On voit bien que le débat sur les articles 73 et 74 de la Constitution s'estompe, que le besoin de différenciation sur le terrain institutionnel existe toujours mais qu'il s'exprime de manière moins aiguë dans le débat public : parce que certaines collectivités ont émergé, comme les collectivités territoriale de Guyane (CTG) et de Martinique (CTM), mais aussi parce que la situation de crise sanitaire, économique et sociale laisse peu de place à cette question. Les sujets devant nous sont consensuels ou ne le sont pas. À Wallis-et- Futuna, il n'y a toujours pas de loi organique parce qu'il n'y a pas de consensus. Dans les régions mono-départementales de La Réunion et de Guadeloupe, il faut clarifier qui, du département et de la région, fait quoi. J'ai dit publiquement, et je le répète devant les parlementaires, que je suis prêt à examiner cette question dans le cadre du projet de loi « 3D », à condition que les territoires concernés la défendent. Ce n'est pas au Gouvernement d'arriver avec une solution clé en main. J'ai entendu, pour la Guadeloupe, que la région pourrait gérer les lycées et le département les collèges. Ou bien, peut-être serait-il plus clair que l'un des deux étages ait la compétence sur le scolaire et l'autre étage sur autre chose. Ce sont des éléments sur lesquels on peut avancer en dehors d'une révision constitutionnelle. Si Mme George Pau-Langevin est volontaire, en tant qu'ancienne ministre des outre-mer et parlementaire, pour travailler sur ces sujets, je serai très heureux de l'accompagner.
Vous souhaitez avoir une meilleure compréhension de ce que fait l'État de façon transversale. C'est du citoyen qu'il faut partir. Que les parlementaires doivent regarder dans plusieurs missions et plusieurs programmes, cela fait partie du métier ! Le fonctionnement entre la rue Oudinot et Bercy, c'est notre affaire. Ce qui compte, in fine, c'est que l'entrepreneur touristique trouve ce dont il a besoin, que le maire puisse lancer la construction de logements qu'il souhaite. L'interministérialité passe par le préfet, peut-être encore davantage outre-mer. Mais la lisibilité n'est pas un enjeu propre à l'outre-mer – élu de l'Eure, j'en sais quelque chose.
Mme George Pau-Langevin s'est investie dans la Cité des outre-mer jusqu'à la fin du quinquennat précédent, mais le projet n'a pas eu le temps d'aboutir. J'ai vu que la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, a fait des annonces dans le cadre de sa campagne municipale. Comme je serai amené à la rencontrer prochainement, j'échangerai avec elle sur le projet car il requiert, non seulement d'avancer du point de vue de l'infrastructure avec la mairie de Paris, mais aussi sur le fonctionnement de cette infrastructure. Ensuite, il faut créer les réseaux et la dynamique adéquats. De ce point de vue, nous avons plus de moyens et il faut maintenant basculer en mode projet. Je vous le dis franchement : soit on fait quelque chose de bien, soit on a le courage de dire qu'on ne fait rien. On ne reste pas entre-deux. Je suis plutôt volontaire pour faire quelque chose parce que le besoin de culture existe.
Dans le plan de relance, il ne faut pas tant raisonner du point de vue du volet outre-mer que par territoire – quelle sera l'enveloppe globale pour La Réunion, pour la Guadeloupe, pour la Guyane ? Quand je parle de socle, cela veut dire premier arrivé, premier servi. S'il y a suffisamment de projets, ils trouveront leur financement. Beaucoup de choses contradictoires ont été dites. On ne peut pas affirmer qu'il n'y a pas assez d'argent et qu'il y a trop d'AE mais pas assez de CP ; que le décalage entre les deux est dû aux particularités locales, et ne pas renvoyer à une territorialisation du plan de relance. J'essaie d'être ministre comme j'ai été maire et président de conseil départemental, en cherchant à fonctionner de manière opérationnelle. Cela nécessite de regarder les choses avec beaucoup de sens pratique. Ce qui m'intéresse, c'est décliner très vite les choses par territoire. Quelque chose me dit qu'il sera plus facile de territorialiser le plan de relance outre-mer, qu'il sera plus compliqué de le rendre visible en Normandie qu'à La Réunion. Des instructions ont été passées aux préfets qui ont dû commencer à réunir les élus, les parlementaires, le monde économique et social. Dans certains territoires, notamment en Guadeloupe et en Martinique, il est évident que la question sanitaire passe avant celle de la relance, mais il faut parvenir à conjuguer les deux.
