Je salue le rôle fondamental qu'a joué le couple franco-allemand dans des négociations conformes à notre vision d'une construction brique par brique de l'Europe, s'agissant des intérêts financiers que nous sommes également chargés de défendre. Cet outil juridique n'était pas, loin s'en faut, facile à construire. Il fallait tout à la fois que le Parquet européen conserve la main sur les enquêtes et qu'il reste une instance européenne indépendante dans chaque État membre, tout en appliquant des droits nationaux qui ne sont pas tous identiques.
Je ne reviens pas sur l'architecture, avec le collège et les chambres permanentes, composées de trois procureurs, ni sur la personnalité de Mme Laura Codruţa Kövesi, premier chef du Parquet européen, déjà bien connue des cercles spécialisés pour sa lutte contre la corruption en Roumanie. Le système fonctionnera grâce aux procureurs européens délégués, au nombre de cinq en France, de onze en Allemagne et de vingt en Italie. Peut-être pourrez-vous nous expliquer ces chiffres, monsieur le ministre ? Quoi qu'il en soit, la rapporteure a longuement auditionné M. Frédéric Baab, qui nous a paru parfaitement adapté à la situation.
Comme il n'existe pas de juridiction pénale européenne, il est bien évident que les juridictions nationales auront à connaître des infractions, quand bien même elles sont au préjudice de l'Europe. On aurait pu adopter une procédure différente, à l'allemande par exemple, avec un procureur et un juge des enquêtes. Si vous aviez retenu ce schéma, nous nous serions éloignés sensiblement de la procédure à la française et de nos modes de fonctionnement. Les Luxembourgeois et les Espagnols ont fait un choix sensiblement identique au nôtre. Les Belges se sont montrés beaucoup plus prudents en retenant un système dépendant des autorités nationales, ce qui pose une autre difficulté : comment concilier ce choix avec l'impérative indépendance du Parquet européen ?
On a trouvé un système politiquement intelligent pour intégrer la fonction de juge d'instruction, qui est l'une des caractéristiques de notre modèle judiciaire. S'il n'y a de juge d'instruction que dans quatre pays européens, son rôle est puissant dans notre corps judiciaire. Afin de garantir son indépendance et de lui permettre de conserver la maîtrise des enquêtes, le procureur européen délégué ne pourra pas ouvrir une information judiciaire devant un juge d'instruction : il pourra, en revanche, en exercer les fonctions. Pour la même raison, il n'a pas de subordination aux procureurs généraux.
Il est indispensable d'assurer la préservation des libertés individuelles. En France, le procureur européen délégué endosse ainsi le rôle du juge d'instruction, ce qui est original mais concevable, pour mettre en examen, placer sous statut de témoin assisté, effectuer les actes d'investigation selon les règles de procédure habituelles. Mais il ne peut prendre aucune mesure de sûreté comme les assignations à résidence avec bracelet électronique, la détention provisoire ou le mandat d'arrêt, ni attenter à la vie privée avec la géolocalisation, la perquisition sans assentiment, les écoutes ou les techniques spéciales d'enquête sans l'intervention du juge des libertés et de la détention, qui tend à prendre de plus en plus d'importance.
Les modifications effectuées par le Sénat sont bienvenues pour assurer les droits de la défense.
Pour conclure, il est clair que nous accusons une faiblesse en matière de contentieux environnemental. Le texte comporte deux dispositions centrales : la création de juridictions spécialisées et la CJIP environnementale, qui donne lieu à discussion mais qui a prouvé son efficacité. Nous attendrons avec intérêt le texte à venir sur la prévention, la réparation et la répression de ce que vous avez bien voulu qualifier de banditisme environnemental, contre lequel nous devons absolument lutter.