La réunion débute à 15 heures 05.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (Mme Laetitia Avia, rapporteure pour avis « Justice et accès au droit » ; M. Bruno Questel, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse »).
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui va nous présenter les crédits de la mission « Justice ».
Je suis heureux de vous présenter le projet de budget de la justice pour 2021. Exceptionnel et historique, il donnera, grâce à vous, à la justice des moyens inégalés depuis plus d'un quart de siècle, permettant à la fois le rattrapage prévu par la loi de programmation et de réforme pour la justice (LPJ) et le financement des priorités que j'ai affirmées lors de ma prise de fonction, au premier rang desquelles je place la justice de proximité.
Historique, car c'est la première fois depuis plus de vingt-cinq ans qu'il augmente autant : de plus de 8 %, soit 607 millions d'euros supplémentaires, plus du double de l'augmentation votée en 2019 pour l'année 2020. Exceptionnel par son montant – 8,2 milliards d'euros – et par le renforcement inédit des moyens humains de l'ensemble des métiers de justice prévu. En 2021, 1 500 recrutements nets auront lieu – soit 240 de plus que ce qui est inscrit dans la LPJ pour 2021 – auxquels s'ajoutent les 950 emplois supplémentaires que j'ai obtenus en 2020, déjà en cours de recrutement pour renforcer sans attendre les tribunaux, les établissements pénitentiaires et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce sont donc en tout 2 450 recrutements nets dont je vais vous donner la répartition.
Avec 1 100 recrutements nets pour les tribunaux, dont 50 magistrats, 130 directeurs de greffe et 596 greffiers et renforts de greffe, il n'y aura plus de vacances de poste structurelles ni dans les greffes ni chez les magistrats à la fin de l'année 2021. Seront aussi recrutés 1 200 renforts pour l'administration pénitentiaire, dont 711 surveillants et 335 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation et 126 personnels supplémentaires pour la PJJ, dont 107 éducateurs. Ces moyens supplémentaires sont particulièrement bienvenus dans le contexte que nous connaissons : c'est un surcroît de ressources pour le renseignement pénitentiaire, la création de places destinées aux détenus radicalisés et le recrutement et la formation d'agents spécialisés, des psychologues en particulier.
Pour améliorer le fonctionnement général de notre justice, tous les maillons de la chaîne judiciaire seront renforcés pour mieux accueillir le justiciable, juger plus vite et mieux faire exécuter les peines.
Parce que la justice garantit le respect du droit dans la vie quotidienne, elle doit être accessible à tous les justiciables ; c'est le sens de la justice de proximité. Pour la mettre en œuvre, nous disposerons avec ce projet de budget de moyens inédits : 200 millions d'euros et 1 100 des 2 450 emplois mentionnés. En tout, 914 juristes assistants et renforts pour les greffes seront recrutés, dont 764 sont déjà en cours de recrutement. Ainsi magistrats et greffiers pourront-ils se concentrer sur la tâche essentielle : juger. Les délais de jugement seront significativement réduits, la présence d'un juriste assistant permettant, selon les situations, d'aller jusqu'à doubler le nombre de jugements rendus par un magistrat.
Les services judiciaires seront également renforcés par le recours accru aux magistrats à titre temporaire, aux magistrats honoraires et aux délégués du procureur. Aujourd'hui, près de 2 000 personnes concourent, selon les besoins, au service public de la justice : 484 magistrats exerçant à titre temporaire, 455 magistrats honoraires et 919 délégués du procureur. Leur apport est essentiel ; je souhaite le développer en portant leur nombre à 3 000 et en augmentant significativement le nombre de vacations qu'ils pourront réaliser ; 28 millions d'euros supplémentaires sont fléchés à cet effet et 1 000 personnes s'ajouteront ainsi aux 2 450 recrutements mentionnés.
L'administration pénitentiaire et la PJJ bénéficient également des moyens alloués à la justice de proximité. Nous recrutons dès maintenant 100 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation supplémentaires, qui complètent par anticipation les 1 092 créations nettes prévues pour l'administration pénitentiaire, et 86 éducateurs pour la PJJ qui compléteront également par anticipation les 40 créations nettes projetées en 2021.
Les moyens alloués à la justice de proximité portent également sur les dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention. La hausse des crédits alloués aux frais de justice est de 127 millions d'euros, soit plus de 26 % d'augmentation. Cette augmentation considérable servira à renforcer les moyens destinés aux frais médicaux, aux frais d'expertise, aux enquêtes sociales rapides et aussi au maillage territorial des unités médico-légales : 20 millions d'euros supplémentaires sont destinés à la médecine légale. On permettra ainsi une meilleure prise en charge des justiciables, au plus près de leur lieu de résidence.
La justice de proximité passe également par l'accélération et la diversification de la réponse pénale, avec le déploiement des bracelets électroniques et des bracelets anti‑rapprochement et le développement des travaux d'intérêt général et du travail non rémunéré. En tout, 17 millions d'euros y seront dévolus.
La justice de proximité, c'est aussi l'accompagnement des mineurs délinquants, ce pourquoi nous consacrerons 20 millions d'euros au soutien des associations habilitées à intervenir au bénéfice des mineurs pris en charge par la PJJ.
La justice de proximité se voit donc allouer des moyens massifs destinés à rendre une justice plus rapide et de qualité, mettre les peines à exécution plus rapidement et permettre une meilleure prise en charge dans les établissements pénitentiaires pour mieux accompagner les mineurs délinquants afin d'éviter les récidives.
Mais ce budget ne donne pas uniquement des moyens remarquables à la justice de proximité ; il permet d'aller au-delà du simple rattrapage prévu par la LPJ. Avec 8,2 milliards d'euros, l'enveloppe est de près de 200 millions plus élevée que ce que prévoyait la LPJ pour 2021. Les 607 millions supplémentaires nous permettront de poursuivre et d'amplifier les politiques mises en œuvre depuis le début du quinquennat.
Pour les services judiciaires, outre ce que j'ai dit des frais de justice, nous allons investir plus encore dans l'immobilier pour améliorer l'état des tribunaux. Fin septembre, j'ai accompagné le Premier ministre au tribunal judiciaire de Bobigny, qui prend littéralement l'eau, et nous avons annoncé la construction d'un nouveau palais de justice pour 2025, avec l'engagement de 120 millions en crédits de paiement dès 2021. L'investissement immobilier augmente de 6 %, pour s'établir à 227 millions d'euros. Ils permettront la réalisation de projets concernant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, le palais de justice de Bastia, la construction de nouveaux palais de justice à Lille, Mont-de-Marsan, Perpignan et, bien sûr, la restructuration du palais de justice de l'île de la Cité à Paris. En tout, les services judiciaires bénéficieront, avec 203 millions supplémentaires, soit plus de 7 % de hausse de crédits en un an, de 3 milliards d'euros.
L'administration pénitentiaire n'est pas oubliée : ses crédits augmentent de 9 %. Nous consacrerons 3,3 milliards d'euros au recrutement des surveillants, à la poursuite de la construction de prisons et à l'amélioration de la sécurité pénitentiaire. Ainsi, 556 millions de crédits de paiement seront consacrés au plan de construction des 15 000 places de prison annoncées, l'objectif étant toujours de programmer l'ensemble de la deuxième phase de 8 000 places d'ici à la fin du quinquennat. Ces crédits permettront, en 2021, la livraison du centre pénitentiaire de Lutterbach et de celui de Koné en Nouvelle-Calédonie, et l'ouverture des places prévues en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) – comme prévu dans la LPJ, 2 000 places en SAS seront ouvertes d'ici à 2022 par construction ou transformation. De plus, 63 millions d'euros – une hausse de plus de 10 % – permettront d'améliorer la sécurité pénitentiaire par le renforcement de la vidéo-surveillance, la lutte contre les drones malveillants et la poursuite de l'installation des systèmes de brouillage des communications.
La PJJ est également au cœur du projet de budget 2021 pour la justice. Avec 50 millions d'euros supplémentaires et 7 % d'augmentation en crédits de paiement, le ministère de la Justice se donne les moyens de renforcer les associations qui accompagnent les jeunes et de mettre en œuvre la réforme de la justice pénale des mineurs en 2021. Ces crédits supplémentaires serviront à développer les alternatives aux poursuites et à apporter une réponse plus rapide et plus efficace aux actes délinquants les moins graves. Des moyens financeront aussi des structures de prise en charge des mineurs qui, en raison de troubles du comportement, trouvent difficilement leur place dans les structures classiques : ainsi, 2,4 millions d'euros iront à la création de trois internats socio-éducatifs médicalisés pour adolescents. Le budget 2021 permet aussi de poursuivre la construction de vingt centres éducatifs fermés.
Ce projet de budget permettra également d'améliorer l'accès de tous à la justice. Pour mettre en œuvre sans attendre la réforme et la revalorisation de l'aide juridictionnelle, 50 millions d'euros supplémentaires sont alloués à cette ligne, en hausse de plus de 10 %. Nous entendons augmenter substantiellement la rémunération de l'heure travaillée par chaque avocat au titre de l'aide juridictionnelle dès le 1er janvier 2021, réviser le barème pour mieux rémunérer les médiations et l'assistance éducative et aussi développer des modes alternatifs de règlement des différends.
Enfin, pour le personnel du ministère, j'ai décidé de mettre en œuvre une politique de ressources humaines visant à reconnaître le professionnalisme, les compétences et les responsabilités. Ainsi, nous avons souhaité mieux valoriser les sujétions des éducateurs de la PJJ qui accompagnent les mineurs la nuit et le week-end en augmentant différentes primes qui, pour certaines, n'avaient pas été revalorisées depuis vingt ans. Nous souhaitons aussi rendre nos métiers plus attrayants pour les jeunes ; à cette fin, nous revaloriserons l'indemnité pour charge pénitentiaire des surveillants, en donnant en 2021 priorité aux jeunes professionnels, dont la rémunération augmentera de 300 euros. Nous nous attacherons aussi à fidéliser le personnel de la justice en revalorisant le régime indemnitaire des greffiers et des directeurs de greffe, qui a décroché par rapport à des corps équivalents alors que le greffe est un rouage essentiel du fonctionnement de la justice.
Tel est le projet de budget que je soumets à l'approbation de votre commission.
Monsieur le ministre, le budget que vous nous présentez est effectivement exceptionnel. En votant la LPJ, nous avions adopté une loi ambitieuse prévoyant une augmentation de 300 millions par an et le recrutement de 1 260 équivalents temps plein (ETP) en 2021 ; vous nous proposez de doubler cet effort et nous nous en félicitons. Vous avez pris vos fonctions avec la mission de défendre la justice ; cela commence en lui donnant les moyens qu'elle mérite. Les crédits alloués à la justice et à l'accès au droit enregistrent une progression record, avec une augmentation de près de 7 % en crédits de paiement et de 5,5 % en autorisations d'engagement.
Pour l'aide juridictionnelle, il est prévu une augmentation de 50 millions, si bien que ce budget s'élèvera à 534 millions d'euros, montant jamais atteint à ce jour. Dans cette enveloppe, 25 millions d'euros financeront les premiers effets de la réforme de la justice pénale des mineurs et la mise en œuvre des propositions d'évolution de l'aide juridictionnelle de la commission Perben sur l'avenir de la profession d'avocat relatives à la rétribution des avocats. Cette augmentation substantielle est aussi une réponse aux propositions de nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin. J'encourage la pleine réalisation de ces propositions concordantes ; quels axes retenez-vous, monsieur le garde des Sceaux, pour améliorer l'aide juridictionnelle ?
J'ai fait de la transformation numérique de la justice le thème central de mon avis budgétaire, la question revenant de manière récurrente et assez vive dans les débats parlementaires. Un plan doté de 530 millions d'euros lui est consacré pour la période 2018-2022. Le confinement a entraîné l'accélération de sa mise en œuvre, le numérique devenant indispensable pour assurer la continuité du service public de la justice. Après quelques difficultés d'adaptation initiales, la justice s'est pour l'essentiel organisée en déployant 1 500 ultra-portables ‑ nombre qui devra être porté à 3 500 d'ici la fin 2020 ‑, en augmentant les capacités de connexion VPN, en recourant davantage à la visioconférence et à la télé-audience, en développant, en matière pénale, la nouvelle application PLEX qui permet le transfert sécurisé de dossiers volumineux entre avocats et magistrats et en créant un outil d'aide à la reprise d'activité à la fin du confinement dont j'encourage la pérennisation et l'amélioration pour assurer le pilotage dynamique de nos juridictions.
On saluera les efforts faits récemment, mais ce rapport budgétaire est aussi l'occasion de faire un point d'étape sur les investissements réalisés et sur leur pilotage. Je souhaite, à cet égard, vous soumettre six axes prioritaires d'amélioration. D'abord, l'équipement numérique des juridictions doit être mis à niveau de manière urgente. Il convient d'accélérer la distribution d'ordinateurs portables pour en doter chaque greffier d'ici à la fin de l'année 2020 ; c'est impératif dans le contexte de crise sanitaire. D'autre part, les logiciels utilisés sont d'un autre temps, ce qui nuit à l'efficacité de la justice. Enfin, il faut investir dans des outils souverains de visio-audience de qualité au lieu que, trop souvent, les magistrats utilisent le système D et des plateformes américaines, ce qui doit absolument être évité.