Monsieur Vuilletet, je vous remercie d'être revenu sur la réactivité de l'État par rapport à la crise. Le plan de relance prévoit des crédits dédiés à la seule ingénierie des collectivités. Inscrits sur trois années à l'AFD, avec un pic à 20 millions d'euros en 2022, ils lui permettront d'accompagner toutes les collectivités. Là aussi, on revient à la territorialisation avec les préfets et les services de l'État, et l'apport de solutions grâce à des outils que l'on connaît par ailleurs.
Monsieur le député Lorion, vous n'avez pas pu m'entendre m'autosatisfaire de la situation des outre-mer. Je dis juste que je propose à la représentation nationale, au nom du Gouvernement, un budget dont on peut estimer qu'il est satisfaisant. Est-ce suffisant ? Je ne sais pas. Vous appartenez à une famille politique plutôt attentive à la dépense publique et à l'argent du contribuable. Vous dites que les chiffres sont stables depuis plusieurs années. Non ! En 2012, les crédits pour l'outre-mer s'élevaient à 13 milliards en AE et en CP contre 20 milliards d'euros en 2020. Je ne dis pas que c'est formidable, mais il est évident que les crédits ont augmenté. À moins de faire de la politique, il faut le reconnaître. Personne ne pense la vie joyeuse et romanesque outre-mer. D'ailleurs, elle ne l'est guère, en ce moment, pour beaucoup de nos concitoyens au vu des difficultés économiques, sociales et sanitaires.
S'agissant du BTP, il y a deux manières de relancer le secteur : soit par l'exonération et le soutien, soit par le carnet de commandes. Je reste persuadé qu'on peut remplir un carnet de commandes d'autant qu'en ce début de mandat municipal, beaucoup de maires veulent lancer des projets. Je préfère qu'on accompagne l'offre, autrement dit les collectivités, à travers la DSIL exceptionnelle, le FEI, le respect des délais en matière de contractualisation, les sous-enveloppes sur les infrastructures de transport, pour tenir le BTP dans une situation positive. On sait le faire et il n'est pas utile de passer par la LODEOM, même si les mesures de chômage partiel et le PGE sont mobilisées par ailleurs.
Pour le tourisme, c'est différent. La nuit d'hôtel qui n'est pas facturée est perdue à jamais. Il faut adapter notre accompagnement par filière.
La sous-consommation des crédits sur la construction des logements n'est pas uniquement de la faute des collectivités, mais ce n'est pas non plus de la faute de l'État. M. Serge Letchimy a raison : ce n'est pas qu'un problème d'ingénierie – même si c'est le cas dans certains territoires –, c'est parfois un problème de gouvernance. Je me suis fixé comme règle de ne pas citer les mauvais exemples, mais on sait bien, monsieur Lorion, que dans certains territoires, lorsque la région et le département ou les grandes villes ne parviennent pas à se mettre autour de la table pour signer une convention logement sous le regard médusé du préfet, ça n'aide pas.
Cela dit, il faut tenir compte des spécificités de chaque territoire. À Mayotte et en Guyane, si on met de l'argent sur les établissements publics fonciers, c'est parce qu'il n'y a pas de foncier disponible, c'est pour traiter le problème à la racine. Parfois, ce n'est pas un problème de construction de logements neuf mais de réhabilitation dans l'ancien. C'est pourquoi nous avons veillé à ce que les territoires soient éligibles au dispositif Denormandie dans l'ancien et aux opérations de revitalisation du territoire (ORT).
Et puis, il y a parfois des problèmes d'adaptation des normes nationales au niveau local – je le disais lorsque j'étais maire et président du conseil départemental, je ne vais pas me dédire. Toutefois, le vrai problème, ce sont les injonctions contradictoires. Deux types de normes nous empêchent de construire. D'abord, il y a les risques naturels et technologiques. Il est compliqué d'expliquer à nos concitoyens qu'on va amoindrir notre vigilance vis-à-vis des séismes, par exemple. C'est le problème que l'on rencontre à Saint-Martin après le passage des ouragans Irma et Maria. Ensuite, il y a les normes environnementales – loi montagne, loi littoral – dont l'application outre-mer est parfois difficile. En la matière, je veux avancer sur la question des commissions départementales de la prévention des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNA). Nos concitoyens attendent légitimement qu'on ne fasse plus n'importe quoi en matière de gestion des déchets, de ressource en eau, de bétonisation du front de mer, d'érosion du trait de côte... Je suis prêt à avancer sur l'assouplissement de ces normes mais quelque chose me dit que cela ne fera pas consensus et qu'on se retrouvera très rapidement avec des contentieux.
