Intervention de Émilie Chalas

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Chalas, rapporteure pour avis :

Nous sommes réunis pour examiner pour avis les crédits du programme « Fonction publique » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Ce PLF s'inscrit cette année dans un contexte particulier : la crise sanitaire qui a frappé et frappe encore notre pays représente une épreuve majeure. Dans le combat permanent contre le virus, la fonction publique a permis à la nation de se tenir debout. Je tiens à saluer l'exceptionnel engagement et le dévouement des 5,5 millions d'agents publics, quels que soient leurs statuts, leurs catégories et leurs fonctions, qui œuvrent chaque jour au service de l'intérêt général. Permettez-moi à cet instant d'avoir également une pensée pour Samuel Paty, un enseignant qui incarnait pleinement, par sa profession, les valeurs de la République, et qui symbolisait, par son courage, l'un des visages de notre fonction publique. L'hommage qui lui a été rendu cet après-midi par notre Assemblée témoigne de la reconnaissance unanime de la représentation nationale.

Comme chaque année, je ne souhaite pas développer outre mesure l'analyse budgétaire des crédits, c'est un travail dont s'acquitte en premier lieu la commission des Finances. Je noterai tout de même l'augmentation de l'enveloppe budgétaire globale, grâce à la revalorisation des prestations d'action sociale individuelle et collective à hauteur de 5 millions d'euros. Dans le prolongement de la trajectoire financière enclenchée l'année dernière, c'est une évolution bien sûr positive, qui contribuera à l'amélioration des conditions de travail et de vie des agents de l'État et de leurs familles.

J'ai choisi cette année de consacrer la partie thématique de mon rapport pour avis à la gestion des ressources humaines dans la fonction publique à l'épreuve de la crise de la covid-19. En quelques semaines seulement, le cadre réglementaire a été profondément adapté, sous l'impulsion du Gouvernement et sous le contrôle attentif du Parlement dans le cadre de la loi du 23 mars 2020 créant l'état d'urgence sanitaire. Les règles organisationnelles et les moyens de fonctionnement en ressources humaines ont ainsi évolué en un temps record, dans le but de répondre de façon efficace et opérationnelle au confinement généralisé de la population pendant près de deux mois. Ainsi, le recours au télétravail s'est développé massivement et quasiment instantanément, soulignant l'étendue des opportunités mais aussi des risques que ce mode d'organisation peut générer. Le dialogue social s'est poursuivi par la voie dématérialisée, afin de maintenir un contact permanent entre les employeurs publics et les organisations syndicales. Les modalités de mise à disposition des agents ont été assouplies dans le but de faciliter les renforts de personnel en faveur du versant hospitalier, qui a été bien sûr fortement mis à contribution par la crise sanitaire.

Toutes ces mesures visaient un double objectif : d'une part, préserver le principe de continuité du service public, d'autre part, protéger celles et ceux qui en assurent le fonctionnement, dans la diversité de leurs missions. À ce titre, je me félicite de la suspension du jour de carence au cours de l'état d'urgence sanitaire. Tous les arrêts de travail ont donc été indemnisés dès le premier jour d'arrêt entre le 24 mars et le 10 juillet 2020. Cependant, depuis le 11 juillet dernier, force est de reconnaître que la levée de cette suspension suscite une incompréhension légitime. En effet, comment comprendre que les agents mis en arrêt en raison de leur contamination par la covid-19, qu'ils soient ou non symptomatiques, se voient infliger un jour de carence alors que ceux placés à l'isolement en tant que « cas-contacts » ne se voient pas infliger de délai de carence ? Au moment précis où l'état d'urgence sanitaire a été rétabli sur l'ensemble du territoire national depuis le 17 octobre et dans le contexte épidémiologique actuel d'augmentation constante du nombre de personnes contaminées, je demande, madame la ministre, le rétablissement de la suspension du délai de carence, dans un souci de cohérence et de justice sociale.

Au-delà de la nécessaire adaptation du régime juridique, la crise a renouvelé les pratiques et méthodes managériales. Elle a ainsi accéléré un processus de mutation déjà engagé par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Plus qu'une évolution des mentalités relatives à l'organisation du travail et à la conduite du changement, la crise actuelle rend indispensable la réflexion collective autour de l'ensemble des enjeux relatifs à la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. En tant que rapporteure pour avis, j'avais consacré mon rapport budgétaire en 2018 au thème du management. Deux ans après, je constate que ce sujet est au cœur du débat. Être manager, quel que soit son grade ou sa fonction, ne s'improvise pas, encore moins en période de crise. C'est un apprentissage jamais achevé, qui requiert des savoirs et des savoir-faire. C'est une aptitude qui n'est pas réservée aux seuls hauts fonctionnaires, mais bien à tous les personnels en situation d'encadrement, aux échelons intermédiaires et de proximité, dans les filières administratives et techniques.

