Le groupe Les Républicains regrette l'état d'urgence parlementaire dans lequel nous nous trouvons s'agissant d'un texte aussi grave : présentation en conseil des ministres hier, nécessité de l'étudier jusque dans la nuit pour pouvoir déposer nos amendements avant ce matin, audition des ministres concernés dans la matinée, obligation de terminer nos travaux en fin de journée – vous n'y êtes pour rien, madame la présidente – pour que le rapport parvienne à nos collègues, afin qu'ils exercent à leur tour leur droit d'amendement avant la séance publique prévue samedi !
Nous ne contestons pas que la situation sanitaire soit critique : les chiffres sont là ; il serait déraisonnable de ne pas en tirer les conséquences. L'épidémie flambe, le nombre de personnes atteintes s'envole, celui des morts et des familles touchées augmente hélas de jour en jour. Il faut donc évidemment réagir. Nul ne conteste au Gouvernement le droit de le faire, y compris par des mesures de couvre-feu et, si elles sont proportionnées, justifiées et temporaires, de fermeture de certains établissements pour raisons sanitaires. Il faut protéger la santé de nos concitoyens : un principe à valeur constitutionnelle l'exige.
Mais nous divergeons quant aux moyens d'action et à leur fondement juridique : à nos yeux, il n'est pas besoin pour agir de l'état d'urgence sanitaire, moyen de droit extraordinaire, période d'exception qui porte atteinte à la hiérarchie des normes et, d'une certaine façon – je le dis avec solennité – à l'État de droit. Le recours à l'état d'urgence ne doit pas être banalisé, il ne doit pas être une fatalité ; or, petit à petit, tout est fait pour que nous nous y habituions : on nous prétend que pour agir, en particulier pour appliquer la mesure-phare qu'est le couvre-feu, le Gouvernement aurait besoin de cette arme atomique. Ce n'est pas vrai : ni le Conseil d'État ni le Conseil constitutionnel, que vous invoquez, n'interdisent le couvre-feu ou les confinements locaux ; ils les subordonnent simplement à la condition de circulation active du virus, qui est présente aujourd'hui. La loi du 9 juillet 2020 permet donc de prendre ces mesures.
À moins d'envisager une éventualité beaucoup plus grave, que le Gouvernement ne met pas sur la table : un confinement généralisé. Si l'objectif est d'y parvenir dans quelques semaines, nous aurons besoin de l'état d'urgence sanitaire, puisqu'il ne sera alors plus question de circonstances de temps ou de lieu. Si la stratégie du Gouvernement est celle-là, il doit le dire ; c'est une question de transparence, d'honnêteté vis-à-vis du Parlement, de responsabilité à l'égard de la représentation nationale et de nos concitoyens. Il nous faut savoir exactement ce qui est prévu.
Ce qui est en jeu, c'est, pendant plusieurs mois, la suspension de nos libertés, aggravée par un recours accru aux ordonnances, dont certaines vis-à-vis desquelles le Conseil d'État s'est montré circonspect. On nous dit que les données de santé seront protégées sans aucune difficulté ; or plusieurs rappels et injonctions de la CNIL permettent d'en douter. Pour couronner le tout, aux termes du IV de l'article 4, les projets d'ordonnance ne feront pas l'objet des consultations obligatoires habituelles des autorités administratives : en plus de se passer du contrôle du Parlement, on écarte ces contrepouvoirs.
En résumé, favorables à des mesures fermes puisque la deuxième vague est là, nous en contestons le fondement juridique : un État de droit à secousses, un régime d'exception qui devient trop souvent la règle.