Il n'est pas complètement vrai de prétendre qu'on ne verra pas les effets du PLOM avant la fin 2021. Il produit des effets et il y a eu un rebond, fin 2019 et début 2020, avant le confinement. Je n'ai pas les chiffres en tête mais nous les transmettrons : ils sont tout à fait encourageants à La Réunion. D'ailleurs, il y a même eu davantage de dossiers que d'argent disponible : à la suite de ma visite, on a redéployé des crédits, car il y avait du retard dans d'autres territoires, pour permettre à La Réunion de poursuivre.
Nous n'allons pas étendre les mesures spécifiques prises pour la Guyane et Mayotte à d'autres territoires. Les accompagnements s'adossaient sur l'état d'urgence sanitaire et, lorsque celui-ci a été prolongé dans ces deux territoires, on a mécaniquement prolongé les accompagnements – le premier fonds de soutien a été porté de 1 500 à 3 000 euros et les critères d'éligibilité ont évolué. Depuis, on a complètement transformé le premier volet du fonds de soutien. Au moment où je vous parle, il y a davantage de mesures de freinage qui handicapent l'économie en Guadeloupe qu'il n'y en a à Mayotte ou en Guyane. D'ailleurs, j'ai demandé au préfet de la Martinique un point précis sur la situation. Nous y serons peut-être amenés à prendre des mesures de freinage de l'épidémie dans les heures qui viennent.
Globalement, toutes les mesures de soutien à l'économie que l'on élabore en droit commun s'appliquent dans les DROM, avec parfois des mesures spécifiques – c'était vrai pour Mayotte et la Guyane – pour certains secteurs comme le tourisme ou les compagnies aériennes.
S'agissant du taux d'insertion à l'issue du RSMA, il suit globalement la même tendance chaque année : il était de 77 % en 2017, de 82 % en 2018, de 80 % en 2019, et il devrait être de 78 % en 2020. Cette année, les régiments ont été sollicités pour accompagner et protéger les populations dans le cadre du covid-19, y compris dans les territoires qui n'ont pas été concernés comme en Nouvelle-Calédonie.
M. Serge Letchimy a eu la gentillesse de demander à quoi servait le ministère des outre-mer et non le ministre des outre-mer – je note la nuance. La question est légitime. Tous les pays européens qui ont des territoires d'outre-mer ont un ministère dédié. La France en a historiquement toujours eu un. Je suis persuadé qu'il est très compliqué de faire droit à une spécificité d'application des politiques publiques sans un ministre et une administration dédiés. Sans trahir de secret, j'ai une conversation numérique constante avec chaque préfet, avec le directeur général des outre-mer et avec mon cabinet. En cas de de crise sanitaire, le ministre suit en permanence ce qui se passe. Pour ce qui est des questions institutionnelles, très franchement, il est compliqué pour un ministre des collectivités territoriales ou un ministre de l'intérieur de se pencher sur les seules questions des articles 73 et 74 de la Constitution – et je ne parle pas du territoire qui m'accueille en ce moment. Il me semble difficile de vouloir garantir les spécificités ultramarines sans un ministère dédié. Cela dit, il n'y a qu'un Gouvernement, qu'un État et qu'un projet de loi de finances. En même temps, si la mission « Outre-mer » n'existait pas, cette audition n'aurait pas lieu. Dans notre organisation, mon travail est de solliciter les collègues ministres pour cultiver le réflexe outre-mer. Le Président de la République a démontré qu'il y attachait beaucoup d'importance. Les parlementaires ont aussi un rôle à jouer. Le ministère évolue ; fort heureusement, il n'est plus le ministère des colonies. Le RSMA existerait-il s'il relevait uniquement du ministère des armées ? C'est peut-être parce que le ministère des outre-mer le paie intégralement que le RSMA est maîtrisé et qu'il se développe.
Je précise que 55 % des crédits globaux de la mission « Outre-mer » sont automatiques et que 45 % font l'objet d'un pilotage. Dans le reste du budget de la nation, beaucoup de choses sont automatiques – le traitement des fonctionnaires, les exonérations, etc. Là aussi, les choses méritent d'être regardées avec un peu de recul.