Le deuxième axe de transformation doit consister à assurer la fluidité des échanges entre les acteurs du droit. Cela suppose d'accélérer et de généraliser le déploiement de la plateforme PLEX en matière civile également, et aussi de développer la visioconférence, notamment pour les audiences de mise en état. Un certain consensus s'est fait pour estimer que la vidéo-audience ne doit être utilisée pour juger que dans des circonstances exceptionnelles, mais rien ne s'oppose à l'optimisation de cet outil pour rapprocher les acteurs de la chaîne judiciaire, notamment dans le cadre des audiences de mise en état.
Le troisième axe doit être de définir des projets prioritaires. Une dizaine de chantiers de transformation numérique sont en cours, sans compter les projets dont la mise en œuvre n'est pas encore amorcée. Le ministère de la Justice a malheureusement des difficultés à respecter les coûts et les délais lors de la réalisation de grands projets informatiques. À cet égard, j'ai été surprise par les différences entre la justice pénale et la justice civile. En matière pénale, les applicatifs tels que Cassiopée fonctionnent plutôt bien, la mise en place de la procédure pénale numérique et les interconnexions avec le ministère de l'Intérieur semblent bien engagées et le projet Astria, qui vise à dématérialiser le casier judiciaire, se développe sans difficulté particulière. En revanche, la modernisation de la procédure civile semble plus difficile : les applicatifs n'étant pas accessibles à distance, les greffiers, même dotés d'ordinateurs portables comme je le préconise, ne pourraient pas travailler à distance quand leurs collègues du pénal le peuvent. Surtout, tout repose sur le projet pharaonique Portalis qui, lancé il y a six ans, peine à aboutir et dont l'enveloppe budgétaire a explosé, avec une augmentation supérieure à 65 %. Ce projet doit être redimensionné ; peut-on envisager de le mettre en pause, non pour l'abandonner mais pour le scinder en prévoyant des objectifs atteignables à court terme ?
La quatrième priorité est de dématérialiser l'aide juridictionnelle et je me félicite des engagements pris à ce sujet.
La cinquième priorité doit être de garantir l'application des dispositions de la LPJ relatives au numérique, qu'il s'agisse du dépôt de plainte en ligne – je sais que la publication d'un décret d'application est annoncée ce mois-ci – ou de la médiation et de la conciliation numériques pour les petits litiges, procédures qui peuvent bénéficier de l'essor des visioconférences. La création de la juridiction nationale des injonctions de payer (JUNIP) n'est pas encore engagée ; on a même envisagé l'abandonner. C'est pourtant un bon projet, soutenu par le Parlement, et nous devons y consacrer tous les moyens nécessaires pour le faire aboutir, quitte à le reporter ; en sera-t-il bien ainsi ?
Le sixième axe prioritaire doit être de mieux organiser la transformation numérique du ministère. Á cette fin, je proposerai en séance publique la création d'un programme « Transformation numérique de la justice » ; ainsi aurons-nous à l'avenir une vision d'ensemble des moyens qui lui sont consacrés. Je pense aussi que le Parlement pourrait être davantage informé de l'effet des dispositions qui lui sont soumises. En amont, par la présentation, avant les votes, d'études d'impact des évolutions numériques prévues précisant le calendrier et les moyens nécessaires ; cela aurait été utile avant le vote du « bloc peine », dont les dispositions ne trouvent pas toutes un écho dans les logiciels actuellement utilisés. En aval, par la communication aux parlementaires des comptes-rendus du comité stratégique que vous présidez, monsieur le ministre, et qui est chargé de piloter et de hiérarchiser les dispositions que nous votons.
J'espère que ces propositions recueilleront votre assentiment et celui de mes collègues. Nous avons vu ces derniers mois que notre justice est pleine de ressources et capable de résilience. Les efforts ne doivent pas se relâcher, singulièrement avec ce budget exceptionnel.
Je ne reviendrai pas en détail sur l'évolution des moyens de l'administration pénitentiaire et de la PPJ que vous venez de nous présenter. Il me semble toutefois nécessaire de souligner les efforts inédits déployés pour la quatrième année consécutive dans des proportions exceptionnelles en faveur de ces deux administrations confrontées à des difficultés très nettes et aux grands défis que sont la réforme du droit des peines d'une part, la réforme de la justice pénale des mineurs d'autre part. À cela se sont ajoutées les complications persistantes dues à la crise sanitaire.
La pandémie a conduit à réduire la population carcérale ; le taux global d'occupation des établissements est ainsi passé de 116 % à 106 % le 1er octobre 2020. Au-delà du flux habituel des personnes sortant d'incarcération, plusieurs mesures ont contribué à la baisse du nombre de détenus : le ralentissement de l'activité de jugement des tribunaux qui a freiné les placements sous mandat de dépôt des personnes condamnées, la facilitation des procédures permettant la libération anticipée des personnes condamnées et la réduction supplémentaire de peine à titre exceptionnel. Notre Commission, attentive à la gestion de la crise par l'administration pénitentiaire, a mené plusieurs auditions, et nous continuerons ce suivi. Pouvez-vous préciser les intentions du Gouvernement en ce domaine et les mesures mises en œuvre pour contenir la diffusion du coronavirus en milieu carcéral ?
Cette année, j'ai centré mon rapport sur la surpopulation carcérale. Elle augmente depuis le début des années 2000, faisant obstacle aux bonnes conditions d'incarcération des détenus et de travail du personnel pénitentiaire. Elle se traduit par la dégradation des conditions matérielles de détention et de délivrance des services aux détenus, qu'il s'agisse des soins, de l'accès aux dispositifs de réinsertion ou des liens avec l'extérieur, et aussi par l'augmentation des tensions, et donc des risques de violence, dans chaque établissement. Elle est en outre contraire au principe d'encellulement individuel des détenus, posé en 1875, réaffirmé par la loi pénitentiaire de 2009 et qui fait l'objet d'un moratoire, son application étant reportée à 2022.
La crise sanitaire a été l'occasion de réduire la population carcérale, je l'ai dit ; cette évolution va dans le sens de la politique volontariste du Gouvernement en ce domaine et des orientations prises pour refondre le dispositif des sanctions et l'échelle des peines prévus par la LPJ. Vous avez récemment indiqué, monsieur le ministre, avoir demandé aux procureurs généraux de requérir, chaque fois que cela est possible, des peines alternatives à l'emprisonnement. Pourriez-vous préciser comment cela permettra d'en finir, au moins partiellement, avec la surpopulation carcérale ?
La part jouée par la détention provisoire dans la surpopulation carcérale me semble insuffisamment prise en compte. En moyenne, ces dernières années, les prévenus représentaient un quart du nombre des personnes écrouées. Mais après le déclenchement de la crise sanitaire, le nombre de prévenus libérés ayant moins diminué que le nombre général des détenus, la proportion de prévenus dans la population sous écrou est passée de 29,8 % en janvier 2020 à 34 % le 1er juillet dernier. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour faire évoluer cette situation et les conditions de la détention provisoire ?
Les conditions de détention Outre-mer sont parfois plus difficiles encore qu'en France métropolitaine. Le plan de création de 15 000 places de prison nouvelles prévoit un effort significatif en faveur de ces collectivités et territoires mais les constructions de nouvelles places peuvent-elles répondre seules aux difficultés spécifiques des Outremers ? Quelles pistes envisagez-vous pour remédier à une situation que nous connaissons tous ?
Enfin, on dit régulièrement que la prison est un foyer de radicalisation. L'exercice des cultes en milieu carcéral est difficile et inégal, voire inéquitable, selon les religions. La nomination des imams, leur formation et leurs conditions d'exercice doivent être revues ; êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à ouvrir ce chantier ?
En 2021, la mission « Justice » bénéficiera d'un peu plus de 12 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 10 milliards en crédits de paiement, soit une augmentation de 32 % pour les premières et de 7 % pour les seconds. Cette fois, contrairement à ce qui fut le cas l'année dernière, le projet de loi de finances (PLF) pour 2021 respecte la trajectoire budgétaire prévue par la LPJ. Je rappelle que la loi de finances pour 2020 prévoyait un budget inférieur de plus de 115 millions à la programmation 2018-2022 adoptée quelques semaines auparavant. Considérant qu'en 2021 la mission « Justice » bénéficiera, hors contribution au compte d'affection spéciale « Pensions », de 8,2 milliards en crédits de paiement, ce budget ne fait que rattraper ce qui était prévu dans la LPJ.
En outre, le PLF prévoit un schéma d'emplois de 1 500 ETP supplémentaires qui dépasse légèrement le chiffre inscrit dans la LPJ et le Gouvernement a annoncé la création exceptionnelle de 950 ETP à compter de la fin de la gestion 2020 pour renforcer, nous dit-on, la justice de proximité. Tous les programmes de la mission voient leurs moyens budgétaires et humains progresser ; dont acte. Néanmoins, l'efficacité d'une politique publique ne tient pas seulement à l'importance des crédits et des emplois dont elle dispose : parallèlement à l'augmentation des moyens, il est nécessaire d'améliorer significativement les performances du ministère de la Justice et la manière dont ces moyens sont alloués puis déployés.
En cette matière, je crois nécessaire de vous faire part de trois sujets d'alerte et d'inquiétude majeure. Concernant la justice judiciaire, le « bleu budgétaire » confirme l'allongement des délais de jugement. Ce n'est pas une surprise : j'alerte sur ce point depuis plusieurs années en ma qualité de rapporteur spécial. Certes, la pandémie a perturbé l'activité des juridictions en 2020, mais reconnaissons qu'il s'agit d'un problème structurel : la situation était déjà critique avant la crise. Il faut y remédier. Plus que jamais, il est indispensable et urgent que le ministère de la Justice utilise les moyens supplémentaires qui lui sont octroyés pour réduire l'engorgement des juridictions.
L'administration pénitentiaire se voit confier des moyens considérables : 4,3 milliards en crédits de paiement, et même 6,3 milliards en autorisations d'engagement, soit une augmentation de 75 % par rapport à l'année dernière. Il s'agit de poursuivre la réalisation du plan de création de 15 000 nouvelles places dans les prisons d'ici à 2027, dont 7 000 d'ici à 2022. Mais, une fois encore, tout n'est pas que question de moyens, et les derniers exercices budgétaires ont montré la difficulté qu'éprouve votre ministère à consommer l'intégralité des crédits prévus pour ces investissements immobiliers ; j'avais alerté sur un problème de sincérité en la matière. C'est donc avant tout le pilotage du plan « prisons » qu'il convient d'améliorer. Je ne suis pas le seul à formuler des doutes à ce sujet : le Secrétariat général pour l'investissement, placé sous l'autorité du Premier ministre, émet sur la réalisation de ce plan un avis « réservé » ; il figure en page 31 du « jaune budgétaire » relatif à l'évaluation des grands projets d'investissements publics annexé au PLF pour 2021. Que le Secrétariat général pour l'investissement lui-même se dise « réservé » face à vos annonces est inquiétant et témoigne d'un certain recul dans la lutte contre la surpopulation carcérale ; je souhaite que vous nous en disiez quelques mots.
Enfin, le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 200 millions d'euros et 950 emplois supplémentaires pour lutter contre la délinquance quotidienne et rapprocher la justice des justiciables. Cette mesure est bienvenue ; c'est d'ailleurs la ligne que j'avais défendue lors des débats sur la LPJ. Toutefois, ces moyens doivent être mis au service d'une justice de proximité réelle et cela suppose d'affecter au moins un nouveau magistrat à chaque tribunal judiciaire pour contrecarrer la tendance à l'éloignement de la justice dans les territoires ruraux et y garantir, par exemple, la présence d'un juge d'instruction à temps plein. Or, rien ne garantit qu'il en sera ainsi. Le Gouvernement devra s'y engager sous peine de remettre en cause la parole de l'État ; monsieur le ministre, vous y engagez-vous ?
Ces trois points majeurs d'alerte justifient un vote défavorable.
Monsieur le ministre, je vous ai adressé le 8 octobre dernier deux courriers récapitulant les décrets à ce jour non publiés et les rapports dus au Parlement qui ne lui ont pas été remis. Sept décrets n'ont pas été pris en temps utile dont certains datent de 2018 et d'autres de septembre 2019, mais le principe de la continuité de l'État vous oblige. Nous attendons notamment le rapport relatif à l'état d'avancement du programme de construction des SAS ; ces structures tiennent particulièrement à cœur à notre commission, qui avait préconisé leur création. Ces courriers vous ont été envoyés dans le cadre du bilan annuel des travaux de contrôle de la commission des Lois. Nous savons que la situation sanitaire a compliqué les choses mais nous nous devions de faire le point.
Madame la présidente, je découvre vos courriers, qui ne m'étaient pas parvenus ; soyez assurée que vous aurez une réponse ultra-rapide. La chronologie que vous avez mentionnée démontre du reste que mon innocence est totale.
