Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Il n'y a pas de « budget Éric Dupond-Moretti » pour 2021 mais un rattrapage des crédits prévus dans la LPJ, insuffisants en soi et que le groupe La France insoumise avait tenté, en vain, de rehausser par des amendements. Rattrapage, donc, puisque l'addition des budgets de la justice des trois dernières années est exactement celle que prévoyait la LPJ, avec une variante : l'année dernière, il y avait moins, cette fois il y a un petit peu plus. Mais, à chaque fois, c'est l'administration pénitentiaire qui tire son épingle du jeu : très largement l'an dernier, un petit peu plus cette année. Cela devrait nous faire nous interroger sur la fongibilité des crédits.

En matière pénale, le budget des frais d'expertise augmente de 127 millions d'euros. Je suis favorable à cet accroissement, mais je ne me l'explique pas. Pourquoi donc un tel besoin, quand toutes les personnes auditionnées dans le cadre de la commission d'enquête que Didier Paris et moi-même avons conduite ont affirmé qu'il n'y a jamais de frein budgétaire aux expertises demandées par les magistrats ? Sans doute y a-t-il une explication rationnelle à cet accroissement mais elle m'échappe d'autant plus que l'effort n'est pas le même en matière civile, qui fait pourtant l'essentiel de l'activité des juridictions. Aujourd'hui, il faut dix-sept mois pour qu'un juge aux affaires familiales traite un dossier ; tel est le délai auquel les citoyennes et les citoyens français ont à faire face pour la masse du contentieux.

D'autre part, le schéma d'emplois prévoit un nombre fluctuant de recrutements de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation ; les chiffres variant selon les pages – 235 ? 300 ? –, on ne sait lequel croire. Vous-même annoncez 350 primo-recrutements ; c'est bien, mais pour avoir le solde, il faut aussi recenser les sorties. D'ailleurs, vous annoncez 2 400 recrutements en tout au ministère de la Justice, mais quand on additionne l'évolution des emplois pour les différentes missions, on en trouve 1 490. L'attention s'impose sur les chiffres avancés pour ne pas se faire avoir.

Vous avez parlé des alternatives à l'incarcération. Je souscris à votre analyse : la prison est criminogène. Pourtant, le budget du placement à l'extérieur stagne à 8 millions d'euros, alors qu'il était encore de 9 millions en 2016. Pourtant, on ne peut tout miser sur la détention à domicile sous surveillance électronique ; il faut se donner tous les moyens sur tous les sujets, et je déplore que rien ne traduise dans les autorisations d'engagement la dimension pluriannuelle prévue pour ceux qui s'engagent dans des dispositifs de placement à l'extérieur.

Au lieu des 100 millions d'euros préconisés par le rapport Perben, 50 millions supplémentaires sont prévus pour l'aide juridictionnelle ; je présenterai des amendements à ce sujet. Enfin, je ne sais s'il y a vraiment lieu de se réjouir du recrutement de 50 magistrats supplémentaires en 2021 quand ils étaient 100 en 2020.

Je vais faire quatre propositions auxquelles j'espère, monsieur le ministre, que vous ne m'opposerez pas le mur des « non » et des non-réponses, comme on le fait d'habitude. Elles sont issues du rapport sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire que Didier Paris et moi-même avons rendu et que je vais vous remettre immédiatement, parce que je vous ai demandé des rendez-vous et que mes demandes sont restées sans suite – ne vous emportez pas, monsieur le ministre. La première proposition est de soumettre pour avis l'avant-projet de budget de la justice au Conseil supérieur de la magistrature ; la loi ne l'empêche pas, mais elle n'y oblige pas, et je suis sûr que les sujets d'indépendance de la justice vous préoccupent. La deuxième est de revoir la cartographie budgétaire en revenant à un système où chaque cour d'appel est dotée d'un budget opérationnel de programme. La troisième est de mettre en place une comptabilité analytique à la chancellerie, l'un des rares ministères qui n'en a pas encore ; c'est regrettable si l'on veut se donner les moyens de piloter une politique publique aussi importante. La dernière proposition traduit une demande unanime des personnes que nous avons auditionnées : scinder le budget de la mission pour créer une mission « Justice » uniquement consacrée à la justice judiciaire, et une autre aux programmes d'administration pénitentiaire. Tout le monde y gagnerait.

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