Madame Maina Sage, votre territoire est éligible au PIA4. N'ayez pas d'inquiétude sur le volet tourisme. La question des risques majeurs ne sera peut-être pas examinée sous la forme d'un projet de loi dédié, mais elle fera plutôt l'objet d'un titre sur l'outre-mer dans le cadre du projet de loi « 3D », sachant que certains sujets peuvent être réglés par voie réglementaire.
Les entreprises stratégiques font bien sûr l'objet d'un suivi, en particulier celles du secteur aérien. Au-delà d'Air France, nous avons accompli un certain nombre de choses et nous allons poursuivre dans ce sens.
S'agissant de l'eau, je note l'intérêt du groupe La France Insoumise. M. Max Mathiasin me demande si l'État va prendre ses responsabilités. Voilà qui me surprend ! En tant qu'élu local, je suis attaché à la décentralisation, à la liberté locale. Les parlementaires qui ont voté pendant vingt ou trente ans les lois sur la décentralisation doivent assumer ce qui relève de la compétence locale. L'eau n'est pas une compétence de l'État. Elle ne l'a jamais été. C'est une compétence historiquement décentralisée aux communes. L'État ne peut avoir toujours tort alors qu'un étage de la puissance publique n'a pas fait son travail – c'est ce qui s'est passé. Pourquoi n'y a-t-il pas les mêmes problèmes concernant l'eau en Martinique et en Guadeloupe ? Il faudra bien que nous ayons un débat public, surtout si celui-ci devient national. Je ne laisserai pas penser que c'est de la faute de l'État. Si le préfet de Guadeloupe Philippe Gustin n'avait pas pris, en son temps, des risques en la matière, on en serait toujours au même point. Ce n'est pas qu'une affaire d'argent, c'est aussi une affaire de gouvernance. Redistribuer les compétences au comité d'agglomération est le meilleur moyen d'avancer. Faut-il de l'argent ? Oui : c'est le plan Eau DOM. Des enveloppes spécifiques ont été débloquées pour la Guadeloupe. Les collectivités territoriales y consacrent davantage d'argent : et pour cause, c'est leur compétence ! Et puis, « l'eau paie l'eau » est un grand principe que les élus locaux ont toujours défendu – demandez à M. François Baroin, président de l'Association des maires de France, ce qu'il en pense. De surcroît, des Aqua prêts permettent aux collectivités gestionnaires de s'endetter sur soixante ans à des taux très intéressants. Le président du conseil régional de Guadeloupe, M. Ary Chalus, a débloqué de l'argent, comme la présidente du conseil départemental, Mme Josette Borel-Lincertin, alors même que la région et le département ne sont pas compétents. L'État, avec le plan de relance, contribue aussi. Or, des centaines de millions d'euros ne changeront pas le fait que le vrai sujet réside dans la gouvernance de l'eau et la capacité de faire des travaux. Je veux bien prendre ma part et, sans mauvais jeu de mots, je me suis mouillé sur ce dossier parce que les conséquences sanitaires peuvent être désastreuses pour les Guadeloupéens. Mais on ne peut pas dire que le Gouvernement n'en fait pas assez alors qu'il n'y est pour rien.
La promotion du tourisme comprendra des actions qui concernent les outre-mer. S'agissant des exonérations LODEOM, le problème est que beaucoup d'acteurs du tourisme sont indépendants. Or, pour bénéficier d'exonérations salariales, il faut des salariés. Le secrétaire d'État chargé du Tourisme, M. Jean-Baptiste Lemoyne, se penche dessus. Les agences de voyages sont éligibles au fonds de soutien que nous sommes en train d'élargir. Le chômage partiel est désormais indemnisé à 100 % par l'État, ce qui permet d'accompagner le plus grand monde.
Faute de temps, je ne parle pas des tests virologiques dans les aéroports. Des mesures seront annoncées prochainement, notamment pour nos concitoyens ultramarins.
Monsieur Brotherson, je vais examiner la question du navire chinois échoué en Polynésie française. Je n'ai pas compris ce que vous avez dit en ce qui concerne le prélèvement sur recettes. Aucune baisse de recettes n'est prévue pour les communes de votre territoire. Si telle était votre crainte, je vous rassure pleinement.