Je vous remercie, madame Avia, pour vos aimables propos liminaires. Je partage votre point de vue sur la transformation numérique du ministère, élément essentiel de modernisation. Elle a été engagée avec le plan de transformation numérique, qui sera amplifié dans le cadre du plan de relance. Trois réalisations d'ampleur seront portées par le ministère en 2021 ; elles montrent que l'on agit bien pour le personnel du ministère et pour les justiciables. En premier lieu, le portail des juridictions, instrument de la réforme de la procédure civile dématérialisée, remplacera progressivement les huit systèmes d'information du domaine civil utilisés dans les tribunaux judiciaires. L'expérimentation des procédures devant les conseils des prud'hommes aura lieu début 2021, celle de la prise de date fin 2021. L'expérimentation du système d'information d'aide juridictionnelle, socle du projet de simplification et de dématérialisation du dispositif, commencera en mars 2021 en vue d'une généralisation à la fin de l'année. Enfin, l'expérimentation du portail des agents et des détenus débutera à la maison d'arrêt de Dijon au troisième trimestre 2021, et le déploiement national aura lieu à partir de la fin 2021.
Outre que les économies d'échelle attendues de la création de la JUNIP se révèlent beaucoup moins importantes qu'espéré pour les ressources humaines des greffes, on se heurte à des difficultés techniques majeures. Cela oblige à décaler d'un an l'entrée en vigueur de cette réforme.
En raison de la crise sanitaire, les télé-audiences ont été facilitées pour éviter aux personnes fragiles de se rendre dans les salles d'audience. Cette pratique, qui répond aux attentes des justiciables et de la justice, doit être pérennisée ; c'est un gage de modernisation pour un coût relativement faible.
Le programme Portalis vise à moderniser le service public de la justice en dématérialisant les interactions entre les acteurs de la chaîne judiciaire civile. J'en rappelle les étapes : déploiement du portail du service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) entre le 3 décembre 2018 et le 11 avril 2019 ; portail du justiciable mis en service le 6 mai 2019 dans les arrondissements judiciaires de Lille et de Melun pour les affaires civiles, généralisation le 27 mai de la même année, lancement national le 27 août 2019 à Melun ; expérimentation de la saisine en ligne des juridictions civiles et pénales destiné aux justiciables dans les tribunaux judiciaires de Rouen et de Douai au quatrième trimestre 2020 ; expérimentation des procédures devant les conseils de prud'hommes au premier trimestre 2021.
Pour améliorer la transformation numérique, nous allons doubler le nombre d'ordinateurs portables. Le parc de matériel de visioconférences du ministère de la Justice est le plus important de ceux de tous les ministères et nous allons bientôt proposer d'utiliser cet outil dans le cadre des audiences civiles. Il ne s'agit pas d'éloigner le justiciable de la justice mais, parfois, sa présence n'est pas indispensable. Loin de l'exclure, nous cherchons à fluidifier les procédures pour économiser des énergies et gagner du temps, vous le savez.
Nous avons créé au sein du secrétariat général du ministère de la Justice un service du numérique ; il est légitime que le Parlement souhaite être informé de l'action de ce service. Le ministre pilote ce programme en présidant le comité ministériel de gouvernance du numérique, dont la prochaine réunion aura lieu dans quelques jours. Nous sommes évidemment en liaison avec la direction numérique de l'État. Si vous souhaitez que je vous fasse part plus régulièrement de l'avancement des choses, à un rythme que vous fixerez, j'en suis d'accord.
Votre première question, monsieur Questel, porte sur la crise sanitaire en milieu carcéral. J'étais hier avec les directeurs inter-régionaux, qui redoutent une nouvelle flambée de contaminations puisqu'il existe un lien direct entre surpopulation pénale et propagation du virus. J'ai salué plusieurs fois le personnel pénitentiaire, qui a été remarquable, sachant traiter les difficultés causées par le coronavirus et accrues par l'enfermement de telle manière qu'ils ont évité des mutineries comme l'Italie et le Brésil en ont connues. Je leur en suis infiniment reconnaissant.
Dès le mois de février, l'administration pénitentiaire s'est mobilisée pour éviter l'entrée et la propagation du virus dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les établissements et pour garantir la continuité du service public pénitentiaire en dépit des difficultés nouvelles qui s'ajoutaient à des conditions de détention déjà épineuses, qui appellent des efforts colossaux. La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) nous le rappelle régulièrement, la Cour de cassation l'a fait par un arrêt du 8 juillet 2020 et le Conseil constitutionnel n'a pas manqué de dire ce qui convenait. J'ai souvent souligné que l'état d'une démocratie se mesure aussi à la manière dont on détient les hommes.
Les directions inter-régionales sont extrêmement soucieuses de l'application maximale des mesures d'hygiène, de l'identification des personnes détenues vulnérables par les unités sanitaires et de la réduction des mouvements et des regroupements. Toutes les mesures sont prises pour éviter une flambée du virus. À l'annonce du confinement, les parloirs ont été suspendus ; quelques mouvements collectifs ont eu lieu qui ont été maîtrisés, et les détenus ont fait preuve d'esprit de responsabilité en acceptant ces mesures, soucieux aussi, sans doute, de préserver leurs propres familles.
Vous avez rappelé le défi que représente la surpopulation pénale. J'ai souvent exprimé mon sentiment à ce sujet. J'ai pris ma première circulaire de politique pénale à ce sujet et j'en ai longuement discuté avec les procureurs généraux. La grande difficulté, d'ordre culturel, est le recours systématique, ou à tout le moins excessif, à la détention provisoire. Les mentalités doivent changer pour que certaines peines alternatives soient prononcées. La France est championne de la détention provisoire, alors que l'on dispose de bracelets – et je rappelle, s'il en était besoin, que ne pas utiliser la détention provisoire à l'envi ne signifie en rien que les hommes ne sont pas jugés.
Je pense que les procureurs généraux feront tout pour que cette circulaire soit appliquée mais la sacro-sainte indépendance des juges du siège fait que l'on a parfois du mal à faire bouger les choses. Déjà, lors de la commission d'enquête parlementaire chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau, on disait qu'au fond il n'y avait pas d'erreur judiciaire puisque tout le monde a été acquitté, le drame étant que l'on ait à ce point utilisé la détention provisoire. Or, les mentalités ont peu évolué à ce sujet. Je voudrais vraiment faire changer les choses et toutes les bonnes volontés sont bienvenues. Aujourd'hui encore, en 2020, au pays des droits de l'homme, au pays des Lumières, des hommes dorment sur des matelas, au sol ! Je demande donc à mon administration pénitentiaire de prendre contact avec les magistrats pour tirer la sonnette d'alarme, d'autant que la jurisprudence récente nous y incite.
Je veux tout faire pour que l'ensemble des mesures alternatives à la prison soient utilisées mais, parce que j'entends parfois des cris d'orfraie, je tiens à souligner qu'il y a plusieurs délinquances. D'abord, on distingue classiquement les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes, une différence établie par le code pénal, on l'oublie. Cette première distinction étant faite, il faut bien sûr distinguer les infractions de basse intensité, celles qui correspondent à une délinquance moyenne – étant entendu que tout est insupportable – le grand banditisme et le terrorisme. On ne traite pas tous ces actes de la même manière. Pour éviter toute ambiguïté et toute exploitation politicienne de mon propos, je précise qu'en disant qu'il faut moins incarcérer, je parle évidemment de la délinquance de basse intensité. Il va de soi que si un criminel de grand chemin est placé en détention, peu de gens pleureront, et certainement pas le ministre de la Justice. Je n'ai jamais récusé l'emprisonnement, mais il ne peut se concevoir que si, corrélativement à sa mission punitive, la prison prend le détenu en charge pour qu'à la sortie il ne récidive pas.
À ce sujet, j'observe qu'il en va pour la récidive comme pour les crimes terroristes : on s'arrête sur le crime terroriste qui a été commis, jamais sur les attentats évités. Un crime terroriste est un échec ; les attentats déjoués sont des réussites dont on peut à tout le moins se féliciter si l'on veut être objectif. Il en est de même en matière de récidive. D'abord, personne ne peut prendre à un homme sa part de liberté : même s'il a été suivi et même si la justice a fait son travail, on ne peut jamais être entièrement sûr qu'un homme ne récidivera pas, c'est une évidence pour les gens de bonne foi. De surcroît, on ne souligne jamais combien de détenus ont été sauvés par les SPIP, on ne parle jamais de tous les gamins qui ne sont pas allés en prison et qui ont été sauvés parce qu'ils sont allés dans un centre éducatif fermé ou qu'ils ont été suivis par la PJJ – mais il suffit d'un dérapage pour que l'on se braque sur ce dérapage.
Je le redis, pour tout ce qui est délinquance de basse intensité, je souhaite que l'on n'enferme pas les gens. La prison est criminogène ; nous pourrions tous nous accorder à ce sujet, parce que tout le montre. S'il suffisait, pour éradiquer la délinquance, d'emprisonner et de cogner fort, on le saurait depuis des siècles. Il est facile de s'en tenir aux vieilles recettes et de dire qu'il suffit de taper fort pour que tout s'arrête, mais ce n'est pas vrai. Quand on met des gamins en prison, ils en sont presque heureux car c'est leur donner des galons. Procédons autrement : regardons-les différemment, éduquons-les, donnons-leur la culture qui leur manque parfois. Rappelons-nous aussi que la justice arrive « en bout de course » : beaucoup de choses ont eu lieu auparavant.
Je suis, monsieur le rapporteur, d'accord avec vous sur toutes ces questions, mais il faut parfois remettre les pendules à l'heure. Quand on me dit que la justice est « insupportablement laxiste », je perçois l'arrière-plan politicien de ce discours absolument mensonger. Qui regarde les chiffres objectivement voit que la durée des peines de prison augmente depuis des années, la courbe des détentions le montre, et là est la réalité. Cela peut signifier que la société demande davantage de répression. Tout cela demande à être analysé avec beaucoup de nuances mais la réalité arithmétique est celle-là : une sévérité croissante.
Nous faisons un effort important pour améliorer la situation des Outremers. J'ai mentionné la prochaine livraison du centre de détention de Koné, et je tiens à rassurer M. le député Dunoyer sur notre engagement à l'égard de son territoire, à Koné comme à Nouméa.
La question de l'aumônerie pénitentiaire prend tout son sens aujourd'hui, et je suis prêt à travailler avec vous sur ce sujet. Il y a aucune raison que dans la loi à venir on envisage tous les aspects du séparatisme sans évoquer le terrain pénitentiaire. Bien entendu, tout aumônier séparatiste doit être viré ; le terme est familier mais il est net. Certains détenus sont en demande de religieux ; c'est pourquoi l'aumônerie est nécessaire : s'il n'y en a pas, je crains qu'ils ne se tournent vers l'islamiste radical logé deux cellules au-dessus de la leur. Il faut donc veiller à un équilibre.
J'aurais aimé, monsieur Hetzel, que nous nous rencontrions pour évoquer ensemble les questions dont vous avez traitées et je vous y ai invité, mais vous ne l'avez pas souhaité.
Je regrette que nous n'ayons pas eu cet échange républicain ; vous ne l'avez pas voulu…
Quoi qu'il en soit, il est faux de dire que ce budget est un budget de rattrapage. Quelle que soit votre manière de présenter les comptes, que la justice bénéficie de 200 millions supplémentaires est une donnée arithmétique : l'article 1er de la LPJ prévoit 8 milliards d'euros pour 2021 et le PLF 2021 s'établit à 8,2 milliards d'euros, c'est un fait.
S'agissant de l'allongement des délais de jugement, je rappelle qu'avant la Covid‑19, la grève des avocats est passée par là, ce que vous avez omis de mentionner. Nous ajoutons 607 millions et 2 450 emplois et, je le répète, un assistant permet de réduire les délais de jugement ; vous conviendrez que si un juge peut rendre deux jugements quand il n'en rendait qu'un, cela permet de résorber un peu le stock. De plus, vous aurez entendu que je veux renforcer la médiation, notamment en payant davantage les avocats, car toute médiation est du temps judiciaire gagné, qui peut aussi être utilisé à résorber les stocks.
La crise sanitaire n'expliquerait-elle pas pour partie la difficulté du ministère à consommer les crédits ? D'autre part, les terrains destinés à des constructions pénitentiaires sont difficiles à trouver – j'ai d'ailleurs besoin de votre aide, si vous en connaissez dans votre circonscription.
J'ai proposé un terrain à votre prédécesseur ; je n'ai jamais eu de réponse de la chancellerie.
Nous irons voir, car on nous propose parfois des terrains qui ne correspondent pas à nos besoins. Je n'ai pas la perversité de dire que vous proposez un terrain dont vous savez qu'il ne convient pas mais, vous le savez aussi bien que moi, il y a des installations dont les élus ne veulent pas, tels les camps de gitans ou les prisons. Cela rend les choses très difficiles et devrait m'éviter ce reproche.
Notre collègue Caroline Abadie, présidente du groupe d'études « Prisons et conditions carcérales », souhaite déposer des amendements, auxquels je m'associe, visant à faciliter l'installation des centres de détention. Elle suggère soit de majorer la dotation globale de fonctionnement des communes et de s'aligner sur le dispositif décidé pour l'accueil de gens du voyage en disposant qu'une place de prison égale deux habitants, soit d'assimiler les nouvelles places de détention aux logements sociaux que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains oblige les communes à fournir. Ces deux mesures pourraient inciter les communes à accueillir des centres de détention.
