Intervention de Paul Molac

Réunion du mercredi 18 novembre 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Monsieur le rapporteur, vous mettez le doigt sur un phénomène qui existe depuis fort longtemps, et dont on ne débat que très peu, car il constitue une forme de domination. Jadis, il fallait pratiquer la langue et l'accent du roi, puis ceux de la classe dominante, parisienne pour l'essentiel. À défaut, on était mis de côté. Ainsi, on considère volontiers que l'accent du sud est bon pour les galéjades, pas pour le droit. Je regrette : l'accent ne fait pas la compétence, ni la volonté d'avancer. Je suis parfois peiné d'entendre des Français se moquer des Québécois, qui font un travail énorme pour faire vivre la langue française au sein d'un continent nord-américain largement dominé par l'anglais, où le français est une langue minoritaire et minorisée. Nous devrions au contraire leur donner un coup de main. Je ne comprends pas cette attitude.

En la matière, il existe de véritables discriminations. Si, étudiant dans une école de journalisme, vous avez un accent quelconque, on vous dira qu'il est inutile d'essayer de faire de la radio ou de la télévision. « Faites de la presse écrite », voilà ce que disent les formateurs ! On en vient même à des situations caricaturales. Dans les années 1980, la BBC a fait une sorte de révolution culturelle, consistant à dire : « Il existe plusieurs accents, nous allons donc embaucher des journalistes aux accents différents ». Il en a été de même avec les couleurs de peau. En France, rien de tel n'a jamais été fait. Même les journalistes de couleur ont exactement l'accent standard, de sorte qu'on est presque plus discriminé selon l'accent que selon la couleur de peau, ce qui est assez étonnant.

Dans certains reportages, on voit même des gens qui parlent français avec un léger accent, et que l'on comprend très bien, dont on sous-titre les propos. Curieux ! Quant au journal de 20 heures, je ne le regarde plus, tellement il m'agace. Il s'agit, paraît-il, d'un journal national, mais il a pour décor la tour Eiffel et Paris ; je ne suis pas certain que la France soit limitée à Paris. Quant à la façon de traiter l'information, elle reflète la vision des Parisiens – comment ils voient le monde, comment ils nous voient. La façon dont sont traitées les régions est symptomatique de leur façon de voir. Un seul journaliste audiovisuel fait exception, Jean-Michel Apathie, qui parle avec son accent basque. Lorsque j'ai été élu à l'Assemblée nationale, en 2012, j'ai entendu parler français avec divers accents et je me suis dit : « L'Assemblée nationale, c'est vraiment la France ! ». Je le regrette, mais je n'en dirais pas autant de la télévision.

L'enjeu de la présente proposition de loi n'est-il pas de contribuer à ce que la France s'accepte elle-même ? Il s'agit de mettre un terme à la domination par l'accent, d'un côté, et au déni, prélude au reniement, de l'autre. Comme l'a rappelé Christophe Euzet, se plier à un standard et à un accent constitue une forme de reniement. Il me semble que nous sommes mûrs pour passer à autre chose, ce qui d'ailleurs nous fera du bien. Entendre des accents différents habitue l'oreille aux diverses façons de prononcer la langue, et par là aux langues étrangères, ce qui devrait nous aider à devenir polyglottes. Le monde de demain, me semble-t-il, ira dans cette direction. Je suis très favorable à la proposition de loi, qui n'a rien à voir avec les langues régionales, à ceci près que le mépris qu'elles suscitent est un peu le même. Je soutiendrai la proposition de loi, qui me semble aller dans le bon sens et nous permettra de nous accepter tels que nous sommes.

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