévoit des crédits dédiés à la seule ingénierie des collectivités. Inscrits sur trois années à l'AFD, avec un pic à 20 millions d'euros en 2022, ils lui permettront d'accompagner toutes les collectivités. Là aussi, on revient à la territorialisation avec les préfets et les services de l'État, et l'apport de solutions grâce à des outils que l'on connaît par ailleurs.
Monsieur le député Lorion, vous n'avez pas pu m'entendre m'autosatisfaire de la situation des outre-mer. Je dis juste que je propose à la représentation nationale, au nom du Gouvernement, un budget dont on peut estimer qu'il est satisfaisant. Est-ce suffisant ? Je ne sais pas. Vous appartenez à une famille politique plutôt attentive à la dépense publique et à l'argent du contribuable. Vous dites que les chiffres sont stables depuis plusieurs années. Non ! En 2012, les crédits pour l'outre-mer s'élevaient à 13 milliards en AE et en CP contre 20 milliards d'euros en 2020. Je ne dis pas que c'est formidable, mais il est évident que les crédits ont augmenté. À moins de faire de la politique, il faut le reconnaître. Personne ne pense la vie joyeuse et romanesque outre-mer. D'ailleurs, elle ne l'est guère, en ce moment, pour beaucoup de nos concitoyens au vu des difficultés économiques, sociales et sanitaires.
S'agissant du BTP, il y a deux manières de relancer le secteur : soit par l'exonération et le soutien, soit par le carnet de commandes. Je reste persuadé qu'on peut remplir un carnet de commandes d'autant qu'en ce début de mandat municipal, beaucoup de maires veulent lancer des projets. Je préfère qu'on accompagne l'offre, autrement dit les collectivités, à travers la DSIL exceptionnelle, le FEI, le respect des délais en matière de contractualisation, les sous-enveloppes sur les infrastructures de transport, pour tenir le BTP dans une situation positive. On sait le faire et il n'est pas utile de passer par la LODEOM, même si les mesures de chômage partiel et le PGE sont mobilisées par ailleurs.
Pour le tourisme, c'est différent. La nuit d'hôtel qui n'est pas facturée est perdue à jamais. Il faut adapter notre accompagnement par filière.
La sous-consommation des crédits sur la construction des logements n'est pas uniquement de la faute des collectivités, mais ce n'est pas non plus de la faute de l'État. M. Serge Letchimy a raison : ce n'est pas qu'un problème d'ingénierie – même si c'est le cas dans certains territoires –, c'est parfois un problème de gouvernance. Je me suis fixé comme règle de ne pas citer les mauvais exemples, mais on sait bien, monsieur Lorion, que dans certains territoires, lorsque la région et le département ou les grandes villes ne parviennent pas à se mettre autour de la table pour signer une convention logement sous le regard médusé du préfet, ça n'aide pas.
Cela dit, il faut tenir compte des spécificités de chaque territoire. À Mayotte et en Guyane, si on met de l'argent sur les établissements publics fonciers, c'est parce qu'il n'y a pas de foncier disponible, c'est pour traiter le problème à la racine. Parfois, ce n'est pas un problème de construction de logements neuf mais de réhabilitation dans l'ancien. C'est pourquoi nous avons veillé à ce que les territoires soient éligibles au dispositif Denormandie dans l'ancien et aux opérations de revitalisation du territoire (ORT).
Et puis, il y a parfois des problèmes d'adaptation des normes nationales au niveau local – je le disais lorsque j'étais maire et président du conseil départemental, je ne vais pas me dédire. Toutefois, le vrai problème, ce sont les injonctions contradictoires. Deux types de normes nous empêchent de construire. D'abord, il y a les risques naturels et technologiques. Il est compliqué d'expliquer à nos concitoyens qu'on va amoindrir notre vigilance vis-à-vis des séismes, par exemple. C'est le problème que l'on rencontre à Saint-Martin après le passage des ouragans Irma et Maria. Ensuite, il y a les normes environnementales – loi montagne, loi littoral – dont l'application outre-mer est parfois difficile. En la matière, je veux avancer sur la question des commissions départementales de la prévention des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNA). Nos concitoyens attendent légitimement qu'on ne fasse plus n'importe quoi en matière de gestion des déchets, de ressource en eau, de bétonisation du front de mer, d'érosion du trait de côte... Je suis prêt à avancer sur l'assouplissement de ces normes mais quelque chose me dit que cela ne fera pas consensus et qu'on se retrouvera très rapidement avec des contentieux.
