C'est un fait : le groupe de la France insoumise, à l'unanimité, a voté contre l'état d'urgence, contre la sortie de l'état d'urgence, contre les mesures dérogatoires accompagnant la sortie de l'état d'urgence, contre le système d'information permettant d'enregistrer les tests positifs, contre le système d'information permettant d'appeler les porteurs pour les mettre à l'abri.
Je voulais en débattre avec le président du groupe la semaine dernière, devant les Français. Quelles mesures alternatives proposez-vous ? Je ne dis pas que nous avons la science infuse, que la communauté scientifique et médicale et l'ensemble des juristes qui travaillent auprès du Gouvernement ou dans les organismes indépendants ont forcément raison ; je dis que nous sommes ouverts aux contributions. Seulement, un vote contre n'est pas une contribution. Voter contre le principe même d'un système d'information, ce n'est pas la même chose que voter contre un système parce qu'il n'aurait pas été amendé et amélioré.
Je ne m'engagerai pas dans un débat sur l'application StopCovid, désormais TousAntiCovid, qui n'est pas concernée par ce texte. Les seuls systèmes d'information dont nous traitons ici sont Contact-Covid, qui permet le suivi des cas contact, et SI-DEP, qui permet d'enregistrer les tests positifs.
J'aurai l'occasion de l'évoquer devant les Français cet après-midi, Santé publique France a publié hier soir des nouvelles cartes sur le site Géodes, qui fait en toute transparence l'état des lieux des contaminations et des incidences épidémiques à une échelle très fine, de l'ordre de 4 000 habitants. Il est désormais possible de zoomer sur le périmètre dans lequel on réside et de connaître l'incidence de la maladie.
On pourrait aller plus loin et, à partir des données biologiques, indiquer demain aux médecins, aux élus qu'il y a eu trois contaminations dans une rue donnée ou faire connaître le taux de positivité dans telle ou telle université. Mais nous n'en avons pas le droit car plusieurs instances, et notamment la CNIL, ont retoqué les projets au motif que les informations, insuffisamment anonymisées, représentaient un risque pour les libertés individuelles. Nous sommes toujours sur la ligne de crête entre le respect des libertés fondamentales, auxquelles nous sommes tous très attachés, et la capacité d'assurer, dans la continuité, une lutte efficace et précoce contre le virus.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que la majorité des personnes sont asymptomatiques et que la durée d'incubation peut atteindre quatre ou cinq jours. Paradoxalement, il serait bien moins complexe de lutter contre un virus qui provoquerait des symptômes dans 95 % des cas et dont la durée d'incubation serait de deux heures. Néanmoins, les moyens consacrés par les organismes publics sont considérables et les données sont publiées en toute transparence.
Les différences avec la première vague sont notables. La courbe d'ascension des réanimations et des cas graves ne prend pas la même forme exponentielle que celle de la première vague, car le facteur reproduction du virus est inférieur. C'est l'effet des politiques qui sont conduites et du respect par les Français des gestes barrières. Un effort supplémentaire peut faire basculer les choses. Le facteur de reproduction était de 3 au printemps, il est désormais de 1,3. Notre objectif est simple : le faire repasser sous la barre de 1. Nous estimons, avec les scientifiques, que le couvre-feu, le respect des gestes barrière et la solidarité hors pair des Français sont de nature à permettre ce basculement. Nos concitoyens sont de plus en plus vigilants et font preuve d'une acceptabilité remarquable des mesures, alors que nous en avons tous assez…
J'ai pu indiquer à plusieurs reprises en conférence de presse l'état des services de réanimation et le nombre de lits. Notre pays comptait en situation normale 5 100 lits de réanimation armés, équipés, avant l'épidémie. Le chiffre est passé à 5 800 après la première vague. Nous avons donc augmenté dans la durée le nombre de lits de réanimation de 15 %.
Nous avons formé de nombreux soignants pendant l'été et pris des mesures dérogatoires pour les étudiants en santé, afin qu'ils puissent venir prêter main-forte si cela est nécessaire. Nous avons également constitué un stock de médicaments de réanimation pour soigner jusqu'à 29 000 malades, contre 17 000 durant la première vague. Nous avons des respirateurs pour équiper plus de 10 000 lits. Au 15 avril dernier, en pleine puissance, nous étions montés à 10 700 lits de réanimation, dont une part est occupée par des malades non covid - environ 3 000 malades, selon les estimations.
