Intervention de Olivier Véran

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

Vous appellerez le Conseil d'État. Je me fais seulement son porte-voix : je n'ai pas la compétence pour aller à l'encontre de cette appréciation.

Je poursuis : « Cette mesure, estimée nécessaire par le Gouvernement pour faire face à l'aggravation de la crise sanitaire, prise sur le fondement du 2° de l'article L. 3131-15 du même code – que je commence à bien connaître, hélas – ne peut être mise en œuvre sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel mentionnée au point 5.

« En deuxième lieu, sur la base de l'avis en date du 19 octobre 2020 du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-13 du même code, prenant en compte les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire, notamment les données épidémiologiques, et l'incertitude quant à l'évolution de la situation actuelle, le Conseil d'État constate une nette aggravation de la crise sanitaire. »

Cette aggravation est confirmée par l'avis du Conseil scientifique du 19 octobre.

On peut tourner les choses dans tous les sens. Si je vous présentais un texte qui n'était pas conforme aux recommandations du Conseil d'État, inspirées par le Conseil constitutionnel, vous ne seriez pas le dernier à nous taper dessus, et vous auriez raison. Je maintiens que nous sommes dans le droit. Cela dit, vous êtes commissaire aux Lois, je ne suis que ministre des solidarités et de la santé, moins familier que vous de ces questions.

Mme Avia a demandé quels étaient les indicateurs de bascule hors de l'état d'urgence sanitaire. La réponse n'est pas simple. Souvenez-vous : alors que nous étions en plein confinement depuis plusieurs semaines, un jour, le Président de la République, dans une allocution à la télévision, a annoncé que l'on déconfinerait le 11 mai ; il a anticipé de quelque deux ou trois semaines. Une audition en commission d'enquête mardi prochain sera l'occasion de réviser mes classiques…

Sur la base de l'évolution des courbes épidémiques au moment où l'on décide, du fameux facteur R de reproduction, des taux d'occupation et de la réduction de l'impact sur la mortalité dans les hôpitaux, il faut être en état d'anticiper quelle sera l'évolution à quinze jours. À ce moment, comme on veut que l'état d'urgence sanitaire dure le moins longtemps possible, on agit sitôt que l'on constate que l'on a pris une bonne courbe.

Quand le Président de la République donne un chiffre, ce n'est jamais anodin : il a dit qu'un des objectifs serait que l'on retombe en dessous de 3 000 à 5 000 malades par jour, afin d'être capable de reprendre un contact tracing efficace et d'avoir écrasé les courbes. Au 11 mai, lorsque nous avions déterminé les conditions du déconfinement, nous avions anticipé jusqu'à 3 000 ou 3 500 malades par jour et équipé en conséquence les équipes des ARS et de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) pour effectuer le traçage. Nous avions anticipé 15 ou 20 cas contacts par malade.

Lors du déconfinement, nous avons eu la bonne surprise de voir que le nombre de malades était de 800 à 900 par jour et que les cas contacts étaient moins nombreux. Si nous avions anticipé d'une semaine le déconfinement, il aurait probablement été de 4 000 ou 5 000 malades par jour. C'est notre devoir d'anticiper, de présenter les arguments, les critères.

Vous vous souvenez peut-être de cette une du journal Le Parisien qui avait fait un peu peur, dans laquelle j'avais laissé entendre que le déconfinement n'aurait peut-être pas lieu le lundi 11 mai : si nous n'avions pas eu d'indicateur garantissant de manière suffisamment solide que nous avions moins de malades que ceux que nous étions capables de tracer, nous aurions repoussé le déconfinement d'un ou deux jours. Heureusement, cela n'est pas arrivé.

S'il fallait refaire un système de primes, ce ne serait pas de la même manière. Il faut agir en urgence, de manière à la fois centralisée et décentralisée, pour toucher un maximum de personnes, mais c'est très compliqué : certains soignants ont passé une semaine dans un établissement, trois jours dans l'autre, quatre jours ailleurs encore.