« L'institution judiciaire est en voie de clochardisation » avait dit Jean-Jacques Urvoas, l'un de vos prédécesseurs, arrachant de haute lutte, en 2017, une augmentation de 4,5 % du budget de la justice, soit 300 millions d'euros. Chacun, à l'époque, s'en était félicité. Aujourd'hui, l'accroissement est supérieur à 8 %, avec 607 millions d'euros de plus que le budget figurant dans la loi de finances initiale pour 2020, lui-même déjà en augmentation. C'est du jamais-vu depuis vingt-cinq ans. Tous ceux qui sont attachés au fonctionnement de la justice peuvent vous remercier, monsieur le ministre, et j'aimerais que nous ne prenions pas prétexte des polémiques infondées dont vous êtes la cible parce que vous faites bouger les lignes pour ne pas saluer ce résultat. Nous débattrons certainement de la manière dont le budget sera réalisé mais vous faites, de manière tangible, de la justice une priorité et cela doit être dit.
Ce budget exceptionnel nous permettra de poursuivre la transformation de la justice nécessaire pour la faire entrer dans le XXIe siècle, conformément à l'engagement que nous avons pris avec le Président de la République. Nous nous sommes attaqués au nécessaire chantier de la transformation numérique dès 2018 mais, comme l'a souligné la rapporteure, la crise a mis en évidence les carences de l'outillage informatique de la justice. Vous en accélérez la mise en route dans les directions du ministère sous la forme du télétravail ; c'est très bien, mais nous sommes encore loin du compte pour les équipements dont sont dotés les tribunaux, alors même que la crise sanitaire a encore allongé les délais de traitement des procédures. C'est un des enjeux de la justice de proximité ; j'approuve donc les recommandations de notre rapporteure sur ces sujets. Nous contrôlerons l'application de ces mesures avec vigilance.
L'aide juridictionnelle fait l'objet de débats récurrents. Elle permet en effet l'accès de tous à la justice et, en ces temps de crise, c'est un outil puissant de lutte contre la précarité. Mon collègue Philippe Gosselin et moi-même avons rendu à ce sujet un rapport d'information dont les conclusions sont presque identiques à celles de la mission relative à l'avenir de la profession d'avocats à laquelle j'ai participé sous la présidence de M. Dominique Perben. Je constate avec satisfaction que certaines des mesures que nous avons préconisées ont été adoptées ; surtout, nous avons enfin un calendrier de dématérialisation de l'aide juridictionnelle, enjeu majeur de la simplification de l'accès au droit. Nous sommes sur la bonne voie.
Parler de l'aide juridictionnelle, c'est parler d'un million de demandeurs et d'un budget d'un demi-milliard d'euros ; c'est beaucoup. Je me réjouis que le PLF ne fasse pas l'impasse sur le sujet, alors que ce budget n'avait pas été augmenté depuis quatre ans. Surtout, 50 millions d'euros supplémentaires sont prévus, soit 10 % du budget total de l'aide juridictionnelle. Cette hausse considérable permettra, je l'espère, de suivre les recommandations du « rapport Perben » visant à revaloriser l'unité de valeur dont le niveau, insuffisant, est inadapté à la réalité des charges qui pèsent sur l'avocat, et à parfaire les barèmes en mettant l'accent sur l'assistance éducative, la rétribution de l'avocat de la partie civile, les modes alternatifs de règlement des conflits et les frais de déplacement pour les avocats de province. Mais j'aimerais que nous allions plus loin, et je suis sûre que nous trouverons les moyens de traduire le progrès qui reste à accomplir dans le PLF pour 2021 ; pouvez-vous nous dire de quelle manière, monsieur le ministre ?
Ce serait donc un budget historique, caractérisé par une hausse inégalée pour permettre à la justice de fonctionner un peu mieux. La question des moyens est cruciale, mais on reste loin de l'investissement nécessaire pour réparer la machine et la faire fonctionner correctement. Les conditions de travail et les moyens des juges restent déplorables, le parc pénitentiaire est sans conteste insuffisant, l'exécution des peines tardive et illisible… Ce budget est à l'image de la justice : loin derrière les autres, puisque treizième sur les trente-quatre missions budgétaires. C'est effectivement un budget historique en ce qu'il appartient à l'histoire puisqu'il a été voté à l'euro près en 2019 dans la LPJ. Il comporte des hausses d'effectifs en trompe-l'œil, qui ne compensent pas, ou à peine, les départs en retraite et l'on a recours à des contractuels au lieu de créer des postes de long terme. Certes, les crédits de la justice augmentent de 6,2 % et ceux de l'administration pénitentiaire de 9 %, mais souvenons-nous de la baisse, elle aussi historique puisque supérieure à 45 %, infligée au fonctionnement de la justice judiciaire dans le budget 2020. Le retard est immense et il n'est pas certain que cette augmentation substantielle suffise à pallier les carences.
Pour l'administration pénitentiaire, les autorisations d'engagement sont historiquement hautes car liées à la nécessaire création de 7 000 places de prison, mais l'exercice 2021 ne verra pas d'amélioration significative avec seulement 4 % de crédits de paiement en plus. De même, la baisse de 2,51 % opérée en 2020 pour la conduite et le pilotage de la politique de la justice sera-t-elle compensée par la hausse de 10,57 % annoncée ? On peut en douter tant le chemin à parcourir est long.
Le PLF pour 2021 prévoit 1 500 postes supplémentaires pour l'ensemble du ministère. Parmi eux, 1 092 iront à l'administration pénitentiaire, dont 300 pour combler les vacances de postes au sein du personnel de surveillance, 90 pour compenser ce qui n'a pas été fait l'an dernier, 300 pour les SPIP dans le cadre de la réforme de la justice et 415 pour l'ouverture de nouveaux établissements. Seront aussi créés 50 postes de magistrats. C'est positif mais insuffisant : l'an dernier, on en a recruté 100. Le « bleu budgétaire » montre qu'au titre de son objectif de qualité, la direction des services judiciaires a pour seul critère le raccourcissement des délais, comme le regrette Mme Sophie Legrand, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.
Les 200 millions d'euros supplémentaires au regard de la LPJ ne sont en fait que le report annoncé dès le 29 octobre 2019 en séance publique par la ministre de la Justice de l'époque, alors interpellée sur le non-respect de la LPJ pour 2020 : la hausse proposée est un simple rattrapage dû au décalage dans le temps de projets immobiliers. Le budget de la justice pour 2021 n'a donc rien de révolutionnaire et se limite à respecter la volonté du législateur, ce qui est la moindre des choses. En appliquant la LPJ, au demeurant insuffisante dès sa promulgation, le Gouvernement impose un budget qui ne permettra pas de répondre aux besoins réels de la justice, ni même de faire face aux conséquences de la crise sanitaire. La justice, qui a souffert pendant le confinement, ne bénéficiera pas du plan de relance, notamment pour réduire les délais, toujours trop longs, de traitement des dossiers. En outre, de nombreuses réformes engagées n'avaient pas été prises en compte dans l'élaboration de la LPJ. L'extension de l'expérimentation des cours criminelles demandera plus de moyens humains et matériels pour que ces cours fonctionnent parallèlement aux cours d'assises ; cette expérimentation à elle seule absorbe potentiellement les 50 créations de postes de juges, si bien qu'il en manque. L'entrée en vigueur du code de justice des mineurs exigera pendant la période transitoire des moyens humains considérables pour solder les dossiers en cours, ce qui n'avait pas été pris en compte dans la discussion de la LPJ.
Le budget de la justice pour 2021 comporte des améliorations éminemment prévisibles puisque déjà votées mais il ne prend pas en considération des éléments nouveaux qui le grèveront et le rendront encore insuffisant pour permettre à la justice de faire face. Bien plus : le recours massif aux vacataires n'apportera pas de solution durable et contribue à la grande précarisation de notre justice. Le groupe Les Républicains qui, la jugeant insuffisante, n'avait pas voté la LPJ, ne pourra voter ce budget qui en est la fidèle application.
Le groupe du Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés se félicite de l'accroissement historique des crédits alloués au ministère de la Justice. La hausse de 8,2 % présentée dépasse ce que prévoyait la LPJ. Le PLF participe ainsi nettement à l'ambition affichée dans ce texte d'augmenter le budget de la justice de 24 % entre 2018 et 2022. L'augmentation est primordiale pour pallier les défaillances, encore trop nombreuses, de notre appareil judiciaire.
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a indiqué vouloir renforcer la justice de proximité pour lutter contre les incivilités et les délits du quotidien. Nous partageons cette préoccupation. J'avais contribué à la création de la contravention d'outrage sexiste et j'aurais apprécié que son effectivité soit renforcée ; les moyens déployés pour sanctionner les auteurs de cette infraction seront-ils augmentés ?
Les renforts attendus permettront, avez-vous dit, monsieur le ministre, de réduire significativement les délais de jugement en 2021 ; de combien de mois ?
Notre société carcérale est en proie à de nombreux maux. Les principaux sont les mauvaises conditions de détention et une surpopulation massive qui gangrène notre administration pénitentiaire au point de transformer certains établissements en lieux de déshumanisation. La hausse, significative, de 7,8 % des crédits alloués, soit 308 millions d'euros, vise à moderniser l'administration pénitentiaire, notamment pour améliorer la prise en charge des personnes écrouées et des prévenus. D'autre part, 82 millions d'euros sont consacrés au développement des peines alternatives à l'incarcération. Ce choix pertinent confirme l'idée qu'une peine efficace ne doit pas être synonyme d'emprisonnement, comme nous l'avions souligné lors des travaux parlementaires sur la LPJ. Mais vous avez rappelé que pour les infractions les plus graves, l'incarcération est parfois inévitable. Pour cette raison, un budget important, de 490,7 millions d'euros est consacré à des travaux de rénovation et d'entretien des établissements et à la création de 15 000 places de prison supplémentaires.
Le budget alloué à la PJJ augmente de 5,6 % avec la création de 40 emplois ; sont ainsi mobilisés 33 millions de crédits supplémentaires, dont 20 millions destinés au développement de réponses pénales rapides. Comment ces crédits seront-ils répartis entre les services de réparation pénale et les dispositifs de mise en œuvre rapide de ces mesures ? Quels moyens seront alloués à l'expérimentation de la mesure de médiation pénale lors de l'entrée en vigueur du futur code de justice pénale des mineurs ?
L'augmentation des crédits affectés au programme « Accès au droit et à la justice » vise notamment à améliorer l'accompagnement des victimes. Envisagez-vous d'augmenter les moyens destinés à fluidifier les procédures d'enquête auxquelles les victimes mineures doivent se soumettre, par exemple en procédant à l'enregistrement vidéo de leurs dépositions ?
Enfin, 158 millions d'euros consacrés aux investissements informatiques contribueront à l'utile poursuite du plan de transformation numérique de la justice, nécessaire pour garantir de meilleures conditions de travail au personnel judiciaire et un accès amélioré au service de la justice pour les citoyens. Notre groupe approuve la numérisation, mais celle‑ci ne doit pas supplanter la relation humaine indispensable à la qualité du lien entre le justiciable et les métiers de justice.
Notre groupe approuve l'augmentation des crédits de la justice, qui dépassent les objectifs déjà très ambitieux fixés dans la LPJ. Pour continuer à moderniser notre système carcéral, j'aimerais quelques précisions sur les crédits que vous envisagez d'allouer au module Respect. Les résultats des expérimentations de ce dispositif, qui permet aux détenus de disposer de la clé de leur cellule, sont extrêmement encourageants, notamment en termes de perspective de réinsertion ; il serait bon de le généraliser.
Parce que nous ne pouvons ignorer le cadre européen, je rappelle que la France se situe au vingt-troisième rang des quarante-sept pays du Conseil de l'Europe pour ce qui est du budget consacré à la justice par habitant, et à l'avant-dernier rang pour le nombre de ses procureurs – ils sont trois pour 100 000 habitants –, eux qui ont, après leurs collègues luxembourgeois, le plus grand nombre de fonctions à remplir et de dossiers à traiter. Tel est le contexte que nous devons gérer depuis plusieurs années. Vous avez annoncé une augmentation, dite historique, de 8 % du budget de la justice. Je ne me livrerai pas à une bataille de chiffres ; en tout cas, le budget va dans le bon sens, celui d'une augmentation que nous devons évidemment saluer, même si ce n'est pas un événement puisque c'est ce que nous essayons de faire depuis plusieurs années. Et si l'on peut avoir une augmentation plus forte encore, vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir, monsieur le ministre.
Si le problème de la justice est son budget, il faut s'assurer que l'augmentation des crédits s'accompagne d'une gestion optimale répondant aux objectifs que nous attendons tous du service public de la justice. Or, il ressortait de l'enquête menée en 2018 par la Cour des comptes à la demande du président de la commission des Finances que la planification et la gestion des crédits du ministère de la Justice devaient être sérieusement revues. C'est indispensable, puisqu'en dépit de l'augmentation des moyens depuis 2013, la performance des juridictions judiciaires s'est globalement dégradée. La Cour, évoquant des modalités insatisfaisantes, sinon inexistantes, de mesure de l'activité des juridictions et d'allocation des moyens nécessaires à leur fonctionnement, préconise l'élaboration d'un outil de pilotage intégré ; qu'envisagez-vous à ce sujet ?