Il n'est pas complètement vrai de prétendre qu'on ne verra pas les effets du PLOM avant la fin 2021. Il produit des effets et il y a eu un rebond, fin 2019 et début 2020, avant le confinement. Je n'ai pas les chiffres en tête mais nous les transmettrons : ils sont tout à fait encourageants à La Réunion. D'ailleurs, il y a même eu davantage de dossiers que d'argent disponible : à la suite de ma visite, on a redéployé des crédits, car il y avait du retard dans d'autres territoires, pour permettre à La Réunion de poursuivre.
Nous n'allons pas étendre les mesures spécifiques prises pour la Guyane et Mayotte à d'autres territoires. Les accompagnements s'adossaient sur l'état d'urgence sanitaire et, lorsque celui-ci a été prolongé dans ces deux territoires, on a mécaniquement prolongé les accompagnements – le premier fonds de soutien a été porté de 1 500 à 3 000 euros et les critères d'éligibilité ont évolué. Depuis, on a complètement transformé le premier volet du fonds de soutien. Au moment où je vous parle, il y a davantage de mesures de freinage qui handicapent l'économie en Guadeloupe qu'il n'y en a à Mayotte ou en Guyane. D'ailleurs, j'ai demandé au préfet de la Martinique un point précis sur la situation. Nous y serons peut-être amenés à prendre des mesures de freinage de l'épidémie dans les heures qui viennent.
Globalement, toutes les mesures de soutien à l'économie que l'on élabore en droit commun s'appliquent dans les DROM, avec parfois des mesures spécifiques – c'était vrai pour Mayotte et la Guyane – pour certains secteurs comme le tourisme ou les compagnies aériennes.
S'agissant du taux d'insertion à l'issue du RSMA, il suit globalement la même tendance chaque année : il était de 77 % en 2017, de 82 % en 2018, de 80 % en 2019, et il devrait être de 78 % en 2020. Cette année, les régiments ont été sollicités pour accompagner et protéger les populations dans le cadre du covid-19, y compris dans les territoires qui n'ont pas été concernés comme en Nouvelle-Calédonie.
M. Serge Letchimy a eu la gentillesse de demander à quoi servait le ministère des outre-mer et non le ministre des outre-mer – je note la nuance. La question est légitime. Tous les pays européens qui ont des territoires d'outre-mer ont un ministère dédié. La France en a historiquement toujours eu un. Je suis persuadé qu'il est très compliqué de faire droit à une spécificité d'application des politiques publiques sans un ministre et une administration dédiés. Sans trahir de secret, j'ai une conversation numérique constante avec chaque préfet, avec le directeur général des outre-mer et avec mon cabinet. En cas de de crise sanitaire, le ministre suit en permanence ce qui se passe. Pour ce qui est des questions institutionnelles, très franchement, il est compliqué pour un ministre des collectivités territoriales ou un ministre de l'intérieur de se pencher sur les seules questions des articles 73 et 74 de la Constitution – et je ne parle pas du territoire qui m'accueille en ce moment. Il me semble difficile de vouloir garantir les spécificités ultramarines sans un ministère dédié. Cela dit, il n'y a qu'un Gouvernement, qu'un État et qu'un projet de loi de finances. En même temps, si la mission « Outre-mer » n'existait pas, cette audition n'aurait pas lieu. Dans notre organisation, mon travail est de solliciter les collègues ministres pour cultiver le réflexe outre-mer. Le Président de la République a démontré qu'il y attachait beaucoup d'importance. Les parlementaires ont aussi un rôle à jouer. Le ministère évolue ; fort heureusement, il n'est plus le ministère des colonies. Le RSMA existerait-il s'il relevait uniquement du ministère des armées ? C'est peut-être parce que le ministère des outre-mer le paie intégralement que le RSMA est maîtrisé et qu'il se développe.
Je précise que 55 % des crédits globaux de la mission « Outre-mer » sont automatiques et que 45 % font l'objet d'un pilotage. Dans le reste du budget de la nation, beaucoup de choses sont automatiques – le traitement des fonctionnaires, les exonérations, etc. Là aussi, les choses méritent d'être regardées avec un peu de recul.
Madame Maina Sage, votre territoire est éligible au PIA4. N'ayez pas d'inquiétude sur le volet tourisme. La question des risques majeurs ne sera peut-être pas examinée sous la forme d'un projet de loi dédié, mais elle fera plutôt l'objet d'un titre sur l'outre-mer dans le cadre du projet de loi « 3D », sachant que certains sujets peuvent être réglés par voie réglementaire.
