Intervention de Élodie Jacquier-Laforge

Réunion du lundi 19 octobre 2020 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis :

Madame la ministre, chers collègues, pour la quatrième année consécutive, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent. Ils s'élèveront à 1,84 milliard d'euros en CP en 2021 contre 1 milliard d'euros il y a seulement quatre ans.

Le plan du Gouvernement – garantir le droit d'asile, mieux maîtriser les flux migratoires –, qui a été présenté en 2017, et l'adoption en 2018 de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ont fondé l'ambition d'une politique migratoire équilibrée et maîtrisée pour notre pays. Ce budget s'inscrit pleinement dans cette perspective, en maintenant l'effort engagé depuis le début de la législature.

Le programme 303 « Immigration et asile », tout d'abord, comprend l'essentiel des crédits de la mission. Il finance notamment la politique de l'asile, ainsi que la lutte contre l'immigration irrégulière.

En ce qui concerne la garantie de l'exercice du droit d'asile, la baisse des autorisations d'engagement a des justifications techniques : elle s'explique par l'arrivée en fin de cycle pluriannuel du financement des places d'hébergement d'urgence. Néanmoins, l'augmentation des crédits de paiement dédiés à l'hébergement permettra de poursuivre la réorganisation et l'augmentation du dispositif national d'accueil. Mme la ministre l'a rappelé, le parc d'hébergement sera ainsi porté à 103 000 places, soit 6 000 places supplémentaires, dont 2 000 seront financées par le plan de relance.

Les crédits de l'ADA sont aussi en hausse, de l'ordre de 2,6 %. Cette dotation pour 2021 est bâtie, comme Mme la ministre l'a indiqué, sur une stabilisation de la demande d'asile par rapport à 2019, l'année 2020, si particulière, ne pouvant servir de référence.

Les crédits relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière sont en forte hausse – près de 16 % en autorisations d'engagement (AE) et 4 % en CP. Ils permettront de financer l'augmentation des capacités d'accueil des CRA. Sur la période 2018-2020, le nombre total de places en CRA augmente de 480, soit de plus de 35 %.

Enfin, les crédits consacrés à l'intégration, y compris dans le programme 107, augmentent pour assurer le financement des décisions prises lors du Comité interministériel à l'intégration du 5 juin 2018. Il s'agit d'actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière, notamment des réfugiés. Ces crédits s'inscrivent dans la forte dynamique insufflée sur la question de l'intégration.

L'action relative à l'accompagnement des étrangers en situation régulière bénéficie de la plus forte hausse, soit 9 %. Ces crédits devraient permettre de renforcer les outils mis à disposition des territoires pour mettre en œuvre l'accompagnement vers l'emploi.

J'en viens à présent au thème que j'ai choisi de développer cette année, celui de la santé des personnes retenues. Si le contexte épidémique a eu une incidence certaine sur ce sujet, je dirai surtout qu'il a eu un effet loupe, en aggravant les difficultés récurrentes qui font obstacle à une prise en charge sanitaire pleinement satisfaisante des personnes retenues au sein des centres de rétention.

D'un point de vue strictement budgétaire, l'évolution des crédits de cette ligne est à la hausse. En effet, la politique du Gouvernement en matière d'éloignement s'est accompagnée d'un renforcement des crédits consacrés à la prise en charge sanitaire dans les CRA, qui atteignent 10,6 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances.

L'enjeu de la prise en charge sanitaire des personnes retenues ne saurait cependant être analysé sous le seul prisme budgétaire, surtout lorsqu'il est question de santé.

Qu'il s'agisse d'alertes émises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits ou les associations intervenant dans les centres de rétention, les griefs formulés envers les modalités de prise en charge des personnes malades en rétention sont nombreux et récurrents. Ils concernent notamment les conditions d'accès au local sanitaire, le défaut fréquent d'interprétariat ou la rupture dans la continuité des soins.

Au cours de mes travaux, j'ai découvert que l'organisation des unités médicales des CRA (UMCRA) était fondée sur une circulaire de 1999, qui n'est plus du tout adaptée à la situation actuelle en rétention. En effet, 15 000 personnes étaient retenues en 1999, contre plus de 50 000 en 2019.

On observe ainsi une forte disparité financière entre les CRA, qui peut aller du simple au quadruple, et une prise en charge sanitaire des personnes retenues qui n'est pas suffisamment harmonisée, notamment en matière de présence des personnels de santé. Un groupe de travail sur la question existe depuis plus de dix ans. Quant à la circulaire de 1999, finalement abrogée en 2017, elle sert toujours de référence aux centres de rétention puisque le texte appelé à lui succéder n'a toujours pas été publié. Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que ce texte sera publié dans les meilleurs délais et permettra une prise en charge renforcée et harmonisée de la santé des personnes retenues ?