D'autre part, les magistrats, avocats, greffiers et le Conseil supérieur de la magistrature, qui devront tous remplir leur mission avec les moyens qui leur sont alloués sont‑ils consultés au moment de l'élaboration du budget ? Peut-on la concevoir plus transversale que ne la pensaient vos prédécesseurs ?
Comme pendant le précédent quinquennat, on parle beaucoup du pénal, moins de la justice civile qui connaît un problème structurel. Comment garantir que l'augmentation du budget et des emplois permettra de réduire les délais de jugement ? La loi ne devrait-elle pas nous y aider en les encadrant, même largement, sauf à la juridiction de produire un procès‑verbal d'empêchement ? La transformation numérique étant le talon d'Achille du ministère de la Justice, je vous serais obligée de confirmer que la justice civile sera prioritairement l'objet de toutes les attentions numériques, puisque nous avons constaté lors du confinement qu'elle n'est pas en mesure de passer au télétravail.
Enfin, la France a encore une fois été condamnée par la CEDH en janvier 2020 en raison de la surpopulation carcérale ; elle le sera sans doute à nouveau. Pouvons-nous compter sur plus de lisibilité et de concertation au sujet du plan immobilier pénitentiaire de 15 000 places ? Il est nécessaire qu'à l'appui des amendements que vous déposerez, des critères aient été définis qui nous permettent de comprendre précisément les fondements de la décision publique au moment d'entreprendre des opérations engageant des crédits importants.
J'ai pris connaissance avec enthousiasme du budget de la mission « Justice » du PLF 2021, qui illustre la volonté véritable de rehausser l'efficacité de l'action du ministère. Tous les programmes verront leur budget augmenter et 2 450 recrutements auront lieu dont ceux de 50 magistrats supplémentaires. Je note également un effort budgétaire en faveur de l'investissement immobilier qui permettra, entre autres, la construction de la cité judiciaire de Cayenne et d'un nouveau tribunal judiciaire pour Lille, l'actuel n'étant plus aux normes depuis la fin des années 2000.
L'important accroissement des crédits alloués à l'investissement immobilier pénitentiaire intervient alors que, le 2 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge si elles s'estiment détenues dans des conditions contraires à la dignité de la personne humaine. L'emprisonnement est certes une sanction, mais les conditions de l'incarcération jouent un rôle central dans la réussite de la réinsertion ultérieure. Nous devons assurer aux détenus des conditions de détention respectueuses de la dignité humaine. Cela passera notamment par la construction de nouvelles places de prison, comme ce PLF le permet en accordant des moyens historiques à l'amélioration du fonctionnement du seul ministère qui porte le nom d'une vertu et qui est, à raison, l'objet de tant d'attentes des Français.
Vous prévoyez de recruter 950 personnes, au nombre desquelles je ne vois pas mentionner les délégués du procureur, qui jouent pourtant un rôle central dans la justice de proximité. D'autre part, sur les 17 millions d'euros consacrés à l'accélération et à la diversification de la réponse pénale, combien seront spécifiquement consacrés aux travaux d'intérêt général ? Les ressources financières allouées à l'aide juridictionnelle augmentent, ce que je salue, comme la volonté affirmée de développer les modes de résolution amiable des conflits. Enfin, quelle entreprise a été choisie pour fabriquer les bracelets anti-rapprochement tant attendus pour empêcher les violences conjugales ? Où seront stockées les données personnelles recueillies par ce biais ? L'objectif est de mettre à disposition 2 000 de ces appareils d'ici à 2021 ; quel est-il à l'horizon 2023 ?
Le groupe Agir ensemble votera les crédits de cette mission.
Le Gouvernement fait état d'un budget historique pour la justice pour mettre en œuvre la LPJ. Cela est vrai : les crédits de paiement du ministère augmentent de 7,13 % en 2021, après une hausse de 2,8 % en 2020. L'exercice à venir verra aussi la création de 1 500 emplois qui s'ajouteront aux créations d'emplois autorisées en fin de gestion 2020 pour la justice de proximité et qui s'additionnent au millier d'emplois créé en 2018 puis en 2019. Cela étant, nous assistons à une forme de rattrapage, dans la mesure où la France, nous le répétons chaque année, ne se situe pas dans le peloton de tête des pays de l'OCDE qui consacrent un budget important à leur système judiciaire. Alors, est-ce suffisant ? Certainement pas, mais la trajectoire est la bonne ; tenons la ! Nous comptons sur votre détermination, dont nous avons encore eu un aperçu aujourd'hui, monsieur le ministre.
Nous avons noté une politique volontariste au sujet des frais de justice, dont les crédits augmentent très sensiblement par rapport à l'an passé. C'est important, car cela concerne par exemple l'accueil des victimes au sein des unités médico-judiciaires ou la systématisation des enquêtes sociales rapides.
L'autre point qui tient à cœur aux membres du groupe Libertés et territoires est la mise en œuvre de la justice de proximité. Lors du débat sur la réforme de la justice, nous n'avons pas soutenu les mesures qui tendaient à déshumaniser la justice, à trop spécialiser les petits tribunaux pour les sauver, disait-on, ou à déjudiciariser certains litiges. À notre sens, c'est de juges et de greffiers que la justice a besoin avant tout, non de savants calculs visant à réaliser des économies de-ci de-là. Sans ignorer le contexte particulier de la crise sanitaire, nous devons souligner la dégradation des délais de jugement : de janvier à mai 2020, le stock d'affaires civiles s'est accru de 18 000. D'autre part, malgré les promesses de nouvelle échelle des peines, le taux d'aménagement de peine devrait stagner, tandis que le taux de mise en exécution des peines d'emprisonnement ferme à douze mois restera de 82 %.
Le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs n'a toujours pas été examiné par le Parlement. Les dispositions résultant de cette ordonnance devaient entrer en vigueur le 1er octobre 2020, précisément pour donner au législateur le temps de les examiner et, le cas échéant, de les modifier et de les enrichir. Pourtant, la partie réglementaire de ces ordonnances est en passe d'être adoptée, ce que dénoncent certains syndicats de la justice.
Enfin, la modernisation du service public pénitentiaire attendue doit inclure le renforcement de la sécurité des personnels et des établissements pour lutter contre la violence et la radicalisation violente. Alors que les violences entre détenus et à l'encontre du personnel sont les incidents les plus fréquents dans les établissements pénitentiaires, les mesures prises par l'administration pour les prévenir et les sanctionner plus sévèrement n'ont pas encore produit les effets escomptés. C'est ainsi que, depuis juillet, dix véhicules de surveillants de la prison de Borgo, en Haute-Corse, ont été brûlés.
En dépit de ces réserves, le groupe Libertés et territoires porte une appréciation positive sur les crédits de cette mission.
Monsieur le garde des Sceaux, je sais sincères votre enthousiasme et vos ambitions pour la justice mais les chiffres sont têtus : les 8,2 milliards d'euros inscrits au présent projet de budget ne sont, à l'euro près, que les crédits prévus par la LPJ. De ce point de vue, il n'y a pas encore d'« effet Dupond-Moretti » sur le budget de la justice. Nous savons aussi que ce budget est présenté dans le contexte d'une crise sanitaire qui se prolonge et qui pourrait avoir les mêmes effets qu'elle a eus au printemps sur le fonctionnement de l'institution judiciaire ; que la recrudescence de la menace terroriste demandera nécessairement des réponses judiciaires proactives ; que plusieurs réformes annoncées peuvent avoir un impact sur le bon déroulement de la consommation des crédits de votre ministère. Sans me lancer dans une bataille de chiffres, je note que le « bleu budgétaire » montre un budget en progression de 607 millions d'euros mais que l'exécution 2020, qui n'est pas totalement de votre fait, est en retrait de 417 millions ; autant dire que l'on n'est pas encore revenu au volume général de ressources prévu dans la LPJ. En outre, le budget de la justice représente toujours 3 % environ du budget de l'État, sans que cette proportion progresse.
Je retiens au moins deux points positifs : les efforts de lutte contre la radicalisation en milieu pénitentiaire et la progression des emplois pour la justice de proximité. Mettre un assistant de justice à la disposition d'un magistrat peut permettre de doubler le nombre de dossiers traités, avez-vous dit ; mais ne recruter que 50 magistrats limite l'effet positif de cette assistance.
Je vous sais attaché à l'aide juridictionnelle, clé d'entrée de l'accès à la justice pour les plus fragiles de nos concitoyens ; cependant, même si des efforts sont faits, nous savons tous que les moyens supplémentaires alloués ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Vous avez dit votre vision de la politique carcérale, de la détention provisoire en particulier, et je suis en désaccord à peu près total avec ce que vous préconisez. Bien sûr, la peine privative de liberté est d'abord un échec ; c'est toujours le dernier recours, et je ne pense pas qu'un seul magistrat, un seul procureur de France n'en ait pas conscience. Vous avez dit qu'incarcérer un jeune homme, c'est lui donner des galons dans sa cité. Soit, mais c'est aussi lui donner des galons de le laisser perpétrer répétitivement des agressions physiques ou des trafics de drogue. Ces exemples ne sont pas des clichés ; ils traduisent la réalité que vivent certains de nos concitoyens, et pas seulement dans les banlieues. Je me mets du côté de la société, la victime, pour vous dire que beaucoup de nos concitoyens ne comprennent pas la justice, souvent peu claire à leurs yeux et trop peu rapide ; surtout, ils constatent que les peines qui devraient être effectuées ne le sont pas en totalité.
Le groupe UDI et Indépendants ne s'associera pas aux votes favorables aux crédits de la mission « Justice ».
Il n'y a pas de « budget Éric Dupond-Moretti » pour 2021 mais un rattrapage des crédits prévus dans la LPJ, insuffisants en soi et que le groupe La France insoumise avait tenté, en vain, de rehausser par des amendements. Rattrapage, donc, puisque l'addition des budgets de la justice des trois dernières années est exactement celle que prévoyait la LPJ, avec une variante : l'année dernière, il y avait moins, cette fois il y a un petit peu plus. Mais, à chaque fois, c'est l'administration pénitentiaire qui tire son épingle du jeu : très largement l'an dernier, un petit peu plus cette année. Cela devrait nous faire nous interroger sur la fongibilité des crédits.
En matière pénale, le budget des frais d'expertise augmente de 127 millions d'euros. Je suis favorable à cet accroissement, mais je ne me l'explique pas. Pourquoi donc un tel besoin, quand toutes les personnes auditionnées dans le cadre de la commission d'enquête que Didier Paris et moi-même avons conduite ont affirmé qu'il n'y a jamais de frein budgétaire aux expertises demandées par les magistrats ? Sans doute y a-t-il une explication rationnelle à cet accroissement mais elle m'échappe d'autant plus que l'effort n'est pas le même en matière civile, qui fait pourtant l'essentiel de l'activité des juridictions. Aujourd'hui, il faut dix-sept mois pour qu'un juge aux affaires familiales traite un dossier ; tel est le délai auquel les citoyennes et les citoyens français ont à faire face pour la masse du contentieux.
D'autre part, le schéma d'emplois prévoit un nombre fluctuant de recrutements de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation ; les chiffres variant selon les pages – 235 ? 300 ? –, on ne sait lequel croire. Vous-même annoncez 350 primo-recrutements ; c'est bien, mais pour avoir le solde, il faut aussi recenser les sorties. D'ailleurs, vous annoncez 2 400 recrutements en tout au ministère de la Justice, mais quand on additionne l'évolution des emplois pour les différentes missions, on en trouve 1 490. L'attention s'impose sur les chiffres avancés pour ne pas se faire avoir.
Vous avez parlé des alternatives à l'incarcération. Je souscris à votre analyse : la prison est criminogène. Pourtant, le budget du placement à l'extérieur stagne à 8 millions d'euros, alors qu'il était encore de 9 millions en 2016. Pourtant, on ne peut tout miser sur la détention à domicile sous surveillance électronique ; il faut se donner tous les moyens sur tous les sujets, et je déplore que rien ne traduise dans les autorisations d'engagement la dimension pluriannuelle prévue pour ceux qui s'engagent dans des dispositifs de placement à l'extérieur.
Au lieu des 100 millions d'euros préconisés par le rapport Perben, 50 millions supplémentaires sont prévus pour l'aide juridictionnelle ; je présenterai des amendements à ce sujet. Enfin, je ne sais s'il y a vraiment lieu de se réjouir du recrutement de 50 magistrats supplémentaires en 2021 quand ils étaient 100 en 2020.
Je vais faire quatre propositions auxquelles j'espère, monsieur le ministre, que vous ne m'opposerez pas le mur des « non » et des non-réponses, comme on le fait d'habitude. Elles sont issues du rapport sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire que Didier Paris et moi-même avons rendu et que je vais vous remettre immédiatement, parce que je vous ai demandé des rendez-vous et que mes demandes sont restées sans suite – ne vous emportez pas, monsieur le ministre. La première proposition est de soumettre pour avis l'avant-projet de budget de la justice au Conseil supérieur de la magistrature ; la loi ne l'empêche pas, mais elle n'y oblige pas, et je suis sûr que les sujets d'indépendance de la justice vous préoccupent. La deuxième est de revoir la cartographie budgétaire en revenant à un système où chaque cour d'appel est dotée d'un budget opérationnel de programme. La troisième est de mettre en place une comptabilité analytique à la chancellerie, l'un des rares ministères qui n'en a pas encore ; c'est regrettable si l'on veut se donner les moyens de piloter une politique publique aussi importante. La dernière proposition traduit une demande unanime des personnes que nous avons auditionnées : scinder le budget de la mission pour créer une mission « Justice » uniquement consacrée à la justice judiciaire, et une autre aux programmes d'administration pénitentiaire. Tout le monde y gagnerait.
