Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

Non plus que ce que vous dites, si bien que nous sommes à égalité pour ce qui est des mots ; mais, s'agissant des chiffres, la réalité est celle que j'ai décrite et que vous ne voulez pas entendre – peut-être est-ce le jeu de l'opposition politicienne, je découvre ces choses depuis peu de temps et elles m'émerveillent parfois. Vous expliquez qu'il y a une hausse mais qu'elle n'est pas suffisante, si bien que vous ne voterez pas ce budget. Aurais-je dû présenter un budget à la baisse pour que vous le votiez ? Alors qu'il n'y a pas eu de budget de la justice comparable à celui-ci depuis vingt-cinq ans, vous me reprochez en somme de le présenter en augmentation !

Les recrutements en emplois pérennes supposent que ceux qui les occupent aient suivi une longue formation. Seul le recours aux contractuels permet d'aider les juridictions immédiatement. Je rappelle qu'il n'y a plus de vacances de postes de magistrats, et que d'ici à la fin de l'année 2021, il n'y aura plus de vacances chez les greffiers.

À M. Erwan Balanant, qui veut en savoir plus sur les suites données à l'outrage sexiste, je peux dire qu'en septembre dernier, 2 000 infractions avaient été relevées et 142 sanctionnées. Le temps que l'arrivée des nouveaux personnels en juridiction fera gagner est difficilement quantifiable, chacun en conviendra, mais l'« injection » de contractuels équivaut à l'ingestion de sucres rapides, avec un effet immédiat pour la justice de proximité. Le temps gagné par les juges sera consacré à résorber les stocks mais aussi à aller, en véhicules verts, vers les justiciables les plus démunis. Il a été dit tout à l'heure que la justice n'avait rien à prendre dans le plan de relance ; ce n'est pas le sujet qui nous réunit aujourd'hui mais ce n'est pas exact.

Rien du programme immobilier n'est ourdi en secret, et Mme la députée Untermaier comme les autres commissaires peuvent être associés à son évolution par une communication régulière ; les députés exerceraient ainsi pleinement le contrôle démocratique de l'action du Gouvernement. La justice civile est en panne, c'est vrai. J'ai dressé dans mon propos liminaire la liste détaillée des recrutements de titulaires et de contractuels prévus en 2021 ; je n'y reviens donc pas.

M. Houbron m'a interrogé sur les fabricants des bracelets anti-rapprochement. Le marché public de l'extension du système d'information a été remporté par la société Worldline, celui des équipements a été attribué à l'entreprise G4S et celui de télé-assistance et de télésurveillance à Allianz.

Nous recourrons davantage aux délégués du procureur : 28 millions d'euros seront prévus à cet effet. Ils sont actuellement 919 ; soit nous en recruterons davantage, soit nous leur permettrons de travailler plus. Notre objectif est de doubler leur nombre car ils pourront, quand ils iront au contact de la délinquance de basse intensité, apporter une réponse immédiate. La détention peut être utile, même pour des gamins, mais elle a parfois des effets pervers – tout est question de nuance, ce à quoi je m'attache plutôt que de me laisser emporter par je ne sais quel vent mauvais. Parlant de ces questions avec les procureurs généraux, je leur ai posé une question à laquelle je connais la réponse, ayant vécu ces situations comme avocat : mieux vaut-il une peine de travail non rémunéré avec intervention possible du délégué du procureur ou deux mois d'emprisonnement avec sursis prononcés dix-huit mois après la commission de l'acte délictueux ? Un procureur général m'a répondu : « Mort de rire ! » – voilà comment le condamné peut recevoir l'énoncé de sa peine après un an et demi… De fait, cela n'a aucun sens. C'est dire l'importance du rôle des délégués du procureur.

Monsieur Acquaviva, j'ai saisi une mission d'inspection générale de la situation pénitentiaire à Borgo ; je n'en dirai donc pas plus ici. Nous attendrons que les magistrats indépendants qui la composent aient achevé leurs travaux, dont les conclusions seront peut-être rendues publiques et seront en tout cas communiquées à la représentation nationale.

Concernant le code de justice pénale des mineurs, je me suis engagé à ce que le Parlement en examine prochainement les dispositions.

Monsieur Brindeau, il est absolument certain que la prison ne peut pas être la seule réponse pénale. Telle qu'elle est conçue depuis des siècles, telle que l'a étudiée Michel Foucault, elle a trois objectifs : punir, protéger la société d'un individu dangereux et réinsérer. On sait qu'elle est criminogène : si elle éloigne parfois de la délinquance, elle peut aussi y ancrer davantage le détenu. On est parfois émerveillé, en revanche, des résultats des projets pédagogiques destinés à des gamins souvent défavorisés – j'ai horreur que l'on parle, avec mépris, de culture de l'excuse : chacun est le fruit de son histoire, et les choses sont plus compliquées pour un gamin né dans des conditions difficiles ; sans qu'il soit voué à devenir un délinquant, il existe à son endroit ce que l'on appelait des circonstances atténuantes quand cette notion existait encore dans le code pénal. Ces sujets méritent donc d'être abordés avec nuance.

Les juristes assistants ne sont pas des assistants de justice, mais des jeunes de niveau bac plus quatre. J'aurais préféré que le budget de la justice soit cinq ou dix fois supérieur ; il n'en demeure pas moins, de tous les budgets régaliens, celui qui connaît la plus forte augmentation.

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