Progressivement, à mesure que l'on augmente le nombre de lits, on déprogramme des soins et on mobilise des soignants supplémentaires, en majorant de 50 % leurs heures supplémentaires, en payant en espèces tous les jours de vacances qu'ils n'ont pas pris, et jusqu'à un treizième mois pour une infirmière qui prêterait main-forte si la situation l'exigeait.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation différente de celle de la première vague, qui avait particulièrement frappé le Grand Est. Les services de réanimation de la région étaient en saturation totale. Des transferts interrégionaux et à l'étranger ont été effectués par train, avion, bateau. La totalité des soins avait été déprogrammée par moi-même, en amont, avec le déclenchement du plan blanc exceptionnel. Souvenez-vous : certains au Parlement avaient demandé pourquoi on déprogrammait tout alors qu'il n'y avait encore que deux cents malades en réanimation. Vous verrez dans deux semaines, avais-je répondu… C'est cela, l'anticipation. S'il fallait attendre que chacun ait appréhendé des données d'un niveau de technicité et de complexité extrêmes, qui sont brassées par les scientifiques sur des bases de modélisations et d'études épidémiologiques, on agirait tout le temps trop tard. Oui, je revendique qu'il y ait des décisions qui ne soient pas concertées avec la représentation nationale, et qui vous soient présentées après décision en conseil de défense. C'est le régalien, c'est le domaine de la puissance publique et de l'État.
Aujourd'hui, la situation est différente. Nous sommes capables d'avoir une vision territorialisée. Prenons l'exemple d'Auvergne-Rhône Alpes, une région que je connais bien. Quand un hôpital est saturé, qu'il n'y a plus de lits en réanimation, on transfère les malades dans un autre hôpital de la même région. On tient compte du fait que l'hôpital est saturé et on commence à y déprogrammer des soins, à prendre du personnel supplémentaire pour libérer des capacités de réanimation supplémentaire. Si aussitôt qu'à l'échelle de la région, on constate qu'il y a une saturation de tous les lits – ce n'est pas le cas aujourd'hui –, on commence les transferts intrarégionaux. Mais du fait de la nature de cette nouvelle vague et de sa répartition, force est de reconnaître que les réservoirs de réanimation sont peu nombreux : il nous reste la Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine et, pour partie, le Grand Est. Les régions les plus touchées sont l'Île-de-France, la région Auvergne-Rhône Alpes, l'Occitanie, les Hauts-de-France, la Provence-Alpes-Côte d'Azur, là où précisément nous avons d'ordinaire des réservoirs de réanimation. Elles sont déjà soumises à une très forte saturation : dans la plupart d'entre elles, plus de 50 % des lits sont déjà occupés par des malades covid.
Lorsque cela devient nécessaire, le directeur général de l'ARS, conformément à un plan national issu du retour d'expérience (RETEX) de la première vague, contacte les hôpitaux et, dans le même mouvement, les cliniques privées, pour leur demander de déprogrammer tous les soins qui ne sont pas indispensables. C'est le cas en Auvergne-Rhône-Alpes dans cinq départements : pendant deux semaines, l'ensemble des soignants du public et du privé ont tout annulé en chirurgie, hors chirurgies ambulatoire, cancérologique et d'urgence. Tout a été annulé, dans le public comme dans le privé.
L'efficacité des mesures est le sujet le plus compliqué. Ce virus, vous le savez, est un paquebot. Il a fallu dix-huit jours pour que l'on commence à voir l'impact du confinement généralisé. Nous nous posons donc plusieurs questions, avec modestie, gravité et remise en question permanente : à partir de quand estime-t-on qu'une mesure n'a pas suffisamment d'efficacité compte tenu de l'épidémie et du profil évolutif ? À partir de quel moment faut-il anticiper les choses et prendre des dispositions supplémentaires ? Ce sont des questions fondamentalement complexes. Si nous avions une réponse deux jours après avoir appliqué une mesure, ce serait formidable. L'exemple de la Guyane a montré qu'il a fallu environ deux semaines pour que le couvre-feu commence à porter ses fruits. Il en va de même dans les autres pays.
Ce qui a changé depuis quinze jours, alors que l'épidémie était maîtrisée et que les courbes commençaient à s'infléchir, c'est que, tout d'un coup, on a assisté à une croissance exponentielle des cas. On ne sait pas l'expliquer ; tout ce que l'on sait c'est qu'elle a touché toute l'Europe. Le refroidissement est probablement un des facteurs : les gens sont davantage restés en famille et se sont regroupés davantage à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Cela m'a du reste valu d'être taquiné sur certains réseaux sociaux très honnêtes, pour avoir dit que le confinement faisait circuler le virus. Je ne parlais évidemment pas du même confinement que le confinement généralisé. Chacun, avec un peu d'honnêteté intellectuelle, comprend la différence entre les deux, mais je le précise encore une fois : lorsqu'il fait très froid, et qu'il y a des virus dehors, les gens ont tendance à faire à l'intérieur les activités qu'ils faisaient auparavant dehors. Ce n'est pas la même chose que de rester chez soi, avec un minimum de contacts, sans voir personne.
J'en viens aux habilitations à légiférer sur certains sujets par ordonnance. Notre objectif est que ce soit terminé avant février, et de ne rétablir en bloc ce que nous avions fait pendant la période de confinement car la situation est objectivement différente : nous visons plutôt un objectif à la baisse. Contrairement à ce qu'a dit Mme la ministre Pau-Langevin, je ne compte pas quatre pages d'ordonnances – ou alors, en police 20 –, mais une et demie. Peu importe !