Madame Moutchou, vous vous préoccupez de la rémunération des avocats qui interviennent à l'aide juridictionnelle. Une recommandation à ce sujet figurait dans le rapport que vous avez rédigé avec M. Gosselin et dans le rapport Perben. Parce que la profession connaît de grandes difficultés économiques, nous avons pris cette recommandation en considération sans attendre, après une concertation fructueuse dans le cadre du Conseil national de l'aide juridique. En tout, 50 millions d'euros seront mis sur la table dès le 1er janvier 2021 pour revaloriser le montant de l'unité de valeur et surtout refondre le barème de l'aide juridictionnelle : nous rémunérerons mieux la médiation, dont la prise en charge sera triplée. La somme n'est pas négligeable, et c'est un gage de crédibilité donné à la profession pour enclencher le travail nécessaire. C'est une première marche. La concertation engagée marque le début d'un processus que je souhaite global. Je recevrai demain la présidente du Conseil national des barreaux, la présidente de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier du Barreau de Paris pour expliquer ma démarche, qui vise une réforme ambitieuse. Ces 50 millions d'euros représentent une hausse de 10 %, déjà massive. Je souhaite qu'elle puisse être complétée à l'issue de la concertation et au regard des résultats obtenus dans ce cadre. Je note avec plaisir que le sujet réunit le groupe de La France insoumise, les socialistes et Les Républicains ; c'est suffisamment rare pour être souligné.
Monsieur le député Savignat, je trouve votre raisonnement extraordinaire…. Vous dites que ce budget est le rattrapage de la LPJ, ce qui n'est pas vrai, je le redirai autant de fois qu'il le faudra.
Non plus que ce que vous dites, si bien que nous sommes à égalité pour ce qui est des mots ; mais, s'agissant des chiffres, la réalité est celle que j'ai décrite et que vous ne voulez pas entendre – peut-être est-ce le jeu de l'opposition politicienne, je découvre ces choses depuis peu de temps et elles m'émerveillent parfois. Vous expliquez qu'il y a une hausse mais qu'elle n'est pas suffisante, si bien que vous ne voterez pas ce budget. Aurais-je dû présenter un budget à la baisse pour que vous le votiez ? Alors qu'il n'y a pas eu de budget de la justice comparable à celui-ci depuis vingt-cinq ans, vous me reprochez en somme de le présenter en augmentation !
Les recrutements en emplois pérennes supposent que ceux qui les occupent aient suivi une longue formation. Seul le recours aux contractuels permet d'aider les juridictions immédiatement. Je rappelle qu'il n'y a plus de vacances de postes de magistrats, et que d'ici à la fin de l'année 2021, il n'y aura plus de vacances chez les greffiers.
À M. Erwan Balanant, qui veut en savoir plus sur les suites données à l'outrage sexiste, je peux dire qu'en septembre dernier, 2 000 infractions avaient été relevées et 142 sanctionnées. Le temps que l'arrivée des nouveaux personnels en juridiction fera gagner est difficilement quantifiable, chacun en conviendra, mais l'« injection » de contractuels équivaut à l'ingestion de sucres rapides, avec un effet immédiat pour la justice de proximité. Le temps gagné par les juges sera consacré à résorber les stocks mais aussi à aller, en véhicules verts, vers les justiciables les plus démunis. Il a été dit tout à l'heure que la justice n'avait rien à prendre dans le plan de relance ; ce n'est pas le sujet qui nous réunit aujourd'hui mais ce n'est pas exact.
Rien du programme immobilier n'est ourdi en secret, et Mme la députée Untermaier comme les autres commissaires peuvent être associés à son évolution par une communication régulière ; les députés exerceraient ainsi pleinement le contrôle démocratique de l'action du Gouvernement. La justice civile est en panne, c'est vrai. J'ai dressé dans mon propos liminaire la liste détaillée des recrutements de titulaires et de contractuels prévus en 2021 ; je n'y reviens donc pas.
M. Houbron m'a interrogé sur les fabricants des bracelets anti-rapprochement. Le marché public de l'extension du système d'information a été remporté par la société Worldline, celui des équipements a été attribué à l'entreprise G4S et celui de télé-assistance et de télésurveillance à Allianz.
Nous recourrons davantage aux délégués du procureur : 28 millions d'euros seront prévus à cet effet. Ils sont actuellement 919 ; soit nous en recruterons davantage, soit nous leur permettrons de travailler plus. Notre objectif est de doubler leur nombre car ils pourront, quand ils iront au contact de la délinquance de basse intensité, apporter une réponse immédiate. La détention peut être utile, même pour des gamins, mais elle a parfois des effets pervers – tout est question de nuance, ce à quoi je m'attache plutôt que de me laisser emporter par je ne sais quel vent mauvais. Parlant de ces questions avec les procureurs généraux, je leur ai posé une question à laquelle je connais la réponse, ayant vécu ces situations comme avocat : mieux vaut-il une peine de travail non rémunéré avec intervention possible du délégué du procureur ou deux mois d'emprisonnement avec sursis prononcés dix-huit mois après la commission de l'acte délictueux ? Un procureur général m'a répondu : « Mort de rire ! » – voilà comment le condamné peut recevoir l'énoncé de sa peine après un an et demi… De fait, cela n'a aucun sens. C'est dire l'importance du rôle des délégués du procureur.
Monsieur Acquaviva, j'ai saisi une mission d'inspection générale de la situation pénitentiaire à Borgo ; je n'en dirai donc pas plus ici. Nous attendrons que les magistrats indépendants qui la composent aient achevé leurs travaux, dont les conclusions seront peut-être rendues publiques et seront en tout cas communiquées à la représentation nationale.
Concernant le code de justice pénale des mineurs, je me suis engagé à ce que le Parlement en examine prochainement les dispositions.
Monsieur Brindeau, il est absolument certain que la prison ne peut pas être la seule réponse pénale. Telle qu'elle est conçue depuis des siècles, telle que l'a étudiée Michel Foucault, elle a trois objectifs : punir, protéger la société d'un individu dangereux et réinsérer. On sait qu'elle est criminogène : si elle éloigne parfois de la délinquance, elle peut aussi y ancrer davantage le détenu. On est parfois émerveillé, en revanche, des résultats des projets pédagogiques destinés à des gamins souvent défavorisés – j'ai horreur que l'on parle, avec mépris, de culture de l'excuse : chacun est le fruit de son histoire, et les choses sont plus compliquées pour un gamin né dans des conditions difficiles ; sans qu'il soit voué à devenir un délinquant, il existe à son endroit ce que l'on appelait des circonstances atténuantes quand cette notion existait encore dans le code pénal. Ces sujets méritent donc d'être abordés avec nuance.
Les juristes assistants ne sont pas des assistants de justice, mais des jeunes de niveau bac plus quatre. J'aurais préféré que le budget de la justice soit cinq ou dix fois supérieur ; il n'en demeure pas moins, de tous les budgets régaliens, celui qui connaît la plus forte augmentation.
Si, voyez les chiffres !
Je l'ai dit, il n'y a pas de vacance de postes de magistrat. Les juristes assistants font un travail effectif de juriste : ils ne décident pas, mais recherchent la jurisprudence ou analysent des pièces. On dit que chacun d'entre eux permet de doubler la capacité de jugement d'un magistrat. En Allemagne, pays que l'on cite souvent en exemple, les magistrats sont entourés d'une équipe de juristes assistants.
Pour en venir à citer le Syndicat national de la magistrature, la droite doit vraiment être à court d'arguments… Je vous amène un beau budget, vous trouvez que ce n'est pas assez ; que voulez-vous que je vous dise ?
Monsieur Bernalicis, je me félicite d'autant plus de l'augmentation du budget de la justice qu'elle vous permettra de déposer toutes les plaintes que vous voulez. Je vous rappelle que votre patron a été condamné pour avoir bousculé un juge et l'avoir insulté !
Je suis très calme. « Moi, la République » a bousculé un juge et deux policiers et a été condamné pour cela !
Merci aux rapporteurs de leur travail. Le budget de la justice, en souffrance depuis des années, connaît pour la première fois depuis longtemps une hausse significative – même si on peut toujours en vouloir davantage.
La codification et la réforme de l'ordonnance de 1945 vont marquer un tournant en matière de justice des mineurs : elles permettront une réponse pénale plus rapide et plus adaptée. Le budget alloué à la protection judiciaire de la jeunesse augmente de 5,6 % ; après 18 millions d'euros l'an dernier, sa revalorisation est de 50 millions en crédits de paiement cette année, en toute cohérence avec les ambitions de la réforme. Mais qui dit réforme procédurale dit réorganisation. L'an dernier, Nicole Belloubet avait annoncé d'importants moyens pour accompagner la transition et pour tenir les nouveaux délais. Pourriez-vous détailler ces moyens et les mesures qu'ils permettront ?
Dans le cas des mineurs comme des adultes, il s'agit de donner un sens à la peine, pour les délinquants, la société, mais aussi les victimes. C'est l'intérêt de la nouvelle procédure de mise à l'épreuve éducative. Les crédits de l'action 01 du programme 182, « Mise en œuvre des décisions judiciaires », augmentent de 9,8 %, soit 32 millions d'euros, dont 20 millions destinés à permettre une réponse pénale rapide, notamment dans le cadre de la justice de proximité évoquée par Bruno Questel dans son rapport. Vous avez évoqué une réforme permettant moins d'incarcérations, ce qui n'équivaut pas à du laxisme puisqu'il existe toute une gamme de possibilités alternatives. Comment cette réponse pénale rapide va‑t-elle se concrétiser ?
Personne ne conteste l'effort budgétaire consenti, mais d'importantes questions demeurent.
Concernant les conditions d'incarcération, le programme immobilier prévu dans la loi de programmation n'est pas respecté ; j'aimerais obtenir sur ce point des engagements de votre part.
Concernant la numérisation, sans mettre en cause une quelconque catégorie de personnel, les liaisons informatiques ont été bien indigentes pendant le confinement, et la justice en a été ralentie. Il va falloir passer à la vitesse supérieure, et pour longtemps, mais sans perdre les justiciables en route.
L'augmentation de 50 millions d'euros du budget de l'aide juridictionnelle n'est pas négligeable, mais c'est à une centaine de millions que Naïma Moutchou et moi-même, de façon transpartisane, avons estimé les besoins, qui ont été confirmés par la mission Perben. S'ils ne sont pas alloués cette année, qu'en sera-t-il par la suite ?
Merci de ce budget au service des justiciables et des conditions d'exercice des fonctionnaires concernés.
Vous avez parlé de 7 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2022. Le retard pris en la matière vous conduit-il à revoir vos orientations, sachant qu'il était question à la fois de transférer des places existantes et d'en créer de nouvelles ? Allez-vous modifier le nombre de places dans les quartiers pénitentiaires dédiés à la radicalisation ?
Vous prévoyez de créer vingt nouveaux centres éducatifs fermés, mais le taux d'occupation des CEF stagne à 68 %. Y a-t-il lieu de remettre en cause leur fonctionnement et de prendre, dans ce domaine aussi, de nouvelles orientations ?
Le traitement du stock de dossiers par requalification et décision sans audience, expérimenté pendant le confinement et dont le bilan est plutôt positif, va-t-il continuer ? Même question concernant les audiences à distance, qui ont donné satisfaction, notamment, dans ma circonscription, concernant les hospitalisations sans consentement en psychiatrie.
Enfin, la médiation, initialement peu prisée des avocats, ne peut que leur bénéficier, ainsi qu'aux justiciables, en limitant ou en évitant le recours à une action judiciaire longue et coûteuse.
À l'occasion de la réunion qui s'est tenue jeudi dernier, à l'Élysée, en présence du Président de la République, entre vous-même, le ministre de l'Intérieur et les syndicats de policiers, vous avez déclaré que la prison est criminogène, ce que vous venez de répéter ici même, et ajouté qu'elle était un facteur de radicalisation. Selon les documents budgétaires, le renseignement pénitentiaire poursuit sa montée en puissance et les équipes pénitentiaires se professionnalisent au sein de la communauté du renseignement. Depuis trois ans, le Gouvernement lutte résolument contre les violences en milieu fermé et ouvert ; dans ce cadre ont été créés des unités spécifiques pour détenus radicalisés et un programme de prise en charge adapté aux terroristes islamistes. Quelles dispositions et quels moyens comptez-vous mettre en œuvre en 2021 en matière de renseignement pénitentiaire et pour développer ces unités ?
Je vous félicite du budget exceptionnel que vous avez obtenu et de votre langage de vérité, qui fait beaucoup de bien.
Quelle part du budget de l'institution judiciaire consacrerez-vous à la montée en puissance des cours criminelles départementales, dont le nombre doit doubler, et comment leur déploiement va-t-il se dérouler ?
Il a été décidé que les transfèrements de prisonniers pourraient être confiés à l'administration pénitentiaire, ce qui déchargerait les forces de police et de gendarmerie de cette tâche. Y travaillez-vous ? En vue de quelle échéance ?