Comme je l'explique dans mon avis, en l'absence d'études épidémiologiques menées dans les centres de rétention, le seul indicateur permettant d'identifier les principales pathologies qui y sont rencontrées relève des demandes de protection contre l'éloignement pour raison médicale, formulées par les personnes retenues. En 2019, l'OFII a été saisi de 973 demandes, fondées pour 22 % sur des troubles mentaux et du comportement, ainsi que sur des maladies infectieuses et parasitaires, pour 19,3 %.

Au-delà de la nécessaire mise en place d'indicateurs de suivi sanitaire, je souhaite vous alerter sur l'état de santé mentale des personnes retenues, qui est devenu un vif sujet de préoccupation dans le double contexte de l'allongement de la durée de la rétention et de l'augmentation du taux moyen d'occupation des centres. Les tensions, les automutilations et les violences sont de plus en plus pesantes dans les CRA. Elles sont préjudiciables aux personnes retenues comme aux prestataires présents sur place et aux fonctionnaires de police, dont le travail, effectué parfois dans des conditions difficiles, mérite d'être salué.

Depuis 2020, des psychologues sont déployés en rétention, mais ce déploiement reste modeste et non uniforme. Surtout, il ne permet pas une prise en charge médicale, donc psychiatrique, des personnes dont les troubles mentaux sont parfois très importants. Je souhaite donc que des conventions puissent être signées entre les UMCRA et les établissements de santé mentale afin que soient organisés, dans les centres de rétention, le suivi et la prise en charge psychiatrique des personnes retenues qui en ont besoin.

En ce qui concerne la détection des infections, une meilleure prise en charge pourrait être assurée par une systématisation de la visite médicale à laquelle toute personne retenue a droit.

Dans mon rapport, je montre également qu'une attention particulière doit être prêtée à des situations spécifiques, notamment celles des personnes vulnérables, des personnes dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale et des personnes sortant de prison.

J'en viens à la question particulière de la covid-19. Vous le savez, pendant le confinement, dix des vingt et un centres de rétention ont poursuivi leur activité, sous couvert de la mise en place d'un protocole sanitaire strict, avec l'autorisation du Conseil d'État, qui a été saisi deux fois en référé de cette question. Depuis le déconfinement, l'ensemble des centres ont repris leur activité, mais à un rythme beaucoup moins soutenu que l'année dernière. Ainsi, depuis le 17 mars, 3 702 retenus ont été placés en CRA, contre 12 110 sur la même période en 2019. Depuis le début de la crise épidémique, 22 personnes retenues ont été testées positives à la covid-19.

Mon attention a été appelée sur deux points de vigilance, dont je souhaite vous faire part, madame la ministre. Tout d'abord, dans un CRA, la distribution de masques aurait été refusée à des retenus et, dans un autre, des fonctionnaires de police auraient refusé de porter un masque en présence des retenus, notamment en voiture lors d'escortes. Ensuite, l'obligation de présenter un test virologique négatif de dépistage de la covid-19, imposée par un certain nombre de pays de retour, serait utilisée par des personnes qui, pour empêcher l'exécution de leur mesure d'éloignement, refuseraient de se soumettre à un test PCR. Si l'acte de prélèvement constitue incontestablement un geste qui ne saurait être exécuté de force, sa nécessaire réalisation relève pourtant de l'obligation, pour l'étranger, de se soumettre à l'exécution de sa mesure d'éloignement. Disposez-vous, madame la ministre, d'informations complémentaires sur ces deux points ?

Pour conclure, je voudrais citer les mots d'un de mes illustres prédécesseurs, puisqu'il était député de l'Isère et rapporteur pour avis de cette commission. Je veux parler de Louis Mermaz qui, il y a vingt ans, présentait les centres de rétention comme des lieux « aux frontières de l'humanité ». Le constat que je viens de dresser n'est donc pas récent. Mais il n'en est que plus urgent, notamment en raison de la crise épidémique, qui a aggravé la situation sanitaire dans les centres de rétention. À cet égard, nous sommes nombreux à avoir regretté que la fonction de Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit restée vacante tout au long de cette période. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la nomination, la semaine dernière, de Mme Dominique Simonnot, qui, lors de son audition par notre commission, a d'ailleurs pris l'engagement, symbolique mais révélateur, de consacrer l'une de ses premières visites à un centre de rétention. J'invite d'ailleurs chacune et chacun d'entre vous à vous rendre également dans un CRA afin de vous forger votre propre opinion.

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