Intervention de Naïma Moutchou

Réunion du mardi 24 novembre 2020 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNaïma Moutchou, rapporteure :

Il y a, dans ce projet de loi, plus que ce que son titre laisse entendre. Il y a, d'abord, le Parquet européen, étape significative dans la construction d'une compétence européenne commune en matière judiciaire. Il y a, ensuite, le renforcement de la justice pénale spécialisée en matière de criminalité organisée, de grande délinquance financière, de terrorisme et d'atteintes à l'environnement. Il y a, enfin, la réponse à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ainsi que diverses dispositions.

C'est un projet de loi technique, c'est vrai, mais il est également éminemment politique. Il a été adopté par le Sénat le 3 mars dernier, soit juste avant le premier confinement. Les sénateurs y ont apporté des améliorations tout à fait adaptées, sans trop s'éloigner de la rédaction du Gouvernement. Je propose que nous nous inscrivions également sur cette ligne, qui me paraît harmonieuse.

L'intégration du Parquet européen dans notre droit interne, au travers de la transposition du règlement européen du 12 octobre 2017, fait l'objet des trois premiers articles. Ils procèdent à l'insertion, dans le code de procédure pénale, dans le code de l'organisation judiciaire et dans le code des douanes, de plusieurs dispositions permettant de prendre en compte le statut et le rôle particulier des procureurs européens et de leurs délégués. L'architecture proposée est cohérente, pragmatique et équilibrée. D'abord, le futur Parquet européen nous permettra de mieux lutter contre une délinquance financière que nous savons astucieuse, qui s'est largement internationalisée – d'où l'intérêt d'une compétence européenne – et qui représente, selon les évaluations, pas moins de 50 milliards d'euros. C'est un véritable défi qui nous engage et qui engage l'ensemble des pays partenaires. Relèveront ainsi du champ de compétence de ce parquet les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne : les escroqueries à la TVA, les faits de corruption, de détournement de fonds publics, d'abus de confiance, de blanchiment d'argent ainsi que certains délits douaniers.

Le Parquet européen siégera à Luxembourg, capitale judiciaire de l'Union européenne, avec à sa tête un procureur européen, Mme Laura Codruţa Kövesi, assisté de vingt‑deux procureurs nationaux, soit un par État participant. À l'échelle nationale, des procureurs européens délégués – au moins deux par État – seront chargés du suivi des enquêtes et des poursuites. Pour ce qui concerne la France, ils seront cinq, basés à Paris, près du PNF.

Le système envisagé est astucieux : ce double degré permet de combiner tout à la fois collégialité et efficacité ainsi qu'autonomie et souveraineté, puisque le procureur européen délégué français s'intégrera pleinement au cadre procédural national et que ce sont les juges du tribunal judiciaire de Paris qui seront compétents pour juger de ces infractions. Le procureur délégué sera indépendant. Il disposera des mêmes prérogatives que le procureur de la République et – chose inédite mais qui se règle finalement sans difficulté – de certaines prérogatives du juge d'instruction. Je salue cette avancée ambitieuse qui concrétise des négociations qui durent, en effet, depuis près de vingt ans et dont la France a été l'un des moteurs.

La seconde partie du projet de loi concerne les juridictions pénales dites spécialisées. Les modifications ponctuelles apportées aux structures existantes soulèvent peu de débat. Un mécanisme d'arbitrage simple a été proposé par le procureur général François Molins : il donne priorité au juge spécialisé sur le juge de droit commun et à la juridiction nationale sur celle qui exerce à l'échelon local. La même cohérence préside à l'élargissement de la compétence du PNAT ; celle du PNF étant élargie à des infractions au droit de la concurrence. Ces modifications procèdent de la logique ; je n'ai donc pas de critique particulière à formuler les concernant.

La procédure pénale applicable au droit de l'environnement est traitée à l'article 8. Nous sommes nombreux à vouloir aller plus loin dans la protection de la biodiversité. Je sais que nombre d'amendements allant dans le sens d'une réforme profonde du droit de l'environnement avaient été déposés. Cependant, mon homologue Philippe Bonnecarrère l'a dit au printemps dernier à ses collègues sénateurs : le texte n'a pas cette ambition. Nous prendrons donc notre mal en patience jusqu'au projet de loi que le Gouvernement présentera en réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

Pour autant, le projet de loi n'est pas neutre puisqu'il ouvre le droit de l'environnement aux CJIP imaginées pour lutter contre la corruption par la loi Sapin 2. Ces instruments transactionnels ont remarquablement fonctionné en permettant de recouvrir des sommes importantes sans risquer les aléas d'un procès et, surtout, en imposant à l'entreprise concernée un programme de mise en conformité visant à mettre fin aux comportements délictueux, le tout sous l'œil du grand public grâce aux obligations de publicité. Bien sûr, le succès suppose un compromis : si une personne morale accepte des mesures de réparation pouvant atteindre 30 % du chiffre d'affaires ainsi qu'un suivi serré de ses activités, c'est en contrepartie d'une extinction de l'action publique. Ainsi donc, le droit permet d'éviter la condamnation, donc l'exclusion des procédures de marchés publics, et donc les licenciements qui en découleraient. Les torts sont corrigés dans l'intérêt de tous. Ce qui a fonctionné contre la délinquance financière devrait tout aussi bien entrer dans le paysage de la lutte contre les dégradations de l'environnement.