Je vous félicite à mon tour de l'augmentation du budget de votre ministère, en particulier celui de l'administration pénitentiaire – le mieux doté de la mission, avec 3,3 milliards d'euros –, conforme aux attentes de nos concitoyens comme des personnels pénitentiaires et des familles de détenus.
La maison d'arrêt de Saint-Étienne-La Talaudière fait partie selon votre administration des quinze prisons les plus vétustes de France. Il faut restructurer de tels établissements, et non simplement en construire de nouveaux. Votre prédécesseure s'y était engagée, les travaux ont été lancés, mais la crise ne permet pas de leur faire suivre un rythme aussi rapide que nous le souhaiterions. Le drame que nous venons de vivre ne les rend pourtant que plus urgents : pour lutter contre la radicalisation, il faut améliorer les conditions d'incarcération des détenus et d'intervention en prison de l'éducation nationale et des services psychiatriques.
Le pire, quand on engage une réforme, est de ne pas se donner les moyens de l'appliquer. Au contraire, ce budget est à la hauteur des ambitions de transformation de la justice pénale des mineurs : parvenir à des délais de jugement satisfaisants – moins de trois mois – et, pour cela, accroître significativement le nombre de magistrats et de greffiers et accélérer la mise en œuvre des mesures éducatives judiciaires – des moyens substantiels sont alloués à la protection judiciaire de la jeunesse. Je vous en remercie, ainsi que du déploiement du bracelet anti-rapprochement pour lutter contre les violences intrafamiliales, car pour qu'une loi soit efficace, son vote doit être suivi des mesures permettant de la concrétiser.
Selon le Conseil national des barreaux, 90 % des patients hospitalisés sous contrainte bénéficient de l'aide juridictionnelle. Mais l'appréciation des dossiers n'est pas uniforme : dans mon département, la prise en charge diffère selon les juridictions. Le Défenseur des droits a souligné en mai 2019 l'injustice que cela représente. Serait-il possible que tous les patients concernés bénéficient de plein droit de l'aide juridictionnelle sans condition de revenus ? Il arrive qu'en une année civile, une personne doive subir plusieurs hospitalisations dans ces conditions.
Puisque vous êtes là pour faire bouger les choses, j'appelle votre attention sur deux dossiers auxquelles l'administration centrale semble peu favorable : les prisons ouvertes, dont les exemples étrangers confirment pourtant l'intérêt ; l'investissement dans de petites prisons comme celles de Mende, vieillissante, mais implantée au cœur de la ville, dans un environnement très adapté à la réinsertion.
Dans les petits tribunaux, même sans vacance de poste, les délais de nomination peuvent être longs. À Mende, toujours, le tribunal judiciaire attend depuis des mois l'arrivée d'un directeur des services de greffe et le remplacement d'un juge – et la présidente attend, elle, votre visite, monsieur le ministre !
En ce qui concerne les extractions judiciaires, le nombre de détenus ayant dû être remis en liberté d'office parce qu'ils n'ont pas été extraits à temps est un peu inquiétant – c'est un doux euphémisme – et la Covid‑19 aggrave la situation. Une inspection conjointe avec le ministère de l'Intérieur est en cours.
S'agissant des cours criminelles départementales, vous connaissez ma position : je trouve logique que le peuple juge puisque la justice est toujours rendue au nom du peuple français – il faudrait rappeler à ceux qui la trouvent trop laxiste que c'est lui qui décide des peines en matière criminelle. C'est une expérience fantastique pour les jurés, qui découvrent combien c'est difficile, éloigné de ce que l'on en dit, qui apprennent que la rumeur ne peut tenir lieu de preuve et toutes les autres règles qui honorent notre justice lorsqu'elle les respecte. Je suis donc tout à fait favorable aux cours d'assises classiques, qui ont été ma vie pendant trente ans. Laissons les expérimentations se poursuivre ; j'ai par ailleurs demandé à une commission de réfléchir aux améliorations que l'on pourrait apporter au fonctionnement des cours d'assises.
Concernant le centre pénitentiaire de La Talaudière, il a été décidé d'allouer une dotation de 12 millions d'euros à sa rénovation d'ici à 2022, et les travaux de sécurisation, qui devaient s'achever en novembre, seront livrés en janvier 2021. Patience et longueur de temps…
J'en viens à l'aide juridictionnelle. L'objectif est bien d'atteindre les 96 millions d'euros dont nous devons l'estimation à la mission Perben – je sais, monsieur Gosselin, que vous y veillerez –, mais il nous faut d'abord parler avec la profession des conditions d'entrée, d'exercice, de la question délicate de l'avocat en entreprise et des contreparties de la mesure. Je l'ai dit, les 50 millions d'euros sont une première marche – on partait de rien ! Vous refusez de voter le budget parce qu'il augmente, mais pas assez : c'est un peu paradoxal.
En ce qui concerne la mise en œuvre de la justice de proximité en matière pénale, le délégué du procureur peut intervenir par des propositions, du travail non rémunéré, afin de traiter la délinquance de basse intensité, qui pourrit la vie de nos concitoyens. Prenez le phénomène insupportable des rodéos urbains. Nous nous sommes demandé si nous pouvions saisir dans ce cas le scooter – une belle sanction, propre à marquer les esprits.
Si le scooter a été volé, on le rend à son légitime propriétaire. Nous allons nouer des partenariats – parlez-en autour de vous, à Béziers par exemple – avec les élus locaux pour trouver des terrains grillagés où l'entreposer avant de le restituer, que ce soit au propriétaire ou au gamin qui s'en est servi si le véhicule est à lui et s'il a compris la leçon.
Oh non, on ne peut pas parler d'extrême à propos de Mme Ménard !
Voilà qui ne concerne pas la moyenne ou la grande délinquance, mais c'est une réponse immédiate pour nos concitoyens.
En matière civile, il s'agit de dégager du temps pour que les magistrats aillent vers les plus défavorisés, auprès desquels ils se rendront en véhicule vert, mais aussi d'orienter ces publics vers la bonne juridiction, le bon tribunal – car pour accéder au service d'accueil unique du justiciable, encore faut-il se rendre au tribunal. C'est ainsi que l'on réconciliera les Français avec leur justice.
S'agissant de la déradicalisation, en 2021 seront ouverts deux quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), dont un pour femmes, 690 000 euros seront alloués à la formation du personnel, 64 agents supplémentaires seront dédiés à cette tâche et l'enveloppe fléchée sera reconduite à hauteur de 1,6 million d'euros.
À ce propos, dans la situation terrifiante dans laquelle nous plonge l'actualité, on s'est beaucoup enflammé, oubliant ce qui a été fait grâce aux expulsions, au renseignement pénitentiaire – renforcé dans des proportions inédites –, à la coordination entre les renseignements. Un attentat, c'est un échec ; trente-six attentats déjoués, ce n'en est pas un. Il est injuste de dire que rien n'a été fait : l'émotion n'autorise pas tout. Et nous n'avons pas oublié le terrorisme en concevant ce budget.
Je réponds enfin à Mme Dubré-Chirat : après 18 000 portables livrés en 2019, 20 000 l'auront été en 2020, portant à un total de 38 000 unités fin 2020, auxquelles s'ajouteront 20 000 nouveaux portables en 2021. Nous avons distribué 800 smartphones sécurisés ; 2 000 le seront d'ici à la fin de l'année et 4 000 unités en 2021. Ont été installés 2 400 équipements de visioconférence, concernant 24 % du parc ministériel en 2020 ; 2 000 agents bénéficient, avec Skype, de la visioconférence sur PC, l'objectif étant de 20 000 en 2021.
Merci à tous pour la qualité de nos échanges.
La réunion, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante sous la présidence de Mme Naïma Moutchou, vice-présidente.
La Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Justice ».
Article 33 et état B : Crédits du budget général
La Commission examine l'amendement II-CL52 de Mme Emmanuelle Ménard.
Je propose de renforcer l'administration pénitentiaire pour lui donner les moyens de détenir et de contrôler les personnes incarcérées d'une manière à la fois digne et efficace. On se souvient qu'Emmanuel Macron avait promis pendant la campagne présidentielle de créer 15 000 places supplémentaires dans les prisons. À dix-huit mois de la fin de son mandat, nous sommes en droit de nous interroger sur la tenue de cette promesse. Mme Simonnot, pressentie pour être nommée Contrôleure générale des lieux de privation de liberté par le Président de la République, a affirmé la semaine dernière lors de son audition, qui était assez particulière, qu'elle ne croyait pas en la possibilité de créer ces 15 000 places. Mon amendement permettra de transférer 200 millions d'euros supplémentaires vers le programme « Administration pénitentiaire » pour commencer à concrétiser la promesse du Président de la République.
Vous pourrez lire davantage de précisions dans mon rapport, mais je rappelle déjà que les crédits prévus en matière d'investissement immobilier augmenteront de 917 millions en autorisations d'engagement et de 163 millions en crédits de paiement. Votre amendement étant d'une certaine manière satisfait, je vous invite à le retirer, à défaut de quoi j'émettrai un avis défavorable.
Je propose 200 millions de plus que les crédits prévus. Par ailleurs, j'aimerais avoir une réponse à ma question de fond : où en est la création des places supplémentaires ?
Tout d'abord, il ne s'agit pas de créer 15 000 places d'ici à 2022, mais 8 000 dans un premier temps, puis 7 000. Nous sommes aux alentours de 5 000. Vous verrez dans mon rapport où nous en sommes précisément, région par région, notamment dans les Outremers, qui ont été évoqués tout à l'heure. Des efforts sont faits en fonction des besoins réels. Je vous propose d'échanger, de la manière que vous souhaiterez, pour que vous puissiez avoir des éléments aussi précis que possible en ce qui concerne le calendrier.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement II-CL40 de M. Ugo Bernalicis.
La plupart de nos amendements prennent de l'argent sur les crédits prévus pour la construction de places de prison pour l'affecter ailleurs. Le gage pourrait être levé, bien entendu, mais il y a une logique dans notre démarche.
L'amendement II-CL40 vise à renforcer l'aide juridictionnelle de 50 millions d'euros pour porter les moyens prévus en la matière à 100 millions, comme le préconise le rapport de M. Perben – vous voyez à quel point c'est une innovation politique de ma part (Sourires). Le budget qui nous est proposé n'est pas le plus dingue de toute l'histoire de la justice… Il est, comme d'habitude, même s'il est en progression, en deçà des besoins.
Avis défavorable pour deux raisons. Tout d'abord, je ne pense pas qu'il faut prendre des crédits dans le budget prévu pour le programme immobilier de l'administration pénitentiaire pour augmenter celui de l'aide juridictionnelle. Ensuite, je rappelle que des engagements assez significatifs ont été pris lors de l'audition du garde des Sceaux : une consultation aura lieu prochainement, et nous allons avancer.
Si j'ai sous-entendu que je n'étais pas très innovant, c'est parce que la préconisation de M. Perben permettra seulement de porter à 40 euros le montant de l'unité de valeur pour les avocats. C'est bien, mais il existe une autre problématique : les critères d'éligibilité des justiciables à l'aide juridictionnelle. Nous nous étions dit lors des débats sur la loi de programmation et de réforme pour la justice que le fait d'être au SMIC devrait permettre d'avoir une prise en charge à 100 % – mais il faudrait, pour cela, augmenter encore le budget. La majorité avait promis de mettre le paquet sur l'aide juridictionnelle lorsque nous avons prévu des modes alternatifs de règlement des litiges et des conflits, notamment par des médiations. La compensation légitime était d'augmenter l'aide juridictionnelle, d'autant que le périmètre de la représentation obligatoire par avocat a été étendu. Je déplore que cela ne se concrétise pas.
Je vais presque m'exprimer sous votre contrôle, madame la présidente – vous êtes, avec moi, à l'origine d'un rapport sur l'aide juridictionnelle. M. Bernalicis n'a pas totalement tort. L'aide juridictionnelle augmentera de 10 %, ce qui est très bien mais, en dépit de cette « première marche », le compte n'y est pas encore. On ne peut pas se satisfaire de la situation : un effort reste à faire. Nous le redisons régulièrement – j'avais déjà fait le point sur ce sujet il y a dix ans avec Mme Pau-Langevin. L'accès au droit est une exigence démocratique dans une société comme la nôtre. Tout ne se résume pas à l'aide juridictionnelle, mais elle est un élément important, qui mérite vraiment une grande attention.
J'ai appelé tout à l'heure à l'application de l'ensemble des mesures figurant dans le rapport de M. Perben mais aussi dans celui de Mme Moutchou et de M. Gosselin afin d'augmenter l'assiette de l'aide juridictionnelle. J'invite toutes celles et tous ceux qui veulent travailler davantage sur ce sujet d'ici à la séance à se rapprocher, avec moi, du garde des Sceaux, notamment en marge de sa rencontre avec les représentants de la profession d'avocat, pour voir comment nous pourrions aboutir à une solution opérationnelle et ambitieuse. N'hésitez pas, monsieur Bernalicis, à me contacter à l'adresse laetitia.avia@assemblee-nationale.fr (Sourires).
Je souscris à ce qui vient d'être dit, même si nous nous heurtons à une petite difficulté : certains amendements que nous avions déposés, non pour augmenter les charges mais pour les répartir un peu différemment, ont connu un sort funeste pour des raisons d'irrecevabilité.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement II-CL44 de M. Ugo Bernalicis.