Lors des auditions que j'ai conduites, tous les intervenants, dans les trois versants, ont souligné l'importance d'accompagner et de former l'ensemble des agents aux pratiques managériales, notamment en période de crise durable. Je sais, madame la ministre, que vous travaillez avec vos services sur ces enjeux essentiels de formation. Ils prendront une dimension capitale dans les années à venir, à l'heure où émergent les premiers retours d'expérience de gestion de la crise sanitaire. À ce titre, je salue les initiatives menées par plusieurs employeurs publics consistant à réaliser des guides de bonnes pratiques et de préconisations à destination des managers et de l'ensemble des agents publics. Si le travail à distance sur le long terme peut présenter des atouts non négligeables, il comporte aussi des dangers pouvant entraîner un isolement préjudiciable à la cohésion des équipes et à leur solidarité.

En tant que rapporteure de la loi de transformation de la fonction publique, il m'apparaît nécessaire de réaliser le suivi des textes règlementaires que doit prendre le Gouvernement en application de la loi. La très grande majorité des décrets prévus par la loi a été publiée à ce jour : lignes directrices de gestion, procédures de recrutement contractuel, de rupture conventionnelle et de contrôles déontologiques, nominations équilibrées dans l'encadrement supérieur ou encore lutte contre les discriminations. Mais je constate aussi que des décrets concernant des sujets très attendus par nos concitoyens doivent encore être publiés d'ici à la fin de l'année : il s'agit par exemple de l'instauration de la prime de précarité pour les contrats de courte durée, du rapport social unique (RSU) et de la création des comités sociaux. Pouvez-vous nous préciser l'état d'avancement de ce travail, au regard de son contenu et de son calendrier ?

En outre, la loi du 6 août 2019 a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnances à cinq reprises. Les délais d'expiration de ces habilitations s'échelonnent de décembre 2020 à décembre 2021. Je pense, par exemple, à l'ordonnance relative à la protection sociale complémentaire dans la fonction publique pour laquelle les concertations se déroulent en ce moment. Les obligations applicables aux employeurs publics dans le financement de la couverture santé et prévoyance des agents ne doivent pas rester lettre morte, en raison d'un pourcentage de la contribution versée par l'employeur trop faible voire fixé à 0 %, à l'image de ce que l'on peut hélas observer pour le complément indemnitaire d'activité (CIA). L'esprit de la loi que nous avons votée doit être respecté.

Un mot rapide de l'ordonnance de codification du droit de la fonction publique dont l'échéance est fixée à décembre 2021 : comme tout processus de codification, je suis parfaitement consciente qu'il s'agit d'un chantier juridique titanesque. Vos services m'ont indiqué être pleinement engagés dans cette mission, et je ne doute pas de leur investissement. C'est un sujet d'apparence technique mais qui permettra d'améliorer la lisibilité et l'unité du droit applicable à l'ensemble de fonction publique. J'espère donc que les engagements pris par le Gouvernement en la matière seront tenus.

Je souhaite surtout m'arrêter quelques instants sur une ordonnance particulièrement importante : celle relative à la réforme des écoles de la haute fonction publique et aux modalités de recrutement des agents de catégorie A. Je constate, avec un certain étonnement à ce stade, que la représentation nationale n'a pas encore été associée au travail de concertation et de rédaction de cette ordonnance, contrairement aux engagements qui avaient été pris. Il s'agit, pourtant, d'un sujet fondamental, qui ne peut pas être traité à l'abri des regards, dans un entre soi contre lequel nous entendions précisément lutter. Fondamental, car il s'inscrit dans la politique d'égalité des chances et de diversité qui constitue l'une des priorités du Président de la République et de notre majorité. Fondamental car l'on ne saurait à cette occasion remettre en cause les fondements méritocratiques sur lequel repose notre modèle républicain. Fondamental car nous devons respecter l'esprit et la lettre de l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen qui proclame que tous les citoyens sont « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » C'est précisément pour rester fidèle à ce principe garanti par nos textes constitutionnels que j'ai plaidé l'année dernière, dans mon avis budgétaire, pour le renforcement du dispositif des classes préparatoires intégrées – les CPI – aux écoles de service public.

Au nombre de 28, les CPI offrent un soutien pédagogique ainsi qu'un accompagnement individualisé afin de préparer leurs élèves – une vingtaine chaque année par CPI – aux concours d'accès à la fonction publique de catégories A et B. Elles recrutent principalement des étudiants issus de milieux modestes, notamment originaires des quartiers prioritaires de la ville et des zones de revitalisation rurale, et, dans une moindre mesure, demandeurs d'emploi. Elles représentent de véritables leviers de promotion sociale et de diversification des profils au sein de la fonction publique. À ce titre, je me félicite vivement du doublement du montant des allocations versées aux élèves des CPI, qui passeront de 2 000 à 4 000 euros par an. Cette évolution améliorera sensiblement les conditions matérielles dans lesquelles ces candidats préparent les concours administratifs, ce qui contribuera à leur réussite.

Il est temps de passer à la vitesse supérieure. Aussi, pouvez-vous nous préciser quelles orientations sont à l'étude afin de renforcer l'égalité des chances et l'ouverture de l'accès à la fonction publique, notamment de la haute fonction publique, dans le respect de l'égalité de traitement des candidats ? C'est une politique ambitieuse qu'il convient de mener et je sais pouvoir compter sur votre détermination.

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