Les entreprises stratégiques font bien sûr l'objet d'un suivi, en particulier celles du secteur aérien. Au-delà d'Air France, nous avons accompli un certain nombre de choses et nous allons poursuivre dans ce sens.
S'agissant de l'eau, je note l'intérêt du groupe La France Insoumise. M. Max Mathiasin me demande si l'État va prendre ses responsabilités. Voilà qui me surprend ! En tant qu'élu local, je suis attaché à la décentralisation, à la liberté locale. Les parlementaires qui ont voté pendant vingt ou trente ans les lois sur la décentralisation doivent assumer ce qui relève de la compétence locale. L'eau n'est pas une compétence de l'État. Elle ne l'a jamais été. C'est une compétence historiquement décentralisée aux communes. L'État ne peut avoir toujours tort alors qu'un étage de la puissance publique n'a pas fait son travail – c'est ce qui s'est passé. Pourquoi n'y a-t-il pas les mêmes problèmes concernant l'eau en Martinique et en Guadeloupe ? Il faudra bien que nous ayons un débat public, surtout si celui-ci devient national. Je ne laisserai pas penser que c'est de la faute de l'État. Si le préfet de Guadeloupe Philippe Gustin n'avait pas pris, en son temps, des risques en la matière, on en serait toujours au même point. Ce n'est pas qu'une affaire d'argent, c'est aussi une affaire de gouvernance. Redistribuer les compétences au comité d'agglomération est le meilleur moyen d'avancer. Faut-il de l'argent ? Oui : c'est le plan Eau DOM. Des enveloppes spécifiques ont été débloquées pour la Guadeloupe. Les collectivités territoriales y consacrent davantage d'argent : et pour cause, c'est leur compétence ! Et puis, « l'eau paie l'eau » est un grand principe que les élus locaux ont toujours défendu – demandez à M. François Baroin, président de l'Association des maires de France, ce qu'il en pense. De surcroît, des Aqua prêts permettent aux collectivités gestionnaires de s'endetter sur soixante ans à des taux très intéressants. Le président du conseil régional de Guadeloupe, M. Ary Chalus, a débloqué de l'argent, comme la présidente du conseil départemental, Mme Josette Borel-Lincertin, alors même que la région et le département ne sont pas compétents. L'État, avec le plan de relance, contribue aussi. Or, des centaines de millions d'euros ne changeront pas le fait que le vrai sujet réside dans la gouvernance de l'eau et la capacité de faire des travaux. Je veux bien prendre ma part et, sans mauvais jeu de mots, je me suis mouillé sur ce dossier parce que les conséquences sanitaires peuvent être désastreuses pour les Guadeloupéens. Mais on ne peut pas dire que le Gouvernement n'en fait pas assez alors qu'il n'y est pour rien.
La promotion du tourisme comprendra des actions qui concernent les outre-mer. S'agissant des exonérations LODEOM, le problème est que beaucoup d'acteurs du tourisme sont indépendants. Or, pour bénéficier d'exonérations salariales, il faut des salariés. Le secrétaire d'État chargé du Tourisme, M. Jean-Baptiste Lemoyne, se penche dessus. Les agences de voyages sont éligibles au fonds de soutien que nous sommes en train d'élargir. Le chômage partiel est désormais indemnisé à 100 % par l'État, ce qui permet d'accompagner le plus grand monde.
Faute de temps, je ne parle pas des tests virologiques dans les aéroports. Des mesures seront annoncées prochainement, notamment pour nos concitoyens ultramarins.
Monsieur Brotherson, je vais examiner la question du navire chinois échoué en Polynésie française. Je n'ai pas compris ce que vous avez dit en ce qui concerne le prélèvement sur recettes. Aucune baisse de recettes n'est prévue pour les communes de votre territoire. Si telle était votre crainte, je vous rassure pleinement.
Merci, monsieur le ministre. Nous vous attendons avec impatience pour un compte rendu de votre déplacement en Nouvelle-Calédonie.
Après la déconnexion du ministre, la Commission en vient à l'examen pour avis des crédits de la mission « Outre-mer ».
Mes chers collègues, il revient maintenant à la commission des Lois, saisie pour avis, de se prononcer sur la mission « Outre-mer ». Seuls les membres physiquement présents peuvent voter.
À titre personnel, je m'abstiendrai. Mon avis en tant que rapporteure pour avis sera du même ordre.
La Commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » pour 2021.
La réunion s'achève à 13 heures 10
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.