Cet amendement tend à souligner que les effectifs cibles, en particulier dans la magistrature, ne correspondent pas aux besoins. Il me semble d'ailleurs que la chancellerie avait entamé un travail sur cette question. Lorsque nous avions auditionné Nicole Belloubet sur le budget de l'année dernière, elle avait concédé qu'on ne pouvait pas se satisfaire de la situation.
Cela concerne en particulier les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), qui nous tiennent particulièrement à cœur – elles sont en charge des affaires relevant de la criminalité organisée les plus difficiles et les plus complexes. On doit renforcer ces juridictions car elles ne comptent pas beaucoup de magistrats – seulement 91 du parquet et 71 juges d'instruction en 2017. Il y a eu un léger progrès mais nous n'avons pas encore les chiffres actualisés.
Je voudrais aussi évoquer le Parquet national financier. Lors de sa création, l'étude d'impact évoquait un magistrat pour huit dossiers. On en est à 18 magistrats pour 590 dossiers en cours, ce qui représente un magistrat pour 32 dossiers. Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, que des enquêtes préliminaires soient un peu longues.
Avis défavorable. Vous voulez toujours prélever des crédits dans le programme de construction de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, l'effet de l'amendement n'est pas celui qui est affiché. En créant un nouveau programme propre aux JIRS, vous éclateriez leurs moyens entre deux programmes – « Justice judiciaire » et « Renforcement des moyens des JIRS » –, ce qui empêchera de les gérer.
Je vais donc faire un petit cours sur la recevabilité des amendements. Si les miens ont été déclarés recevables, c'est peut-être parce qu'ils ont été rédigés ainsi. Cela peut sembler étrange – on pourrait envisager une réforme sur ce point –, mais quand on ne prend pas des crédits sur une ligne budgétaire pour les affecter à une autre, nouvelle en l'occurrence, à l'intérieur de la même mission, on s'expose à un risque d'irrecevabilité. L'exposé sommaire de l'amendement spécifie que l'objectif n'est pas, en soi, de créer une nouvelle ligne mais de renforcer les JIRS : je pense que tout le monde a compris le but réel.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement II-CL41 de M. Ugo Bernalicis.
En ce qui concerne le placement à l'extérieur, les crédits pour 2021 demeurent à 8 millions d'euros, comme l'année dernière – on était descendu à 7 millions en 2017 alors que ce budget s'élevait à 9 millions en 2016.
Le placement à l'extérieur est un aménagement de peine très intéressant qui permet de suivre des personnes à l'extérieur de la prison dans un environnement marqué, tout de même, par de très fortes contraintes, ainsi que par une prise en charge, un accompagnement dans la perspective d'un retour à une citoyenneté pleine et entière.
Ce budget stagne alors qu'il s'agit d'une priorité. Nous avons vu le film tourné à la ferme de Moyembrie, qui est toujours mise en avant. Des projets d'essaimage existent un peu partout en France.
Par ailleurs, nous nous demandons pourquoi les autorisations d'engagement restent égales aux crédits de paiement, alors que des conventions pluriannuelles, sur trois ans, sont possibles pour assurer une sécurisation : nous avons adopté cette mesure dans le cadre de la loi de programmation pour la justice. J'avais trouvé que c'était très bien, mais le budget ne suit pas. Que faisons-nous donc ici ?
Je suis pour que le placement à l'extérieur ne soit pas utilisé seulement comme une forme d'aménagement de peine : il faut qu'il puisse également être décidé ab initio. C'est une mesure très intéressante, notamment pour des multiréitérants, s'agissant de certaines infractions. Il n'y a pas que la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). On doit avoir toute une palette d'alternatives à l'incarcération.
Il est vrai que les crédits pour le placement à l'extérieur resteront stables, mais ceux alloués à la DDSE augmenteront de 85 % – ils passeront de 17 à 31,5 millions d'euros. Des efforts sont donc accomplis dans ce domaine. Rome ne s'est pas faite en un jour… J'ajoute que le programme de construction de places de prison n'est pas remis en cause. Avis défavorable.
C'est ce que je disais : vous mettez le paquet sur la DDSE. Il y aura plus de 2 000 mises sous bracelet, même si je ne sais pas bien comment on réalise la prouesse d'anticiper les décisions des magistrats.
Pourquoi ne faites-vous pas de même pour le placement à l'extérieur ? Vous pourriez me dire que prévoir 24 millions d'euros supplémentaires, ce serait beaucoup, parce qu'on n'arriverait pas à tout consommer, mais pourquoi ne pas doubler, au moins, les crédits actuels pour donner un signal aux associations ?
Le coût de la prise en charge d'une personne placée sous main de justice est compris, en moyenne, entre 35 et 40 euros par journée, contre 120 euros en détention classique, et on observe des résultats bien meilleurs en matière de prévention de la récidive : je me demande ce que nous attendons.
Le budget que vous défendez avec ardeur a augmenté de 14 % cette année. L'an prochain, ce sera le tour de la DDSE. Nous avançons pas à pas, et non d'une manière désordonnée.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement II-CL37 de M. Ugo Bernalicis.
Nous proposons d'augmenter de 10 millions les crédits du programme « Justice judiciaire » pour avoir suffisamment de fonctionnaires de greffe. On nous dit qu'on atteindra l'effectif cible, mais je n'y crois pas. L'exécution budgétaire a été plutôt chaotique au cours des années précédentes – le projet annuel de performances explique qu'un reliquat de 80 postes sera utilisé en 2021. Par ailleurs, l'effectif cible ne correspond pas aux besoins. Il faut recruter davantage de fonctionnaires de greffe, d'autant que cela nécessite moins de temps que pour les magistrats et que c'est préférable à l'embauche de juristes assistants et d'assistants spécialisés sous contrat, qu'on doit fidéliser.
Avis défavorable. Les recrutements, qui ont été détaillés tout à l'heure par le garde des Sceaux, seront deux fois plus élevés que ce que nous avions prévu dans le cadre de la loi de programmation : il y aura 2 450 agents supplémentaires, notamment des directeurs des services de greffe, des greffiers et des renforts de greffe. Des investissements et des recrutements auront lieu.
Je suis désolé : il n'y aura pas 2 450 créations de postes, mais seulement 1 490 selon le projet annuel de performances. Il ne faut pas se limiter aux recrutements : on doit déduire les sorties prévues.
Il est indiqué, s'agissant des personnels de greffe, qu'il y aura + 333 postes en 2021. C'est très bien, mais cela reste notoirement insuffisant compte tenu des enjeux. On apprend dans le même document qu'il n'y aura finalement que 50 magistrats de plus.
Ce que je viens de dire au sujet des personnels de greffe n'est d'ailleurs pas tout à fait complet. Du fait des retards et des reliquats, il n'y aura en réalité, selon le deuxième tableau figurant à la page 60 du projet annuel de performances, que 100 emplois supplémentaires.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement II-CL43 de M. Ugo Bernalicis.
Nous représentons cet amendement que nous avions déjà déposé l'année dernière. Il s'agit de créer des pôles judiciaires spécialisés dans la lutte contre les discriminations. Nous devrions consacrer davantage de moyens à cette question qui est d'actualité.
Je me souviens très bien de la discussion que nous avons eue, et je vous ferai exactement la même réponse. La mesure que vous proposez n'est pas nécessaire, car la loi de programmation pour la justice donne déjà la possibilité de créer de tels pôles en fonction des besoins. Il y a ainsi des chambres spécialisées en la matière à Paris. Votre amendement est donc satisfait. Comme je sais que vous ne le retirerez pas, j'émets un avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement II-CL39 de M. Ugo Bernalicis.
Nous proposons de reprendre des crédits alloués à la construction de cinq centres éducatifs fermés de plus : on ne remplit déjà pas ceux qui existent – et qui connaissent des difficultés, qu'ils soient gérés directement par la Protection judiciaire de la jeunesse ou par des associations. Il serait plus utile d'embaucher du personnel supplémentaire avec ces crédits.
Je rappelle ce que le garde des Sceaux a dit, bien que ce ne soit pas forcément cohérent avec ce budget : nous sommes le pays d'Europe qui enferme le plus de mineurs. Nous pourrions changer de politique car ce n'est pas la bonne solution. Il n'existe pas de corrélation entre le taux d'enfermement des mineurs passés entre les mains de la justice et les statistiques de la délinquance. Cela prouve que la politique menée à l'heure actuelle ne produit pas les résultats escomptés. Nous nous honorerions de traiter nos enfants d'une manière plus adéquate.
Le garde des Sceaux a présenté tout à l'heure dans le détail les créations, importantes, de postes, notamment leur affection. Avis défavorable.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est saisie de l'amendement II-CL42 de M. Ugo Bernalicis.
Il s'agit, dans le même état d'esprit, de promouvoir des mesures en milieu ouvert. Tout un ensemble de structures, notamment ce qu'on appelait les « lieux de vie », ont disparu, non parce qu'elles ne fonctionnaient pas mais parce qu'on a supprimé des personnels et qu'on a préféré des structures intégrées. Un Président de la République qui s'appelait Nicolas Sarkozy a voulu faire de la communication politique sur le thème de la sévérité à l'égard des jeunes, considérés comme étant de plus en plus délinquants et de plus en plus sauvages – on croirait entendre, aujourd'hui, Gérald Darmanin. Ce n'est pas la bonne politique : il serait plus efficace de financer des mesures en milieu ouvert.
La Commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement II-CL38 de M. Ugo Bernalicis.
C'est un amendement de bon sens : il faut qu'il y ait dans le budget de quoi fournir des masques à toutes et tous dans les établissements pénitentiaires. Compte tenu de la situation, je crois que je n'ai pas besoin de développer davantage.
Toutes les personnes qui devaient l'être ayant été équipées, cet amendement est satisfait. J'émets un avis défavorable.
Ce n'est pas exact. Le Conseil d'État a dû passer par là, et il y a eu quelques condamnations ici et là. Par ailleurs, que signifie l'expression « les personnes qui devaient l'être » ? Est-ce en fonction de la doctrine définie par l'administration pénitentiaire ou des règles sanitaires en vigueur dans notre pays ? Il y a toujours un décalage entre ce qui se passe en détention et ce qui se passe à l'extérieur.
On a considéré que les détenus n'avaient pas besoin d'avoir des masques car le virus ne peut venir que de l'extérieur. Sauf qu'on a oublié qu'il existe des porteurs asymptomatiques : le virus circule plus facilement qu'on le pensait. Les dépistages qui ont été faits, notamment à Seysses, ont prouvé que le principe de précaution, consistant à faire en sorte que tout le monde puisse respecter le mieux possible les gestes barrières, doit s'appliquer partout, et pas seulement dans les zones écarlates. La prison étant un milieu confiné dans lequel les gens sont les uns sur les autres, il faut prévoir davantage de moyens.
La Commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis des rapporteurs pour avis, la Commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Justice » sans modification.
Après l'article 55
La Commission est saisie de l'amendement II-CL61 du rapporteur pour avis.
Le présent amendement a pour objet de rétablir un délai de forclusion pour le dépôt des mémoires de frais : le délai dans lequel un collaborateur du service public est autorisé à soumettre pour paiement un mémoire de frais à la juridiction de l'ordre judiciaire compétente serait limité à une année à compter de la fin de sa mission.
La procédure actuelle ne prévoit aucun délai, ce qui suscite des difficultés en ce qui concerne la maîtrise des dépenses et la gestion des flux entrants de mémoires, aussi bien pour les services centralisateurs des frais de justice des tribunaux judiciaires que pour les services administratifs régionaux, responsables des budgets opérationnels de programme sur délégation des chefs de cour. Il est dommageable et risqué de permettre de présenter un mémoire pour paiement de très nombreuses années après l'accomplissement d'une prestation.
Le décret n° 59-318 du 25 février 1959 avait instauré un délai d'une année « à partir de l'époque à laquelle les frais ont été faits » pour présenter le mémoire, mais cette disposition a été abrogée en 1983.
La direction des affaires juridiques du ministère de l'Économie et des finances, saisie pour avis, a considéré qu'un tel délai de forclusion serait dérogatoire par rapport à la règle de prescription quadriennale des créances de l'État. C'est pourquoi je propose d'utiliser un vecteur législatif.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine l'amendement II-CL49 de M. Dimitri Houbron.
Cet amendement vise à prolonger de deux années l'expérimentation relative à la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO), instaurée par la loi du 18 novembre 2016 afin de développer la culture de la résolution amiable des conflits, de pacifier les rapports sociaux et de recentrer le juge sur son office. Nous avons déjà prolongé cette expérimentation en 2019, mais la crise de la Covid‑19 est survenue.
Je suis très favorable à cet amendement qui s'inscrit dans le prolongement des travaux que vous avez menés lorsque vous étiez rapporteur pour avis de cette mission et que je tiens à saluer.
La Commission adopte l'amendement.
La réunion s'achève à 18 heures 20
Information relative à la Commission
La Commission a désigné M. Jean-Michel Fauvergue et Mme Alice Thourot rapporteurs sur la proposition de loi vers une sécurité globale (n° 3452).
Membres présents ou excusés
En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.