La meilleure réponse pour les soignants, c'est le Ségur : on ne parle pas d'une prime de 1 000 euros mais de 220 ou 250 euros nets de plus par mois, pris en compte dans le calcul de la retraite, et désormais versés à tous les soignants de notre pays. L'impact financier est considérable. Mais vous avez raison, il faut faire attention à cet aspect des choses.

Pacôme Rupin a demandé, au-delà de la saturation des lits de réanimation, ce qu'il en était de la saturation des lits d'hospitalisation. C'est un réel problème : les prises en charge se sont améliorées, on met moins les gens en réanimation, et c'est tant mieux, mais davantage à l'hôpital.

Je discutais hier avec le directeur général de l'ARS Île-de-France – si M. Pancher était resté, il aurait vu que des informations sont données aux députés, mais il arrive parfois, lorsque je les leur livre, qu'ils ne soient plus là pour les entendre. (Sourires.) Il prévoit par exemple de transformer des lits de soins de suite et de rééducation, notamment dans le secteur privé, en lits d'hospitalisation conventionnelle, capables d'accueillir des malades non covid pour libérer des lits non covid, à l'hôpital et dans les cliniques, sur lesquels on pourrait hospitaliser des malades covid, de manière à augmenter nos capacités. C'est du travail à façon, qui se fait territoire par territoire, région par région, hôpital par hôpital, clinique par clinique.

J'ai beaucoup parlé du dépistage, un sujet qui est un peu hors champ. L'innovation, ce sont les tests antigéniques rapides, qui permettent d'avoir un résultat en une dizaine ou vingtaine de minutes, qui se déploient avec deux stratégies : l'une vise un dépistage en population asymptomatique, comme les universités, les étudiants en santé ou les EHPAD ; l'autre, le diagnostic individuel, où le test est pratiqué chez le médecin, le pharmacien, l'infirmière. Tout cela se met en place ; il faut un minimum de temps de formation, d'équipement, de commandes. Cela a commencé dans l'ensemble du territoire. Toutes les régions sont pourvues en tests antigéniques pour des opérations collectives de dépistage. Nous aurons bientôt des indicateurs de suivi. J'ai déjà signé l'arrêté qui fixe notamment les tarifs pour les libéraux qui les réaliseront.

Je maintiendrai en outre la prise en charge à 100 % par l'assurance maladie car elle était très efficace – on ne change pas une équipe qui gagne. En télémédecine, le fait de n'avoir pas à faire appel à la complémentaire santé a boosté la téléconsultation. Vous aurez peut-être noté que dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale – j'irai le défendre dès que je vous aurai quittés, et M. Gosselin sera là, comme toujours –, nous récupérons les sommes que les complémentaires santé n'auront de ce fait pas dépensées : cela représente 1 milliard d'euros pour 2020. Elles seront au minimum de 500 millions en 2021.

Je n'ai jamais dit, monsieur Kamardine, que l'outre-mer n'était pas une priorité. D'abord, parce que je ne le pense pas ; ensuite, parce que ce serait une mauvaise politique. J'ai dit que les personnes en voyage ou en déplacement depuis les territoires ultramarins n'étaient pas aussi prioritaires que des personnes symptomatiques susceptibles de transmettre le covid. Par ailleurs, les mesures obligeant à un dépistage préalable avant de se rendre outre-mer avaient été prises, à juste titre, à la demande des parlementaires ultramarins, pour protéger ces territoires. Désormais, avec les tests antigéniques, nous disposons des moyens d'amplifier notre politique de tests, d'autant que les délais se sont considérablement raccourcis, et c'est tant mieux.

Mayotte a payé un lourd tribut à la prise en charge de la crise sanitaire. Elle est sortie mi-septembre de l'état d'urgence sanitaire, parce que la situation sanitaire le permettait. Auparavant, nous pouvons nous le dire, compte tenu des capacités hospitalières, du profil populationnel, des inégalités très fortes, du niveau de pauvreté, les conséquences sanitaires pouvaient être terribles. Mayotte fait partie des territoires qui m'ont fait très peur. Les évacuations sanitaires ne peuvent pas se faire dans les mêmes conditions…

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