Des juridictions spécialisées dans les atteintes à l'environnement seront installées au niveau de chaque cour d'appel. C'est une création nécessaire tant la matière est technique et complexe. Ces juridictions, qui pourraient être compétentes à la fois en matière pénale et en matière civile, constituaient l'échelon manquant de notre système judiciaire. Les juridictions de droit commun, c'est-à-dire celles de proximité, continueront, quant à elles, de connaître des infractions mineures. Pour les affaires les plus lourdes, comme les accidents industriels majeurs, les deux pôles de santé publique demeureront compétents. Au milieu s'inséreront donc ces nouvelles juridictions, avec magistrats et enquêteurs dédiés, et disposant, à chaque fois que le besoin le commandera, de moyens supplémentaires. Tout cela va dans le bon sens.

Le projet de loi est aussi l'occasion de corriger quelques erreurs légistiques et de prendre en compte les récentes décisions du Conseil constitutionnel. Deux sujets nous intéresseront plus particulièrement.

D'abord, s'agissant de la visioconférence devant la chambre de l'instruction, je note que le Parlement s'est définitivement prononcé dans le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique. Il nous revient de prendre acte de ces dispositions actuellement soumises à l'examen du Conseil constitutionnel.

Ensuite, une récente décision a montré que nos règles en matière de détention ne permettent pas la garantie optimale de conditions de détention conformes à la dignité humaine. Vous réfléchissez, monsieur le ministre, à un nouveau dispositif en ce sens, sur lequel vous consultez le Conseil d'État. C'est une très bonne chose. Mais la commission des Lois est très investie sur la question pénitentiaire. Sa présidente a mis en place des groupes de travail au sein desquels la question des conditions d'incarcération a été largement évoquée. Plus récemment, nous avons modifié l'ordonnance qui permettait la prolongation automatique des détentions provisoires en période d'état d'urgence sanitaire. C'est donc un sujet sur lequel nous voulons avancer. Je vous présenterai un amendement en ce sens, de même que mes collègues Didier Paris et Caroline Abadie.

Parmi les dispositions diverses que comprend le texte, la création d'une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports publics constituera peut-être notre seul point de désaccord. J'ai du mal à en voir l'intérêt en ce qu'il s'agit d'une redite de ce que le code pénal prévoit déjà par deux fois sous le nom d'interdiction de séjour, qui peut déjà concerner des catégories de lieux. Qui plus est, elle est très délicate à mettre en œuvre. Ne croyant pas au succès inattendu d'une telle disposition, je proposerai un amendement de suppression tout en me montrant attentive à vos arguments, monsieur le ministre.

L'article 12 aborde la question des officiers publics et ministériels. Cet article a été profondément remanié par le Sénat. Dans sa rédaction d'origine, il habilitait le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour prévoir le financement du fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice (FIADJ) par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires. Ce fonds a été créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », en contrepartie de la réforme du tarif des professions réglementées et de leurs modalités d'installation. Déplorant que ce fonds n'ait toujours aucune existence, car ses modalités de financement n'ont pas été définies à la suite de plusieurs censures du Conseil constitutionnel, le Sénat a substitué à l'habilitation une autorisation des ordres professionnels concernés à percevoir directement des contributions volontaires obligatoires. Il a également introduit une disposition réformant la procédure d'installation des nouveaux offices. Si des ajustements pourront certainement être envisagés, je suis favorable à cette nouvelle version de l'article 12. Nous avions voté un mécanisme de redistribution en 2015 ; nous devons avancer, même si cela implique de modifier la stratégie initiale.

Sur la base d'amendements déposés par M. Didier Paris et moi, nous aborderons les moyens de renforcer la justice pénale au regard de la durée de l'enquête préliminaire et d'une meilleure protection du secret professionnel, par un meilleur encadrement des réquisitions sur les factures détaillées de téléphonie. Ce sont deux sujets majeurs car ils concourent à la confiance, mais actuellement plutôt à la défiance, qu'éprouvent nos concitoyens à l'égard de la justice.

Mes travaux ont été particulièrement riches puisque j'ai procédé à plus de vingt auditions. J'ai été accompagnée par Mmes Souad Zitouni, rapporteure pour avis de la commission du Développement durable et de l'aménagement du territoire, et Liliana Tanguy, rapporteure pour observations de la commission des Affaires européennes. Je profite de l'occasion pour les remercier.

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